Si l’on ne connaît en effet de lui que son nom, son lieu de naissance (Tigentera, près d’Algésiras) et la date approximative de sa naissance (aux alentours de l’an 43), l’auteur en question - Pomponius Mela - est quand même le plus ancien géographe romain, auteur d’une description du monde entier, résumant les connaissances de l’époque, sous le titre de De situ orbis, ou Geographia, ou encore Cosmographia.
Par ailleurs, si le texte de Pomponius Mela, relatif aux pyramides, est plutôt du genre maigrichon, son traducteur français - C.-P. Fradin, ex-député du département de la Vienne, professeur adjoint à la Faculté de Droit de Poitiers - y va de ses longs commentaires qui, eux aussi, sont dignes d’intérêt.
Source de cette note : Pomponius Mela traduit en français sur l’édition d’Abrahan Gronovius, par C.-P. Fradin, 2e édition, 1827.
Cela valait bien une note, sans doute...
Reconstitution de la carte de monde, selon Pomponius Mela, par le Dr. Konrad Miller (1898)
Le texte de Pomponius Mela
“Alia quoque in his terris mira sunt. In quodam lacu Chemmis insula, lucos sylvasque et Apollinis grande sustinens templum, natat, et quocumque venti agunt, pellitur. Pyramides tricenûm pedum lapidibus exstrucae : quarum maxima (tres namque sunt) quatuor fere soli jugera suâ sede occupât, totidem in altitudinem erigitur.”
“L’Égypte fournit encore d'autres merveilles. On y voit l'île de Chemmis, ayant à sa surface des bois sacrés, des forêts et un grand temple d'Apollon, flotter dans un certain lac au gré des vents qui l'agitent. On y trouve (1) des pyramides construites avec des pierres de trente pieds chacune, et dont la plus grande (2), car elles sont au nombre de trois, a presque (3) quatre arpents de largeur à sa base, sur autant de hauteur.”
Les commentaires de C.-P. Fradin
(1) On y trouve des pyramides. Il n'est personne de nos jours qui n'ait entendu parler des pyramides égyptiennes. Tous les voyageurs anciens et modernes ont visité ces superbes monuments érigés à l'orgueil des rois au prix des sueurs et des travaux d'un peuple accablé de leur tyrannie : Regurn pecuniae otiosa ac stulta ostentatio. Mais tous ne sont pas d'accord sur le temps de leur construction, sur leurs dimensions respectives et sur l'usage auquel on les avait destinées.
Pline dit (...) que parmi les pyramides d'Égypte, on en remarque trois principales, situées sur une élévation sablonneuse et stérile, entre Memphis et le Delta, à près de quatre mille pas du Nil, à sept mille cinq cents pas de Memphis, au voisinage d'un bourg appelé Busiris, dont les habitants sont accoutumés à grimper jusqu'à leur sommet. La plus considérable, ajoute cet auteur, est faite avec des pierres tirées des carrières d'Arabie ; trois cent soixante-six mille hommes furent employés pendant vingt ans à sa construction. On ne put les achever toutes les trois, que dans un intervalle de soixante-dix-huit ans et quatre mois. On ne sait au juste sous quels rois elles ont été élevées, parce qu'il n'en reste aucun témoignage. Suivant Hérodote, la première et la plus grande fut bâtie sous le règne de Chéops, la seconde sous celui de Chéphren son frère, et la troisième sous celui de Mycérinus son fils ; la seconde n'approche pas de la grandeur de la première et n'a pas d'édifices souterrains ; la troisième, beaucoup plus petite, est carrée et de pierres d'Éthiopie jusqu'à la moitié. Pline assure même qu'elle est toute entière construite de ces sortes de pierres, ce qui la rend plus remarquable. Tertia minor quidem praedictis, sed multo spectatior, Aethiopicis lapidibus assurgit.
La construction des pyramides a donné lieu à une foule de conjectures parmi les savants tant anciens que modernes. Aristote insinue qu'elles furent l'ouvrage de la tyrannie des rois d'Égypte. Hérodote semble être du même avis, lorsqu'il dit que pendant cent six ans, les Égyptiens furent accablés de toutes sortes de maux ; qu'ils ont tant d'aversion pour la mémoire de Chéops et de Chéphren qu’ils ne veulent pas les nommer, et qu'ils appellent par cette raison leurs pyramides du nom du berger Philitis, qui dans ces temps-là menait paître ses troupeaux où elles sont. Pline pense qu'en élevant ces masses colossales, les rois n'eurent d'autre intention que de mettre leurs trésors à l'abri de toute insulte, ou de tenir leurs sujets continuellement occupés, et de leur ôter par ce moyen les occasions de penser à quelque révolte. L'astronomie, dit l'auteur des Voyages de Pythagore, semble en revendiquer la gloire. La vanité voulut ensuite s'en appliquer l'usage. L'une en exposant les quatre côtés de la pyramide aux quatre points opposés de la sphère du monde, apprit à la postérité que les pôles de la terre et les méridiens n'éprouvent aucune variation ; l'autre prétendit immortaliser le souvenir de son pouvoir. Les princes voudraient régner dans la mémoire des hommes longtemps après avoir été rayés du registre des vivants.
Presque tous les Anciens racontent que ces pyramides ont servi à la sépulture des rois. Si les auteurs des deux premières n'y ont pas été placés, c'est, au rapport de Diodore de Sicile, parce qu'ils craignaient d'être mis en pièces après leur mort par un peuple qu'ils avaient vexé. Strabon atteste la même chose, et ajoute qu'elles ont sur les côtés, à peu près vers le milieu de la hauteur, une pierre qu'on peut ôter, et que lorsqu'on l'a fait, on rencontre un passage tortueux qui conduit au cercueil.
Ces autorités et les relations des voyageurs modernes qui disent avoir aperçu des sépulcres dans ces pyramides, ont fait généralement adopter l'opinion qu'elles ne furent élevées que pour servir à la sépulture des rois qui voulaient s'assurer après leur mort une place distinguée de celle de leurs sujets. Ce que nous connaissons de la théologie égyptienne serait peut-être suffisant pour en établir la preuve. On sait que les Égyptiens croyaient que l'âme demeurait attachée au corps tant qu'il restait dans son entier ; qu'ils embaumaient leurs cadavres et les plaçaient dans des grottes profondes, où plus inaccessibles aux injures des saisons, ils pussent se conserver beaucoup plus longtemps. Pourquoi les rois n'auraient-ils pas pris de plus grandes précautions encore pour s'assurer une incorruptibilité à laquelle ils attachaient tant de prix, et pourquoi ne se seraient-ils pas élevé dans cette intention des monuments superbes, qui par leur forme et la solidité de leur construction, pussent, en les isolant du vulgaire, leur garantir ainsi qu'a leur famille une existence pour ainsi dire inaltérable ? Si tel a été leur but, on peut assurer qu'il est rempli. Les pyramides subsistent depuis un grand nombre de siècles, et le temps qui détruit tout a respecté les pyramides. Malgré leur inutilité, elles seront encore longtemps aux yeux des nations, des ouvrages prodigieux d'architecture, des résultats pénibles d'une multitude de combinaisons lentes qui reculent les habitants du Nil dans une profondeur impénétrable, enfin des monuments hardis pour un temps que nous regardons comme celui de l'enfance des peuples, pour une nation que sa haine injurieuse pour les étrangers abandonnait à son propre génie. Nous admirerons encore longtemps l'industrie des Égyptiens à tirer du flanc des montagnes les pierres énormes qu'ils employaient, à les transporter au loin sur les canaux du Nil, et à les élever dans les airs avec beaucoup moins de secours que nous n'en avons.
Quant aux pierres employées à la construction de ces monuments, voici ce qu'en dit Hérodote en parlant de la plus grande pyramide : « Elle est en grande partie de pierres polies, parfaitement bien jointes ensemble, et dont il n'y en a pas une qui ait moins de trente pieds. » Ces pierres, dit l'auteur des Voyages de Pythagore, sont aussi polies que nos miroirs, et l'on distingue à peine l'endroit où l'une finit et l'autre commence.
(2) Car elles sont an nombre de trois. Mela n'entend parler ici que des trois fameuses pyramides situées prés de Memphis, et que Pline dit avoir rempli l'univers de leur célébrité. Reliquae tres quae orbem implevere famà. Diodore de Sicile nous apprend que les commentaires sacrés des Égyptiens faisaient mention de quarante-sept de ces superbes tombeaux ; mais qu'il n'en restait plus que dix-sept au temps de Ptolémée Lagus. Les rois de Thèbes en élevèrent de semblables qui ont bravé plusieurs siècles. Strabon dit en avoir vu proche de Syène dans la haute Égypte.
(3) À presque quatre arpents de largeur à sa base, sur autant de hauteur. On trouve une discordance frappante entre les Anciens sur les dimensions de cette pyramide. Hérodote donne à chacune de ses faces huit plèthres de largeur, c'est-à-dire huit cents pieds, sur autant de hauteur ; Strabon, un peu plus d'un stade, ce qui fait, suivant la définition que Pline et Pausanias nous ont laissée du stade, un peu plus de cent vingt-cinq pas géométriques, ou de six cent vingt-cinq de nos pieds ; Diodore de Sicile Ieur donna sept plèthres, ou sept cents pieds, et Pline
huit cent quatre-vingt-trois pieds. Les quatre arpents ou environ que leur assigne notre auteur, équivalent à peu près aux sept plèthres de Diodore, chaque plèthre n'étant que la moitié d'un arpent ou d'un jugère des Latins, suivant le calcul des auteurs du Dictionnaire encyclopédique , qui remarquent au surplus que Pline a perpétuellement confondu ces deux mesures, ainsi qu'il est facile de s'en convaincre par la dimension de huit jugères qu'il donne à chacun des côtés de la grande pyramide, et qu'il évalue à huit cent quatre-vingt-trois pieds, tandis qu'ils devraient en faire seize cents, à raison de deux cents pieds par jugére.
Parmi les Modernes, Greaves, dans sa Pyramidographie, donne à chaque côté de la grande pyramide six cent quatre-vingt-treize pieds anglais, qui équivalent à cent huit de nos toises à peu près. Pococke et Norden ne parlent pas de sa largeur ; mais, comme Hérodote nous apprend que la hauteur était la même, et Norden lui assignant cinq cents pieds pour la hauteur, il faut supposer qu'il lui donne aussi la même largeur. Si l'on suppose, dit le citoyen Larcher, que plusieurs assises de cette pyramide ont été recouvertes par les sables, on n'aura pas de peine à retrouver la mesure d'Hérodote, et à se rendre raison des différences qu'on remarque dans les observations des autres voyageurs.
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