jeudi 13 décembre 2018

"L'appareillage des blocs, aussi bien dans la grande galerie que dans le caveau, est d'une perfection technique qui a justement soulevé l'admiration de tous les visiteurs de la pyramide" (Jacques Vandier)


Extraits de Manuel d'archéologie égyptienne, tome II : Les grands époques - L'architecture funéraire, 1954, par Jacques Vandier, conservateur en chef du Département des Antiquités égyptiennes au Musée du Louvre

"La construction d'un monument comme une pyramide pose de difficiles problèmes architecturaux (...). Pour Lauer, l'emploi "d'instruments de levage" reste, en tout cas, très hypothétique. Il est probable que les Égyptiens se servaient de rampes perpendiculaires, ou, peut-être, enveloppantes, et de traîneaux, sur lesquels étaient chargés les blocs. Des traces de ces rampes ont été trouvées à Meïdoum, à Abou Gourob et ailleurs , et on sait que cette méthode a toujours été prisée  des Égyptiens. S'il reste un doute sur la nature exacte du procédé de construction, on ne saurait, en revanche, mettre en doute la perfection de ce procédé, et les pyramides, surtout les plus anciennes, comptent parmi les plus grands chefs-d’œuvre architecturaux de tous les temps. L'appartement funéraire est creusé, en partie, dans le plateau, au-dessous du niveau du sol extérieur - cette partie fut très rapidement abandonnée - et, en partie, dans la maçonnerie de la pyramide. 


L'entrée (A) du couloir d'accès est dans la face Nord, 18 m. au-dessus du niveau du sol, et légèrement décentré (8 m.) vers l'Est. Il s'agit, non pas d'une vraie porte, mais un simple trou, point de départ d'un couloir descendant, dont la pente est de 26° 31' 23". À une vingtaine de mètres de l'entrée, le couloir fut obturé (B); primitivement, il continuait, à travers le plateau rocheux, sur une longueur approximative de 77 m., puis devenait horizontal, débouchait, après un parcours de 29 pieds (8 m. 81), dans une pièce rectangulaire (C), et se terminait en cul- de-sac, à 18 m., environ, au delà de la pièce C. Cette prolongation de couloir prouve qu'une deuxième salle, qui ne fut jamais creusée, avait été prévue par les architectes, sur le modèle de la pyramide Nord de Dahchour. La pièce C, approximativement dans l'axe la pyramide, occupe la place de la deuxième antichambre de Dahchour. Elle ne fut probablement jamais utilisée, mais il est évident qu'elle avait été destinée à être, sinon le caveau même du roi, du moins l'antichambre de ce caveau . Les parois n'ont jamais été revêtues de calcaire ; dans le sol, un puits, grossièrement travaillé, avait été creusé, probablement par des violateurs. Il  ne semble pas, en tout cas, que ce puits soit contemporain du règne de Chéops (fig. 19,1).
On ne sait pas exactement pourquoi les architectes modifièrent leur plan primitif. On peut supposer que ceux-ci, ignorant évidemment la date de la mort du roi, avaient voulu que leur maître eût toujours un caveau prêt pour l'enterrement. Le caveau souterrain est contemporain des premiers travaux en superstructure, et ils avaient pensé assurer, ainsi, une plus grande sécurité à la sépulture du roi. Les travaux prévus par le deuxième projet (fig. 19,2) commencèrent sans que rien n'eût été changé (...); on déplaça, approximativement à 19 m. de l'entrée, une des dalles du plafond pour amorcer un couloir ascendant. Après l'enterrement du roi, le plafond fut refait avec une telle habileté que les violateurs, incapables de déceler l'entrée primitive, durent percer un nouveau passage. 
Le couloir ascendant, qui a les mêmes dimensions que le couloir descendant, monte, avec une pente de 26° 2' 30", sur une longueur de 39 m. (129 pieds), puis devient horizontal, à un niveau à peine supérieur à celui de l'entrée de la pyramide. Le tronçon horizontal, un peu plus court que le tronçon ascendant (36 m.), aboutit à une salle, placée dans l'axe de la pyramide, à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. Les Arabes, à tort, ont appelé cette pièce "la chambre de la reine". En fait, il s'agit d'un caveau, préparé pour le roi, mais laissé inachevé, par suite d'une nouvelle modification du plan. La salle est voûtée en encorbellement, et les blocs de calcaire des parois et de la voûte sont si bien ajustés qu'on a l'impression de se trouver dans une pièce creusée dans le roc. Une niche, ménagée dans la paroi Est, avait, peut-être, été prévue pour abriter une statue du roi. 
Ces deux premiers projets qui, sur le plan technique, témoignent d'une habileté et d'une perfection extraordinaires, sont, en quelque sorte, effacés par la réalisation du troisième projet (fig. 19, 3), mis en œuvre (...) lorsque la construction de la pyramide eut été très avancée. Il s'agissait de construire le caveau définitif, toujours à l'intérieur de la pyramide, mais à une hauteur plus grande. 

illustration extraite de la Description de l'Égypte - 1799
Les architectes continuèrent le tronçon ascendant du couloir, en lui donnant des dimensions gigantesques. Le visiteur, après avoir cheminé longtemps dans des boyaux qui l'obligeaient à se plier en deux, se trouve brusquement, à l'endroit même où l'ancien couloir ascendant devenait horizontal, dans une vaste galerie (E), haute de 8 m. 50 et longue de 46 m. 50. Les dalles du plafond reposent sur sept assises, dont la disposition rappelle, sans la copier exactement, celle de la voûte en encorbellement : il s'agit "d'un toit très prolongé en hauteur, grâce à une série de surplombs à petite saillie en blocs énormes, et terminé par des dalles horizontales". Sur le sol, à droite et à gauche, courent des banquettes mesurant 0 m. 60 de haut et 0 m. 50 de large, et laissant entre elles un espace libre, dont la largeur (1 m. 04) est exactement celle des dalles du plafond. En d'autres termes, les surplombs successifs des sept assises des parois avaient été calculés pour que l'arête supérieure de la dernière assise fût sur la même verticale que la face antérieure de la banquette. À chaque assise, la distance qui séparait les deux parois diminuait donc de sept centimètres environ. Chacune des banquettes est creusée de 28 cavités rectangulaires, régulièrement espacées ; derrière chacune de ces cavités se trouve un petit bloc de pierre qui avait été encastré dans les parois, et qui présente, dans sa partie antérieure, une rainure verticale ; un bloc analogue, mais de forme irrégulière, est encastré dans la paroi de chaque cavité ; enfin, une rainure, haute de 0 m. 125 et profonde de 0 m. 02, court tout du long de chacune des parois, un peu au-dessous de l'extrémité supérieure de la troisième assise, en commençant par le bas. Borchardt a montré que les cavités, les petits blocs de pierre et la longue rainure continue avaient servi, non pas à hisser le sarcophage jusqu'au caveau, mais à la construction d'une grande plate-forme de bois sur laquelle avaient été entreposées les herses (...). Ces herses, en effet, à cause de leurs dimensions, n'avaient pas pu être amenées, au moment de l'enterrement, par le couloir descendant et par le couloir ascendant ; on avait donc dû les transporter, par l'extérieur, à un moment où la pyramide n'était pas achevée, et les entreposer pendant la fin des travaux. Seul le nouveau couloir, grâce à ses dimensions pouvait abriter ces immenses blocs de granit ; dressés directement sur le sol, ils auraient gêné le trafic ; dans ces conditions, il avait été indispensable de les poser sur une plate-forme suffisamment élevée pour que les ouvriers pussent  passer aisément, avec leur charge, sous ce toit improvisé et provisoire. Après l'enterrement du roi, la plate-forme dut détruite, et ses éléments furent évacués.
Cette galerie, connue sous le nom de "grande galerie", est dans un admirable état de conservation, n'ayant souffert qu'en un seul endroit, à son point de jonction avec le premier couloir ascendant et avec le couloir horizontal qui conduit à la chambre dite "de la reine". On y voit actuellement un trou, créé par le déplacement des blocs qui reliaient entre eux ces passages. Au fond de ce trou se trouve un puits, primitivement dissimulé par une dalle, qui se développait ensuite en un long boyau au tracé irrégulier. Ce boyau qui traverse, d'abord, la maçonnerie de la pyramide, puis le plateau rocheux, rejoint le couloir souterrain à quelques mètres de l'endroit où il devient horizontal. Ce fut évidemment par ce chemin que les ouvriers, chargés, après l'enterrement du roi, de mettre les herses en place et de bloquer l'entrée du couloir ascendant, purent sortir de la pyramide. Le couloir descendant ne fut fermé au niveau du sol extérieur, que lorsque tous ces travaux furent achevés. 

illustration extraite du livre de J. Vandier
À l'extrémité supérieure de la grande galerie, une marche haute, le "grand degré" des théories ésotériques, donne accès à un passage étroit et bas qui conduit à la "chambre du roi", c'est-à-dire au caveau après avoir traversé une sorte d'antichambre revêtue de granit sur trois faces (Sud, Est et Ouest). Chacune des longues parois de l'antichambre est creusée de quatre rainures verticales, trois d'entre elles descendant jusqu'au sol de la salle, la dernière, celle qui se trouve le plus au Nord, s'arrêtant au niveau du toit du couloir bas. Dans ces rainures devaient glisser les herses (...) qui ont disparu ; à l'entrée de l'antichambre, on voit, aujourd'hui encore, deux blocs de granit superposés dont on a souvent fait une herse encore suspendue à 1 m. 10 du sol, mais Borchardt a montré qu'il ne s'agissait pas réellement d'une herse, et que ces blocs faisaient en réalité partie de la paroi. Bien que ces herses aient disparu, on a pu calculer leurs dimensions, en se fondant sur celles des rainures et de l'antichambre, et on a supposé, non sans raison, qu'elles étaient en granit. Il est curieux qu'on n'ait trouvé aucun fragment de ces énormes monolithes : tout avait été préparé pour les recevoir (plate-forme dans la grande galerie, rainures dans l'antichambre), mais il est possible qu'ils n'aient jamais été amenés à l'intérieur de la pyramide. Il semble improbable, en effet, que les violateurs, après avoir réussi à briser les herses, aient pris soin d'en évacuer les fragments en suivant un chemin particulièrement difficile.  Le caveau, qui est entièrement revêtu de granit, mesure 5 m. 21 Nord-Sud sur 10 m. 43 Est-Ouest, avec une hauteur de 5 m. 82. Il est construit à 42 m. 28 au-dessus du sol, et ne se trouve pas exactement dans l'axe de la pyramide. L'appareillage des blocs, aussi bien dans la grande galerie que dans le caveau, est d'une perfection technique qui a justement soulevé l'admiration de tous les visiteurs, anciens et modernes, de la pyramide. Le plafond est fait de neuf dalles longues de 5 m. 64, disposées dans l'axe Nord-Sud. Cette couverture étant plate, il avait fallu ménager, dans la maçonnerie, des chambres de décharge pour diminuer la poussée des matériaux accumulés, sur une hauteur approximative de 100 m. au-dessus du caveau. (...) 
Dans la paroi Nord et dans la paroi Sud du caveau, à un mètre environ au-dessus du sol, se trouve une ouverture, point de départ d'un long boyau qui relie le caveau à l'air libre. Le boyau Nord débouche dans la face Nord, à 76 m., environ, au-dessus du niveau du sol, sa pente étant de 31°; le boyau Sud débouche dans la face Sud, à une hauteur à peine plus faible, mais sa pente est de 45°. Un dispositif semblable avait été prévu dans la chambre dite de la reine, mais les travaux n'avaient jamais été achevés. Il est probable que ces cheminées ont été de simples manches à air, destinées à ventiler le caveau, mais on peut, également supposer qu'elles ont eu un rôle religieux, encore que celui-ci ne soit pas évident. 
Le sarcophage du roi, directement posé sur le dallage, se trouve à l'extrémité Ouest du caveau. C'est une belle cuve, aujourd'hui très dégradée, dont le couvercle a disparu. Ce sarcophage de granit avait certainement été apporté dans le caveau, par l'extérieur, avant l'achèvement de la pyramide. Le corps du roi avait été amené dans un cercueil de bois, qu'on avait placé dans la cuve de granit. Le transport de ce cercueil , par la voie d'accès normale, sans être aisée, n'était pas au-dessus des forces humaines. Le passage du couloir descendant au couloir ascendant, dont l'entrée, on l'a vu, était pratiquée dans le toit, avait dû, cependant, exiger de gros efforts."