jeudi 16 juin 2011

“Toutes les nations réunies ne peuvent rien construire de comparable aux pyramides de l'Égypte” (attribué à Pythagore, par Pierre Sylvain Maréchal - XVIIIe s.)

Que sait-on de certain sur le philosophe et mathématicien Pythagore (v. 580 - v. 495 av. J.-C.), hormis le célèbre théorème qui lui est attribué ? Lui doit-on seulement quelque écrit ? De très nombreux historiens en doutent.
Ses biographes soulignent toutefois l’importance des diverses initiations qui ont ou auraient contribué à la formation de sa pensée, dont l’une reçue au cours d’un séjour prolongé en Égypte.
Pierre Sylvain Maréchal
Tel est notamment le cas de l’écrivain pamphlétaire et militant politique français Pierre Sylvain Maréchal (1750-1803) dans son ouvrage, en deux tomes, Voyages de Pythagore en Égypte, dans la Chaldée, dans l'Inde, en Crète, à Sparte, en Sicile, à Rome, à Carthage, à Marseille et dans les Gaules, suivis de ses Lois politiques et morales, 1798-1799.
Justifiant sa méthode, l’auteur introduit son ouvrage en ces termes : “Décrire les voyages de Pythagore, dans tous leurs détails, et rassembler ses lois, dont plusieurs sont encore aujourd'hui proverbes, en un mot, offrir dans toute la vérité de l'histoire, le plus beau génie des temps reculés, défiguré par de pitoyables traditions, ou par des relations biographiques plus absurdes encore, c'est bien mériter de la philosophie et des lettres, des peuples et des hommes d'état ; c'est développer l'esprit de toute l'antiquité, que Pythagore remplit de son souvenir ; c'est restaurer un temple auguste, dont les ruines éparses firent longtemps regretter l'ensemble que devait produire un aussi majestueux édifice.
Telle est la tâche que nous méditons depuis beaucoup d'années, et voici l'analyse de ce monument littéraire, dont le sujet, qui commence vers 600 avant l'ère commune, embrasse l'espace d'un siècle entier. (...)
Nous représentons le Sage de Samos, retiré à Crotone, et profitant de quelques années de
repos, pour rédiger ses nombreux voyages sous la forme de leçons adressées à ceux de ses disciples initiés dans les profondeurs de son école. (...)
[Pythagore] s'embarque pour l'Égypte. Les prêtres d'Héliopolis le renvoient à ceux de Memphis qui, à leur tour, l'adressent aux pontifes de la grande Thèbes, où sa persévérance lui mérite les honneurs de l'initiation. Pythagore remonte le Nil, et parvient jusqu'en Éthiopie, pour entendre les Gymnosophistes de Méroë. De retour à Memphis, il est témoin de la mort du roi et de son jugement. L'Égypte envahie par Cambyse, le conquérant enveloppe Pythagore parmi les prisonniers.”
On lira ci-dessous des extraits du tome 1 de l’ouvrage de Pierre Sylvain Maréchal (Source : Gallica). Le tome 2 a déjà fait l’objet d'une note de Pyramidales : ICI.

“Habitants de la zone tempérée septentrionale, nous devons avoir l'ombre la plus longue au solstice d'hiver. Ces masses pyramidales qui surchargent le sol de l'Égypte et dont tous nos marchands me parlent, ne sont probablement que des héliotropes destinés à marquer les points solstitiaux du soleil. Ils m'ont affirmé que plusieurs de ces pyramides, à certains espaces de l'année, ne projettent aucune ombre autour d'elles. On assure encore que les quatre pans de la plus grande correspondent exactement aux quatre points de la sphère et que leur élévation graduelle marque les degrés de l'ombre à mesure qu'elle croît ou décroît. Jeune homme, continua Phérécyde, en m'adressant la parole, il t'est donné de pouvoir un jour vérifier ces grandes expériences sur les lieux mêmes. (...)

“Qui ne connaîtrait les Égyptiens que par leurs pyramides ne pourrait en porter un  jugement”
Le principal talent d'un voyageur consiste à savoir interroger et faire parler ceux au milieu desquels il passe. Chaque contrée a ses merveilles, qu'on s'empressera de te montrer. Mais tu te proposes, sans doute, d'étudier les hommes, de préférence aux statues ? Les hommes, il est vrai, se peignent dans leurs écrits, dans leurs monuments, comme dans leurs usages. Ne dédaigne rien ; attache-toi d'abord aux monuments vivants. Les nations se donnent en spectacle dans les grands ouvrages qu'elles sont si jalouses de transmettre à la postérité.
Mais qui ne connaîtrait les Égyptiens que par leurs pyramides, les Chaldéens que par leurs calculs astronomiques les Babyloniens que par leurs jardins suspendus, ne pourrait en porter un jugement. (...)
Il n'y a pas beaucoup de vanité à dire qu'on en sait un peu plus que les prêtres. Ceux de Memphis me donnèrent d'abord quelques leçons copiées dans leurs livres qui ne sont pas leur ouvrage et que souvent ils n'entendent pas eux-mêmes en voulant les expliquer aux autres. Je leur appris d'abord à mesurer leurs pyramides avec quelque exactitude. Depuis bien des années, ils les ont sous les yeux, sans avoir encore avisé aux moyens d'en connaître l'élévation : c'est qu’on ne peut exercer deux professions à la fois. L'art d'en imposer à l'ignorante crédulité n'est pas le même que celui de calculer l'étendue d'une surface conformément aux lois de la perspective. Pour trouver la hauteur de ces pyramides, je n'eus besoin que de savoir la longueur de leur ombre à midi en la déduisant de l'ombre d'un autre corps, à pareille heure. Ce procédé tout naturel parut ingénieux à des gens circonscrits dans de vieilles routines. (...)
Louanges sans bornes à l'Égypte ! Terre féconde en prodiges ! Quel mortel peut se flatter de vivre assez pour les décrire tous ?
Les premiers sages ont paru en Égypte, pour y graver la science sur les pierres les plus dures. On leur doit les pyramides solidement édifiées. (...)

Des “marchepieds pour le soleil, la lune et les autres astres”
Toutes les nations réunies ne peuvent rien construire de comparable aux pyramides de l'Égypte, heureuse dans toutes ses inventions. Ses pyramides sont autant de marchepieds pour le soleil, la lune et les autres astres. Les principales renferment dans leur sein sept domiciles, pour y adorer les planètes représentées par des images d'or.
C'est dans l'intérieur de ces monuments qu'on peut voir et lire le grand livre des secrets de la nature, qu'elle tient ouvert, appuyé sur son front.
C'est aussi dans l'une de ces pyramides qu'on a déposé les cendres du trois fois grand Hermès et les restes du divin Osiris.
Ces pyramides avaient et quelques-unes ont encore des portes, une à chaque face, exposée à l'un des quatre points du monde.
Une seule de ces pyramides a coûté autant d'années de travail que la lune Isis consomme de jours pour faire sa révolution. Elle occupa les bras d'autant de milliers d'hommes qu'Osiris-le-soleil met de jours à parcourir le brillant zodiaque.
Que pourrais-je dire des hiéroglyphes qui couvrent les pyramides ? Hélas rien, sinon qu'ils renferment l'art par excellence de métamorphoser en or les plus vils métaux. Mais le trois fois grand Hermès en a possédé seul la clef jusqu'à ce jour.
La construction de ces pyramides est telle, la hauteur est combinée avec l'étendue de la base, de sorte que pendant six mois de l'année, la lumière du soleil chasse l'ombre et l'oblige à passer sous les fondations dans l'empire des ténèbres. L'adorateur du grand astre ne perd pas un seul instant de vue l'objet de sa contemplation religieuse ; il est en la présence de son Dieu aussi longtemps que le mécanisme de l'univers peut le permettre aux industrieux habitants de l'Égypte fortunée.
C'est en Égypte que les premiers Dieux ont été conçus, et ce n'est que là qu'ils se plaisent. Partout ailleurs, ils n'ont que des courtisans intéressés ; ce n'est que sur les bords du Nil qu'ils trouvent de vrais adorateurs. Mon fils, disait le père d'Osiris, repose-toi sur la providence des Dieux, sans négliger pourtant la sagesse des hommes. (...)

Pythagore, extrait d'une œuvre de Raffaelo Sanzio (1509)
Les pyramides construites pour faire face à un cataclysme
D'après cet oracle manifesté par deux songes presque semblables, les savants pontifes prirent la hauteur des astres pour examiner quels phénomènes ils annonçaient, et déclarèrent qu'on devait s'attendre à une inondation générale, ou à une conflagration universelle.
Saurid aussitôt commanda la construction des pyramides, pour y conserver intérieurement le fisc royal, et pour déposer dessus les trésors de sagesse amassés jusqu'à ce jour par les prêtres de la science.
Saurid continua de régner avec beaucoup de prudence, d'après leurs bons conseils. Il assigna des retraites aux malades d'entre les artisans qui travaillèrent aux pyramides. Il est le premier des monarques qui tint un registre de la recette et de la dépense, et qui, tous les ans, rendit compte des sommes versées dans la caisse publique. Ces comptes rendus furent gravés sur la pierre pour l'instruction de la postérité qui n'en profite pas beaucoup. (...)
Saurid demanda s'il y avait encore quelque grand accident à prévoir. Les prêtres regardèrent et virent que quand le cœur du Lion aurait fait les deux tiers de son tour, il ne resterait aucun animal vivant sur la terre, et que quand il aurait achevé son cercle, les nœuds de la sphère seraient rompus.
Le roi commanda sur-le-champ de prendre les pierres noires, et de les poser pour fondements des pyramides. On les transporta du Nil sur des machines. Chaque pierre était empreinte de certains caractères tracés par les prêtres, qui lui donnaient la vertu de se déplacer d'elle-même, l'espace du jet d'une flèche, d'un lieu dans un autre. Au centre de chacune de ces grandes masses fondamentales, on passa un pivot de fer, lequel perçait aussi de part en part le second lit de pierres posé sur le premier. Ensuite, on coula une matière brûlante autour. On pratiqua à quarante coudées de profondeur des portes donnant sous de longues voûtes. (Car ce qu'on voit des pyramides, hors de terre, est seulement une troisième partie de ces édifices.) Le roi déposa dans ces caveaux trente canopes avec leurs couvercles. Chacun de ces vases pouvait contenir la charge d'une bête de somme. On y renferma ce qu'on avait de plus précieux, tel que des perles fondues et colorées, du fer aussi souple que le drap le plus fin, des poisons subtils et autres breuvages mortels avec leurs antidotes à côté ; les hommes publics en ont toujours sur eux ; des tables d'airain où sont inscrites des règles médicinales donnant la santé, et des lois de sagesse conservatrices de la paix. D'autres tables de pierre contenant les annales du passé, et des maximes politiques pour l'avenir en forme de divinations, d'autres tables astronomiques attestant l'état du ciel, avec le calcul du repos et du mouvement des étoiles à certaines grandes années, bien éloignées les unes des autres.
Dans l'une de ces pyramides, on déposa les restes mortels des prêtres et des rois. Ces corps occupaient chacun une grande pierre noire et dure, creusée à sa taille ; auprès de chaque prêtre, son rouleau de papyrus ou ses tablettes. (...)

“La parole ne tarit point, quand elle a pour sujet les merveilles de l'Égypte”
Outre tous ces objets, on dressa debout contre les parois intérieures des pyramides des statues représentant les inventeurs des choses utiles, selon l'ordre des temps. Chaque statue tient entre les mains l'instrument découvert, et la description du procédé nécessaire pour s'en servir.
Chaque pyramide avait son gardien, lequel possédait la vertu de faire perdre l'esprit et le courage ou même la vie aux curieux indiscrets qui s'en approchaient trop. (...)
Mon jeune compagnon de voyage termina ici la lecture de son rouleau de papyrus en ajoutant : ”Je n'en ai pas écrit davantage, mais les prêtres des écoles sacrées de Memphis nous en ont dicté trois fois plus encore. La parole ne tarit point, quand elle a pour sujet les merveilles de l'Égypte, et ce que tu viens d'entendre n'est qu'un faible échantillon de ce qu'on te répétera au pied des Pyramides. Qu'un peuple qui n'a rien de beau à montrer aux étrangers, reste muet, on conçoit le motif de son silence ; l'enfant du Nil est excusable de parler beaucoup, ayant beaucoup à dire.” (...)