jeudi 25 novembre 2010

La découverte du site de Guizeh par Hector Horeau (XIXe s.) : des “sensations difficiles à décrire”, complétées par des dessins pour “transporter le lecteur sur les lieux”

Hector Horeau (1801-1872) est un architecte français, connu pour ses projets de grandes halles de fer et de verre (cf. Halles de Paris), et un illustrateur, utilisant notamment la technique du daguerréotype, qui lui permit  d’ “apporter une grande exactitude dans la reproduction des merveilles de la vallée du Nil”.
En 1837, il effectua un périple au cours duquel il descendit la vallée du Nil, d’Alexandrie à Abou Simbel , en amassant une moisson d’images, à partir de laquelle fut édité, en 1841, Panorama d'Égypte et de Nubie (extraits ci-dessous).
Dans cet ouvrage, il entendait “satisfaire la curiosité générale”, en joignant des gravures aux descriptions et “sensations” : “J'ai pensé, écrit-il en préambule, qu'un ouvrage nouveau, composé d'une suite de vues avec le ton local et accompagné d'un texte descriptif orné de vignettes, présenterait à tous les yeux une idée réelle de l'Égypte et de la Nubie, qu'il offrirait aussi de précieux souvenirs à qui connaît déjà cette intéressante contrée, et qu'enfin il pourrait rendre quelques services aux nombreux voyageurs qui explorent maintenant l'Égypte et la Nubie.”
Les extraits que j’ai choisis concernent évidemment les pyramides.


“Le sphinx, dont on ne voit plus que la partie supérieure, est un monument adhérent à la chaîne libyque ; il porte le cartouche Touthmosis IV. Ce monument a 13 mètres 30 cent. de hauteur, 27 mètres de longueur et 39 mètres de circonférence autour du front. Sa base, qui a été momentanément dégagée, contient une porte donnant entrée à des galeries creusées dans la montagne et que l'on dit communiquer à la grande pyramide. Sur la tête de ce sphinx existe un refouillement qui fait supposer qu'il était couronné d'une coiffure symbolique. La figure conserve encore des traces de la peinture qui la recouvrait ; toutefois cette peinture peut n'être pas aussi antique qu'on le pourrait croire, car on rapporte que les sabéens, adorateurs des astres, avaient, avant 1379, des cérémonies pendant lesquelles ils ornaient, couronnaient et peignaient le sphinx ; que le chef d'une dervicherie du Caire fit mutiler l'idole par ses moines, qui la mirent dans l’état où elle est maintenant ; elle fut dès lors abandonnée, car les sabéens, comme les Indous d'aujourd'hui, témoignaient le plus profond mépris pour les idoles mutilées.
La pyramide de Gyseh, au commencement de la chaîne libyque, sur laquelle elle repose, est le plus haut et le plus ancien monument du monde (3.200ans av. J.-C.).
Cette colossale montagne humaine est attribuée, par Hérodote (...), à Chéops, premier roi de la 4e dynastie, qui la fit ériger pour lui servir de tombeau. Il rapporte que ce pharaon fit d'abord fermer les temples, prohiba toute espèce de sacrifices et condamna indistinctement tous les Égyptiens à des travaux publics. Cent mille hommes, relevés tous les trois mois, étaient continuellement employés à ces immenses travaux : il fallut dix années pour construire la route et la chaussée nécessaires à l'arrivage des pierres, et vingt années pour ériger ce tombeau royal.
Hérodote rapporte encore que, pour subvenir aux dépenses d'une construction si extraordinaire, Chéops vendit les faveurs de sa propre fille, qui, à son tour, voulut élever un semblable mausolée avec les pierres qu'elle se fit fournir par chacun de ses adorateurs, et qu'elle construisit ainsi la deuxième pyramide (...).
Diodore rapporte (...) que Chembes fit construire la grande pyramide, Cephren ou Chabryis la deuxième, et Mécérinus la troisième. Pline dit, au contraire, que c'est justice que les noms de ceux qui firent exécuter ces monuments de vanité si grande soient effacés du souvenir des hommes : on fut longtemps, en effet, sans trouver aucune inscription sur ces monuments, ce qui fit supposer qu'ils précédèrent l'art de peindre la parole ; opinion erronée, comme on le verra ci-après.




La grande pyramide, sur laquelle j'arrêterai plus particulièrement le lecteur, n'est plus composée que de 202 assises en pierre calcaire de diverses hauteurs, superposées en retraite et enclavées les unes dans les autres ; elle a 230 mètres environ à sa base et 146 mètres de hauteur. Ce gigantesque monument, qu'on aperçoit de dix lieues à la ronde, semble pourtant diminuer de hauteur, à mesure qu'on s'en approche ; les degrés en retraite se cachent de plus en plus de la base au sommet, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont il est formé que l'on peut avoir une idée à peu près exacte de cette masse immense ; on ne voit plus ses limites supérieures et latérales ; l’oeil étonné ne peut la saisir, l'apprécier, et l'intelligence confondue est involontairement frappée de la pensée d'un gradin sans fin qui conduirait au ciel.
La pyramide était autrefois recouverte d'un calcaire compact gris, sur lequel on pense qu'il y avait des hiéroglyphes. Cette opinion est d'autant plus accréditée que l'on voit, dans beaucoup de musées, de petites pyramides recouvertes d'hiéroglyphes. (...)
Après une nuit passée dans un tombeau voisin des pyramides, dans lequel on ne peut entrer qu'en rampant, tant le sable en a encombré l'entrée, je montai avant le jour, assisté de deux Arabes, par l'arête Nord-Est, sur le plateau qui couronne la grande pyramide. Là, un spectacle extraordinaire et admirable se déroula devant mes yeux.
Le soleil commençait à éclairer le sommet de la pyramide, d'épaisses vapeurs flottaient encore à sa base, et je restai muet d'étonnement et d'admiration en apercevant à mes pieds mon ombre géante projetée sur les nuages : ce phénomène, si simple et pourtant si saisissant, produisit sur moi des sensations difficiles à décrire ; il me semblait que, sur ce piédestal, j'étais quelque chose de plus que ces chétifs mortels qui végètent sur la terre, sur cette terre qui était, pour quelques instants, dérobée à mes yeux. Quelques minutes après, la terre secouait son linceul nocturne, la scène avait changé. (...)
Je redescendis à regret du point extraordinaire auquel je venais de m'élever, pour aller visiter l'intérieur de la pyramide. [La porte d’entrée] conduit, par d'étroits couloirs, à [une] salle, taillée dans le roc, et se reliant, par un puits étroit et tortueux, à la grande galerie (...) ; on va de cette galerie à la chambre dite de la reine et à la chambre dite du roi. Cette salle contient un sarcophage sans hiéroglyphes ni couvercle ; elle est aérée par des courants d'air se dirigeant sur les faces extérieures Sud et Nord (...).  Son plafond est déchargé par des vides qui étaient clos et dans lesquels on ne devait jamais parvenir : c'est dans ces vides qu'on a récemment trouvé des hiéroglyphes tracés en rouge par les ouvriers de la pyramide ; ces hiéroglyphes, de 5.000 ans de date, retracent le nom de Chéops (sous la forme de Schoufe, qui revient à Souphis, nom que lui donne Manéthon), auquel l'histoire attribue la construction de la grande pyramide.
Une seconde découverte non moins importante est celle d'un morceau de sarcophage en bois trouvé dans la troisième pyramide et portant le nom de Mécérinus, auquel on attribuait aussi ce monument.
Ces précieux documents, dus à une société d'explorateurs anglais, sont des plus remarquables pour l'histoire de l'intelligence humaine ; ils sanctionnent dignement les merveilleuses découvertes de Champollion jeune sur tes hiéroglyphes.”
Source : Gallica

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