dimanche 14 octobre 2012

“La science est loin d'avoir dit son dernier mot ; elle ne marche qu'à tâtons sur la terre des hiéroglyphes !” (abbé A. Parraud - XIXe s.)

Le texte qui suit est à classer dans les nombreuses relations de voyage en Terre Sainte que l’on croise immanquablement dès que l’on inventorie l’histoire des pyramides égyptiennes.
Il fut en effet un temps où ces pèlerinages en “Palestine” incluaient un détour obligé par l’Égypte, où la halte était plus ou moins prolongée, avec une inévitable excursion vers le plateau de Guizeh.
Le récit Égypte et Palestine : souvenirs de pèlerinage (1891) de l'abbé A. Parraud, “du clergé d’Avignon”, fait partie de cette littérature édifiante qui, bien souvent, n’avait aucune portée scientifique, mais uniquement anecdotique.
Se rendre aux pyramides, se livrer à l’exploit que représentait l’escalade de la pyramide de Khéops, s’adonner à certains rites religieux peu soucieux de l’étrangeté produite en pareil environnement (combien de messes n’ont-elles pas été célébrées, avec les pierres des pyramides pour autel !), s’ingénier à percer les mystères du Sphinx : telles étaient les préoccupations d’une certaine époque, auxquelles les progrès en égyptologie ne sont nullement redevables.


Wolff Hagelberg Publisher



“Nous venons de voir les momies royales dans la solennité de leur repos ; allons les considérer maintenant dans leurs oeuvres plus solennelles encore, les Pyramides !
Tandis qu'on se dirige vers les Pyramides, en suivant encore pendant 6 kilomètres la route ombragée de lebaks, on sent l'étonnement grandir de plus en plus à l'approche de ces montagnes de pierres, Quand on en distingue les assises gigantesques, on se sent écrasé par leur masse.
La plus grande des trois s'élève actuellement à 137 mètres. Sa base carrée mesure environ 100 mètres de côté, et l'ensemble de son volume, d'après Victor Guérin, est de 2,620,000 mètres cubes. En supposant qu'avec les pierres qui la remplissent on voulût construire un mur de 2 mètres de hauteur et de 30 centimètres d'épaisseur, on pourrait en entourer la France entière. Elle a été construite par le roi Chéops, lequel y aurait consacré le travail de 80,000 esclaves pendant les cinquante années de son règne.

Bien des siècles avant l'esclavage des Hébreux
A l’intérieur, se trouve un petit caveau probablement destiné à la sépulture du roi, mais qui passe pour avoir été frustré de cet honneur. Ce caveau excite la sagacité des interprètes de l'Écriture Sainte. Par une coïncidence mystérieuse, il a exactement la capacité cubique de l’Arche d'allianoe, dont le Pentateuque nous a conservé les dimensions. Cette remarque semblait corroborer l'opinion qui regarde les Juifs comme constructeurs des Pyramides. Mais la chronologie aujourd'hui la plus reçue fait remonter cette pyramide à une époque antérieure à Abraham, par conséquent à bien des siècles avant l'esclavage des Hébreux.
Elle serait, d'après l'abbé Moigno, du XXIe siècle avant l'ère chrétienne, d'environ 700 ans après le déluge. Une autre opinion, plus audacieuse, la ferait remonter à 3000, même à 4000 ans avant Jésus-Christ.
Si on ne craint pas le vertige, on peut entreprendre l’escalade de la pyramide de Chéops. Celle-ci n'a plus, comme sa voisine appelée de Képhren, un revêtement de granit noir qui en interdise l'ascension. Chacun des degrés de l'escalier gigantesque est un bloc d'au moins 80 centimètres de hauteur, parfois de plus d'un mètre; ce qui promet de belles enjambées. Heureusement les Bédouins sont là, offrant leur aide vigoureuse. Avec eux, l'aéronaute, tantôt soulevé par les reins, tantôt hissé par les bras, arrive au sommet en moins d'une heure, essoufflé, mais sain et sauf. On ne garantit pas les habits.

Magnificat et De Profundis
Ce sommet qui, vu d'en bas, semble terminé en pointe, comme il l'était en effet avant qu'on l'eût diminué de 9 mètres, est une plate-forme de 30 mètres de tour, pouvant recevoir à la fois deux cents personnes. Pendant le repos, plusieurs écrivent à leurs amis des lettres datées des Pyramides. Nous chantons le Magnificat.  Un R. P, capucin, élevant son crucifix, donne une solennelle bénédiction, puis invite à réciter un De Profandis pour nos soldats tués à la journée dite des Pyramides, sur le champ de bataille qui s'étend à nos pieds, vers le Nord.
Du côté de l'Ouest, commence le désert libyque, mamelonné de petits amas de sable, jouets habituels de l'ouragan.
A l'entrée du désert veille le Sphinx, lion accroupi, ayant une tête de tomme, et regardant fièrement l'immensité. Allons braver de près ce mystérieux colosse.
La vue d'un chamelier passant au pied de la grande pyramide me suggère la fantaisie de lui demander sa bête pittoresque, pour donner tout à fait la couleur locale à mon expédition de 10 minutes.

Le Sphinx n'a pas encore dit le mot de son énigme
Le Sphinx est un rocher isolé, taillé de main d'homme, et auquel on a ajouté des constructions en maçonnerie pour lui donner sa forme imposante. Enfoui en partie par le sable mouvant, mutilé par un cheik fanatique, il élève, à 20 mètres, sa tête sur laquelle les vautours viennent se reposer, Malgré ses balafres, il garde encore je ne sais quelle majesté puissante et formidable. Les Arabes l'appellent le Père de la Terreur, Tel on s'imagine un géant demi-dieu, précipité de l'Olympe.
Impassible, sous un ciel de feu, que fait-il là depuis tant de siècles? Il a vu passer les Pharaons, les Perses, les Grecs, les Romains, les Fatimides, les Mameluks, les Francs et les Anglo-Saxons. Chaque mot de l'histoire a frappé sa large oreille, entourée des bandelettes sacrées. Que pense-t-il ? que dit-il ? et même qu'est-il ? Portrait royal de Thoutmès IV ou divinité ? Est-il le grand symbole de la vérité toujours poursuivie, et jamais complètement atteinte, de l'inconnu qui nous attire et nous fait peur ? Ou bien n'est-il seulement que la fantaisie grandiose d'un tyran qui a voulu perpétuer son nom par cette oeuvre, et cependant n'y a pas réussi ?
Le Sphinx n'a pas encore dit le mot de son énigme.
Non loin du colosse, on a découvert les restes d'un important monument, qu'on appelle souvent temple du sphinx, mais qui en réalité est aussi un problème. Sa base, entièrement conservée, en granit rose, soutient des pylônes formés de blocs gigantesques. Ses murailles de marbre resplendissent comme à leur premier jour, vierges de l'injure du temps et, ce qui est plus rare, du nom des touristes, Il est vrai qu'elles n'ont été exhumées qu'en 1858, par les fouilles de Marlette-Bey. (...)
Quelques fervents archéologues, sous la conduite do M. Ackerman, suppléant à la brièveté du temps par d'excessives fatigues, ont pu pousser jusqu'à Memphis, à 50 kilomètres du Caire. Là se trouve une pyramide bâtie par Ouenefès (*), de la première dynastie, au dire de Manéthon. Elle n'a que 70 mètres de hauteur, mais elle passe pour le monument le plus ancien du monde. M. Le Camus irait jusqu'à ne pas lui refuser 7000 ans d'existence,  Là se trouve un tombeau signalé comme un des plus antiques, sur lequel on voit des représentations de boeufs labourant et de semailles ; on y voit des nautoniers guidant leurs barques, des femmes apportant au défunt du pain, du vin, de l'huile. C'est le tombeau de Tih, riche propriétaire, qui vivait sous la V° dynastie, c'est-à-dire il y a peut-être 5000 ans.
Cette chronologie parait bien étrange et en désaccord avec les données jusqu'ici admises par les commentateurs catholiques, Cependant le Manuel Biblique de M. Vigouroux, t.1, p. 462, permet de répondre que, si elle est en contradiction avec le texte hébreu, du moins elle peut se concilier avec les Septante, version qui donne 6000 ans au monde depuis la création jusqu'à N.-S., et qu'on peut admettre sans cesser d'être orthodoxe.
La science est donc loin d'avoir dit son dernier mot ; elle ne marche qu'à tâtons sur la terre des hiéroglyphes !”
Source : Gallica

(*) ou, selon Manéthon : Horus Wadjy ou Iterty ou Ita ou Houadj