mercredi 31 mai 2017

“Les pyramides d’Égypte ont triomphé du temps et des barbares” (un Album du XIXe s.)

Extrait de l’ Album des villes et monuments les plus remarquables de l'Antiquité, 1844.
Aucune précision sur le rédacteur de cette publication trilingue, éditée par le libraire Delamare.
Illustration extraite de l'Album
Ces monuments gigantesques de l'Égypte étaient consacrés à la sépulture des rois et des animaux sacrés ; on y entrait par des ouvertures étroites plates à une certaine hauteur. Il y en avait trois plus célèbres que toutes les autres, celles de Chéops, de Céphrem et de Mycérinus, et l'une d'elles fut mise au nombre des sept merveilles du monde. Elles n'étaient pas fort éloignées de la ville de Memphis et furent construites vers le douzième ou treizième siècle avant J.-C.
La plus grande, celle de Chéops, était bâtie comme les autres sur un roc qui lui servait de fondement, avec des pierres d'une grandeur extraordinaire, dont les moindres étaient de 30 pieds, travaillées avec un art merveilleux et couvertes de figures hiéroglyphiques. Chaque côté avait 800 pieds de large et autant de hauteur ; le sommet de cette pyramide, qui d'en bas semblait se terminer en pointe, présentait une belle plate-forme dont chaque côté avait 16 pieds. Cent mille ouvriers travaillaient à cet ouvrage, et de trois mois en trois mois un nombre égal leur succédait.
Dix années entières furent employées à couper les pierres, soit dans l'Arabie, soit dans l'Éthiopie, et à les transporter en Égypte, et vingt autres années à construire ce vaste édifice dont l'intérieur offrait une infinité de chambres et de salles. On avait dépensé pour les poireaux, les oignons et autres légumes fournis aux ouvriers, plus de quatre millions et demi de francs ; ainsi le reste de la dépense doit avoir été énorme.
Telles étaient ces pyramides d’Égypte qui ont triomphé du temps et des barbares ; on trouve encore nombre de pyramides sur divers points de l'Égypte, notamment près de Méroé ; mais, quelque effort que fassent les hommes, leur néant paraît partout.
Les rois qui ont bâti ces monuments n'ont pu s'assurer une place dans ces pompeux tombeaux. Ils furent obligés de chercher une sépulture dans des lieux inconnus pour dérober leurs restes à la vengeance des peuples. Ils avaient assez mérité la haine de leurs sujets par les cruautés inouïes qu'il leur fallut exercer pour faire élever ces monuments mêmes qui devaient les immortaliser.


Ce même texte en anglais et en allemand : Gallica  

mardi 30 mai 2017

Le Plateau des pyramides : un “décor fait pour nourrir la pensée en même temps que l'imagination” (Fernand Leprette - XXe s.)

Ci-dessous un texte de l’écrivain et intellectuel français Fernand Leprette, extrait de Égypte, terre du Nil, 1939.
Né le 6 janvier 1890 à Saint-Hilaire-lez-Cambrai (Nord), Fernand Leprette a connu une enfance paysanne, avant de rejoindre Lille et Douai pour ses études. Au cours de la Première Guerre mondiale, il est engagé dans l'infanterie et l'aviation. Jamais il n’oubliera les champs de bataille, labourés par les obus, et leurs tranchées boueuses.
Pour échapper à ces visions d'horreur, il décida en 1919 de se rendre en Égypte, où il fut détaché comme professeur de français dans les écoles du gouvernement égyptien, à Alexandrie tout d’abord, puis au Caire.
En 1929, il est appelé au ministère de l'Instruction publique en qualité d'Inspecteur de l'enseignement du français. Dès lors, jusqu’à sa retraite, il mènera de front ses fonctions dans l'enseignement et sa carrière artistique et intellectuelle, en s’imprégnant du “spectacle d'une Égypte en pleine mutation” et en “œuvrant tout particulièrement pour le dialogue entre les différentes cultures qui se croisent dans le pays”.
Il meurt en 1970.
Sa “lecture” des pyramides n’est pas celle d’un égyptologue, mais plutôt d’un poète qui, tout en étant guidé par son imagination, n’en est pas moins réaliste sur un phénomène urbanistique semble-t-il inéluctable : l’envahissement par la “ville” des environs immédiats des pyramides.
photo extraite de "History.com"
Lorsqu'on arrive d'Alexandrie par la route du désert, après une glissade de deux cents kilomètres sur un ruban bleu, les Pyramides de Guiza apparaissent tout d'un coup on ne sait comment, posées par ordre de grandeur, sur un moutonnement de dunes.
Pendant deux heures, on a roulé à travers la plus abstraite fantaisie. Mouvant comme la mer, mais plus docile, le paysage se transforme sous les yeux. Toutes les crêtes des dunes s'allongent vers le capot de la voiture. On croit les saisir. Il le faudrait pour rester maître de sa route. En vain elles vous échappent. Mais, dans un état de demi-somnambulisme, on éprouve une joie aiguë à sentir tout vaciller. On s'avance, parfois, semble-t-il, à la pointe extrême de la folie, dans l'attente d'un miracle.
(...)


Des petites montagnes bien sages, soumises aux lois des phénomènes naturels

Lorsqu'on les voit ainsi pour la première fois, dans leur cadre, les Pyramides n'étonnent point. Masses puissantes et serrées, austères sous la bure, elles sont assises largement sur le sol, mais attentives à n'offrir à la prise du temps que la commune pointe de leurs triangles, comme des boucliers solides aux lignes sobres et modestes. Elles sont de bon conseil, quoique vaines.
Le Caire ne s'est jamais soucié des Pyramides, trop loin dans les sables et sans signification pour cette capitale musulmane. Il ne les a jamais révérées, n'a jamais eu recours à elles. La fameuse route qui y mène n'a jamais rien eu d'une voie sacrée. Le khédive Ismaïl, galant et fastueux, la fit tracer pour l'impératrice Eugénie qui devait leur rendre visite. Simple attention de grand seigneur. Je connais plus d'un Cairote qui n'a pris ce chemin que jeunesse dépassée. On a beau les dire chargées de secrets mathématiques, astronomiques, religieux, les considérer comme merveilles du monde, destinées à perpétuer les ambitions les plus démesurées, ces Pyramides ne sont plus, au regard de la Ville, que des monuments déserts, retournés à l’état de petites montagnes bien sages, soumises aux lois des phénomènes naturels.
De nos jours, les Egyptiens sont gagnés par une passion qui leur était étrangère. Ils vont à la recherche de leur propre passé. (...)
Le plateau des Pyramides ne connaît plus la solitude d'autrefois. Le Caire approche, chaque jour un peu plus et lui impose une familiarité qui doit irriter les mânes de Loti. Il est devenu un but de promenade quotidienne. Au sortir des jardins de Guiza, une large avenue ouvre dix kilomètres de ligne droite. Et, tout de suite, les Pyramides sont devant vous. (...)
Si absorbé qu'il soit par le battement de son pouls, il me semble que le Cairote le plus prosaïque ne peut être tout à fait insensible à la majesté du lieu, même s'il n'en a guère conscience. Au crépuscule, il y a quelques minutes pendant lesquelles les hautes parois triangulaires touchées par une lumière frisante, scintillent de mille feux comme un énorme joyau enchâssé dans l'azur. La magnificence du spectacle n'est pas moindre lorsque la nuit déroule au-dessus d'elles sa rivière de diamants.
Qu'il s'éloigne un peu dans les sables, face au vent du désert, le promeneur, dans ce décor fait pour nourrir la pensée en même temps que l'imagination, prend de soi de plus justes proportions. S'il descend vers le Sphinx qui veille depuis tant de siècles en contre-bas de la seconde Pyramide, il lira sur le visage mutilé sa propre noblesse d’homme, même lorsque celui que les Arabes appellent “Aboul Hol”, “le Père de la terreur” lui apparaît comme un veau marin en cale sèche, indifférent aux éclairs du magnésium. Le visage, c'est celui d'un roi fellah. Usé par le temps même défiguré par le malheur, il garde une physionomie complexe qui est la marque de la vie. Il y a de l’énergie dans le port de tête, dans les fortes mâchoires, les pommettes ; sa bouche est large et sensuelle ; l'ombre des orbites profondes lui fait un regard d'une mélancolie incurable. Par moments, l'on voit un sourire errer sur ses lèvres, mais comme retenu et plein d'expérience.

D'extravagants tombeaux dont la construction avait demandé un siècle

Il y a quinze ans, parce que je revenais de la guerre, son sourire me soulevait d'indignation. “Nous sommes nés, pensais-je alors, sous des cieux différents. Il sait que ma justice, mon bonheur exigent l'effort. C'est pourquoi je hais ce sourire sceptique devant l'éphémère que je suis. Mais le dégoût des mascarades, des affiches raccrocheuses, des graphiques des changes, des discours de rhéteurs, de Dada, m'a poussé jusqu'ici. Qu'as-tu à me dire ? Non. Tais-toi. Laisse-moi seulement pénétrer dans le désert.” Aujourd'hui je m'incline devant l'ancêtre.
En ce temps-là, je m'apostrophais de même avec violence devant d'extravagants tombeaux dont la construction avait demandé un siècle. “Voici qu'à ton tour, parce que tu te balades à Memphis avec un appareil photographique tout neuf, tu m'envoies de l'Éternel et de l'Infini à travers la figure. Mais les fellahs qui ont porté sur leurs épaules les Pyramides du désert, ces vains tombeaux, le souvenir de tes morts ? Qu'en fais-tu, misérable ? C'est bon l'oubli, n'est-ce pas ? Allons ! À deux genoux dans le sol pilonné ! L'obus qui t'a épargné jusqu'à présent, celui qui t'est destiné, cet obus-là, écoute-le. Crispe tes doigts sur tes paumes. Que tes dents craquent. Allons, le cou dans les épaules ! Et puis, ça ne sert à rien. Toi aussi au néant !”
Je contemple ces Pyramides d'un coeur plus apaisé. Elles ne m'étonnent plus. Elles s'imposent à moi comme des oeuvres gratuites. Par leur masse, la simplicité de leurs lignes, leur durée, elles font partie du paysage. Sur cette plaine, elles attirent, de partout, le regard. Elles font signe.
Suivant les jours, elles changent d'humeur, tantôt claires et nettes comme des pensées du matin, tantôt dérobant sous la brume une figure d'ennui, de fatigue, de torpeur, tantôt montrant un pelage hérissé. Le matin, elles sont grises, jaunes le soir. Quand le soleil se couche, elles opposent le velours noir au pastel. Elles deviennent bleues avec la nuit.
Je crois même que, pour les hommes qui s'agitent dans leur voisinage, elles ont pris une vie nouvelle. Elles les suivent dans leur fièvre de mouvement. Toutes trois, différentes de taille - la quatrième reste encore au sol -, elles se séparent et se rapprochent, s'engendrent et se résorbent, pivotent l’une autour de l'autre, se couchent l'une sur l'autre comme de belles bêtes souples qui jouent en silence. On les voit déplier un diptyque d'ombre et de lumière, s'aplatir sur leur base, s'étirer lentement. Sous l'aile d'un avion, elles sont prêtes à s'incliner, comme font les tables tournantes.
La Ville ne perd donc pas de vue les Pyramides. Mais c'est moins pour leur demander des secrets qu'avec le dessein non avoué de faire siennes ces bornes magnifiques. Peu à peu, elle garnit de villas et de palais la plaine de Guiza, elle songe à y tracer des avenues. Viendra le temps où les grands triangles, jusqu'alors en exil, rentreront dans un cadre nouveau. Les archéologues ont beau faire ; ils ne pourront pas ressusciter ce qui gisait sous les sables. En revanche, lorsqu'on survole Le Caire, le site de la ville future s'inscrit sous les yeux, entre la colline arabe et les témoins pharaoniques, à cheval sur une coulée de vermeil où des îles se posent, vertes et fraîches comme des tapis de prière.




lundi 29 mai 2017

Les pyramides égyptiennes : “Des pages écrites en caractères indestructibles” (Frédéric Goupil-Fesquet - XIXe s.)


Le texte ci-dessous est extrait de l’ouvrage Excursions daguerriennes : vues et monuments les plus remarquables du globe, Noël-Marie Paymal Lerebours, 1840-1843. Il porte la signature de
Frédéric Goupil-Fesquet (1817-1878), peintre-aquarelliste-graveur, neveu du peintre Horace Vernet (qu’il accompagne en Égypte pour un bref séjour à Alexandrie et au Caire), pionnier de la photographie en Égypte.
Le 20 novembre 1839.

Giseh est un petit village sur la rive occidentale du Nil, à la place qu'occupait autrefois Memphis. Il n'est remarquable aujourd'hui que par sa riante situation et son école de cavalerie fondée et dirigée par Varin-Bey, notre compatriote distingué, dont l'accueil aimable et cordial nous avait fait retrouver quelques instants de la vie française. De la terrasse de cette école on distingue le village d’Embabeh, champ de bataille illustré par nos lauriers, non loin des Pyramides. De Giseh à la montagne qui est élevée de 100 pieds au-dessus du niveau du Nil qui la baigne, lors du débordement, il y a cinq mille toises environ en ligne directe ; ce trajet est bien plus long lorsque les eaux ne sont pas encore retirées de la plaine. Dix-huit lieues avant d'arriver au Caire, nous avions aperçu les Pyramides, et deux heures avant de les atteindre, nous nous en croyions tout près. La silhouette des arêtes commençait à se denteler. On devinait à peine les assises de ces longues pierres dont la taille moyenne est de 15 à 20 pieds de long sur 3 ou 5 de haut.
Les ombres muettes de ces majestueux colosses grandissait à mesure que nous approchions, et que l'heure s'avançait à ces immuables horloges des siècles ! (...)
La pyramide que le lecteur a sous les yeux est celle de Cheops ; sa hauteur verticale est de 448 pieds, la longueur de sa base est de 728 pieds. Ses deux voisines, Cephrennes et Mycerinus, situées à 5 ou 600 pas de distance, à peu près sur la même ligne, sont de dimensions différentes.
Nous les donnons ici pour chacune d’après les relevés les plus authentiquement exacts :
Cephrennes, dont le sommet est recouvert des quatre côtés de plaques de granit poli, a 398 pieds de hauteur verticale et 655 pieds de base.
Mycerinus, 162 pieds de hauteur verticale, 280 pieds de base.

Le sentiment d'une durée sans borne, joint à une impression insurmontable d'immobilité

Les Égyptiens croient qu'elles sont l'œuvre des Géants qui habitaient leur pays à des époques très reculées. Ce qu’il y a de plus remarquable dans leur construction est la disposition de leurs faces tournées vers les quatre points cardinaux. Nous n'entrerons pas dans le détail des conjectures sans nombre auxquelles se sont livrés les savants au sujet de ces pages obscures de l'histoire, pages écrites en caractères indestructibles, puisque. le temps qui entraîne tout comme un déluge les a laissées inaltérables dans son cours. On n'y découvre au dedans ni au dehors aucune trace d’hiéroglyphes. Ces fantômes silencieux des siècles passés, par la grandeur de leur masse, la largeur de leur base, les fortes proportions de leurs parties constituantes, font naître le sentiment d'une durée sans borne, joint à une impression insurmontable d'immobilité. On est accablé du poids de ces montagnes engendrées par l'homme si petit et si faible à leurs pieds : on admire sa puissance : l’étonnement, la terreur, l'humiliation et le respect saisissent à la fois le spectateur. On se reporte aux récits d‘Hérodote ; le calcul du temps employé à construire ces rochers. des peines qu'ont exigées l’extraction, la taille et le transport de ces blocs hors des carrières même les plus voisines, étourdit et fatigue la pensée ; puis mesurant d'un coup d'œil ces monuments qui vous dominent. les comparant au désert qui Ies porte, au ciel qui les enveloppe de son riche manteau d'étoiles, l'âme retombe tristement sur elle-même ; au milieu de cette solitude que l'homme a préféré remplir de l’image plus triste de son despotisme, plutôt que de son utilité, on regrette l'emploi de tant de génie et d’intelligence pour élever de vains sépulcres où chaque pierre est une lettre des mots orgueil, vanité, servitude ; épitaphe terrible en ce qu’elle ne s’effacera qu'avec le monument qui la porte. Rois de la terre, maÎtres de l’Égypte, vous êtes confondus aujourd'hui dans la même poussière que celle du pauvre ouvrier qui vous éleva des tombeaux ! Le chacal immonde se fait un piédestal de vos pyramides ! La chouette se nourrit des précieux aromates qui bourraient à grands frais vos entrailles ! elle pleure dans vos sarcophages où elle laisse tomber sa hideuse carcasse fatiguée à côté de vos inutiles débris !

Trois chambres principales

La pyramide de Cheops est la seule qui soit ouverte aux curieux. Des Arabes, munis de flambeaux servent de conducteurs pour y pénétrer. Son entrée est du côté du nord, et les pierres de cette surface paraissent plus vermoulues que celles des autres ; le vent a formé dans cette partie un glacis de sable qui en facilite l’accès. M. de Norden prétend avoir observé dans ce sable des coquillages et des écailles d'huîtres pétrifiées. À plus de 48 pieds au-dessus de l'horizon s’élève une porte surmontée (en manière de fronton) de longues pierres en chevrons parallèles, d'une énorme grosseur ; les parois latérales ressemblent assez par leur disposition à l'entrée d'une carrière en exploitation.
Il y a trois chambres principales : la chambre du roi, celle de la reine et celle qu'a récemment découverte l’antiquaire Caviglia au-dessous des deux premières. Elles sont à peu près semblables en tout point. On y arrive par cinq très longs conduits étroits et bas, revêtus des quatre côtés de grands morceaux de marbre blanc poli, aujourd'hui dégradés par la fumée des flambeaux que les voyageurs sont obligés d'y apporter. Ces couloirs sont tous dirigés du nord au sud, et par un double embranchement conduisent à la chambre du roi située à peu près au dessus de la seconde vers le milieu de la pyramide à environ 160 pieds du sol. Au milieu est un sarcophage de pierre d’environ 7 pieds de long sur 11 de large et 3 1/2 de haut. Il rend le son d‘une cloche quand on le frappe ; le couvercle en a été enlevé et les parois ébréchées ; la hauteur de cette salle est de 19 pieds, sa longueur de 32, sa largeur de 16 ; le plafond est construit de pierres d'un seul morceau qui en parcourt toute la longueur.
La pyramide de Cephrennes est la seule qui ait conservé son revêtement de granit. Mycerinus n’a rien qui puisse intéresser puisqu'elle est bouchée. Non loin de Cephrennes, en descendant imperceptiblement vers l'ouest, on voit la tête du fameux sphinx si souvent décrit.

Une excavation où l’on reconnaît une chambre

La quatrième pyramide est de 100 pieds plus basse que les autres et terminée par une plate-forme irrégulière. Ces quatre grandes pyramides sont entourées d’autant de petites qui ont toutes été fouillées et plus ou moins démolies pour y découvrir des chambres.
Après l'excursion intérieure dans la pyramide de Çheops, on peut en faire une à l’extérieur qui n'est pas la moins fatigante, par l'angle nord-est où la montée est plus facile. (...) À deux tiers de l’élévation totale du monument on se repose dans une excavation où l’on reconnaît une chambre, par laquelle on avait tenté de pénétrer dans l'édifice avant d'avoir découvert l'entrée actuelle.
De la plate-forme qui résulte de la destruction de trois ou quatre assises, on jouit d'un coup d'œil magnifique. À l'orient se déroule à vos pieds la riante vallée du Nil, tandis qu'à l'occident le regard se perd dans l'immensité du désert le plus aride.”

dimanche 28 mai 2017

“Peut-on imaginer une histoire plus admirable que celle de la construction de la grande pyramide ?” (Jean Capart, XXe s.)


De l’égyptologue belge Jean Capart (1877-1947), qui fut conservateur en chef aux Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles et directeur de la Fondation Égyptologique Reine Élisabeth, ces extraits de l’opuscule Le Message de la vieille Égypte (Bruxelles, 1941), dans lequel l’auteur a regroupé quelques pages de plusieurs de ses écrits.
photo attribuée à Mohammedani Ibrahim, photographe de Reisner (1927)
Si l'on voyait réunis, sur les rayons d'une bibliothèque, tous les livres écrits au sujet de la grande pyramide, on serait probablement surpris de leur nombre et personne n'oserait entreprendre la tâche redoutable de les lire tous. Malgré cela, il faut bien constater qu'il n'existe pas encore un livre d'ensemble, sérieusement documenté, “le livre” sur les pyramides.
Ces masses colossales de Guizeh ont, plus que toutes les autres, surexcité l'imagination des peuples. Les historiens arabes leur ont consacré de nombreuses pages où l'on pourrait glaner pas mal de détails piquants sur les légendes que redisaient les habitants de l'Égypte au sujet de ces constructions prodigieuses. La plupart des conteurs arabes n'ignoraient pas que les pyramides sont des tombeaux et ils ont enregistré, dans leurs indigestes compilations, des souvenirs de l'époque où les khalifes les faisaient violer pour en dérober les trésors. Mais le désir d'enjoliver les histoires a conduit ces écrivains crédules à rapporter trop souvent des détails d'une ingéniosité puérile. (...)
À toutes les époques, l'imagination s'est exercée sur les pyramides plus que sur aucun autre monument du monde entier. (...)
La seule explication logique de ce débordement d'interprétations symboliques et scientifiques qui dépassent les frontières de la simple raison, se trouve dans le caractère réellement extraordinaire que présente pour nous la grande pyramide. (...)

Prévision, ordre et calcul

Tout, dans une pyramide, révèle la prévision, l'ordre et le calcul. Quelles qu'en aient été les dimensions, la pyramide a dû exister tout entière dans l'intelligence de l'architecte avant d'être exécutée dans la pierre. Peut-on imaginer une histoire plus admirable que celle de la construction de la grande pyramide ? Il est bien certain que nous aurions peine à la raconter avec toute la précision de détails que réclamerait la curiosité (...).
Dès que le roi a commandé le travail et qu'il a donné à l'architecte les pouvoirs nécessaires pour mettre en action le machinisme formidable qui en assurera l'exécution, les forces s'organisent dans toute l'Égypte pour ce seul but.
Le bureau de l'architecte dresse les plans et calcule les quantités relatives des divers matériaux à mettre en oeuvre. Si l'on peut trouver sur le plateau même de Guizeh un calcaire grossier qui suffira pour les parties inférieures, ce n'est que dans les carrières situées sur l'autre rive du Nil, dans la région de Tourah et de Massarah, que l'on exploite la belle pierre blanche qui servira pour les maçonneries soignées et surtout pour les dallages et les revêtements.
Au début, l'architecte avait prévu que la chambre funéraire serait creusée à 40 mètres de profondeur sous le niveau du sol. Un peu plus tard, il décida d'élargir sa conception du monument et de réserver une chambre dans l'épaisseur de la maçonnerie. Pour les couloirs d'accès, les murs et les plafonds de cette chambre, il fallut des blocs de dimensions considérables, afin d'assurer la résistance aux pressions prévues. Plus tard, encore, par un nouvel agrandissement de la pyramide, l'architecte fut amené à recourir au granit. (...)

Quinze cents blocs par jour !

La masse de pierre employée dans la construction est si énorme que nous pouvons à peine nous représenter le mouvement de fourmilière de tous ces hommes, s'affairant autour de l'édifice pour traîner, élever, placer chaque pierre à l'endroit voulu. On peut admettre en moyenne deux millions six cent mille blocs d'un mètre cube, pesant chacun environ 2.500 kilos. Si la construction a duré vingt ans, comme le dit Hérodote, et qu'on a travaillé seulement trois mois par an, cela implique le placement de près de quinze cents blocs par jour ! (...)
Aucune solution n'est pratiquement possible si l'on n'accepte l'emploi de nombreuses batteries d'appareils en bois disposés les uns au-dessus des autres, de gradins en gradins et qui élèvent les pierres par un procédé analogue à celui que les Égyptiens ont appliqué en tous temps pour leurs machines d'irrigation, appelées à présent des chadoufs. 

Le triomphe d'une organisation excellente

Celui qui considère ces problèmes voit, dans la pyramide, le triomphe d'une organisation excellente, où la tâche de chacun est minutieusement déterminée à l'avance. Sans cela, des escouades de milliers d'ouvriers se transforment en quelques instants en une tourbe indisciplinée, dès que les ordres des chefs se mêlent et se contredisent. Les travailleurs sont comme une armée qui marche à la bataille en ordre parfait. Un rouage faussé et la troupe est livrée à une panique indescriptible. Nulle part il ne peut se produire d'arrêt imprévu. La carrière doit avoir débité ses blocs au moment où arrivent les bateaux. Au débarcadère doivent être rangés les traîneaux qui se mettent en marche régulièrement, sous peine d'être retardés en cours de route. Au pied de la pyramide, les accumulations de pierres ne tarderaient pas à former une barrière infranchissable. Les assises n'ayant pas toutes la même hauteur, les blocs qui arrivent, marqués à l'encre rouge, ne peuvent être employés au hasard, mais doivent être gardés en séries. Le matériel s'use, les hommes sont malades ou meurent. Il faut, de plus, veiller à leur logement, à leur habillement, à leur nourriture. C'est à ce dernier détail que pensaient les drogmans égyptiens qui prétendaient lire sur la pyramide, à l'intention des touristes grecs, le total des sommes dépensées en radis, en oignons et en aulx pour les ouvriers. Auprès du chantier se tenait aussi l'armée des scribes qui avaient pour mission de diriger, de contrôler toutes les opérations et d'en tenir un compte exact.(...)

Un tel travail confond l'imagination

En dépit de la complexité d'une telle organisation, l'architecte ose même un remaniement du plan intérieur. Agrandir la pyramide ne soulevait pas de difficultés. On la bâtissait par massifs s'appuyant les uns sur les autres et, presque jusqu'au dernier moment, on pouvait, en même temps qu'on l'élevait, la revêtir de manteaux s'éloignant de plus en plus de l'axe central. Au contraire, toute modification aux appartements entraînait des problèmes qui semblent insolubles, à moins d'admettre que les constructeurs laissaient, presque jusqu'à la fin des travaux, une large brèche ouverte à travers la maçonnerie, sur la face nord, où débouchaient les couloirs d'accès.
On serait tenté de dire qu'un tel travail confond l'imagination. Il faut croire cependant qu'il restait dans la limite des possibilités normales, car nous avons vu des rois non contents d'une seule sépulture ordonner la construction, simultanée ou successive, de deux tombes gigantesques. Djeser avait un immense mastaba dans la région d'Abydos et une pyramide à Saqqarah, avec ses magnifiques temples funéraires. L'effort fut répété par Snefrou, qui possédait la pyramide de Meidoum et celle de Dahchour nord, toutes deux de dimensions colossales. Ces travaux, loin d'épuiser les ressources de l'Égypte, ne firent que préparer les voies à la construction de la grande pyramide de Khéops. Si la pyramide sud de Dahchour n'est pas celle de Houni, on sera tenté d'y reconnaître une seconde pyramide de Khéops. (...)
En examinant la construction de la pyramide, nous n'avons considéré que le tombeau proprement dit. Cependant, nous avons appris, en visitant les nécropoles, que la sépulture royale comprenait deux parties : la pyramide et le temple. C'est dans ce dernier que les architectes trouvaient surtout l'occasion de montrer leur habileté et leurs ressources. C'est là qu'ils avaient à résoudre les nombreux problèmes soulevés par la traduction, en matériaux durables, des formes et des proportions de la construction en matériaux moins résistants.

samedi 27 mai 2017

“Les pyramides ont sans doute été construites d'après un formulaire pratique résultant d'une longue expérience” (Marcelle Baud - XXe s.)


Extrait de Égypte - Les Guides bleus, Hachette, 1956
Texte de Marcelle Baud (1890-1987), élève diplômée de l’École du Louvre, ex-attachée à l’Institut français d’archéologie du Caire, et Magdelaine Parisot.
Photo datée de 1920. Auteur non mentionné
Les pyramides sont des tombes royales : la certitude en est acquise depuis l'antiquité et les multiples théories contradictoires se renouvelant sans répit qui tendent à méconnaître ce caractère exclusif ne méritent même plus l'examen.
Elles sont toutes sur la rive gauche du Nil, et pour la plupart dans la partie de l'Égypte comprise entre la pointe du Delta et Fayoum. Il ne semble pas qu’on ait construit des pyramides après l'invasion des Pasteurs. Abandonné depuis lors en Égypte, ce mode de sépulture fut repris de long siècles après, par les rois éthiopiens de Nouri et du gebel Barkal, et ceux de Méroé, mais subit une déformation et constitua un type nouveau que nous n’avons pas à examiner ici.
Les pyramides (arabe, el-haram) avaient chacune leur nom, formé du nom royal de leur possesseur et d'une courte formule attributive. On connaît les noms de 24 pyramides environ (...).


Des agrandissements successifs d'un noyau initial
Les pyramides n’ont pas été construites à vue d'oeil et sans aucun plan, mais sans doute d'après un formulaire pratique résultant d'une longue expérience.
Les proportions en étaient établies à l'aide de calculs dont on a pu se faire idée par le papyrus mathématique du musée Britannique. Des considérations tirées de la comparaison des formes dans certaines pyramides induisirent Lepsius, et d’autres à sa suite, à supposer que ces monuments n'avaient pas été bâtis d’une seule venue, mais résultaient des agrandissements successifs d'un noyau initial.
Les pyramides étaient, sauf les plus anciennes, bâties sur plan carré et orientées avec exactitude. Elles étaient assises de préférence sur un sol rocheux, à l'abri de l'inondation. Les accidents du terrain ne rebutaient pas le constructeur, qui savait en tirer le meilleur parti. Quand les pyramides n'ont qu’une chambre, cette chambre est toujours excavée dans le roc. Dans le cas contraire, l'une est dans le sous-sol, tandis que l'autre ou les autres s'abritent dans le noyau construit. L'aménagement de la chambre souterraine comporte des éléments rapportés : les dalles de granit et les revêtements des parois.

Le noyau de la pyramide est tantôt en pierre, tantôt en briques crues, monté au moyen du plan incliné. Le revêtement (calcaire ou granit) était fait dans le sens inverse, c'est-à-dire de haut en bas ; au fur et à mesure qu'une assise était terminée, on abaissait d'autant le plan incliné.
Les couloirs, partie excavés, partie bâtis dans le noyau, étaient séparés de la chambre par une fermeture à herse, formée d'une ou de plusieurs dalles de granit glissant verticalement dans des coulisses. L’orifice extérieur était également fermé par un système de herse qui pouvait varier d’une pyramide à l'autre. Quoi qu'il en soit, cette dalle était elle-même recouverte après coup par le revêtement. Quant aux questions que soulève l’aspect extérieur de la pyramide complètement revêtue, nous les négligeons résolument ; aucune des données fournies par Hérodote et les écrivains arabes n'étant acceptable dans sa forme.

Histoire des pyramides de Guizèh
Le récit d'Hérodote (II, 121-136), le plus ancien que l'on possède sur les pyramides de Guizeh, peut se résumer ainsi : Khéops, constructeur de la première pyramide, infligea l'obligation de la corvée à son peuple. Cent mille travailleurs se relayèrent tous les trois mois pour exploiter les carrières de la chaîne arabique (Tourah et Maasarah), pour transporter les blocs à pied d'oeuvre, construire la chaussée, travail qui dura dix ans, et enfin la pyramide elle-même, travail qui dura vingt ans. On l'éleva degré par degré au moyen de machines formées de “petites pièces de bois” qui étaient en nombre égal aux gradins ou que l'on montait au fur et à mesure. Khéphren ne fit qu'imiter son père : sa pyramide différait toutefois de la première, outre ses dimensions un peu réduites, en ce qu'elle avait un premier degré en marbre d’Éthiopie (lisez granit), et que son sous-sol n’était pas envahi par l'eau du Nil.
À l’inverse de ses prédécesseurs, qui avaient fermé les temples, Mykérinos fut un homme pieux. Sa pyramide coûta moins de peine à son peuple que les précédentes. Elle était revêtue, à moitié, de pierres d'Éthiopie. Quelques Grecs attribuèrent plus tard de ce monument à la courtisane Rhodope, contemporaine d'Amasis, attribution contre laquelle s'élève Hérodote. Toujours est-il que Mykérinos put, après mort, jouir de sa sépulture, tandis que Khéops et Khéphren en furent privés par le peuple indigné des mauvais traitements qu’ils lui avaient infligés. Ajoutons qu’Hérodote mentionne sur le revêtement de la grande pyramide une inscription relative au payement en nature des ouvriers.
À quelques variantes près, Diodore ne fait que reproduire ce récit. Selon lui, Mykérinos mourut avant l'achèvement de sa pyramide, bien que celle-ci soit décrite comme terminée ; la moitié inférieure de son revêtement était en pierre noire semblable à la pierre thébaïque. Le monument, d'un travail soigné, portait sur sa face septentrionale le nom du roi. Strabon ne parle pas longuement des pyramides, mais donne un détail intéressant gui a beaucoup attiré l'attention des modernes, en ces derniers temps : la grande pyramide était fermée par une pierre mobile.
La seule notion à retenir du passage de Pline est celle des auteurs qui traitèrent des pyramides : c'étaient, outre Hérodote, Evhémère, Douris de Samos, Aristagoras, Dionysius, Artémidore, Alexandre Polyhistor, Butorides, Antisthènes, Démétrius, Démotélès, Apion.

D'un seul jet
La tradition classique, puisée à une source qui ne remonte pas au-delà du Ve s. av. J.-C., nous apprend que les pyramides de Guizèh furent construites d'un seul jet. Selon le Dr Borchardt, la pyramide de Khéops porte au contraire la trace de trois états successifs. Le premier projet n'avait prévu qu'une seule chambre creusée dans le rocher : il aurait été modifié avant son complet achèvement, et sensiblement agrandi ; on aurait alors aménagé dans l'épaisseur de la maçonnerie une seconde chambre ; mais ce deuxième plan, ne répondant pas davan,tage à la magnificence de Khéops, on décida un nouvel agrandissement et c'est à ce dernier projet que l'on doit la grande galerie et la vraie chambre du tombeau. Enfin, les derniers travaux sur les pyramides (M. J.-P. Lauer), ont révélé que les quatre blocs d'angle du dernier état étaient littéralement encastrés dans le radier de façon à maintenir une parfaite cohésion de la base.
La deuxième pyramide a conservé la trace de deux états, dus également à un changement de plan opéré en pleine période de construction. La troisième pyramide, agrandie aussi (de huit fois son volume primitif, selon Borchard) pendant le règne de Mykérinos, fut restaurée sous les rois saïtes. Une nouvelle chambre fut creusée, plus basse et à l'ouest de l'ancienne. Cette restauration avait été motivée par une violation au cours des troubles de la XXe dynastie, époque qui fut aussi fatale à un grand nombre de tombes thébaines. Fl. Petrie fait remonter la violation de la nécropole memphite à la fin de l'Ancien Empire, c'est-à-dire pendant les années stériles en monuments qui s'étendent de la VIe à la Xe dynastie. Quelle qu'en soit l'époque, nous pensons que cette violation est antérieure au voyage d'Hérodote. Quand il visita l'Égypte, on connaissait plus ou moins l'économie intérieure des pyramides. Les momies de Khéops et de Khéphren n’étaient probablement plus dans leurs sarcophages : la légende populaire de l’impiété de ces deux rois n’est née que du besoin d’expliquer le vide des deux tombeaux.

Quoi qu'il en soit, les pyramides conservèrent leur revêtement à peu près pendant toute l'antiquité et le Moyen Âge. On avait cessé, dès l'époque chrétienne, de les considérer comme des tombeaux. Les écrits byzantins (...) les donnent en se fondant sur une fausse étymologie (froment), comme d'anciens greniers royaux, et cette fausse attribution persiste jusqu'à la fin du XIVe s. “Quand nous fusmes venus à iceux greniers” écrivait en 1395 le pèlerin Simon de Sarrebruche. Mais, comme ces greniers pouvaient receler des trésors, la première pensée des Arabes fut d'y pénétrer. C'est ce que fit le calife Al-Mamoûn qui, arrêté dans l'exploration de la grande pyramide par le bloc de clôture placé à la bifurcation du couloir ascendant, tourna ce bloc et arriva jusqu'à la chambre du sarcophage. On raconte qu'il trouva un cercueil, renseignement qui, s'il n’est pas exact, n'est pas nécessairement en contradiction avec la thèse moderne de la spoliation des tombeaux, puisque les anciens tombeaux, nous le savons aujourd'hui, furent ultérieurement utilisés comme de véritables dépôts de momies. On s'attaqua ensuite aux revêtements. Ils fournissaient des blocs d’une exploitation facile pour la construction des monuments dont les sultans couvrirent leur capitale. Le même Simon de Sarrebruche vit les degrés de pyramide “à moitié descouverts” et des ouvriers occupés à faire rouler de haut en bas les pierres “qui font la couverture”. Le produit de cette dévastation allait pour les deux tiers aux constructions du sultan et pour un tiers aux maçons. On estime, d'après les récits des écrivains arabes et des voyageurs, que la 3e pyramide entamée dans le cours du XVe s. avait entièrement perdu son revêtement au siècle suivant, et que la 2e, plus longtemps épargnée, puisque son revêtement existait encore en très grande partie lors du voyage de Greaves en 1638, le perdit entre cette époque et l’arrivée de l'Expédition française.

Sur cette auteure, un autre "morceau choisi" dans l'Égypte entre guillemets :

Les caractères du dessin égyptien, par Marcelle Baud

jeudi 25 mai 2017

“Si la Grande Pyramide a vraiment été construite pour abriter la momie du roi Khéops, on ne peut pas dire que l'idée fut une réussite” (Guide touristique Cook - XIXe s.)

La flotille des invités du vice-roi passant non loin des Pyramides de Guizeh
en novembre 1869
Texte extrait du guide Cook's tourists' handbook for Egypt, the Nile, and the Desert, édité en 1876 par Thomas Cook & Sons qui réalisèrent leur premier voyage en Égypte en 1860. “Alors que Thomas Cook, le père, avait plutôt "travaillé" sur l'Europe, l'Amérique et la Terre Sainte, son fils John Mason entrevoit le potentiel que peut représenter l'Égypte, avec sa richesse historique et sa croissante présence anglaise. Ce premier périple en terre pharaonique constitue une véritable aventure puisqu'aucune infrastructure touristique n'existe alors.” (extrait d’égyptophile)

From Ghizeh the road runs straight to the Pyramids on a broad, firm embankment, crossing the bright green cultivated land annually flooded by the fertilizing Nile waters. On the right and left the half-naked peasants are seen working on the land, with their primitive-looking implements, irrigating, ploughing, etc. (...). At length the visitor passes beyond the line of vegetation, and reaches the great ocean of desert sand, on the shore of which stand in desolation the colossal Pyramids.
Upon a rocky plateau of limestone, about forty feet above the surrounding plain, are situated the three Great Pyramids, several smaller ones, many ancient tombs, and the colossal Sphinx.
From the vast immensity of the desert landscape, and the absence of objects for comparison, the Pyramids seem scarcely larger on approaching them than when seen two or three miles off ; but when actually reached, a sense of their immensity comes over the mind with almost appalling effect. The best way to get an idea of their immense magnitude, as Zincke points out, is to stand in the centre of one side, and look up to the summit. "The eye thus travels over all the courses of stone from the very bottom to the apex, which appears literally to pierce the blue vault above. This way of looking at the Great Pyramid, perhaps, is a way which exaggerates to the eye its magnitude unfairly - makes it look Alpine in height, while it produces the strange effect just noticed.''
(...)

Un revêtement “recouvert de sculptures et d’inscriptions”

The usual process in Egyptian Pyramid building seems to have been to leave a nucleus of solid rock, and enclose it in a series of steps, formed of huge blocks of stone. Fresh series of steps were added to the outside, till the requisite dimensions were obtained. Then the steps were filled up with smooth polished stone, covered with sculptures and inscriptions. The interior chambers and passages were then used on the occasion of the sepulture of the illustrious builder, and the entrance hermetically sealed. From most of the Pvramids the outer polished stones have been removed, to furnish materials for the edifices of the Mahomedan epoch. So that now there remains in most cases the series of colossal steps up which visitors climb to the summit. Anciently each Pyramid had a temple near the base, in which divine honours were paid to the deified monarch for whom the pile was reared.
(...)
At the summit of the Pyramid is a platform about thirty feet square, from which a fine view is obtained. "There is something unutterably impressive," says a recent visitor, "steals over one's mind as one stands upon the top of that wonderful monument of ancient greatness and power. The long line of vegetation that separates the fruitful valley of the Nile from the arid desert can be traced and defined as distinctly, as far as the eye can reach (...). Along the line of this sea of sand, stretching into the far distance, a number of minor Pyramids are seen, past Old Cairo, and the site of Heliopolis, the 'city of the sun', the city called on in the 45th verse of the 41st chapter of Genesis. (...)

Intérieur de la Grande Pyramide

The Interior of the Great Pyramid was forcibly opened to view by the Caliph-el-Mamoon, a thousand years ago, in 820 A.d. He was the son of the well-known friend of our schooldays, Haroun-el-Raschid, and was incited by the hope of discovering treasure. The passage made by his workmen through the solid masonry, and leading to the true entrance to the Pyramid, is now choked up with rubbish.
At the present day the visitor enters at about forty feet from the base of the northern side, and descends by a massive vaulted gallery to a subterranean chamber, 347 feet from the entrance, and about 90 feet below the base of the Pyramid. This chamber measures 46 feet by 27 feet, and is about 11 feet in height. Mariette Bey argues that the builders of the Pyramid intended this chamber to be mistaken for the principal chamber of the Pyramid, and so serve to conceal the real resting-place of the royal mummy.
At rather more than sixty feet from the entrance, an upward passage, once carefully closed with an immense block of stone, leads towards the centre of the Pyramid. At a distance of 125 feet, it reaches what is called the Great Gallery.
At this point is the opening to what is called the Well, 191 ft. deep (communicating with the subterranean chamber above described), which was probably used for communication with various parts by the workmen in constructing the Pyramid.
Before ascending the Great Gallery, a horizontal passage is seen, 110 feet in length, leading to a chamber 18 feet by 17 feet, and 20 feet high, known as the Queen's Chamber. Mariette Bey supposes that the entrance to the Great Gallery was once hermetically sealed ; so that if successful in reaching the chamber now under notice, explorers might be led to suppose that the whole secret of the Pyramid was revealed.
But the Great Gallery, 151 feet long, 7 feet wide, and 28 feet high, with a surface of smooth polished stone, leads upwards to a vestibule once closed with immense granite portcullises.
Beyond is the King's Chamber, the chief chamber of the Pyramid, 34 feet 3 inches in length, 17 feet 1 inch broad, and 19 feet 1 inch in height. It contains the remains of a lidless sarcophagus of red granite. If the mummy of King Cheops ever rested in it, and the Pyramid was really built to guard that mummy, it cannot be said that the idea has been successfully worked out. The Pyramid is there, but the great king's remains have disappeared - how or when, none can say.
Piazzi Smith, and others who unite in his views, assert that the so-called sarcophagus is really a " coffer," designed to perpetuate a standard measure of capacity to all time, and exactly equivalent to the laver of the Hebrews, or four quarters of English measure.
Above the King's Chamber are two or three other rooms, apparently only constructed to lessen the immense weight of the upper part of the Pyramid.
What the Pyramids really were intended for, and who built them, are questions over which there has been an immense amount of argument and conjecture. Egyptologists are generally agreed that they are royal tombs, reared by successive stages, as above described, in the lifetime of the monarch, and at his death cased over with polished stone, and closed up. The Great Pyramid is assigned to Cheops by Herodotus, who tells a long story about the making of the causeway for the transfer of materials in ten years, and the building of the Pyramid in twenty more, 100,000 men being employed, and relieved at intervals of three months. Diodorus, Pliny, and others tell similar stories, but all written record of the Great Pyramid is, to say the least, doubtful. Cheops is considered to be identical with Shoofoo, third monarch of the fourth dynasty, who reigned over Egypt between twenty-four and forty-two centuries before the Christian era. The visitor must remember that the different schools of Egyptologists differ at least twenty centuries from each other in their chronological statements.
(...)

Seconde pyramide

The Second Pyramid is assigned by Herodotus to Cephrenes, the brother of Cheops. Cephrenes is considered identical with the Shafra whose name is often found on monuments. This Pyramid is 447 feet high, and has a base line of 690 feet. This Pyramid is very difficult to ascend, as towards the top the ancient polished casing still exists. If the visitor cares to see the feat, one of the Arabs will run down from the top of the Great Pyramid, and across to the Second, and ascend to its summit, all in less than ten minutes, for a trifling gratuity. The interior gallery and chamber of this Pyramid were discovered by Belzoni in 1816, but had been previously opened by Sultan Othman six centuries before.

Troisième pyramide

The Third Pyramid, that of Mycerinus, is only 203 feet in height, its base line being 333 feet. A wooden mummy case and mummy from this Pyramid are now in the British Museum. A sarcophagus, also found here, was lost at sea with the vessel that was transporting it.
The ancient story of the fair Egyptian princess, who was said to have reared this Pyramid with the fortunes of her lovers, and whose voluptuous life was celebrated by Sappho, and also the story of Rhodope, related by Strabo, are, of course, not to be taken as historic truth. Rhodope was a beautiful Greek girl, who, whilst bathing in the Nile, attracted the very birds of the air with her beauty. An eagle flew away with one of her slippers, but let it fall over Memphis. It was seen by Pharaoh, the owner was sought out, and, as the story goes, she became Queen of Egypt, and was buried in this Pyramid.
(...)
The Causeways by which the materials were brought for the construction of the First and Third Pyramids still exist, though in diminished proportions. That leading to the Great Pyramid is 83 feet in height and 32 feet broad. It was by these causeways, the smooth stones forming the outer casing of the Pyramids, were retransported by the Caliphs and Sultans in order to erect their Mosques and Palaces."

mercredi 24 mai 2017

Selon J.-R. Delaistre (XIXe s.), les pyramides d’Égypte “surchargent la terre d'un vain poids”


Texte extrait du Manuel de l'architecte et de l'ingénieur : ouvrage utile aux entrepreneurs, conducteurs de travaux, maîtres maçons, de J.-R. Delaistre, ingénieur pensionné et ancien professeur à l'Ecole Militaire de Paris (1825)
Illustration extraite de "The Land of the Pyramids", par  J. Chesnay (1884)
“... les Égyptiens peuvent être regardés comme les premiers qui aient fait de l'architecture une science et un art. Chez eux, on trouve des proportions géométriques qui assurent la solidité de la construction. Leurs lignes, que n'approuverait pas un goût sévère, sont au moins remarquables par leur régularité. Témoins ces fameuses pyramides qui ont triomphé du temps depuis quarante siècles, et dont la hardiesse de conception étonnante excite encore l'admiration. Mais, quoiqu'elles attestent que les arts étaient cultivés chez cette nation, quoi qu'elles témoignent de la science de ceux qui les ont construites, elles prouvent en même temps que le sentiment du beau, sentiment aussi délicat qu'il est exquis, seule véritable base des arts, leur était inconnu.
En effet, la perfection réelle de l’architecture est de cacher le travail de l'homme sous le charme de son ouvrage ; elle doit toujours servir à l'utilité, plaire d'autant plus qu'elle est plus commode.Tous ses ornements, tout ce qu'il y a de beau dans ses créations, doit ressortir du fond, même de ce qui lui est nécessaire. Toute autre conception, telle hardie qu'elle soit, peut bien un instant, par l’étonnement qu'elle cause, forcer une sorte d'admiration et d'éblouissement ; mais elle ne saurait longtemps plaire à l'homme civilisé qui demande à l'architecture ce qu'elle est appelée à produire, des édifices utiles à l'espèce humaine, et dont tous les matériaux révèlent d'une manière heureuse cette même utilité.
Telles ne sont pas, sans doute, les pyramides d'Égypte. À la vue de ces masses orgueilleuses, élevées par l'esclavage, pour satisfaire la bizarre présomption d'obscurs monarques, et qui surchargent la terre d'un vain poids, notre âme erre dans un vague indéfini, inexprimable ; elle est agitée de mille sensations, admirant, il est vrai, l'immense force qui les a construites, mais sans aucun mélange de reconnaissance ou de plaisir ; la pensée se reporte sur ces temps antiques, elle voit des générations entières se consumant, pendant des siècles, sur les monuments destinés à flatter l'inconcevable délire d'orgueil et les frivoles passions de superbes despotes. Nous gémissons, et après le premier tribut d'admiration arraché par ces étonnants débris d'une antiquité presque fabuleuse, revenant à des sentiments plus dignes de l'homme, nous sommes tentés de maudire la force magique et barbare qui nous les a conservés.

samedi 20 mai 2017

Les pyramides du plateau de Guizeh, placées “au rang des plus grandes entreprises de l'homme”, selon Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (XIXe s.)


Le Français Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (13 août 1797 - 12 janvier 1873) était ingénieur de la Marine. Il fut chargé de ramener un obélisque de Louxor et de l’ériger sur la Place de la Concorde à Paris, le 25 octobre 1836.
Le texte qui suit est extrait de l’ouvrage qu’il consacra à cette fantastique aventure humaine et technique L'obélisque de Luxor : histoire de sa translation à Paris, description des travaux auxquels il a donné lieu, 1839
photo de Francis Frith (1859)
Le 30 juillet (1831) au soir, la flottille appareilla de Boulac pour la Haute-Égypte. Nous allions enfin atteindre le but désiré ; c'est alors que, rassuré par la présence des cawas qui montaient quatre de nos bateaux, je me décidai à faire une rapide excursion jusqu'aux pyramides de Giseh.
Ces monuments, dont l'aspect est si grandiose, si imposant lorsqu'on les aperçoit des bords du fleuve, perdent de leur grandeur et de leur proportion à mesure qu'on gravit le plateau sur lequel ils sont posés. La raison en est, que leurs formes rentrantes et anguleuses les dissimulent à l'œil, et qu'après avoir traversé la zone cultivable, on ne trouve plus aucun objet qui puisse servir de termes de comparaison. Quoi qu'il en soit, le jugement s'égare en présence de ces masses régulières qui s'élèvent au milieu d'un vaste désert.
Mais si l'on énumère le nombre (203) d'assises en grosses pierres qui constituent chacun de ces immenses escaliers pyramidaux, si l'on compare la hauteur de la marche moyenne à la taille d'un homme ordinaire, si l'on réfléchit que vu à une petite distance, le sommet paraît se terminer en pointe, tandis qu'il offre en réalité une surface équivalant à quarante mètres carrés, alors toute l'attention se porte sur des dimensions insolites que l'imagination seule peut embrasser, et qui, appréciées à leur valeur positive, et réduites en chiffre, donneront pour le côté de la base 233 mètres, pour hauteur totale 146 mètres, et pour le volume 2.662.628 mètres cubes.
Nous pénétrâmes dans l'intérieur de la plus grande pyramide par une ouverture pratiquée au tiers environ de la face ouest, et formant un canal incliné. Guidés à la lueur des flambeaux à travers ces antiques retraites, nous parcourûmes, avec une admiration qui commandait parmi nous le silence et une sorte de stupéfaction, de longues galeries et deux salles, dont la plus vaste renferme un beau sarcophage. Jamais rien de si grandiose n'avait frappé mes regards, c'est un travail gigantesque qui semble dépasser les efforts humains. 

"l'antique civilisation d'une société sans rivale"
La quantité de matériaux employés à la construction des Pyramides; les difficultés que durent offrir la superposition de ces blocs, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, la durée, la solidité de ces masses inébranlables, aussi peu susceptibles de dégradation que les chaînes de montagnes qui limitent l'Égypte ; les cent mille ouvriers qui y travaillèrent pendant plus d'un siècle, les placent au rang des plus grandes entreprises de l'homme.
Quelle patience, quelle pratique suivie n'a-t-il pas fallu pour diriger, coordonner tant d'immenses détails ! Les Pyramides, quoi qu'on en ait dit, n'en attestent pas moins aux générations présentes, comme elles le témoigneront aux siècles à venir, l'antique civilisation d'une société sans rivale, qui a pu trouver en elle des ressources suffisantes pour faire élever ces vastes nécropoles et des hommes capables de concevoir et de réaliser un semblable projet.

vendredi 19 mai 2017

Les mérites artistique et scientifique de la Grande Pyramide, selon Amand Biéchy (XIXe s.)

Extrait de l’ouvrage Traité élémentaire d'archéologie classique, 1846, par Amand Biéchy (1813-1882).
Cet “agrégé des lycées pour l’enseignement des lettres” est également l’auteur de La Peinture chez les Égyptiens, édité en 1868.
photo d'Antonio Beato, vers 1880
Il existe aujourd'hui encore un assez grand nombre de pyramides dans toute l'Égypte ; mais les plus remarquables par leurs masses sont celles de Ghizé. Là, comme partout, elles sont divisées par groupes symétriques. Ces constructions ont besoin d'être étudiées de près pour être bien appréciées ; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est que lorsque l'on est parvenu à leur base, et que, levant la tête vers leur sommet, on cherche à les embrasser du regard, qu'on peut se faire une idée juste de leur masse et de leur immensité.
Le sol sur lequel repose la grande pyramide de Ghizé est un rocher élevé de près de cent pieds au-dessus du niveau des plus grandes eaux du Nil, et qui forme un solide dont on n'a point trouvé la base à une profondeur de plus de deux cents pieds. Tout autour, et au loin, s'étend le désert, où la présence de l'homme ne se manifeste que par les ossements impitoyablement exhumés de leurs tombeaux. La surface de ce rocher est creusée à une profondeur de cinq pieds huit pouces et demi : c'est dans ce creux que plonge la première assise de la pyramide.

“Bien que quarante siècles aient passé sur ce gigantesque monument, n'a-t-on remarqué en aucun point ni le plus léger écart ni la moindre dégradation”

Les autres assises, au nombre de deux cent deux, s'élèvent successivement sur cette base, et les unes au-dessus des autres, en diminuant de superficie, de manière que chaque assise supérieure laisse tout à l'entour la surface de l'assise immédiatement inférieure à découvert sur une largeur de neuf pouces et demi. La pyramide entière a quatre cent vingt-huit pieds et quelques lignes d'élévation verticale au-dessus du rocher qui porte l'assise inférieure ; mais deux assises manquent au sommet, ce qui portait la hauteur primitive de la pyramide à un peu moins de quatre cent cinquante pieds. La base du monument, qui est quadrangulaire, a sept cent seize pieds et demi de côté ; ce qui donne à la masse entière un volume d'un million quatre cent quarante-quatre mille six cent soixante-quatorze toises cubes. Malgré l'énormité d'une telle construction, le soin le plus minutieux y a présidé jusque dans les moindres détails. Chaque pierre des quatre arêtes est incrustée dans la suivante ; la pierre inférieure, creusée de deux pouces, reçoit une saillie égale de la pierre supérieure, et chaque arête est ainsi liée de toute sa hauteur ; aussi, bien que quarante siècles aient passé sur ce gigantesque monument, n'a-t-on remarqué en aucun point ni le plus léger écart ni la moindre dégradation. À ce mérite artistique la grande pyramide joint un mérite scientifique : elle est exactement orientée, et chacun de ses quatre angles fait face à l'un des quatre points cardinaux. Aujourd'hui même on ne saurait atteindre ce résultat sans de grandes difficultés. Du reste, cette orientation parfaite de la grande pyramide prouve, et ce fait est d'une grande importance pour la physique générale du globe, que, depuis la construction de cet antique monument, la position de l'axe de la terre n'a point varié d'une manière sensible. La grande pyramide est le seul monument connu qui puisse fournir matière à une semblable observation.
À quarante-cinq pieds environ de la base et au niveau de la quinzième assise, la face nord-ouest de cette pyramide est percée d'une ouverture qui donne issue à une galerie par laquelle on pénètre dans deux chambres et à un puits d'une profondeur inconnue, qui se trouvent dans l'intérieur du monument. Il y a lieu de croire que ce puits communique avec la galerie que l'on avait creusée dans et sous le sphinx qui se trouve auprès.

“Il n'y a jamais eu un seul trait d'écriture sur la grande pyramide”

Quant aux inscriptions que les historiens grecs racontent avoir vues sur la grande pyramide, et par lesquelles le roi Chéops, qui la fit construire à une époque anté-historique pour l'Égypte, aurait indiqué le nombre des ouvriers et les sommes qui avaient été employées à ce monument, ces inscriptions n'ont jamais existé : il n'y a jamais eu un seul trait d'écriture sur la grande pyramide, et le sarcophage en granit qui est déposé dans la salle supérieure du monument n'en porte pas lui-même la moindre trace. La haine ardente que Chéops et ceux qui l'imitèrent avaient allumée contre eux dans le cœur de leurs sujets, en les condamnant en masse à travailler à la construction de ces pyramides, eût suffi pour détourner ce prince et les autres rois d'y placer une telle inscription. La grande pyramide, comme toutes les autres, était un tombeau : c'est ainsi qu'à côté de la manifestation la plus éclatante de la puissance humaine se trouvait aussi celle de son néant.

La démonstration de M. de Persigny sur la fonction des pyramides

Il est juste de dire cependant que, dans un ouvrage qu'il vient de publier sur les pyramides d'Egypte, et qui excite, en ce moment, le plus vif intérêt dans le monde scientifique, un savant, M. de Persigny, assigne un autre objet à la construction des pyramides. Il y démontre, par des considérations basées sur les documents les plus récents et les plus authentiques, que la destination funéraire des pyramides est tout-à-fait accessoire ; que ces merveilleuses constructions cachent un grand problème scientifique : qu'elles ont pour fonction de garantir la vallée du Nil de l'invasion des sables du Désert. Toutes, en effet, placées, soit isolément, soit en groupes, à l'entrée des vallées qui, de la région des sables mouvants, débouchent transversalement sur la plaine du Nil, et disposées selon des lois remarquables, elles arrêtent les tourbillons sablonneux, en s'attaquant aux causes mêmes du fléau, c'est-à-dire en présentant au vent du Désert, qui s'engage dans les gorges de la montagne, de grandes surfaces capables d'en modifier la vitesse et d'en amortir assez la violence pour leur ôter la force nécessaire pour soulever les sables du Désert ; de sorte que, loin d'éterniser l'orgueil et la folie des Pharaons, les pyramides seraient, au contraire, un des plus glorieux monuments de la science et de la sagesse des Égyptiens.” 


Sur cet auteur, un autre "morceau choisi", dans l'Égypte entre guillemets :  

"L'architecture égyptienne sut observer des convenances qui avaient échappé au goût d'ailleurs si sûr et si délicat" des Grecs (Amand Biéchy)

jeudi 18 mai 2017

“Les savants sont loin d'être d'accord sur les usages des pyramides” (Émile With - XIXe s.)


Émile With, auteur de ce texte extrait de L'écorce terrestre : les minéraux, leur histoire et leurs usages dans les arts et métiers (1874), était ingénieur civil.
En l’absence d’informations sur cet auteur, contentons-nous de l'éloge qui lui est destiné, sous la plume de Louis Reynaud, dans la préface de l’ouvrage : “Le voyage qu'on fait avec lui, dans les profondeurs de la terre, frappe l'imagination ainsi qu'un conte des Mille et une nuits ou tout autre récit dans lequel le merveilleux entre pour la plus grande part.
illustration extraite de l'ouvrage d'Émile With
Les remblais sont quelquefois des travaux passagers. Ainsi, les pyramides des Égyptiens étaient élevées au moyen de plans inclinés en terre, qu'on prolongeait souvent de plusieurs lieues pour atteindre, sur des pentes douces, le sommet. Les esclaves y traînaient les pierres de taille destinées aux assises en maçonnerie.
(...)
Les pyramides sont les plus anciens monuments arrivés presque intacts jusqu'à nous. Elles datent de trois mille ans avant Jésus-Christ. Elles sont si nombreuses et si gigantesques que l'imagination en demeure frappée ; encore ne sait-on pas combien il y en a d'ensevelies dans les sables du désert.
À l'ouest de l'Égypte, vers le Sahara, on trouve cinq groupes de quarante pyramides, dont sept sont encore parfaitement conservées ; près du Caire, à Djizeh, sont placées les trois plus grandes, auxquelles le roi Chéops a donné son nom. Cent mille esclaves, pendant dix ans, ont tiré des montagnes de l'Arabie Pétrée les pierres nécessaires à l'édification de ces constructions colossales ; l'une d'elles a 146 mètres de hauteur.
Elles sont composées de blocs calcaires avec un retrait symétrique recouvert de pierres taillées en prismes pour former une surface unie. Les galeries intérieures sont en marbre poli, et les murs des chambres en syénite. Au centre de la base se trouve un puits par lequel on descend dans les tombeaux.
Les savants sont loin d'être d'accord sur les usages des pyramides. D'après quelques-uns, elles servaient de phares aux bateliers du Nil lors des inondations de ce fleuve biblique ; orientées astronomiquement, elles formaient les points de repère aux caravanes égarées dans les déserts du Sahara. Leur emplacement était indiqué pendant la nuit par des feux allumés à leur sommet. Les rois conquérants savaient aussi en tirer parti comme stations de signaux.
En continuant à sonder le mystère de leur destination, on vient de découvrir un manuscrit copte d'après lequel les pyramides, ou plutôt la forme pyramidale, était exclusivement affectée aux tombeaux des rois. Le nombre des bonnes ou des mauvaises actions de ces hauts personnages déterminait les dimensions de leur dernière demeure. À en juger par le mérite général de tous les hommes, il doit exister plus de petites pyramides que de grandes. Il en est effectivement ainsi ; en comptant leur nombre et en mesurant leurs dimensions, on aura le chiffre exact de la valeur morale des souverains qui ont gouverné l'Égypte, et dont les noms sont inscrits sur la base de ces curieux monuments.