jeudi 1 juillet 2010

De Hawara à Guizeh : le récit de William George Browne (XVIIIe-XIXe s.)

Le voyageur William George Browne (1768-1813) a séjourné cinq années en Égypte (1792-1797). Durant ce séjour, il effectua un long périple qui le conduisit jusqu'au Darfour (actuellement : au Soudan), puis au Nil Blanc. Contrairement à ce qui est affirmé dans le titre de l'ouvrage cité ci-dessous, il ne fut pas le premier Européen à pénétrer cette région, car il y avait été précédé par le médecin français Poncet et James Bruce (auquel sera consacrée une prochaine note de ce blog).
Le texte qui suit est extrait du premier tome de la traduction de son ouvrage Nouveau voyage dans la Haute et Basse Égypte, la Syrie, le Dar-Four, où aucun Européen n'avait pénétré, fait depuis les années 1792 jusqu'en 1798, T.1, 1800, traduit de l'anglais par J. Castéra (titre anglais : Travels in Africa, Egypt and Syria).
Dans son livre Le Voyage en Égypte (Robert Laffont, collection Bouquins, 2004), Sarga Moussa écrit au sujet de W. G. Browne : " Ses descriptions sont très sèches, et son Voyage reste surtout comme un jalon important dans l'histoire de l'exploration de l'Afrique. (...) Browne n'est pas un voyageur érudit, mais il a une certaine culture." (op.cit. pp. 980-981)
Quelle que fût l'étendue de sa "culture", le voyageur se permit de relativiser la place réelle des ouvrages savants écrits sur l'Égypte (des ouvrages pas "à la portée de tout le monde"), pour faire place à sa propre lecture du terrain.
L'entreprise était généreuse, idéaliste même sous certains aspects. Il faut toutefois reconnaître que, au vu de la description que l'auteur proposa des pyramides, l'on reste sur sa faim. Il nous reste donc à porter notre attention sur certains détails de ce bref récit (j'en ai souligné certains), dont le mérite, et non des moindres, est qu'ils traduisent une observation personnelle, émancipée, en quelque sorte, des leçons magistrales ou "conjectures" que de trop nombreux voyageurs se complaisaient à ressasser indéfiniment... 


"On a publié un très grand nombre d'ouvrages sur l'Égypte, mais il n'en est aucun en Angleterre qui soit à la portée de tout le monde. Ceux de Pococke et de Norden sont précieux pour ce qui a rapport aux antiquités, et aucun autre ne pourrait les remplacer, mais leur format et leur cherté les empêchent d'être très répandus. 
Le livre de Niebuhr est assez connu sans que j'en fasse l'éloge, mais le voyage de Niebuhr était l'Arabie et il n'a parlé de l'Égypte qu'incidemment. Les ouvrages de Volney et de Savary sont entre les mains du public, et je me garderai bien de blâmer le jugement qu'on en a porté. Le talent distingué du premier de ces écrivains est judicieusement apprécié ; mais il a vu l'Orient d'un œil peu favorable, et il a parlé de l'Égypte d'une manière totalement différente de la mienne. (...)
On ne peut pas apprendre grand-chose au Caire. Un voyageur y séjourne quelquefois plusieurs mois de suite sans parvenir à se faire une idée juste du pays et des habitants. Les Européens qui y sont, pour ainsi dire, renfermés comme des prisonniers, s'occupent des avantages de leur commerce et consacrent le reste de leur temps à se distraire entre eux du désagrément de vivre dans un si triste séjour. D'ailleurs, la plupart de ceux qu'on y trouve sont hospitaliers et bienveillants, mais non pas propres à généraliser leurs idées, et à profiter de ce que le hasard leur donne souvent occasion d'apprendre. (...)


Pyramide de Hawara - photo de Gérard Ducher (Wikimedia commons)
En partant de Feïoum nous dirigeâmes notre marche au sud-est. On voit à Hawara deux petites pyramides bâties de briques cuites au soleil, ainsi qu'un second passage à travers les montagnes. La plaine qui s'étend de Feïoum jusqu'au Nil est très bien cultivée. J'y vis beaucoup de froment qui commençait à pousser. 
Illahon est une ville ou plutôt un grand village, dont les habitants sont presque tous occupés à cultiver la terre. Nous traversâmes le Bahr Bila-Ma (1) qui est un canal très large ; et plus loin nous trouvâmes le Bathen creux, long et profond, qu'on croit être ce lac artificiel, ce fameux Mœris d'Hérodote et de Diodore de Sicile. 
De retour à Bedis, nous nous remîmes en route le lendemain, et nous nous rendîmes aux pyramides de Daschour. Il y en a cinq, indépendamment de celles de Sakarra. La troisième qui se trouve après celles d'Hawara, dont j'ai parlé plus haut, est celle de Medoun. Elle est très élégante et d'une forme singulière. La voici :

Cette pyramide est en pierres de taille ordinaires jointes par un peu de ciment, et posées carrément. Il serait à présent très difficile de monter au haut de la pyramide qui est pourtant très large, parce que probablement le sommet en a été abattu. 
On a ôté beaucoup de pierres de cet édifice, du côté qui se trouve en face du nord ; de sorte qu'on peut en voir l'intérieur qui n'est nullement dégradéOn a prétendu que la base de la pyramide était un rocher naturel, mais c'est une erreur qui provient de ce qu'une partie de cette base est cachée par le sable. En écartant ce sable, qui s'élève principalement vers le milieu, on distingue aisément les pierres et le ciment jusques au fond ainsi que les angles de la pyramide. 
Les pyramides de Daschour sont au nombre de quatre. Il y en a deux grandes et deux petites. La quatrième, qui est la plus au sud, a la forme d'un cône, et son sommet est triangulaire et très endommagé. On n'y voit, non plus que dans les autres, aucune apparence de cellule. Le placement des pierres n'est point dirigé vers le centre comme dans la grande pyramide de Jizé. Les quatre côtés de tous ces édifices font face aux quatre points cardinaux.
Non loin de là il y a deux autres petites pyramides, l'une de briques cuites au soleil, l'autre de pierres, mais ces deux-la n'ont point été achevées. 
Il y a Sakarra un grand nombre de pyramides, dix desquelles sont très grandes. Quelques-unes des petites sont difficiles à distinguer des montagnes de sable, et d'autres sont presque entièrement détruites parce qu'on en a pris les matériaux pour bâtir au Caire, à Jizé et ailleurs. 
Les deux plus grandes pyramides sont à environ deux heures de marche de Jizé. Presque tous les Européens qui ont voyagé en Égypte les connaissent. J'ai mesuré celle qui a été ouverte. En voici les dimensions :


Les galeries et la grande chambre sont dans une direction précisément nord et sud, en admettant la variation de l'aiguille aimantée. Le premier passage en descendant :


Il s'est manifesté depuis peu une singulière opinion : c'est que les pyramides ont été taillées dans le roc sur lequel elles sont placées, mais la seule inspection de ces monuments suffit pour en donner une autre idée ; car on y voit partout les pierres jointes avec du ciment. Il est donc inutile de s'arrêter plus longtemps sur une si futile conjecture
L'intérieur de la chambre de la pyramide dont je viens de donner les dimensions, est revêtu de granit, et le sarcophage qu'elle contient est de la même matière, mais le corps entier de cette pyramide, et de la plupart des autres est de pierres de taille bleuâtres, peu dures, et remplies de débris de coquillages. Les rochers qui servent de bases à ces édifices, sont de la même qualité."


Source : Gallica
(1) Littéralement :"le fleuve sans eau" (note MC)

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