mardi 22 mars 2011

Des animaux étaient-ils utilisés sur le chantier des pyramides ?

Dans la civilisation égyptienne ancienne, les animaux semblaient globalement bien tirer leur épingle du jeu. Dans les “bandes dessinées”, inscrites ou peintes sur la pierre, ainsi que dans la statuaire de l’époque, ils étaient souvent représentés comme faisant l’objet de vénération. Certains étaient embaumés, puis momifiés. Le taureau Apis, incarnation de Ptah, était sacré, de même que le crocodile du Fayoum, incarnation du dieu Sobek. Ibis, chats, babouins, vaches, etc. : la symbolique divine marchait à deux ou à quatre pattes ! Elle prenait corps dans la faune locale.
C’est à se demander si les animaux de trait ou autres bêtes de somme étaient associés aux corvées de la vie quotidienne et, a fortiori, aux “grands travaux” de l’époque, à commencer par la construction des pyramides.

Des observateurs et interprètes de l’Égypte antique répondent explicitement à cette question en rappelant la fonction utilitaire de certains animaux. Ils nous signalent que nombreuses sont les représentations de paysans utilisant des bœufs pour les travaux agricoles. L’âne était également utilisé pour les travaux des champs ou les expéditions dans le désert.

“Tous comme de nos jours, l’âne était l’animal de bât par excellence et n’était pas concurrencé par le chameau. De tout temps il est représenté dépiquant les épis, labourant ou chargé de gerbes ou de fardeaux de toute espèce. Et facilement le bâton joue quand il est récalcitrant. Il fut, jusqu’à la XVIIIème dynastie, le seul animal de transport et le moteur essentiel des caravanes à travers le désert, vers la mer Rouge ou bien sur la route des oasis à l’Ouest. Mais il devint le suppôt du dieu Seth, l’ennemi d’Osiris. Aussi à l’époque tardive, son image dans l’écriture est-elle très souvent munie de quelque couteau enfoncé dans son dos ou dans sa tête, et, dans le rituel des grands temples, il n’est pas rare qu’on l’immole aux dieux du clan Osiris.”
(François Daumas, La vie dans l’Égypte ancienne, PUF, 1968) 


Mais qu’en était-il sur le chantier des pyramides ?
Adepte de la théorie de la double poulie, l'ingénieur français Albert Six introduit, à titre d’hypothèse, le recours à la force animale pour la traction des blocs de pierre sur le chantier des pyramides. Pour pallier la difficulté majeure de l'acheminement des animaux (bœufs) sur l'espace de travail, il imagine un revêtement provisoire, suivant un tracé en zigzag sur les faces de la pyramide.


J’ai par ailleurs retenu les cinq citations qui suivent :


“Comment fut construite la pyramide (de Khéops) ? Avec des outils tels des marteaux de diorite ou en bois de sycomore, du quartzite pour le polissage, des forets de silex, des haches et des scies de cuivre, puis des rampes de briques crues et d’argile sur lesquelles on faisait glisser des traîneaux de bois tirés par des animaux ou des hommes.”  (Hervé Beaumont, Égypte : le guide des civilisations égyptiennes, des pharaons à l’Islam, 2001)


“Un autre préjugé [à propos de la construction des pyramides] qu’il est nécessaire de détruire est celui qui donne l’image romanesque d’une marée d’esclaves, attachés à d’interminables cordes et qui traînent d’énormes blocs. Cette conclusion venue de quelques représentations emblématiques du transport de statues colossales est entièrement imaginaire et n’a pas le moindre sens pratique justement sur le plan du transport de charges de nombreuses tonnes. Un sens pratique qui, en vérité, ne manquait pas aux Égyptiens du IVe millénaire av.J.-C. À cette époque de luttes seulement internes, on ne disposait pas de masses de prisonniers de guerre, pas plus que d’esclaves comme l’imagine l’opinion courante. Enfin, il est pratiquement impossible et il serait même néfaste de concentrer les efforts d’une énorme quantité de main-d’oeuvre sur le traînage, sur de longs parcours, de centaines ou de milliers de quintaux. Au contraire, nous voyons souvent des peintures qui montrent l’utilisation des animaux pour le transport de poids et pour l’exécution de travaux  trop pénibles pour la seule force humaine. Nous voyons des ânes portant des charges, des paires de boeufs tirant la charrue ou tirant des chariots chargés de baldaquins, d’offrandes, de mobilier et de lourds sarcophages. Par contre, il y a de très nombreuses images d’hommes et de femmes qui, en longues files, portent seuls ou par couples des objets très souvent pas du tout pesants. On peut en conclure que, pour des charges de nombreuses tonnes, à partir du IVe millénaire, les Égyptiens, comme tous ceux qui vinrent ensuite, recouraient à l’aide efficace des bêtes de somme et de trait disponibles.” (Alberto Carlo Carpiceci, Égypte, 5000 ans de civilisation, 2009)


“De petites rampes en briques crues ont sans doute servi à l’acheminement des matériaux de construction. Mais il s’agit cette fois de monter des seaux d’eau et des paniers remplis de matière première, et non plus des pierres non dégrossies pesant parfois près de quarante tonnes. Des animaux, des ânes en particulier, ont certainement participé à la tâche. Des traîneaux ont pu être également utilisés. La tâche ne paraît plus surhumaine car les charges à tirer ne sont plus importantes. (…) En bas [des pyramides], la pierre n'existe pas ; c'est de la matière première broyée qui est montée et moulée au sommet de la construction.” (Joël Bertho, La pyramide reconstituée - Les mystères des bâtisseurs égyptiens, 2001) 


“Je me suis efforcé de découvrir de quelle manière de tels blocs énormes ont bien pu être élevés, d'une assise à l'autre, simplement à l'aide de cours morceaux de bois. Puis l'idée m'est apparue qu'ils ont pu être élevés grâce au procédé suivant : chaque bloc de pierre, taillé et prêt à l'emploi avant de quitter la carrière, était transporté sur le Nil (notamment en période d'inondations) sur des radeaux ou autres embarcations appropriées, jusqu'à la chaussée décrite par Hérodote. Sur cette chaussée, il était tiré sur des rondins ou sur des traîneaux si la pierre était lisse et polie, par des hommes ou des animaux, jusqu'à un emplacement adéquat à proximité de la pyramide. [Lorsqu'on en avait besoin], on le transportait sur la première assise de la pyramide, à l'aide de rondins. On utilisait des cales pour glisser les rondins dessous, si le sol était du rocher solide ; sinon, la terre était enlevée de dessous la moitié du bloc, le responsable de la manœuvre (director) ou le "surintendant" s'étant placé sur le bord opposé pour empêcher le bloc de basculer trop rapidement.” (Henry Perigal, revue Philosophical magazine, vol. 24, troisième série, de janvier 1844)

"Utilisait-on les animaux pour haler les traîneaux chargés ? Le cheval n'était pas connu en Égypte avant le Nouvel Empire et le chameau ne fut introduit qu'à l'époque romaine. Quant au bœuf, s'il est parfois attelé à des traîneaux funèbres, il n'est jamais représenté dans les bas-reliefs des mastabas. C'est à peine si nous connaissons un ou deux exemples où il est figuré, dans les arrières de Ma'sarah datant du Moyen Empire. Et encore l'un d'eux n'est-il mentionné que comme butin rapporté de la guerre contre les Phéniciens.
En ce qui concerne l'emploi de l'âne, ce merveilleux et patient âne d'Égypte, celui-ci n'est jamais attelé ni même, chose curieuse, chevauché. En revanche, on le voit souvent transportant des fardeaux dans les scènes champêtres. Sans doute, était-il affecté dans les chantiers au transport des charges légères, telles que l'eau et la brique." (Georges Goyon, Le secret des bâtisseurs des grandes pyramides - La fabuleuse histoire de Khéops, éditions J'ai lu, 1990)

On a beau  se référer au “sens pratique” des Égyptiens, il faut bien reconnaître que la démonstration proposée, visant à prouver le recours à la force animale dans telle ou telle phase du chantier des pyramides, y apparaît plus intuitive que basée sur des arguments infaillibles.
Toute autre analyse, tout autre texte de référence seront donc les bienvenus dans le contenu de ce blog pour éclairer notre lanterne quelque peu vacillante.
Merci par avance. 
Illustrations : copyright Marc Chartier