mardi 30 octobre 2012

La “pure fiction”, d’après Jean-Gabriel de Niello Sargy (XIXe s.), de l’ “entretien mystique” de Bonaparte dans la Chambre du Roi (Grande Pyramide)

Jean-Gabriel (Jean-Michel ?) de Niello Sargy (1767-1832) était attaché à l’état-major général de l’armée d’Orient, sous les ordres de Bonaparte. Il y exerçait la fonction d’officier de correspondance. Il participa à l'intégralité de l'expédition d'Égypte, jusqu'à la capitulation d'Alexandrie (1801)
Dans ses Mémoires secrets et inédits pour servir à l'histoire contemporaine, recueillis et mis en ordre par Alphonse de Beauchamp (1767-1832), et publiés en1825, il relata très brièvement sa visite aux “fameuses pyramides” du plateau de Guizeh, à propos desquelles il reconnut n’avoir “rien de particulier à dire”.
Je note toutefois qu’une fois encore, il est question, dans cette courte relation, de “quatre” grandes pyramides. Qu’est-il advenu de la quatrième ? Ou bien, laquelle avait l’insigne honneur de figurer aux côtés de Khéops, Khephren et Mykérinos ?
À part quelques brèves observations sur la nature et l’origine des pierres ayant servi à la construction des pyramides, le récit de de Niello Sargy n’est pas d’un apport majeur pour une meilleure compréhension de ces monuments.
Je l’ai pourtant retenu pour ses remarques, au demeurant crédibles, sur ce qu’il nous faut désormais appeler un hypothétique entretien de Bonaparte avec des hauts dignitaires musulmans, dans la Chambre du Roi, au coeur de la Grande Pyramide (cf. le récit dans Pyramidales). Même l’escalade du monument par le futur empereur est présentée comme douteuse, pour une simple raison de... culotte déchirée !




“J'allai voir aussi les fameuses pyramides, dont on a tant parlé, et sur lesquelles par
conséquent je m'arrêterai peu, n'ayant rien de particulier à en dire. On sait qu'on les distingue en grandes pyramides et en petites. On appelle les premières les pyramides de Gizéh, pour les différencier des petites qui sont situées à deux lieues à l'est du village de Gizéh, dans le désert de Sahara.
On trouve le désert à la distance d'une petite lieue environ avant d'arriver à ces monuments gigantesques élevés par l'orgueil humain, comme pour faire naître les méditations les plus profondes sur le néant des grandeurs terrestres. On est tout étonné, à mesure qu'on avance, de voir les pyramides s'abaisser en quelque sorte : cette illusion provient de leur forme inclinée et anguleuse. Mais ensuite le moindre objet de comparaison, un homme, un chameau, un cheval, ou tout autre objet placé au pied de ces monuments, semble leur rendre toute leur grandeur colossale.

Quatre grandes pyramides
Les grandes pyramides sont au nombre de quatre, à la distance d'environ six cents pas l'une de l’autre ; leurs quatre faces répondent aux quatre points cardinaux. La première, qui est la seule qui soit ouverte, a servi, selon Hérodote, de sépulture au roi Chéops. Sa hauteur est d'environ 465 pieds ; elle a été minutieusement décrite. La seconde pyramide, la plus rapprochée de la première, paraît à une certaine distance plus élevée, ce qui provient de l'inégalité du sol, car elles sont toutes les deux de la même grandeur. Je gravis non sans peine sur le plateau de la première qui, à l'oeil, paraît pointu, mais sur lequel cependant plusieurs hommes peuvent se tenir ferme.
Les deux autres qui leur ressemblent pour la construction et pour le ton de couleur, sont moins hautes.
Toutes les quatre sont environnées de beaucoup d'autres plus petites, de la même forme, également destinées à servir de sépulture. Presque toutes ont été fouillées, et plusieurs même ont été détruites.

Des pierres taillées comme pour être collées l’une sur l’autre
C'est de la chaîne de montagnes appelée Mokatam, qui se trouve sur la rive droite du Nil, à l'opposé des pyramides, qu'on a tiré les énormes pierres carrées avec lesquelles ces grands monuments ont été construits à l'extérieur. Les pierres sont taillées comme pour être collées ensemble l'une sur l'autre, de sorte qu'elle sont jointes par leur propre poids, sans chaux, sans plomb, et sans ancres d'aucun métal. Quant au corps de la pyramide, il est construit avec des pierres irrégulières cimentées avec un mortier composé de sable, de chaux et d'argile.
A l'occident des deux premières on voit une espèce de canal creusé dans le roc, et à l'orient les ruines d'un temple. A la distance d'environ trois cents pas se trouve le fameux sphynx dont le corps est enseveli sous le sable, mais dont on peut remarquer la tête colossale dont l'expression est douce et tranquille. Un pareil monument indique qu'à une époque si reculée, l'art était déjà, sans aucun doute, à un très haut degré de perfection.

Pas d’entretien mystique
On a prétendu que le général en chef avait été visiter les pyramides, le 11 août, accompagné de plusieurs officiers de son état-major et de quelques membres de l'Institut ; qu'il s'était arrêté à la pyramide de Chéops, dont il avait fait déterminer la hauteur ; qu'il avait pénétré avec sa suite dans l'intérieur de ce vaste monument ; qu'arrivé dans la salle qui servait de tombeau aux Pharaons, il s'était assis sur le seul siège qu'offrait ce sombre palais de la mort (une longue caisse de granit, dans laquelle on suppose que reposait le corps du monarque égyptien) ; puis, qu'ayant fait placer à ses côtés le mufti Suleiman, et les imans Mohamed et Ibrahim, il avait eu avec eux une espèce d'entretien mystique qu'on a fait imprimer et publier à Paris, dans le Moniteur.
Tout cela est une pure fiction ; le 11 août 1798, le général en chef, comme on l'a vu, était près de Salahiéh, à la poursuite d'Ibrahim-Bey.
Ce ne fut que le 14 juillet suivant, après l'expédition de Syrie, que Bonaparte, instruit du mouvement rétrograde de Mourad-Bey, partit du Caire avec ses guides et différentes troupes, et se rendit aux pyramides, où il se réunit au général Murat, chargé aussi alors de la poursuite de Mourad.
J'ai entendu dire qu'il ne monta point à la pyramide de Chéops, parce que sa culotte de nankin se déchira. Ce fut là qu'il reçut une lettre d'Alexandrie annonçant qu'une flotte turque de cent voiles mouillait devant Aboukir.”

Source : Gallica