samedi 13 octobre 2012

“Les pyramides, œuvre gigantesque dans laquelle l'homme a voulu tenter l'impossible” (J.-T. Belloc - XIXe s.)

Une fois encore, ce sera le désert total. Je n’ai aucune information à vous proposer sur l’auteur qui vient, à son tour, prendre rang dans notre inventaire : J.-T. de Belloc, auteur de l’ouvrage Le pays des Pharaons, publié en 1890.
J’en ai retenu pourtant quelques extraits, non pas tant pour leur contenu qui, à l’évidence, n’enrichira  guère nos connaissances en matière de techniques constructives appliquées aux pyramides égyptiennes, que pour leur touche “subjective”.
Je m’explique, car un tel choix s’applique également à de nombreux autres auteurs figurant ici : ces auteurs, bien souvent, mettent des mots sur des impressions, des sensations, jaillissant d’un premier contact avec les majestueuses pyramides du plateau de Guizeh. Ces mots peuvent être d’un autre temps, différents des nôtres, surtout si nous abordons les pyramides en techniciens. Mais ils sont généralement porteurs d’une admiration pour les bâtisseurs égyptiens, que nous ne nous lassons pas de partager, quelles qu’en soient les multiples expressions.
Une observation, enfin, sur l’extrait qui suit, de la préface de l’ouvrage de J.-T. Belloc. Notez bien la dernière phrase. Elle aurait pu, me semble-t-il, être écrite aujourd’hui : “Nos regards aiment toujours à se porter vers cette terre merveilleuse, arrosée du sang des chevaliers de la Massoure, où sont confondus, bien qu'à des siècles de distance, les souvenirs de saint Louis et de Joinville, de Desaix et de Kléber. L'attention des lettrés, des conquérants, des artistes, se tournera souvent vers les rives du Nil et vers ce prodigieux canal qui mêle les eaux de la Méditerranée aux flots de la Mer Rouge. Ce beau pays, trait d'union entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, toujours envié par les nations de l'Occident, a vu, et verra se dérouler les scènes principales du grand drame de la transformation de l'Orient.”

“L'Égypte renferme des ruines, des monuments superbes qui attestent sa gloire passée : ce sont ces colosses de pierre, les Pyramides, œuvre gigantesque dans laquelle l'homme a voulu tenter l'impossible. Il a amoncelé des blocs de pierre pour s'en faire une échelle grandiose comme s'il voulait s'élever jusqu'au ciel. (...)
L'intérêt qui se porte sur l'Égypte est dû, en grande partie, aux nombreuses ruines que son glorieux passé a légué a son sol. L'antiquité de ces débris, pages énigmatiques où la science nouvelle commence à deviner le mot d'une civilisation qui aima à s'envelopper de mystères.
L'antiquité de ces magnifiques ruines en augmente encore la valeur et présente un attrait de plus à notre curiosité.
On n'ignore pas que deux mille ans avant notre ère, les monuments gigantesques qui couvrent l'Égypte étaient déjà construits et que le pays lui doit le caractère sublime de son architecture, dont les proportions grandioses frappent à la fois de stupeur et d'admiration. C'est le triomphe des efforts de l’homme sur l'étendue, et sur les forces de la matière.
On sait que les principaux matériaux dont se servaient les anciens Égyptiens sont le calcaire, le grès rouge et le granit.
On n'ignore point dans quelles énormes dimensions ils employaient les blocs que leur fournissaient leurs carrières, et quelle profusion ils faisaient des monolithes. Ils ont des obélisques de cent pieds de hauteur.

Controverses sur la destination des pyramides


Les principaux monuments que l'on rencontre en Égypte sont les temples (mosquées), les palais, les nécropoles, les obélisques, les pyramides, les colosses, les autels monolithes. (...)
… lorsqu'on arrive au Caire, on éprouve un désir irrésistible d'aller bien vite admirer les fameuses pyramides, contempler de leur sommet le lever du soleil et le panorama féerique qui, d'en haut, se déroule aux regards.
Je peux dire que mes membres brisés ont gardé, pendant plusieurs jours, un douloureux souvenir de cette expédition.
Enfin, “douleur passée n'est que songe” dit le proverbe (la Sagesse des nations) et jamais je n'oublierai la vive émotion que j'ai éprouvée en présence de ces trois gigantesques monuments de l'antiquité.
Ils se dressent droits et superbes sur leur petite colline, dominant la plaine, ayant à leurs pieds ce sphinx, dont la tête seule est si colossale qu'un Bédouin, monté dessus, a l'air d'un petit enfant, et paraît moins long que le front du géant. (...)
La pyramide de Chéops, la plus grande des trois, a 138 mètres de hauteur, 227 mètres à la base, et son arête a 217 mètres. La flèche de la cathédrale de Rouen n'a que 150 mètres, la tour de Strasbourg 142 mètres, et le dôme des Invalides a 105 mètres.
Les quatre faces des pyramides indiquent les quatre points cardinaux.
Il y a beaucoup de controverses sur la destination des pyramides ; quelques-uns ont cru qu'elles étaient des observatoires astronomiques et ils croyaient trouver un argument en faveur de leur opinion dans l'exactitude avec laquelle leurs quatre faces sont tournées vers les quatre points cardinaux.
L'hypothèse la plus généralement adoptée c'est que les pyramides n'ont été que des tombeaux. On a trouvé, dans quelques-unes des pyramides, des sarcophages. La forme pyramidale a été adoptée parce que c'est la plus solide. Elles sont construites, en général, en assises de pierres calcaires.

Traîneaux et plans inclinés
L'extérieur en était couvert d'un revêtement plus ou moins poli. C'est avec le nombre et la force des bras que tous ces immenses travaux ont été exécutés. Nous voyons dans les peintures et dans les sculptures des temples que les monolithes étaient transportés sur des traîneaux, auxquels étaient attelés une immense quantité d'hommes. Il est probable que, pour porter ces pierres sur le haut des monuments, ils formaient des monticules en plans inclinés sur lesquels ils les faisaient glisser.
Lorsqu'on songe à l'origine des pyramides, aux moyens qui ont été employés pour ériger des monuments de luxe, on ne peut se défendre d'un sentiment d'horreur et de dégoût, qui est bien juste, si le récit suivant d'Hérodote est véridique : “Chéops fit d'abord fermer les temples et prohiba toute espèce de sacrifices ; ensuite, il condamna les Égyptiens, indistinctement, à des travaux publics. Les uns furent contraints à tailler les pierres dans les carrières de la chaîne
arabique, et à les traîner jusqu'au Nil, d'autres à recevoir ces pierres, qui traversaient le fleuve sur des barques, et à les conduire sur la montagne, du côté de la Syrie. Cent mille hommes, relevés tous les trois mois, étaient continuellement occupés à ces travaux ; et dix années, pendant lesquelles le peuple ne cessa d'être accablé de fatigues de tout genre, furent employées à faire un chemin pour transporter les pierres, ouvrage qui ne paraît pas inférieur même à l'élévation d'une pyramide. Ce chemin terminé, on fit des chambres souterraines qui sont dans la pyramide, chambres destinées à la sépulture de Chéops, ensuite on construisit la pyramide.”
Il fallut vingt ans pour l'achever.
Ce chemin et cette pyramide coûtèrent donc trente années de fatigues, de sueurs, à cent mille Égyptiens. (...)
On se sent envahi par une indicible émotion, l'âme est transportée, en évoquant ce passé glorieux, ces siècles de faste pour les Égyptiens, cette époque où, pareils à des géants, ils soulevaient et taillaient ce roc, où les arts, les sciences, les monuments révélaient un caractère sublime et grandiose ! (...)

Un frisson de terreur




Nous avons visité ensuite l'intérieur de la pyramide de Chéops. Cette promenade est aussi très fatigante. Les Arabes allument des bouts de bougies, mais qui ne dissipent qu'imparfaitement les épaisses ténèbres de ce lieu. J'avais une frayeur mortelle de me briser la tête à ces parois de granit, ou de tomber dans un trou.
Après un trajet fort long, on arrive dans une grande salle dont les murs sont en granit ; j'y ai remarqué un sarcophage en granit rose. Cette chambre est appelée chambre du Roi.
De là, nous nous rendons dans d'autres salles dont le seul but est, dit-on, de soutenir la première. L'air y est rare et la chaleur étouffante. Les Bédouins, aux figures basanées, aux traits accentués, drapés dans leurs burnous, éclairés par la faible lumière des bougies, prennent un aspect farouche. Si l'on allume des torches, c'est bien pire. On se croit transporté dans ce séjour ténébreux, si bien décrit par le Dante, et ces gens qui vous entourent ressemblent aux habitants de cette demeure sombre, “où il faut abandonner toute espérance”.
Je ne pouvais me défendre d'un frisson de terreur et je n'avais d'autre désir que de quitter au plus tôt ce lieu et de revoir la lumière.
Il faut suivre le passage pris pour arriver à la salle du roi, pour se rendre à celle dite salle de la Reine, qui ne se distingue guère de la première.
Les pierres, ou le granit, sont fort glissants : c'est ce qui rend les promenades dans ces couloirs dangereuses. Les Bédouins sont sans souliers, leurs pieds durcis ne glissent pas. Mes chaussures m'ont fait trébucher souvent et valu de nombreuses contusions.
En quittant ces souterrains, je respirai le grand air avec délices et j'éprouvai une vive jouissance de voir briller le soleil.

Des montagnes pour sépultures
Nous avons jeté un rapide coup d'œil sur les nombreuses excavations qui sont dans le sol et qui représentent des chambres mortuaires.
Il nous reste à visiter le sphinx, placé au pied des pyramides.
Ce fantôme m'impressionne vivement. Cette grande figure mutilée paraît méditer sur la décadence de son pays, et rêver aux souvenirs de sa gloire passée. Ses yeux, tournés vers l'Orient, semblent interroger ce sphinx impénétrable à tous... l'avenir !
Son regard a une fixité étrange qui fascine, enfin, sa figure a une expression de calme infini, de majestueuse grandeur. (...)
Il est très intéressant de voir cette montagne, sur laquelle reposent les pyramides, avec son flanc percé de toutes parts de puits tumulaires. Les anciens Égyptiens avaient la coutume de choisir des montagnes pour y placer leurs restes. On ne peut s'empêcher d'admirer l'intelligence et la sagesse de cette mesure, autant que celle d'embaumer tous les corps morts, même ceux des animaux ; ils se préservaient ainsi de cette terrible peste, fléau qui désola souvent l'Égypte.”

Source : Gallica