Dans une autre note, j’ai extrait du Grand dictionnaire universel Larousse du XIXe siècle, édité de 1866 à 1877, le rapide survol historique des théories consacrées aux pyramides d’Égypte, d’Hérodote aux historiens arabes.
La seconde partie de cet article du Dictionnaire suit à la trace certains auteurs plus modernes qui se sont lancés dans des conjectures ou hypothèses plus ou moins cohérentes sur la construction et la destination des pyramides de Guizeh.
L’un de ces auteurs a droit à un traitement “de faveur”, à savoir Piazzi Smyth (Smith), dont l’argumentaire est démonté point par point, sur un ton qui surprend dans un ouvrage tel qu’un grand dictionnaire. Délaissant l’analyse froide et impartiale de l’inventaire des théories, les auteurs des commentaires “se lâchent” et y vont franco, adoptant le style de l’humour grinçant pour taxer Piazzi Smyth de”mystification”.
Puis de conclure sur son sort en des termes qui seraient sans doute applicables, en certains cas, encore aujourdhui : “C'est de l'hallucination à haute pression et pyramidale. Et cela a l'immense inconvénient de fausser l'esprit de ceux qui croient parce que c'est écrit.”
“D'après quelques auteurs qui se sont lancés dans des hypothèses gratuites, les pyramides n'auraient point été construites par les anciens Égyptiens ; elles auraient été l'œuvre d'une civilisation plus ancienne, détruite par quelque cataclysme géologique, un immense déluge, suivant les uns, une chute d'aérolithes ou d'un astre tout entier sur la terre, suivant d'autres ; parmi ces derniers, qui ont fondé leur système astronomique sur une prétendue chute du ciel, nous citerons Espiard de Colonge.
Les historiens arabes ou coptes, Armélius, Abumazar et Murtadi, prétendent avoir découvert dans des papyrus trouvés sur des momies plusieurs récits se rapportant à la construction des pyramides. Nous citerons celui-ci : “En ce temps-là, Souryd, fils de Sahlouk, roi d'Égypte, songea qu'il voyait un vaste corps céleste choir sur la terre en y répandant les ténèbres et faire en tombant des bruits horribles, épouvantables ; puis les populations décimées de cette contrée ne savoir ni par où ni comment se sauver de la chute des pierres et de l'eau chaude et puante qui tombait en même temps. Ces événements devaient se passer quand le Cœur du Lion serait arrivé à la première minute de la Tête du Cancer. Le roi Souryd ordonna la construction des pyramides.”
Les partisans du système de la chute du ciel prennent ce récit au sérieux ; ils vont même plus loin, puisqu'ils affirment que la lune aurait, dans sa rencontre avec la terre, sinon heurté, du moins couvert de pierres l'ancienne Égypte, pays que les pyramides n'auraient pas réussi à préserver. L'ancienne civilisation égyptienne aurait été anéantie. Ce système, qui ne repose sur rien de sérieux, rentre dans le pur domaine de la fantaisie.
L'hypothèse d'un déluge qui aurait détruit la civilisation inconnue dont les pyramides d'Afrique et d'Amérique seraient des échantillons n'est guère plus sérieuse. Voici le résumé des arguments opposés à Hérodote et aux écrivains grecs par les partisans de ce système, qui considèrent les pyramides comme antérieures aux derniers cataclysmes géologiques : “Elles furent, disent-ils, le travail de plusieurs générations d'un grand peuple très civilisé, très savant et qui ne ressemble en rien à la population actuelle de l'Égypte, ni à celle dont Hérodote croit pouvoir porter le chiffre à 6.000.000 d'habitants, chiffre assurément très exagéré. L'ancienne terre d'Égypte, avant son engloutissement, devait nourrir plusieurs centaines de millions d'habitants et posséder des machines d'une grande puissance et des outils d'une grande perfection, pour avoir pu mener à fin des travaux aussi gigantesques que les quinze ou vingt pyramides plus ou moins enfouies, qui existent encore ; car, d'après le rapport des savants de l'expédition d'Égypte, la seule pyramide de Chéops, si on voulait l'entreprendre aujourd'hui, emploierait plusieurs centaines de mille ouvriers, plusieurs millions de mètres cubes de pierre taillée et plusieurs milliards de francs. L'Europe tout entière, malgré ses ressources de toutes sortes, n'oserait aujourd'hui entreprendre un travail semblable aux seules pyramides. Et encore, n'oublions pas que, étant en contre-bas d'une profondeur peut-être égale à leur hauteur découverte, leur dimension cubique prend des proportions telles qu'on n'ose y songer.”
La prodigieuse puissance et la science que paraît avoir nécessitées la construction des pyramides ont été un sujet d'étonnement pendant des siècles. Il se pourrait cependant que ces pyramides aient été construites de la manière la plus simple du monde et sans le secours de la science. “Je suis étonné autant que personne, dit Letronne, de la patience et de l'adresse que les Égyptiens ont déployées en ces occasions (dans la construction de leurs monuments), mais j'ai toujours été fort éloigné de leur attribuer, comme on l'a fait souvent, une mécanique aussi perfectionnée, pour le moins, que celle des modernes. S'ils avaient possédé de telles ressources, les Grecs en auraient eu connaissance, eux qui, depuis Psammitique, parcouraient librement l'Égypte, et qui furent les témoins des immenses travaux de ce prince et de ses successeurs. Or, que la mécanique des Grecs fût encore à cette époque dans l'enfance, cela résulte du moyen grossier qu'employa Chersiphron, l'architecte du premier temple d’Éphèse, commencé au temps de Crésus et d'Amasis. N'ayant point de machine pour élever les énormes architraves de ce temple à la grande hauteur où elles devaient être portées, il fut réduit à enterrer les colonnes au moyen de sacs de sable formant un plan incliné, sur lequel les architraves étaient roulées à force de bras. Ce passage de Pline est une autorité historique en faveur de l'usage que les Égyptiens eux-mêmes faisaient du plan incliné pour porter les lourds fardeaux à un niveau élevé, car il est impossible que, s'ils avaient eu un moyen plus perfectionné et moins pénible, les Grecs de ce temps ne l'eussent point connu. C'est à l'aide de ce procédé que purent être élevés facilement les blocs des colonnes de la salle hypostyle de Karnak, qui ont 21 mètres de hauteur et 10 mètres de tour, ainsi que leurs énormes architraves. On enterrait toutes les colonnes à mesure qu'elles s'élevaient, et l'on allongeait graduellement le plan incliné ou l'on en multipliait les rampes, selon le besoin. Une application du même procédé, c'est-à-dire un plan incliné en spirale, à peu près tel que l'avait conçu Huyot, a fourni le moyen de dresser les obélisques, et cela sans autre secours, Comme chez les Indiens d'aujourd'hui (Letronne oublie que depuis un grand nombre de siècles, les Indiens ne construisent plus de pyramides ni d'obélisques), que celui des leviers et d'une multitude de bras habilement combinés. C'est ainsi que Rhamsès avait employé 120.000 hommes pour dresser un des obélisques de Thèbes, fait qui lui seul annoncerait l’extrême imperfection ou plutôt l’absence totale de moyens mécaniques. Et, en effet, dans aucune peinture égyptienne on n'aperçoit ni poulies, ni moufles, ni cabestans, ni machines quelconques. Si les Égyptiens en avaient eu l'usage, on en trouverait la trace dans un bas-relief d'Osortasen, qui nous représente le transport d'un colosse. On le voit entouré de cordages et tiré immédiatement par plusieurs rangées d'hommes attachés à des câbles ; d'autres portent des seaux pour mouiller les cordes et graisser le sol factice sur lequel le colosse est traîné. La force tractive de leurs bras était concentrée dans un effort unique au moyen d'un chant ou d'un battement rythmé qu'exécutait un homme monté sur les genoux du colosse. Si 1.000 hommes ne suffisaient pas, on en prenait 10.000 ou tout autant qu'on en pouvait réunir sur un point et pour une action. Ce bas-relief remarquable fait tomber bien des préjugés, en nous montrant que la mécanique des Égyptiens, comme cette des Indiens actuels et des Mexicains, qui, sous Montezuma, transportaient des masses énormes sans machines d'aucune sorte, a dû consister dans l'emploi de procédés très simples, indéfiniment multipliés et coordonnés habilement par une longue habitude de remuer de très lourdes masses.”
D’après Letronne, M. Prisse aurait vu à Thèbes les restes d'un plan incliné qui a servi à élever les énormes pierres d'un des pylônes de Karnak, ce qui permettrait de supposer que les pyramides ont été élevées à l’aide du même procédé.
Les anciens avaient émis diverses opinions sur la destination véritable ou probable des pyramides. Les modernes se sont livrés, sur le même sujet, à une foule de conjectures plus ou moins étranges.
Fialin, qui devint sous le second Empire duc de Persigny, dans un ouvrage intitulé De la destination et de l'utilité permanente des pyramides d'Égypte (1843), a vu dans les pyramides d'Égypte des digues destinées à s'opposer à l'irruption des vents du désert et à arrêter les sables qu'ils entraînent.
D'autres en ont fait des observatoires, sans songer que leur revêtement extérieur n'eût pas permis de les gravir et que la réunion de plusieurs édifices semblables sur un espace de peu d'étendue détruisait cette assertion, lorsque d'ailleurs des montagnes plus élevées, situées non loin de là, devaient mieux convenir à cet usage.
Certains, plus imaginatifs encore, en ont fait les greniers d'abondance de Joseph ; d'autres, enfin, le symbole de certaines croyances mystiques et le centre des initiations et de diverses cérémonies mystérieuses. Mahmoud-Bey, astronome du vice-roi d'Égypte, a communiqué en 1862 à l'Académie des sciences le résultat de ses recherches sur cette question : “Trois mille trois cents ans avant J.-C., dit-il, l'Étoile Sirius passait au méridien de Giseh. Les Égyptiens en furent si ravis qu'ils se mirent aussitôt à construire ces immenses pyramides, pour célébrer et consacrer à jamais cet heureux événement.”
Sérieusement, est-il admissible, si amateur ou si amoureux qu'il soit d'astronomie, qu'un peuple ait eu seulement l'idée de pareils travaux dans le but de consacrer une date qui n'intéressait en rien ni ce peuple ni les autres peuples de la terre.
Un autre système, non moins étourdissant, quoique plus récent (il est de 1867, mais plusieurs des idées de Dupuis, de Jomard et d'autres savants s'y trouvent rééditées), est l'œuvre de M. Piazzi Smith, astronome royal d'Écosse, directeur de l'observatoire d'Edimbourg. Ce savant, après avoir consacré quatre mois de sa vie à l'étude de la grande pyramide, a fini par accoucher de ce système :
1° Que la grande pyramide a été construite dans le dessein de fixer un système de poids et mesures pour servir à tout le genre humain. (Alors, pourquoi en avoir édifié quinze ou vingt autres ? Une seule devait suffire, il nous semble. C'était encore bien de la peine, bien du temps, bien des dépenses pour peu de chose, quand on songe qu'une règle de 1 mètre nous a suffi pour donner au monde le système décimal complet.)
2° Que l'unité linéaire de la grande pyramide est fondée sur la longueur du demi-grand axe de rotation de la terre dont elle est la dix-millionième partie. (Comment donc pouvaient le savoir ces anciens qui ne connaissaient pas l'étendue ni la forme de notre globe ?)
3° Que ladite grande pyramide donne en même temps le pouce (voila qui s'éloigne un peu du système décimal) et la longueur du côté d'un are. (Nous sommes persuadé qu'elle donnerait encore bien d'autres choses si on voulait se donner la peine de les lui demander.)
4° Qu'on y trouve la longueur d'une coudée, qui répond à l'ancienne aune de Prusse. (Qu’est-ce que la Prusse vient faire là ? La Prusse, un État tout moderne ! Voudrait-on faire remonter son origine aux pyramides ?)
5° Que l'unité de poids et de capacité de la grande pyramide est établie sur 1 unité linéaire précédente combinée avec la densité de la terre. (La science actuelle en étant encore réduite aux suppositions, aux approximations sur la densité de la terre, on se demande comment les Égyptiens du temps des Pharaons et des Hébreux ont pu en avoir une connaissance aussi exacte ?)
6° Que l'unité de chaleur de la grande pyramide est la température moyenne de toute la surface de la terre. (Comment peut-on savoir que les Égyptiens des Pharaons la connaissaient, cette unité de chaleur, puisqu'on ne la connaît pas encore à notre époque ?)
7° Que l'unité de temps et la division de la semaine en sept jours s'y trouvent aussi représentées. (Cet astronome, qui se paye toutes les audaces, n'y aurait-il pas trouvé aussi la semaine des quatre jeudis ? ...)
8° Enfin, que la grande pyramide était l'œuvre des Hébreux, appartenant à une période inspirée et à l'époque des anciens patriarches. (Toujours du mysticisme ! N'est-ce pas le cas de se demander si mysticisme ne vient pas de mystification ou mystification de mysticisme ?)
C'est de l'hallucination à haute pression et pyramidale. Et cela a l'immense inconvénient de fausser l'esprit de ceux qui croient parce que c'est écrit.
L'opinion la moins invraisemblable et la plus accréditée est celle qui envisage les pyramides comme de vastes tombeaux. On a trouvé des sarcophages dans les petites pyramides. De plus, dans des contrées autres que l'Égypte on a également construit des tombeaux en forme de pyramides. L'analogie permettrait de supposer que les grandes pyramides étaient destinées à cet usage. Mais,sans parler ici de l'opinion diamétralement contraire d'Hérodote, il est à remarquer que les grandes pyramides de Gizeh ne contiennent ni sarcophages ni momies. On peut dire, il est vrai, que ces sarcophages et momies ont été tous enlevés par les Arabes ; mais la difficulté est loin d'être résolue et elle ne le sera peut-être que quand les pyramides auront été complètement déblayées des sables qui en obstruent la base et visitées de fond en comble.
“Il reste toujours à expliquer, dit Jomard, qui paraît disposé à voir dans les grandes pyramides égyptiennes des monuments religieux plutôt que des tombeaux, dans cette unique destination (celle de tombeau) attribuée à la grande pyramide, non pas seulement pourquoi une si prodigieuse accumulation de pierres, mais pourquoi toutes ces galeries, tout ce luxe de construction de chambres et de canaux, enfin ce puits dont on ignore l'issue ou l'extrémité inférieure... Tout est mystérieux, je le répète, dans la construction et la distribution du monument : les canaux obliques, horizontaux, coudés, de dimensions différentes ; le puits si étroit; les vingt-cinq mortaises pratiquées sur les banquettes de la galerie haute ; cette grande galerie élevée, suivie d'un couloir extrêmement bas ; ces trois travées singulières qui précèdent la chambre centrale, et leur forme, leurs détails, sans analogie avec rien de ce que l'on connaît ; l'énorme bloc de granit suspendu au milieu de l'une d'elles ; tout, jusqu'à ces cavités profondes et étroites qui ont leur issue dans les parois de la salle centrale ; enfin, la chambre inférieure à celle du roi.”
Source : Gallica
Première partie de cette note
La seconde partie de cet article du Dictionnaire suit à la trace certains auteurs plus modernes qui se sont lancés dans des conjectures ou hypothèses plus ou moins cohérentes sur la construction et la destination des pyramides de Guizeh.
L’un de ces auteurs a droit à un traitement “de faveur”, à savoir Piazzi Smyth (Smith), dont l’argumentaire est démonté point par point, sur un ton qui surprend dans un ouvrage tel qu’un grand dictionnaire. Délaissant l’analyse froide et impartiale de l’inventaire des théories, les auteurs des commentaires “se lâchent” et y vont franco, adoptant le style de l’humour grinçant pour taxer Piazzi Smyth de”mystification”.
Puis de conclure sur son sort en des termes qui seraient sans doute applicables, en certains cas, encore aujourdhui : “C'est de l'hallucination à haute pression et pyramidale. Et cela a l'immense inconvénient de fausser l'esprit de ceux qui croient parce que c'est écrit.”
Photo Marc Chartier
Les historiens arabes ou coptes, Armélius, Abumazar et Murtadi, prétendent avoir découvert dans des papyrus trouvés sur des momies plusieurs récits se rapportant à la construction des pyramides. Nous citerons celui-ci : “En ce temps-là, Souryd, fils de Sahlouk, roi d'Égypte, songea qu'il voyait un vaste corps céleste choir sur la terre en y répandant les ténèbres et faire en tombant des bruits horribles, épouvantables ; puis les populations décimées de cette contrée ne savoir ni par où ni comment se sauver de la chute des pierres et de l'eau chaude et puante qui tombait en même temps. Ces événements devaient se passer quand le Cœur du Lion serait arrivé à la première minute de la Tête du Cancer. Le roi Souryd ordonna la construction des pyramides.”
Les partisans du système de la chute du ciel prennent ce récit au sérieux ; ils vont même plus loin, puisqu'ils affirment que la lune aurait, dans sa rencontre avec la terre, sinon heurté, du moins couvert de pierres l'ancienne Égypte, pays que les pyramides n'auraient pas réussi à préserver. L'ancienne civilisation égyptienne aurait été anéantie. Ce système, qui ne repose sur rien de sérieux, rentre dans le pur domaine de la fantaisie.
L'hypothèse d'un déluge qui aurait détruit la civilisation inconnue dont les pyramides d'Afrique et d'Amérique seraient des échantillons n'est guère plus sérieuse. Voici le résumé des arguments opposés à Hérodote et aux écrivains grecs par les partisans de ce système, qui considèrent les pyramides comme antérieures aux derniers cataclysmes géologiques : “Elles furent, disent-ils, le travail de plusieurs générations d'un grand peuple très civilisé, très savant et qui ne ressemble en rien à la population actuelle de l'Égypte, ni à celle dont Hérodote croit pouvoir porter le chiffre à 6.000.000 d'habitants, chiffre assurément très exagéré. L'ancienne terre d'Égypte, avant son engloutissement, devait nourrir plusieurs centaines de millions d'habitants et posséder des machines d'une grande puissance et des outils d'une grande perfection, pour avoir pu mener à fin des travaux aussi gigantesques que les quinze ou vingt pyramides plus ou moins enfouies, qui existent encore ; car, d'après le rapport des savants de l'expédition d'Égypte, la seule pyramide de Chéops, si on voulait l'entreprendre aujourd'hui, emploierait plusieurs centaines de mille ouvriers, plusieurs millions de mètres cubes de pierre taillée et plusieurs milliards de francs. L'Europe tout entière, malgré ses ressources de toutes sortes, n'oserait aujourd'hui entreprendre un travail semblable aux seules pyramides. Et encore, n'oublions pas que, étant en contre-bas d'une profondeur peut-être égale à leur hauteur découverte, leur dimension cubique prend des proportions telles qu'on n'ose y songer.”
La prodigieuse puissance et la science que paraît avoir nécessitées la construction des pyramides ont été un sujet d'étonnement pendant des siècles. Il se pourrait cependant que ces pyramides aient été construites de la manière la plus simple du monde et sans le secours de la science. “Je suis étonné autant que personne, dit Letronne, de la patience et de l'adresse que les Égyptiens ont déployées en ces occasions (dans la construction de leurs monuments), mais j'ai toujours été fort éloigné de leur attribuer, comme on l'a fait souvent, une mécanique aussi perfectionnée, pour le moins, que celle des modernes. S'ils avaient possédé de telles ressources, les Grecs en auraient eu connaissance, eux qui, depuis Psammitique, parcouraient librement l'Égypte, et qui furent les témoins des immenses travaux de ce prince et de ses successeurs. Or, que la mécanique des Grecs fût encore à cette époque dans l'enfance, cela résulte du moyen grossier qu'employa Chersiphron, l'architecte du premier temple d’Éphèse, commencé au temps de Crésus et d'Amasis. N'ayant point de machine pour élever les énormes architraves de ce temple à la grande hauteur où elles devaient être portées, il fut réduit à enterrer les colonnes au moyen de sacs de sable formant un plan incliné, sur lequel les architraves étaient roulées à force de bras. Ce passage de Pline est une autorité historique en faveur de l'usage que les Égyptiens eux-mêmes faisaient du plan incliné pour porter les lourds fardeaux à un niveau élevé, car il est impossible que, s'ils avaient eu un moyen plus perfectionné et moins pénible, les Grecs de ce temps ne l'eussent point connu. C'est à l'aide de ce procédé que purent être élevés facilement les blocs des colonnes de la salle hypostyle de Karnak, qui ont 21 mètres de hauteur et 10 mètres de tour, ainsi que leurs énormes architraves. On enterrait toutes les colonnes à mesure qu'elles s'élevaient, et l'on allongeait graduellement le plan incliné ou l'on en multipliait les rampes, selon le besoin. Une application du même procédé, c'est-à-dire un plan incliné en spirale, à peu près tel que l'avait conçu Huyot, a fourni le moyen de dresser les obélisques, et cela sans autre secours, Comme chez les Indiens d'aujourd'hui (Letronne oublie que depuis un grand nombre de siècles, les Indiens ne construisent plus de pyramides ni d'obélisques), que celui des leviers et d'une multitude de bras habilement combinés. C'est ainsi que Rhamsès avait employé 120.000 hommes pour dresser un des obélisques de Thèbes, fait qui lui seul annoncerait l’extrême imperfection ou plutôt l’absence totale de moyens mécaniques. Et, en effet, dans aucune peinture égyptienne on n'aperçoit ni poulies, ni moufles, ni cabestans, ni machines quelconques. Si les Égyptiens en avaient eu l'usage, on en trouverait la trace dans un bas-relief d'Osortasen, qui nous représente le transport d'un colosse. On le voit entouré de cordages et tiré immédiatement par plusieurs rangées d'hommes attachés à des câbles ; d'autres portent des seaux pour mouiller les cordes et graisser le sol factice sur lequel le colosse est traîné. La force tractive de leurs bras était concentrée dans un effort unique au moyen d'un chant ou d'un battement rythmé qu'exécutait un homme monté sur les genoux du colosse. Si 1.000 hommes ne suffisaient pas, on en prenait 10.000 ou tout autant qu'on en pouvait réunir sur un point et pour une action. Ce bas-relief remarquable fait tomber bien des préjugés, en nous montrant que la mécanique des Égyptiens, comme cette des Indiens actuels et des Mexicains, qui, sous Montezuma, transportaient des masses énormes sans machines d'aucune sorte, a dû consister dans l'emploi de procédés très simples, indéfiniment multipliés et coordonnés habilement par une longue habitude de remuer de très lourdes masses.”
D’après Letronne, M. Prisse aurait vu à Thèbes les restes d'un plan incliné qui a servi à élever les énormes pierres d'un des pylônes de Karnak, ce qui permettrait de supposer que les pyramides ont été élevées à l’aide du même procédé.
Les anciens avaient émis diverses opinions sur la destination véritable ou probable des pyramides. Les modernes se sont livrés, sur le même sujet, à une foule de conjectures plus ou moins étranges.
Fialin, qui devint sous le second Empire duc de Persigny, dans un ouvrage intitulé De la destination et de l'utilité permanente des pyramides d'Égypte (1843), a vu dans les pyramides d'Égypte des digues destinées à s'opposer à l'irruption des vents du désert et à arrêter les sables qu'ils entraînent.
D'autres en ont fait des observatoires, sans songer que leur revêtement extérieur n'eût pas permis de les gravir et que la réunion de plusieurs édifices semblables sur un espace de peu d'étendue détruisait cette assertion, lorsque d'ailleurs des montagnes plus élevées, situées non loin de là, devaient mieux convenir à cet usage.
Certains, plus imaginatifs encore, en ont fait les greniers d'abondance de Joseph ; d'autres, enfin, le symbole de certaines croyances mystiques et le centre des initiations et de diverses cérémonies mystérieuses. Mahmoud-Bey, astronome du vice-roi d'Égypte, a communiqué en 1862 à l'Académie des sciences le résultat de ses recherches sur cette question : “Trois mille trois cents ans avant J.-C., dit-il, l'Étoile Sirius passait au méridien de Giseh. Les Égyptiens en furent si ravis qu'ils se mirent aussitôt à construire ces immenses pyramides, pour célébrer et consacrer à jamais cet heureux événement.”
Sérieusement, est-il admissible, si amateur ou si amoureux qu'il soit d'astronomie, qu'un peuple ait eu seulement l'idée de pareils travaux dans le but de consacrer une date qui n'intéressait en rien ni ce peuple ni les autres peuples de la terre.
Piazzi Smyth
Un autre système, non moins étourdissant, quoique plus récent (il est de 1867, mais plusieurs des idées de Dupuis, de Jomard et d'autres savants s'y trouvent rééditées), est l'œuvre de M. Piazzi Smith, astronome royal d'Écosse, directeur de l'observatoire d'Edimbourg. Ce savant, après avoir consacré quatre mois de sa vie à l'étude de la grande pyramide, a fini par accoucher de ce système :
1° Que la grande pyramide a été construite dans le dessein de fixer un système de poids et mesures pour servir à tout le genre humain. (Alors, pourquoi en avoir édifié quinze ou vingt autres ? Une seule devait suffire, il nous semble. C'était encore bien de la peine, bien du temps, bien des dépenses pour peu de chose, quand on songe qu'une règle de 1 mètre nous a suffi pour donner au monde le système décimal complet.)
2° Que l'unité linéaire de la grande pyramide est fondée sur la longueur du demi-grand axe de rotation de la terre dont elle est la dix-millionième partie. (Comment donc pouvaient le savoir ces anciens qui ne connaissaient pas l'étendue ni la forme de notre globe ?)
3° Que ladite grande pyramide donne en même temps le pouce (voila qui s'éloigne un peu du système décimal) et la longueur du côté d'un are. (Nous sommes persuadé qu'elle donnerait encore bien d'autres choses si on voulait se donner la peine de les lui demander.)
4° Qu'on y trouve la longueur d'une coudée, qui répond à l'ancienne aune de Prusse. (Qu’est-ce que la Prusse vient faire là ? La Prusse, un État tout moderne ! Voudrait-on faire remonter son origine aux pyramides ?)
5° Que l'unité de poids et de capacité de la grande pyramide est établie sur 1 unité linéaire précédente combinée avec la densité de la terre. (La science actuelle en étant encore réduite aux suppositions, aux approximations sur la densité de la terre, on se demande comment les Égyptiens du temps des Pharaons et des Hébreux ont pu en avoir une connaissance aussi exacte ?)
6° Que l'unité de chaleur de la grande pyramide est la température moyenne de toute la surface de la terre. (Comment peut-on savoir que les Égyptiens des Pharaons la connaissaient, cette unité de chaleur, puisqu'on ne la connaît pas encore à notre époque ?)
7° Que l'unité de temps et la division de la semaine en sept jours s'y trouvent aussi représentées. (Cet astronome, qui se paye toutes les audaces, n'y aurait-il pas trouvé aussi la semaine des quatre jeudis ? ...)
8° Enfin, que la grande pyramide était l'œuvre des Hébreux, appartenant à une période inspirée et à l'époque des anciens patriarches. (Toujours du mysticisme ! N'est-ce pas le cas de se demander si mysticisme ne vient pas de mystification ou mystification de mysticisme ?)
C'est de l'hallucination à haute pression et pyramidale. Et cela a l'immense inconvénient de fausser l'esprit de ceux qui croient parce que c'est écrit.
L'opinion la moins invraisemblable et la plus accréditée est celle qui envisage les pyramides comme de vastes tombeaux. On a trouvé des sarcophages dans les petites pyramides. De plus, dans des contrées autres que l'Égypte on a également construit des tombeaux en forme de pyramides. L'analogie permettrait de supposer que les grandes pyramides étaient destinées à cet usage. Mais,sans parler ici de l'opinion diamétralement contraire d'Hérodote, il est à remarquer que les grandes pyramides de Gizeh ne contiennent ni sarcophages ni momies. On peut dire, il est vrai, que ces sarcophages et momies ont été tous enlevés par les Arabes ; mais la difficulté est loin d'être résolue et elle ne le sera peut-être que quand les pyramides auront été complètement déblayées des sables qui en obstruent la base et visitées de fond en comble.
“Il reste toujours à expliquer, dit Jomard, qui paraît disposé à voir dans les grandes pyramides égyptiennes des monuments religieux plutôt que des tombeaux, dans cette unique destination (celle de tombeau) attribuée à la grande pyramide, non pas seulement pourquoi une si prodigieuse accumulation de pierres, mais pourquoi toutes ces galeries, tout ce luxe de construction de chambres et de canaux, enfin ce puits dont on ignore l'issue ou l'extrémité inférieure... Tout est mystérieux, je le répète, dans la construction et la distribution du monument : les canaux obliques, horizontaux, coudés, de dimensions différentes ; le puits si étroit; les vingt-cinq mortaises pratiquées sur les banquettes de la galerie haute ; cette grande galerie élevée, suivie d'un couloir extrêmement bas ; ces trois travées singulières qui précèdent la chambre centrale, et leur forme, leurs détails, sans analogie avec rien de ce que l'on connaît ; l'énorme bloc de granit suspendu au milieu de l'une d'elles ; tout, jusqu'à ces cavités profondes et étroites qui ont leur issue dans les parois de la salle centrale ; enfin, la chambre inférieure à celle du roi.”
Source : Gallica
Première partie de cette note
Bonjour, il me semble (de mémoire) que le grand dictionnaire Larousse du XIX° siècle n'est pas un ouvrage collectif, mais l'œuvre du seul Pierre Larousse (comme le Littré est l'œuvre d'Emile Littré), mais je me trompe peut-être. Ce qui est sur c'est que Pierre Larousse n'hésitait jamais à prendre parti: témoin le célèbre article "Bonaparte" (là aussi de mémoire) Général de la République française né le ... à Ajaccio...mort le 18 Brumaire an VIII..
RépondreSupprimerMerci "président" pour cette précision. La présentation par "Gallica" du texte auquel j'ai eu recours ne mentionne en effet que le seul Pierre Larousse comme "auteur" du grand dictionnaire.
RépondreSupprimerCela me fait penser à la célèbre citation de la Guerre des Gaules "Caesar fecit pontem". On est en droit de douter que ce soit le seul César qui ait "fait" (= construit) le pont.
Mais vous avez raison, concernant le Grand (Pierre) Larousse : laissons la question ouverte.