jeudi 10 août 2017

“Leur architecture, tant intérieure qu'extérieure, est bien différente, soit pour la matière, soit pour la grandeur, soit pour la distribution” (Victor Delpuech de Comeiras - XVIIIe s. - à propos des pyramides de Guizeh)

Le texte ci-dessous est extrait de cet ouvrage : Abrégé de l'histoire générale des voyages, contenant ce qu'il y a de plus remarquable, de plus utile et de mieux avéré dans les pays où les voyageurs ont pénétré ; les moeurs des habitants, la religion, les usages, arts et sciences, commerce, manufactures, 1802
Son auteur, Victor Delpuech de Comeiras (1733-1805), était abbé de Sylvanès et vicaire général de Beauvais. Dans leur Biographie universelle, ancienne et moderne, Joseph Fr. Michaud et Louis Gabriel Michaud, qualifient ce géographe de l’ “un des plus mauvais et des plus inhabiles compilateurs”. Et d’ajouter, pour compléter ce tableau peu flatteur : “Il y a lieu de présumer que la révolution, l’ayant privé de son état, l’avait forcé de travailler pour les libraires : il leur en donnait pour leur argent.

Illustration extraite de la Description de l'Égypte - 1809
“Les pyramides ne sont pas fondées dans des plaines ; mais sur le roc, au pied des hautes montagnes qui accompagnent le Nil dans son cours , et qui font la séparation entre l'Égypte et la Libye.
Elles ont toutes été élevées dans la même intention, c'est-à-dire pour servir de sépulture ; mais leur architecture, tant intérieure qu'extérieure, est bien différente, soit pour la matière, soit pour la grandeur, soit pour la distribution.
Quelques-unes sont ouvertes ; d'autres ruinées, et la plus grande partie est fermée ; mais il n'y en a point qui n'ait été endommagée dans quelqu'une de ses parties.
On conçoit aisément qu'elles n'ont pu être élevées dans le même temps. La prodigieuse quantité de matériaux qu'il fallait employer en démontre l'impossibilité. La perfection dont les dernières sont fabriquées le démontre pareillement : car elles surpassent de beaucoup les premières et en grandeur et en magnificence. Tout ce qu'on peut avancer de plus positif, c'est que leur fabrique est de l'antiquité la plus reculée, et qu'elle remonte même au-delà des temps dont les plus anciens historiens nous ont transmis le souvenir. On avait déjà perdu l'époque de leur commencement, dans le temps que les premiers philosophes grecs voyagèrent en Égypte.

Il règne parmi le peuple qui habite aujourd'hui l'Égypte une tradition qui veut qu'il y ait eu anciennement dans le pays des géants, et que ce furent eux qui élevèrent, sans beaucoup de peine, les pyramides, les vastes palais et les temples, dont les restes causent notre admiration. Cette fable ne mérite guère d'être réfutée.

Les principales pyramides, situées auprès du Caire, sont à l'est-sud-est de Gizé, village situé sur la rive occidentale du Nil ; et, comme plusieurs auteurs ont prétendu que la ville de Memphis était bâtie dans cet endroit, cela est cause qu'on les appelle communément les “pyramides de Mimphis”.
Il y en a quatre qui méritent la plus grande attention des curieux ; car, quoiqu'on en voie sept à huit autres aux environs, elles ne sont rien en comparaison des premières, surtout depuis qu'elles ont été ouvertes, et presqu'entièrement ruinées. Les quatre principales sont sur une seule ligne diagonale, et distante l'une de l'autre d'environ quatre cents pas. Leurs quatre faces répondent précisément aux quatre points cardinaux, le nord , le sud, l'est et l'ouest.
Les deux pyramides les plus septentrionales sont les plus grandes, et ont cinq cents pieds de hauteur perpendiculaire. Les deux autres sont bien moindres ; mais elles ont quelques particularités, qui sont cause qu'on les examine et qu'on les admire.

Les pyramides sont élevées sur le roc, au pied des montagnes ; le roc ne s'étant pas trouvé partout égal, on a aplani avec le ciseau, comme on le découvre en plusieurs endroits. Cette plaine artificielle a un talus du côté du nord et du côté de l'orient. Quoiqu'elle soit un roc continuel, elle est pourtant presque partout couverte d'un sable volant, que le vent y apporte des hautes montagnes des environs.

La plus septentrionale de ces grandes pyramides est la seule qui soit ouverte. Il faut en être bien près, et, pour ainsi dire, mesurer sa propre grandeur avec elle, pour pouvoir discerner l'étendue de cette masse énorme. Elle est, ainsi que les autres tant grandes que petites, sans fondements artificiels : la nature les lui fournit par Ie moyen du roc, qui en lui-même est assez fort pour supporter ce poids , qui véritablement est immense.
L'extérieur de la pyramide est pour la plus grande partie construit de grandes pierres carrées, taillées dans le roc qui est le long du Nil, et où l'on voit encore aujourd'hui les grottes d'où on les a tirées. La grandeur de ces pierres n'est pas égale ; mais elles ont toutes la figure d'un prisme.
Ces pierres ne sont pas à beaucoup près si dures qu'on pourrait l'imaginer. Puisqu'elles ont subsisté si longtemps, elles doivent proprement leur conservation au climat où elles se trouvent, qui n'est pas sujet à des pluies fréquentes : malgré cet avantage, on observe principalement, du côté du nord, qu'elles sont vermoulues. Leurs diverses assises extérieures ne sont jointes que par le propre poids des pierres, sans chaux, sans plomb et sans ancres d'aucun métal ; mais, quant au corps de la pyramide qui est rempli de pierres irrégulières, on a été obligé d'y employer un mortier mêlé de chaux de terre et d'argile. On le remarque clairement à l'entrée du second canal de cette première pyramide, qu'on a forcée pour l'ouvrir.
Celle que je décris est à trois heures de chemin du vieux Caire ; son entrée est du côté du nord : cette ouverture conduit successivement à cinq différents canaux qui, quoique courant en haut et en bas et horizontalement, vont pourtant tous vers le midi, et aboutissent à deux chambres, l'une au-dessus, et l'autre au milieu de la pyramide.

Tous ces canaux, à l'exception du quatrième, sont presque d'une même grandeur, savoir de trois pieds et demi en carré ; ils sont tous aussi d'une même fabrique, et revêtus des quatre côtés de grandes pierres de marbre blanc ; tellement polies qu'elles seraient impraticables sans l'artifice dont on s'est servi. Quoiqu'un y trouve présentement de pas en pas de petits trous où l'on peut placer les pieds, ce n'est pas sans beaucoup de peine qu'on avance. Celui qui fait un faux pas doit s'attendre qu'il retournera à reculons, malgré lui jusqu'à l’endroit d'où il est parti.
Quand on a passé les deux premiers canaux, on rencontre un reposoir qui a, à main droite, une ouverture pour un petit canal ou puits, dans lequel on ne rencontre que des chauves-souris.
Le troisième canal mène à une chambre d'une grandeur médiocre, remplie de pierres qu'on a tirées de la muraille, pour y ouvrir un autre canal qui aboutit, près de-là, à une niche.
Le quatrième canal est pourvu de banquettes de chaque côté ; il est très haut, et a une voûte presque en dos d’âne.
Le cinquième canal conduit jusqu'à la chambre supérieure, revêtue et couverte, comme la précédente, de grandes pierres de granit. On trouve au côté gauche une grande urne : cette pièce est fort bien creusée, sonne comme une cloche, quand on la frappe avec une clef.
Les trois autres grandes pyramides sont situées presque sur la même ligne que les précédentes, et sont à environ cinq ou six cents pas l'une de l'autre.”