vendredi 30 novembre 2012

Selon Charles-François Dupuis (XVIIIe s.), les pyramides sont “des monuments élevés en honneur du Dieu qui éclaire l'Univers”

Charles-François Dupuis (1742-1809) est un érudit, féru d’astronomie et de mythologie, admiré pour son éloquence et sa “latinité pure et élégante”. Il a signé sous le nom de “Dupuis, citoyen français” son ouvrage Origine de tous les cultes ou Religion universelle, publié en L’An III de la République une et indivisible (1795), et présenté comme un “véritable bréviaire de l’athéisme philosophique”. “S'appuyant sur un vaste travail comparatif, il cherche à y démontrer l'origine commune des positions religieuses et astronomiques chez les Égyptiens, les Grecs, les Chinois, les Perses et les Arabes. Son postulat est que le mot Dieu paraît destiné à exprimer l'idée de la force universelle et éternellement active, qui imprime le mouvement à toute la nature.” (Wikipédia)
Les textes que l’on lira ci-dessous sont extraits du tome 1 de l’ouvrage.
Sous un tel éclairage philosophique, l’interprétation que donne l’auteur de la fonction des pyramides s’inscrit dans un courant périphérique de l’égyptologie qui se défait aisément des contraintes de l’archéologique scientifique. Certes, les connaissances en astronomie des bâtisseurs égyptiens sont à prendre en considération pour une compréhension globale du chantier des pyramides. Par contre, les ériger en seules bases justifiant de tels édifices revient à proposer une lecture trop restrictive de l’histoire de la civilisation égyptienne.

“Quant aux pyramides et aux obélisques, rien de plus connu que la raison qui les fit consacrer dans la religion égyptienne, et que le rapport qui les lie à la Nature. C'est même comme monuments religieux qu'ils ont existé en Égypte en aussi grand nombre ; et c'est la superstition seule qui les y a si fort multipliés : car tel est le sort de notre triste humanité, de n'élever presque jamais de grands monuments que pour perpétuer ou des malheurs ou des sottises, tels que des combats ou des erreurs religieuses.
Pline, dans son Histoire naturelle, s'explique de la façon la plus claire sur le choix qu'on fit de l'obélisque et de la pyramide, de préférence aux autres figures qu'on eût pu donner aux colonnes sacrées élevées au Soleil. “C'était autant de monuments, dit Pline, consacrés à la divinité du Soleil. Leur figure même est une image des rayons de cet Astre, et le nom qu'elles portent a cette signification en égyptien.”
Le savant Jablonski (1) retrouve cette étymologie encore dans la langue copte. Il observe que le mot Pyré, qui entre dans la composition du nom de la pyramide, est encore aujourd'hui celui du Soleil en langue copte, ou dans l'ancienne langue égyptienne, dont les Coptes ont conservé les restes.

“La pyramide, comme l'obélisque, était consacrée au Dieu-Soleil”
Pyr est aussi le nom du feu chez les Grecs ; le feu et le Soleil ont une analogie trop naturelle entre eux, pour que les noms du Soleil et du feu n'aient pas eu quelque ressemblance chez deux peuples dont l'un était en partie une colonie de l'autre. Jablonski trouve l'autre partie du mot pyramide dans (muï) qui, dans la même langue, signifie éclat et rayon. Quoi qu'il en soit de l'étymologie, il est certain que la pyramide, comme l'obélisque, était consacrée au Dieu-Soleil, d'après des raisons d'analogie entre la figure pyramidale et celle sous laquelle le rayon solaire se propage et la flamme s'élève.
Timée de Locres (2), donnant les figures géométriques qui composent chaque élément, assigne au feu la pyramide. “Le triangle équilatéral, dit ce philosophe, entre dans la composition de la pyramide, qui a quatre faces et quatre angles égaux, et qui constitue la nature du feu le plus subtil et le plus mobile des éléments.”

“Une raison très philosophique”
Cette expression géométrique du feu était empruntée des Égyptiens, chez qui Pythagore, maître de Timée, avait appris sa théorie des nombres et des figures mystiques. Ce n'est donc point sans une raison très philosophique que ces sortes de formes furent données aux monuments du culte du feu et du Soleil ; la Nature même semblait en avoir tracé le dessin.
Ammien Marcellin (3) assure que l'obélisque était consacré par un culte spécial au Dieu-Soleil. L'explication qu'il nous a donnée des inscriptions hiéroglyphiques gravées sur un de ces obélisques, et que l'Égyptien Hermapion (4) avait traduites, a tous les caractères d'une inscription sacrée, telle qu'on devait en trouver sur des monuments de la religion du Soleil. C'est le Soleil, grande Divinité de l'Égypte, qui est supposé y parler au roi Ramessès : “Je t'ai donné de régner sur la terre, lui dit-il, toi que le Soleil aime, qu'aime ApolIon le fort, le fils de Dieu, lui qui a fait le monde, toi que le Soleil a choisi, roi Ramessès, immortel fils du Soleil.”
À la deuxième ligne, on lit : “Apollon le fort, vrai Seigneur des Diadèmes, qui possède l'Égypte et la remplit de sa gloire, qui embellit la ville du Soleil, qui donne la forme à la terre entière, qui honore les Dieux habitants de la ville du Soleil, que le Soleil aime.”
Nous ne rapporterons pas toute l'inscription, qu'on peut lire dans Ammien Marcellin. Il nous suffit de dire qu'à chaque ligne on trouve répété le nom du Soleil et d'Apollon ; que le Soleil s'y qualifie de grand Dieu et de Seigneur du Ciel, de maître du Temps, de Père de la lumière : toutes qualités qui appartiennent au grand Osiris, première Divinité de l'Égypte et de tout l'Univers. Il est le Mithra des Perses, et les traditions sacrées de l'Égypte portaient que c'était Mithra, qui régnait autrefois à Héliopolis, qui le premier éleva ces sortes de monuments au Dieu-Soleil, dans la ville qui lui était consacrée. On voit aisément que cette tradition est fondée sur une allusion à un des noms du Soleil, Mithra, en honneur duquel ces monuments religieux furent élevés. Voilà donc encore un monument égyptien élevé à la Nature et à un de ses premiers agents, et dont la forme est empruntée de celle sous laquelle se produit l'élément auquel il est consacré.

Harpocrate

La Nature imitée par ses adorateurs
La Nature est donc encore ici imitée par ses adorateurs. Aussi Abneph, auteur arabe, regarde-t-il les pyramides comme autant de monuments consacrés à la religion, et il les appelle les autels des Dieux. Lucain les appelle de même. Les historiens arabes parlent de pyramides qui avaient des portes placées chacune à une de leur quatre faces, dont l'aspect était exactement en regard avec les quatre points cardinaux du monde. Ces portes servaient d'entrée à sept petites chambres intérieures consacrées, comme le conclave Molochi, aux sept Planètes dont elles contenaient les images ou les petites idoles en or. Une de ces idoles ressemblait au fameux Harpocrate égyptien, et avait le doigt posé sur sa bouche d'une manière mystérieuse, tandis que, de l'autre main, il soutenait un livre à la hauteur de son front.
Les Sabéens, adorateurs des Astres, croyaient que sous ces monuments reposaient les cendres d'Agathodémon et d'Hermès. Quoiqu'on puisse penser de ces traditions, il résulte au moins que les Arabes croyaient que ces pyramides étaient un monument du Sabisme (5) et du culte des Astres. La distribution intérieure des chambres et leur destination supposée conduit à cette conclusion. Hermatelès, qui avait écrit sur l'Égypte, regardait aussi les obélisques comme autant de monuments du culte du Soleil, si nous en croyons Tertullien. M. de Paw (6), dans ses Recherches sur l'Égypte, pense comme nous sur les pyramides et les obélisques, qu'il regarde comme autant de monuments élevés en honneur du Dieu qui éclaire l'Univers et c'est là, suivant lui, la raison qui les a fait orienter. Il prétend, avec beaucoup de vraisemblance, que l'espèce de tombeau qu'on trouve dans l'intérieur, et qu'à tort on a pris pour le tombeau d’un ancien roi, était le Taphos Osiridis, ou un des tombeaux d'Osiris, dont le nombre était assez grand en Égypte. (...)



Rapports de la lumière et de l’ombre
M. de Paw fait une remarque qui, si le fait est vrai, s'accorde bien avec la théorie sacrée des Égyptiens, sur les rapports de la lumière et de l'ombre dans l'économie universelle du monde. Il nous assure que les pyramides étaient construites de manière que, pendant une moitié de l'année, c'est-à-dire durant tout le temps que le Soleil parcourt l'hémisphère boréal, ou les cercles des longs jours, les pyramides ne projetaient point d'ombre à midi au-delà de leurs bases, qui, à cet effet, durent être larges, vu la grande hauteur que l'on donna aux pyramides. Il regarde cette construction donnée à ces monuments comme une suite de la superstition du peuple égyptien, qui voulait que la lumière chassât l'ombre et l'obligeât à se réfugier sous la base des corps durant tout le temps que le Soleil occupait l’empire de la lumière, ou la partie du ciel qui assure au jour l'empire sur les nuits.
Cette idée des Égyptiens était très ingénieuse. En effet, il était assez naturel que les monuments du culte du Dieu de la lumière et son image imitassent en quelque sorte la nature de l'Être divin (auquel) la religion les avait consacrés. Ainsi, à l'équinoxe du printemps, la grande pyramide consommait son ombre à midi. Ce n'était qu'à l'équinoxe d'automne que l'ombre excédait la base, et que par son prolongement, elle annonçait la supériorité que la nuit et le principe ténébreux avaient reprise sur le jour et sur Osiris, principe lumière, dont Typhon était vainqueur.

“Le génie symbolique des Égyptiens”
C'est là ce que le génie symbolique des Égyptiens a voulu retracer, et ce qui nous est indiqué d'une manière trop générale par Solin, Ammien-Marcelin et Cassiodore. L'un nous dit qu'il arrivait un temps où elles sortaient de la mesure des Ombres, et n'en projetaient plus. L'autre, que cela était l'effet d'un certain mécanisme, celui sans doute de leur construction. On pouvait donc se promener alors autour des pyramides sans perdre le Soleil de vue. M. de Paw prétend que ces sortes de monuments furent d'abord élevés devant le temple de Jupiter-Ammon ; ce qui est assez naturel, puisqu'il occupe le Bélier céleste ou la première des douze maisons du Soleil, et qu'il fixe la division des deux hémisphères, dont l'un est affecté à la lumière et à la chaleur, et l'autre aux ténèbres et aux froids de l'hiver. C'est du Bélier, ou du Temple d'Ammon, que le Soleil était censé partir.
Ainsi les Grecs à Sicyone avaient représenté leur Jupiter par une pyramide. La statue de Vénus à Paphos avait la forme d'un cône ou d'obélisque. On la trouve ainsi représentée sur plusieurs médailles. On trouve aussi dans la Grèce de ces colonnes de pierre consacrées aux planètes : telles étaient les sept colonnes de Laconie, dont parle Pausanias, et qu'il dit être les anciennes statues de ces Astres. Ainsi les Indiens ont leur temple des sept Pagodes ; ce qui rentre assez dans l'idée de la pyramide aux sept chambres dont nous avons parlé plus haut, et des sept divisions de l'antre Mithriaque, ou des sept enceintes du temple de Jérusalem.

À suivre
Source : Google livres

(1) Paul Ernst Jablonski (1693-1757), théologien et orientaliste allemand, auteur de Pantheon Ægyptiorum, sive de Diis eorum Commentarius, cum Prolegomenis de Religione et Theologia Egyptiorum.
(2) Philosophe (III°-II° s. av. J.-C. ?), auteur d’un Traité de l'Âme du monde et de la Nature (traduction par M. le marquis d’Argens)
(3) Voir note de Pyramidales sur cet auteur : ICI
(4) Auteur de Rudimenta Hieroglyphicae Veterum Aegyptiorum Literaturae. “La version d’Hermapion, que l’on a longtemps considérée comme apocryphe et mensongère, est aujourd’hui devenue plus que vraisemblable, car les idées qu’elle présente sont presque toujours identiques avec celles que l’étude des monuments analogues a fait reconnaître à l’aide de la science moderne.” (F. De Saulcy, L’Étude des hiéroglyphes, Revue des Deux Mondes, Période Initiale, tome 14, 1846 (pp. 967-989).
(5) ou Sabéisme, religion des sabéens, christianisme associé au culte des astres.
(6) Sur cet auteur, voir note de Pyramidales ICI.