mardi 12 février 2013

Les Égyptiens “avaient en vue plutôt la durée que la beauté d'un monument” (J.-M. Vagnat - XIXe s.)

Dans la littérature traitant d’égyptologie, la comparaison entre l’architecture de l’Égypte antique et celle appliquée par la civilisation grecque est un thème récurrent, sous le rapport de l’influence de la première sur la seconde.
L’architecte J.-M. Vagnat fournit une illustration, succincte mais éloquente, de ce constat. Dans son Dictionnaire d’architecture, édité en 1827, il reprend à son compte une lecture fréquente des liens et différences entre les deux modes de bâtir appliqués aux édifices publics : d’un côté, des constructions massives privilégiant la grandeur, voire le gigantisme ; de l’autre, des “ordonnances bien combinées”, reflétant la recherche d’élégance et de beauté.
Chemin faisant, il prend à peine le temps de s’attarder sur les caractéristiques des pyramides. Sous sa plume, juste quelques notations approximatives, notamment sur la nature des matériaux, ceux-ci, d’abord qualifiés “de pierre très dure”, étant par la suite décrits comme composés de pierre “point aussi dure que certains auteurs l'ont dit”.


Aquarelle de Henry A. Bacon (1897)
“Les premières demeures des Égyptiens furent construites de cannes et de roseaux entrelacés ; celles des Grecs le furent avec de l'argile qui n'était pas même durcie par le feu. (...)
Les Égyptiens manquant de bois, eurent recours a la brique, puis à la pierre et au marbre ; et sans le secours du fer, ni l'usage des voûtes dont ils n'avaient encore aucune notion, ils parvinrent à les mettre en œuvre avec beaucoup de solidité.
Les habitants étant logés, il fallut, pour leur besoin, élever des édifices publics et des monuments, tels que temples, palais, basiliques, places publiques, tombeaux et autres, pour servir d'annales historiques : en faisant passer à la postérité les noms des personnages illustres qui coopérèrent à l'érection de semblables monuments. (...)
Plusieurs auteurs ont dit que les pyramides remontaient aux époques de la primitive Egypte. Homère, qui rapporte beaucoup de particularités de l'Egypte, n'en fait pas mention ; ce qui ferait présumer qu'elles ont été commencées postérieurement à cet auteur grec. Chacun sait qu'elles étaient élevées en l'honneur des souverains à qui elles servaient de sépulture.
On conçoit facilement que si les Égyptiens élevèrent des monuments d'une si grande importance, leur but était de faire passer leurs noms à la postérité, étant persuadés que les demeures ordinaires n'étaient que passagères. Ils mirent donc en oeuvre des matériaux dont la durée était certaine.
Les trois principales pyramides qui restent sont celles qu'ils avaient érigées à trois lieues du Caire, distantes l'une de l'autre de six cents mètres : la plus haute a la forme d'un triangle équilatéral, dont la perpendiculaire est de 100 mètres ; les faces extérieures sont pratiquées en gradins, au moyen desquels on peut communiquer à leur sommet qui se termine en plate-forme. Les matériaux que l'on a employés à sa construction sont de pierre très dure et de forte dimension : au milieu de son intérieur, est un sépulcre où, dit-on, il existe un cénotaphe destiné à recevoir les restes de Pharaon, que la mer Rouge engloutit à son passage.
La seconde pyramide est moins conservée que la précédente, et a moins de diamètre.
La troisième, qui a encore moins de diamètre que les précédentes, est construite avec plus de soin ; elle est d'ailleurs revêtue d'une pierre marbre basalte extraite d'Arabie.
La pierre qui les compose n'est point aussi dure que certains auteurs l'ont dit : on attribue leur durée à la nature du climat qui surabonde peu en pluie et en humidité. Le volume seul a dû conserver les monuments ; car les joints, dans lesquels on ne reconnaît aucune trace de ciment, de plomb ni de fer, auraient infailliblement causé une destruction certaine ; les eaux y auraient pénétré, et causé, dans tout autre pays, les plus grands dégâts. (...)
La grandeur et les immenses constructions des Égyptiens étonnèrent admirablement les nations, et (...) elles servirent de modèles aux Grecs. (...)
Les Égyptiens ignorèrent l'art de construire les voûtes ; ils ne surent pas faire une heureuse application des genres d'ordonnance qui conviennent à chaque édifice ; ils donnèrent aux diamètres de leurs colonnes des proportions naines qui ôtèrent toute l'élégance et la beauté de l'ordonnance, qui consistent dans le rapport de son diamètre à la hauteur de sa tige ; enfin, ils n'eurent aucune connaissance exacte des expressions moyennes et délicates qui ont admirablement caractérisé les ordres grecs. On ne peut contester qu'ils connurent exactement l'expression solide ; car les masses qui servaient d'appui à leurs constructions étaient basées sur des principes gigantesques : ils avaient en vue plutôt la durée que la beauté d'un monument.
Les monuments des Égyptiens contribuèrent considérablement aux progrès de l'architecture chez les Grecs : ceux-ci remplacèrent les ordres égyptiens, qui n'étaient que des masses surchargées d'ornements, et dont l'ensemble était gigantesque et parfois bizarre, par des ordonnances bien combinées, tant sous le rapport de la construction, que sous celui de la régularité dans ses parties, et de la justesse dans ses détails ; de manière que la concordance du tout satisfaisait l'âme et captivait les yeux du spectateur éclairé.”

Source : Google livres