jeudi 7 juillet 2011

Les pyramides d’Égypte : des “ouvrages immenses”, qui “furent élevés par le despotisme, la vanité, la servitude et la superstition” (Voltaire - XVIIIe s.)

L’écrivain philosophe français François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778) fut un “intellectuel engagé au service de la vérité, de la justice et de la liberté de penser” (Wikipedia).
Une première note sur cet auteur a déjà été présentée dans Pyramidales (Voltaire : les "fours à poulets" plutôt que les pyramides). Je la complète ici par quelques extraits de La Philosophie de l’Histoire par feu l’abbé Bazin, 1765.
Cet ouvrage, inspiré par une croisade contre “l’Infâme”, est attribué à un certain abbé Bazin, qui n’est autre qu’un pseudonyme de Voltaire. Un court chapitre, dont je reprends ci-dessous l’essentiel, y est consacré aux “monuments des Égyptiens”.
L’auteur accumule les critiques et les sarcasmes à l’encontre de la civilisation qui fut à l’origine de tels “arts de l’ostentation”, à cette nuance près, en réalité sans importance véritable, que les pyramides ont défié et continuent de défier le temps. Mais l’architecture et les dimensions des monuments ne méritent pas la moindre attention de sa part, sinon comme prétexte à une démonstration dont le propos est exclusivement philosophique.


Voltaire
“Il est certain qu'après les siècles où les Égyptiens fertilisèrent le sol par les saignées du fleuve, après les temps où les villages commencèrent à être changés en villes opulentes, alors les arts nécessaires étant perfectionnés, les arts d'ostentation commencèrent à être en honneur. Alors il se trouva des souverains qui employèrent leur sujets, et quelques Arabes, voisins du lac Sirbon, à bâtir leurs palais et leurs tombeaux en pyramides, à tailler des pierres énormes dans les carrières de la haute Égypte, à les embarquer sur des radeaux jusqu'à Memphis, à élever sur des colonnes massives de grandes pierres plates sans goût et sans proportion. Ils connurent le grand, et jamais le beau. Ils enseignèrent les premiers Grecs, mais ensuite les Grecs furent leurs maîtres en tout, quand ils eurent bâti Alexandrie.
II est triste que dans la guerre de César, la moitié de la fameuse bibliothèque des Ptolémées ait été brûlée, et que l'autre moitié ait chauffé les bains des Musulmans, quand Omar subjugua I'Égypte. On eût connu du moins l’origine des superstitions dont ce peuple fut infecté, le chaos de leur philosophie, quelques-unes de leurs antiquités et de leurs sciences.
Il faut absolument qu'ils eussent été en paix pendant plusieurs siècles, pour que leurs princes eussent le temps et le loisir d'élever tous ces bâtiments prodigieux, dont la plupart subsistent encore.
Leurs pyramides coûtèrent bien des années et bien des dépenses ; il fallut qu'une nombreuse partie de la nation, avec des esclaves étrangers, fût longtemps employée à ces ouvrages immenses. Ils furent élevés par le despotisme, la vanité, la servitude, et la superstition. En effet, il n'y avait qu'un roi despotique qui pût forcer ainsi la nature.
L'Angleterre, par exemple, est aujourd'hui plus puissante que n'était I'Égypte. Un roi d'Angleterre pourrait-il employer la nation à élever de tels monuments ?
La vanité y avait part sans doute ; c'était chez les anciens rois d'Égypte à qui élèverait la plus belle pyramide à son père ou à lui-même ; la servitude procura la main-d’œuvre. Et quant à la superstition, on sait que ces pyramides étaient des tombeaux ; on sait que les Chochamatim ou Shoen d'Égypte, c'est-à-dire les Prêtres, avaient persuadé la nation que l’âme rentrerait dans son corps au bout de mille années. On voulait que le corps fût mille ans entiers à l’abri de toute corruption : c'est pourquoi on l’embaumait avec un soin si scrupuleux ; et pour le dérober aux accidents, on l'enfermait dans une masse de pierre sans issue. Les rois, les grands se dressaient des tombeaux dans la forme la moins en prise aux injures du temps. Leurs corps se
sont conservés au-delà des espérances humaines. Nous avons aujourd'hui des momies égyptiennes de plus de quatre mille années. Des cadavres ont duré autant que des pyramides.
Cette opinion d'une résurrection après dix siècles passa depuis chez les Grecs, disciples des Égyptiens, et chez les Romains, disciples des Grecs. On la retrouve dans le sixième livre de l'Énéide, qui n'est que la description des mystères d'Isis et de Cérès Éleusine. (...)
Elle s'introduisit ensuite chez les Chrétiens, qui établirent le règne de mille ans ; la secte des millénaires l’a fait revivre jusqu'à nos jours. C'est ainsi que plusieurs opinions ont fait le tour du monde. En voilà assez pour faire voir dans quel esprit on bâtit ces pyramides. Ne répétons pas ce qu'on a dit sur leur architecture et sur leurs dimensions ; je n'examine que l’histoire de l'esprit humain.”

Source : Gallica