mardi 15 janvier 2013

“Les Pyramides, les auteurs desquelles ne faut que soient fraudés de leur honneur”, par Polydore Virgile (XVe-XVIe s.)

La page d’histoire que l’on lira ci-dessous a pour auteur l’écrivain et historien italien Polydore Virgile - ou Polydorus Vergilius - (1470-1555), qui fut secrétaire du duc d'Urbino et camérier du pape Alexandre VI. Elle est extraite de l’ouvrage Les Mémoires et Histoire de l’origine, invention et autheurs des choses, faicte en latin et divisée en huict livres, par Polydore Vergile, natif d’Urbin, et traduicte par Françoys De Belle-Forest Comingenis.
L’auteur s’est contenté d’y juxtaposer quelques bribes de récits qu’il a pu lire chez Hérodote, Diodore, Pline, Strabon. Aucune originalité par conséquent dans sa mini synthèse. Je l’ai retranscrite ici, en ayant simplement rétabli, pour la facilité de la lecture, l’orthographe actuelle.
L’extrait choisi a pour titre “Des premiers auteurs des Labyrinthes, Pyramides et Mausolées : de la diversité des sépultures entre les anciens”. 


“Et voila quant aux Labyrinthes ; s’ensuivent les Pyramides, les auteurs desquelles ne faut que soient fraudés de leur honneur, à cause de l'excessive grandeur d'icelles, car on tient qu'elles étaient si hautes en Égypte qu'il n'y avait homme qui ne s'émerveillait, comme il était possible qu'on eût porté si haut les matières pour un si grand et pompeux bâtiment. Or dit Pline (au lieu allégué) qu'il y a eu trois Pyramides entre Memphis et le triangle de terre nommé delta que le Nil fait en Égypte ; en l'une desquelles qui est la plus grande et superbe de toutes, ainsi que dit Diodore, furent employés à y besogner 360.000 hommes par l'espace de vingt ans, et laquelle fit dresser le Roy Chemis, afin d'y être enterré, car ces Pyramides n’ont servi jadis que de sépulcres : et est ce Chemis le même qui est appelé Cheopez par Hérodote.
Après celui-ci régna Cephe son frère si nous ajoutons foi à Diodore. D'autres disent que ce fut son fils, et non son frère, lequel avait à nom Chabree, qui semble le plus vraisemblable. Mais Hérodote (si le livre n'est gâté) l'appelle Chephren, et l’estime frère, et non point fils de Cheopez, lequel fit bâtir cette pyramide.
Ils s’accordent bien que ce Chephren (fût-il fils, ou frère de Cheopez) fit faire la seconde Pyramide semblable en artifice à l'autre, mais de grandeur inégale ; et  ce sont ces deux que
selon Strabon, on a mis entre les miracles du monde, et pour ce Martial dit : “Que Memphis plus ne se vante d’avoir - Ce bâtiment d’un miracle si rare - La Pyramide et superbe, et barbare.”
À ce Roy succéda son fils Miserim, ainsi que témoignent Diodore et Hérodote, lequel fit bâtir la troisième Pyramide beaucoup plus petite que celle que son père avait fait dresser, comme celle qui ne contenait que vingt pieds de face de tous côtés.
Aucuns, selon Strabon, ont pensé que Rhodopé, celle tant fameuse paillarde, et courtisane, fit bâtir cette dernière Pyramide, racontant cette fable : Un jour qu'elle se lavait, advint qu'un aigle ravit de la main de sa chambrière un des souliers de Rhodopé, et le porta à Memphis, le laissant tomber dans le giron du Roy, tandis qu'il (siégeait) en son trône, faisant droit et écoutant les doléances de ses sujets. Le Roy, ébahi de ceci, commanda qu'on cherchât la femme à qui était le soulier, laquelle ayant été trouvée en la cité des Nautralites, le Roy la prit à femme, et morte qu'elle fut, lui fit dresser cette Pyramide.
Ce qu'Hérodote dit être faux, vu que Rhodopé fut longtemps après ces Roys égyptiens qui firent bâtir les Pyramides.

Les pyramides vues par John Helffrich (1579)

Voilà donc les Rois auteurs de ces édifices sans (profit ?), quoique Pline livre 56, et Diodore livre 2, disent que les inventeurs en sont incertains, comme étant chose très juste que le nom d’auteurs de si grande vanité fût effacé et sans mémoire entre les hommes.
L'occasion pour laquelle on fit ces folies, Pline l'amène afin que le peuple ne vécût en oisiveté, et s’étudiât à choses nouvelles. Et c'est pourquoi Josephe au second des Antiquités dit que les Égyptiens contraignaient les Hébreux à bâtir les Pyramides, afin de les rompre par ce travail ; ou afin que les Rois ne laissassent aucun trésor à leurs successeurs, ou à ceux qui voudraient leur dresser embûches, et les faire mourir. Et c'est aussi la cause que Pline appelle ces Pyramides la folle vantise et déclaration des pécules et richesses des Rois d’Égypte ; mais je pense que la cause principale de ceci fut (comme aussi le consent Diodorch que les Égyptiens appellent nos maisons hôtelleries, à cause du peu de temps que nous avons à vivre. lls estimaient éternels les sépulcres des morts, à cause que le temps est infini aux enfers, et pour cette raison, ils ne tenaient compte des maisons pour habiter, ainsi s’employaient seulement avec grande sottise à bâtir magnifiquement des tombeaux, ainsi qu'encore plusieurs l'observent non sans folie et superstition. (...) Aucuns disent que les Égyptiens ont appris cette façon superstitieuse de sépulcres des Éthiopiens. À tout le moins (comme dit Diodore) il n'y a Roy de ceux qui ont fait bâtir ces Pyramides, qui soit enterré en pas une d'icelles. Quant au Mausolée, il est ainsi appelé à cause qu'Artemise, ainsi que récite Strabon, femme du Roy Mausole de Carie  fit bâtir un somptueux tombeau en l'honneur de son mari et est mis entre les sept miracles du monde.”

Source : Google livres