vendredi 5 novembre 2010

“L'Égypte ne tient ses connaissances que d'elle-même” (G.E.C. Goury - XIXe s.)

Guillaume Edme Charles Goury (1768-1854), auteur du texte-dessous extrait de Recherches historico-monumentales (1833), était ingénieur des Ponts-et-Chaussées. II fut nommé en 1805 ingénieur en chef du département de Marengo à Alexandrie.
Connaissant les compétences professionnelles de cet auteur, on ne sera pas surpris de la teneur de ses observations sur la configuration des pyramides et certains facteurs déterminants de leur construction : nature du sol et des matériaux, qualité du mortier, unités de mesure, raison d’être du puits dans la Grande Pyramide, disposition des blocs de pierre...
Sur le terrain des merveilleuses pyramides”, comment ne pas être attentif aux certitudes ou conjectures des techniciens et vrais connaisseurs du langage de la pierre ?

Photo Marc Chartier
“Le sol granitique forme la partie supérieure ou méridionale de l'Égypte, le sol de grès la partie du milieu, et le sol calcaire la partie inférieure ou septentrionale. On voit encore, entre Syène et Philae, d'anciens travaux d'extraction non terminés, entre autres un obélisque et plusieurs colonnes dont la taille est ébauchée. Ce granit, connu sous le nom d'oriental, est rouge ou rose. Il y a des variétés de granit égyptien, telles que le gris qui forme la belle colonne de la Justice sur la place de la Trinité à Florence, et le granit noir ; il ne faut pas confondre cette dernière variété avec la roche noirâtre, qui se trouve notamment aux environs de la cataracte de Syène, dans la chaîne arabique, et désignée par Strabon et Pline sous le nom de basalte, sans être de nature volcanique ; M. de Rosière la qualifie syènitelle-basaltiforme, c'est-à-dire roche de Syène à petits cristaux, ressemblant au basalte. On en voit plusieurs statues égyptiennes dans les musées d'Europe.
Il résulte de cette constitution du sol égyptien, que les monuments de la haute Égypte sont généralement en granit ; ce sont en même temps les plus anciens et les mieux conservés ; que dans les monuments de la contrée moyenne, on a dû faire dominer le grès, sans exclure néanmoins la matière granitique ; que la pierre calcaire a trouvé son emploi dans la contrée inférieure, depuis Memphis, dont les pyramides sont construites en cette matière, pourtant avec des revêtements en granit. Enfin on a jugé que l'éloignement des carrières granitiques et les grandes difficultés du transport ne dispensaient pas d'employer ces précieux matériaux aux monolithes d'importance dans la basse Égypte, où d'ailleurs les débris d'Héliopolis, de Memphis, etc., ont été successivement utilisés pour des ouvrages subséquents. On a cependant fait usage des briques dans les différentes contrées de l'Égypte, soit concurremment dans les massifs de maçonnerie, soit exclusivement dans les ouvrages accessoires et surtout dans les grandes enceintes défensives. Ces briques étaient formées avec du limon du Nil et de la paille hachée. On les employait ordinairement crues et durcies au soleil. Celles d'un mur d'enceinte, à Karnac, ont 0 m 32 de longueur, 0 m 16 de largeur, et 0 m 14 d'épaisseur.
Le mortier qui lie les pierres des pyramides, notamment celles du Chéops, est semblable à nos mortiers d'Europe ; à Ombos, à Edfù, dans l'île de Philae, etc., le mortier qu'on aperçoit entre les joints des édifices dégradés présente un sable fin mêlé avec la chaux dans les proportions ordinaires. Ces faits sont d'une époque antérieure à notre ère d'environ 2000 ans. Les Égyptiens bornaient l'emploi des ciments au strict remplissage des joints étroits de leurs assises. Dans ce procédé ils ont mieux pressenti les influences de leur atmosphère brûlante que les Romains, dont les travaux postérieurs sur les bords du Nil laissent à peine des traces remarquables. On sait que la brique crue, liée avec l'argile molle, suffisait aux simples habitations et même aux vastes enceintes ou clôtures extérieures. (...)
Nous voici sur le terrain des merveilleuses pyramides. Vis-à-vis de Gyseh ou Djizé, sur la rive gauche du Nil, un sphinx colosse a été taillé dans une des faces de la coupure de la chaîne Libyque, du côté du fleuve. Son élévation est d'environ 13 mètres (40 pieds) au-dessus du sol actuel, et reste comme un témoin du déblai supérieur fait pour dresser cette partie de la montagne. La croupe, à peine sensible, paraît seulement tracée sur le sol, dans une longueur de 22 mètres. Les côtés inférieurs, ordinairement couverts de sables accumulés par les vents jusqu'au niveau de la montagne, n'ont offert à l'explorateur (M. Coutelle, membre de la Commission d'Égypte), sur une profondeur de 9 à 10 mètres, aucune forme régulière ; d'où l'on peut conclure que ce colosse n'a jamais été achevé.
M. de Chazelles, chargé en 1694 d'opérations astronomiques aux pyramides d'Égypte (...), ayant pour objet de vérifier la longitude et la latitude de ces lieux, afin de les comparer aux données des anciens astronomes, et de s'assurer de la variation ou de la fixité des pôles de la terre, M. de Chazelles, dis-je, observa que les quatre côtés de la plus grande pyramide répondent précisément aux quatre points cardinaux. Ce dont ne parle pas cet académicien , c'est que la base de cette grande pyramide, mesurée sur le gradin ou socle taillé dans le roc, est un étalon du stade égyptien de 400 coudées-belady, ou 500 coudées antiques, partie aliquote (exactement la 480e) du degré terrestre, et que son apothème (arête inclinée) est un autre stade de 400 coudées antiques, et la 600e partie du même degré. Ainsi la base est à l'apothème dans le rapport de 5 à 4.
La base de la seconde pyramide, qui est de 360 coudées-belady, est la 540e partie du degré de l'écliptique ; c'est l'étalon correspondant à la demi-coudée, la 720e partie du stade, et cette mesure de 540 au degré est aussi la 480e partie du parallèle méridional de Thèbes, ou le degré terrestre propre à la latitude moyenne de l'Égypte, vérifié par les astronomes français de l'expédition.
Ces dispositions, certainement calculées, attestent des vues et des connaissances astronomiques. Or on sait que la grande pyramide était consacrée au roi Chéops, qui régnait 1178 ans avant Jésus-Christ. Voilà donc un repère d'antiquité d'art et de science bien antérieur au temps d'Hérodote.
Mais on a vu que la sphère de Thèbes se rapportait à une époque encore plus reculée de 1322 ans. On pourrait bien regarder l'Égypte comme le berceau de l'astronomie. Cependant les anciens ont regardé les Chaldéens comme les inventeurs de cette science ; je ne prétends pas le nier. Nous avons vu d'ailleurs que les Chinois ont très antiquement cultivé l'astronomie. Toujours est-il certain que l'Égypte ne tient ses connaissances que d'elle-même.
Les étonnantes pyramides de Gyzeh sont depuis longtemps dépouillées de leurs superbes revêtements; ils furent démolis, en grande partie, par ordre du fameux sultan Saladin, pour élever la forteresse du Kaire. On employa aussi de ces pierres à la construction du pont de la plaine de Gyzeh, ainsi qu'à la digue ou chaussée qui, de ce pont, conduit au Nil, et qui servit au transport des matériaux destinés à l'enceinte fortifiée du Kaire. Il est à remarquer que les matériaux des pyramides ne firent, par cette translation moderne, que retourner vers leur carrière de la chaîne Arabique. (...)
Dans l'intérieur de cette pyramide [la Grande Pyramide] se trouve un puits, dont la profondeur est de 63 mètres 344 millimètres, et le fond à 9 mètres 010 millimètre au-dessus de la Méditerranée, correspondant à 10 coudées 17 doigts de la colonne nilométrique ou Meqyâs, niveau moyen des eaux du fleuve, conséquemment inférieur à tous les points de la rive gauche. Suivant l'opinion de l'ingénieur Gratien Le Père, ce puits aurait eu pour objet d'introduire les eaux du Nil dans l'intérieur de la pyramide, par quelque moyen resté sans exécution. Mais pourquoi cette intromission des eaux dans un monument sépulcral, astronomique, et mystérieux ? Pour moi, je verrais tout simplement dans cette étroite et si profonde cavité, dont la largeur n'est généralement que de 0 mètre 65 centimètres sur 0 mètre 60 centimètres, un puits de sondage fait, avant l'érection du monument, pour s'assurer de la nature et de l'épaisseur du lit de roc qui devait supporter une masse sans exemple. M. le colonel Coutelle a osé descendre au fond de cet abîme. Il a exactement mesuré la pyramide, et il en évalue la solidité à 2.662.628 mètres cubes (76.669.305 pieds cubes). (...)
Cette pyramide [la seconde pyramide] offre des détails de construction très remarquables : chaque pierre des quatre arêtes est encastrée dans l'inférieure, au moyen d'un refouillement de 0 mètre 054 millimètre, de manière que l'arête est généralement liée dans toute sa hauteur ; et malgré la démolition du parement dans les quatre cinquièmes au moins de la partie inférieure, la portion qui reste n'a point éprouvé le moindre écart, la moindre dégradation. Les pierres du parement sont posées à sec sur leurs lits, et seulement liées sur le derrière avec la maçonnerie brute du noyau, par un bon ciment ; c'est-à-dire qu'on n'a voulu laisser aucun mortier ou ciment exposé aux influences atmosphériques. Toutes ces précautions, le choix des matériaux, et surtout la forme du monument étaient bien propres à perpétuer sa durée ; voilà d'excellentes méthodes dans l'art des constructions. (...)


Photo Marc Chartier


Ces trois pyramides [plateau de Guizeh], situées au nord de Memphis, semblent avoir épuisé l'attention et la curiosité de la plupart des historiens et des voyageurs. Il en est cependant de fort intéressantes, au sud de l'antique cité, notamment celles de Dahchour (l'ancienne Acantus) et de Saqqârah ; elles varient de forme et de grandeur. Plusieurs sont, il est vrai, construites en briques crues, durcies au soleil ; aussi sont-elles, en général, presque ruinées, excepté la pyramide de Dahchour, qui est revêtue en pierre. Celle-ci est la plus considérable : elle a 174 sur 178 mètres de largeur à sa base. Elle a éprouvé un déversement dans sa masse ; les assises du revêtement, au lieu d'être horizontales, sont perpendiculaires au plan d'inclinaison des faces,qui sont conséquemment lisses ; voilà encore un détail de bonne construction. Elle présente une ouverture à 6 mètres ½ au-dessus de la base ; cette ouverture pénètre au-dessous des fondations, et l'on y peut descendre encore jusqu'au-delà de 60 mètres de profondeur. Ce monument est exactement orienté vers les quatre points cardinaux.
La principale des pyramides de Saqqârah est nommée Haram-el-Kebyreh (la grande pyramide) ; ses dimensions approchent de celles des pyramides de Gyzeh. La base a moyennement 200 mètres de longueur, et sa hauteur est de 103 mètres 36 centimètres. Les revêtements sont aussi par gradins. L'entrée se trouve vers le cinquième de la hauteur ; il y a trois chambres sépulcrales, oblongues, couvertes en décharge, et séparées par des couloirs ; la longueur en est toujours dirigée du nord au sud.
On voit à Saqqârah d'autres pyramides bien plus petites, dont la hauteur est divisée en plusieurs corps de maçonnerie, ou pyramides tronquées, superposées en retraite, dont les gradins sont conséquemment inclinés sur leurs faces.”

2 commentaires:

Anonyme a dit…

superbe
et voila je me suis inscrite
amicalement marie

Marc Chartier a dit…

Merci Marie pour tes encouragements et ta fidèle lecture de ce blog. L'amour de l'Égypte est indélébile...