mardi 16 octobre 2012

“Quelle que soit la raison qui ait présidé à l’accomplissement de ce travail gigantesque, on s’incline devant le génie d’un simple mortel, on regarde, on contemple.” (Jules Desfontaines - XIXe s. - à propos de la pyramide de Khéops)

“Je voudrais montrer à la jeunesse que, si la France est un beau pays, il en est de plus beaux encore ; si l’existence est douce dans la patrie, elle est plus grande, plus large, plus abondante en certaines régions privilégiées. (...)
Je voudrais principalement réagir contre cette erreur de croire que pour voyager, il est nécessaire d’avoir la bourse bien garnie, en racontant comment, depuis bientôt quatre ans, ayant opéré un trajet de plus de dix-huit mille lieues, avec une rente mensuelle de cent francs seulement, soit douze cents francs par an.
Malgré ses apparences quelque peu romanesques, cet ouvrage n’est pas le produit de l’imagination : je puis assurer que j’ai tenu, avant tout, à la plus stricte exactitude, aussi bien en décrivant les scènes de moeurs, les panoramas pittoresques des différents pays parcourus, les nombreuses fêtes dont j’ai été témoin, qu’en faisant le récit de mes propres aventures.”
C’est en ces termes que Jules Desfontaines, “membre des sociétés de géographie commerciale de Paris et de Nantes”, présente son ouvrage - tout en en justifiant le titre - Quarante mois de voyage avec une rente de cent francs par mois. 18,000 lieues à travers le monde, édité en 1892.
On retiendra, entre autres observations sur la pyramide de Khéops, la manière singulière et quelque peu provocatrice par laquelle il tente de cerner la personnalité du pharaon bâtisseur. En fin de bref inventaire de qualificatifs, c’est néanmoins celui d’ “assoiffé d’immortalité” qui semble s’imposer. “Monsieur” Khéops l’a échappé belle !



Source: Wonders: Images of the Ancient World, via NYPL digital gallery

“Enfin nous voici au pied des pyramides !
Cent mille hommes y ont travaillé pendant trente ans... Avec les pierres de ces trois pyramides, on ferait autour de la France un mur de dix pieds de haut sur un de large.
La grande, celle de Chéops, mesure 173 mètres de hauteur ; la largeur de chacune de ses faces à sa base est de 220 mètres.
Les pierres ont une moyenne d’un mètre cube ; quelques-unes et en assez grand nombre sont encore plus grosses : il faudrait cependant plus de trois jours pour les compter. Elles ont un poids moyen de douze cents kilogrammes au sommet comme à la base, et le sommet, je le répète, atteint 173 mètres.

Chéops fait rêver. Que pouvait être ce Monsieur ?
Un profond imbécile ? (n’en déplaise à ses cendres) Alors, il touchait au génie, sa bêtise est trop haute.
Un fantaisiste ? Je ne le pense pas. Son idée est bizarre ; mais à sa place, j’aurais songé à autre chose.
Ce rêve de pierres est bien lourd et la fantaisie n’engendre point de semblables caprices.
Un autocrate voulant l’impossible et le faisant exécuter par son peuple pour avoir la seule satisfaction de se dire : “J’ai commandé, et on a obéi” ? Peut-être.
Un sublime orgueilleux ? Il se pourrait. Le pharaon avait vu ses sujets se construire des semblants de pyramide de soixante-quinze centimètres de hauteur ; il a tenu à leur montrer ce qu’était l’homme-roi par rapport à son peuple, et à côté de leurs chétifs tombeaux, il s’est fait bâtir un colosse.
Un assoiffé d’immortalité ? Je le crois. S’il voulait que son souvenir passât pour toujours à la postérité, l’idée arrive au grandiose sublime et il réalise son désir par une oeuvre monstrueusement puissante. Des siècles et des siècles s’amoncelleront sur son sommet, la montagne se s’écroulera jamais.
Quelle que soit la raison qui ait présidé à l’accomplissement de ce travail gigantesque, on s’incline devant le génie d’un simple mortel, on regarde, on contemple.
Pourtant, quand on se dit : ”Ils étaient tout un peuple, ils ont travaillé pendant trente ans et ils ont produit cela !”, l’homme tombe de son piédestal ; de sublime, il devient tout petit, et on se demande si Dieu ne s’est pas servi de l’orgueil superbe d’un roi, l’homme au-dessus de l’homme, pour jeter à la face de la Terre et faire éternel cet immense aveu de la faiblesse humaine, l’une des sept merveilles du monde ! (...)
Arrachons-nous à ce charme puissant et descendons : en bas le sphinx nous attend. Il est déblayé et on peut le voir dans tout le superbe de ses belles proportions.
Ce sphinx mystérieux est antérieur aux pyramides. Avant la construction de ces colosses, il dominait seul, de toute sa hauteur, la plaine infinie. Qu’il devait être beau ainsi dans le cadre grandiose de son immensité, ce géant solitaire ! Et quel spectacle saisissant quand lui et le soleil semblaient régner tous deux sur l’océan de  sable !
Source : Gallica