samedi 20 mai 2017

Les pyramides du plateau de Guizeh, placées “au rang des plus grandes entreprises de l'homme”, selon Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (XIXe s.)


Le Français Jean-Baptiste Apollinaire Lebas (13 août 1797 - 12 janvier 1873) était ingénieur de la Marine. Il fut chargé de ramener un obélisque de Louxor et de l’ériger sur la Place de la Concorde à Paris, le 25 octobre 1836.
Le texte qui suit est extrait de l’ouvrage qu’il consacra à cette fantastique aventure humaine et technique L'obélisque de Luxor : histoire de sa translation à Paris, description des travaux auxquels il a donné lieu, 1839
photo de Francis Frith (1859)
Le 30 juillet (1831) au soir, la flottille appareilla de Boulac pour la Haute-Égypte. Nous allions enfin atteindre le but désiré ; c'est alors que, rassuré par la présence des cawas qui montaient quatre de nos bateaux, je me décidai à faire une rapide excursion jusqu'aux pyramides de Giseh.
Ces monuments, dont l'aspect est si grandiose, si imposant lorsqu'on les aperçoit des bords du fleuve, perdent de leur grandeur et de leur proportion à mesure qu'on gravit le plateau sur lequel ils sont posés. La raison en est, que leurs formes rentrantes et anguleuses les dissimulent à l'œil, et qu'après avoir traversé la zone cultivable, on ne trouve plus aucun objet qui puisse servir de termes de comparaison. Quoi qu'il en soit, le jugement s'égare en présence de ces masses régulières qui s'élèvent au milieu d'un vaste désert.
Mais si l'on énumère le nombre (203) d'assises en grosses pierres qui constituent chacun de ces immenses escaliers pyramidaux, si l'on compare la hauteur de la marche moyenne à la taille d'un homme ordinaire, si l'on réfléchit que vu à une petite distance, le sommet paraît se terminer en pointe, tandis qu'il offre en réalité une surface équivalant à quarante mètres carrés, alors toute l'attention se porte sur des dimensions insolites que l'imagination seule peut embrasser, et qui, appréciées à leur valeur positive, et réduites en chiffre, donneront pour le côté de la base 233 mètres, pour hauteur totale 146 mètres, et pour le volume 2.662.628 mètres cubes.
Nous pénétrâmes dans l'intérieur de la plus grande pyramide par une ouverture pratiquée au tiers environ de la face ouest, et formant un canal incliné. Guidés à la lueur des flambeaux à travers ces antiques retraites, nous parcourûmes, avec une admiration qui commandait parmi nous le silence et une sorte de stupéfaction, de longues galeries et deux salles, dont la plus vaste renferme un beau sarcophage. Jamais rien de si grandiose n'avait frappé mes regards, c'est un travail gigantesque qui semble dépasser les efforts humains. 

"l'antique civilisation d'une société sans rivale"
La quantité de matériaux employés à la construction des Pyramides; les difficultés que durent offrir la superposition de ces blocs, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, la durée, la solidité de ces masses inébranlables, aussi peu susceptibles de dégradation que les chaînes de montagnes qui limitent l'Égypte ; les cent mille ouvriers qui y travaillèrent pendant plus d'un siècle, les placent au rang des plus grandes entreprises de l'homme.
Quelle patience, quelle pratique suivie n'a-t-il pas fallu pour diriger, coordonner tant d'immenses détails ! Les Pyramides, quoi qu'on en ait dit, n'en attestent pas moins aux générations présentes, comme elles le témoigneront aux siècles à venir, l'antique civilisation d'une société sans rivale, qui a pu trouver en elle des ressources suffisantes pour faire élever ces vastes nécropoles et des hommes capables de concevoir et de réaliser un semblable projet.