vendredi 1 octobre 2010

Ressemblances et différences entre les pyramides d'Égypte et celles du Mexique, d’après J.J. Ampère - XIXe s.

La contribution de Jean-Jacques Ampère (1800-1864) à la connaissance des pyramides égyptiennes a déjà été présentée dans ce blog. Voir ICI.
L’inventaire de cet auteur va plus loin, grâce à la comparaison qu’il propose, dans Promenade en Amérique : États-Unis, Cuba, Mexique, tome 2 ,1856, entre les pyramides de Guizeh et celles du Mexique, notamment celle de Cholula, une ville de l’État de Puebla, réputée pour sa Grande Pyramide et ses très nombreuses églises.
Le rapprochement entre ces monuments de deux continents différents est, selon J.J. Ampère, très évocateur des ressemblances “de surface”, mais surtout des différences “de fond”.
Les théories tablant sur je ne sais quelle civilisation cosmique ayant essaimé et produit une chaîne continue de pyramides à travers notre vaste monde sont donc ici, par anticipation, mises à mal. Ce qui ne résout pas pour autant la question des éventuelles passerelles, par-delà les époques, entre diverses expressions d’un même acte de bâtir et d’une plus ou moins identique technique de construction.

Grande Pyramide de Cholula (Wikimedia commons)


“Nous avons traversé de nouveau Cholula, petite ville [mexicaine] qui a été grande. On le reconnaît à l'étendue de la place, où de loin en loin se montrent quelques Indiens ou quelques Indiennes, accroupis à l'ombre d'un cerceau garni de toile, qu'ils placent dans la direction du soleil. Cette fois, nous avons été conduits aux véritables pyramides, car il y en a trois, comme à Gizèh. Une seule est considérable, et encore sa hauteur est loin d'approcher de la pyramide de Chéops ; sa base est plus étendue : elle offre une longueur de 1.555 pieds ; mais sa hauteur n'est que de 170 pieds, à peu près celle de la pyramide de Mycerinus, tandis que la grande pyramide de Gizèh a plus de 450 pieds d'élévation.

Les monuments dont on ignore l'histoire donnent lieu à des traditions merveilleuses qui parfois se ressemblent. L'imagination des Arabes a entouré de prodiges le berceau pour eux inconnu des pyramides égyptiennes ; elle en a rattaché la construction au déluge. Il en a été de même au Mexique. Voici ce qu'au seizième siècle on racontait sur les pyramides de Cholula : “Lors de la dernière grande inondation, le pays d'Anahuac (le plateau du Mexique) était habité par des géants. Tous ceux qui ne périrent pas dans ce désastre furent changés en poissons, excepté sept géants, qui se réfugièrent dans des cavernes quand les eaux commencèrent à baisser. Un de ces géants, nommé Xelhua, qui était architecte, éleva près de Cholula, en mémoire de la montagne de Tlaloc, qui avait servi d'asile à lui et à ses frères, une colonne artificielle de forme pyramidale. Les dieux, voyant avec jalousie cet édifice, dont la cime devait toucher les nuages, irrités de l'audace de Xelhua, lancèrent des feux célestes contre la pyramide d'où il arriva que beaucoup des constructeurs périrent, et que l'oeuvre ne put être achevée. Elle fut consacrée au dieu de l'air Qualzalcoatl.” (...)
Grande Pyramide de Cholula (Wikimedia commons)

L'aspect de la pyramide de Cholula ne rappelle nullement l'aspect de la grande pyramide d'Égypte. La grande pyramide d'Égypte est une masse de pierre que l'on gravit au moyen des éboulements de ses angles. La grande pyramide de Cholula est une colline au sommet de laquelle on peut arriver à cheval et même en voiture. Sur ce sommet, une église s'élève à la place où s'élevait autrefois le temple mexicain. On ne saurait croire qu'on ait devant les yeux l'oeuvre des hommes et non l'oeuvre de la nature. Cependant il est aisé de voir que cette montagne est au moins en partie construite en briques ; on en découvre facilement sur ses parois les assises. Ces briques ont été cuites au soleil, comme nous les avons vu fabriquer encore dans les environs. La question est de savoir si la maçonnerie forme le corps du monument ou bien ne fait qu'envelopper, ce qui est plus probable, la montagne taillée en pyramide.

On a trouvé au Mexique un assez grand nombre d'autres pyramides moins considérables. Presque toutes sont des pyramides à degrés. Les deux plus remarquables sont celles de Saint-Jean de Teotihuacan, dont l'une a conservé un revêtement pareil à celui qui recouvrait la grande pyramide et recouvre encore la seconde pyramide de Gizèh. En général, les pyramides mexicaines sont orientées, c'est-à-dire que leurs faces sont tournées vers les quatre points cardinaux. Il en est de même de la grande pyramide d'Égypte. Cela ne prouve point du tout qu'il faille expliquer la construction des unes ou des autres par un but astronomique ; car une intention religieuse ou funéraire peut avoir motivé cette relation des monuments avec les différentes parties du ciel. Pour la pyramide de Cholula, son sommet a eu l'honneur d'être l'observatoire de M. de Humboldt. Les cimes du Popocatepetl et de l'Orizaba, qu'on découvre de la plate-forme, ont servi à lier deux endroits éloignés l'un de l'autre de près de trois cent mille mètres. On n'a pas souvent de pareils points de repère dans les mesures trigonométriques.

Du reste, sauf la forme, il n'y a, je crois, nulle analogie à établir entre les pyramides d'Égypte et les pyramides mexicaines. Les premières avaient certainement un but funéraire, et les secondes un but religieux. Dans la grande pyramide de Gizèh, on a trouvé un sarcophage qui est encore en place ; dans la plus petite, la planche du cercueil du roi Mycerinus avec le nom de ce roi. Le témoignage d'Hérodote ne pouvait recevoir une confirmation plus éclatante, et il n'y avait pas lieu à chercher de nos jours une autre destination aux pyramides d'Égypte. C'étaient d'immenses tombeaux.

Rien n'était plus dans le génie égyptien que d'élever de gigantesques monuments en l'honneur des morts. Les tombeaux des rois creusés dans la montagne, près de Thèbes, ces palais souterrains qui renferment plusieurs étages et une foule de chambres, sont des monuments funèbres aussi étonnants que les pyramides.

Partout on a entassé en l'honneur des morts la pierre, la brique ou simplement la terre, selon le degré de civilisation des différents peuples. Les collines artificielles qui subsistent encore sur les rives de la Troade, dans les plaines de la Scandinavie ou la vallée du Mississipi, ont été élevées dans une intention funéraire. Plus tard, une reine de Carie construisit le premier mausolée, sépulture gigantesque renouvelée par les Romains. On voit encore aujourd'hui à Rome deux mausolées : celui d'Auguste sert d'arène, et celui d'Adrien est une forteresse. Enfin dans la même ville un particulier obscur, du nom de Cestius, donnait à son tombeau la forme d'une pyramide haute de cent vingt pieds.





Illustration extraite de l'ouvrage de Léon Chateau 
"Histoire et caractères de l'architecture en France" 
 
Tertres, mausolées, pyramides, c'est la même pensée, l'exécution seule varie d'après la nature des matériaux dont on dispose. C'est toujours une vaste masse élevée au-dessus du sol en mémoire d'un mort, et je ne vois pas quelle autre origine on pourrait attribuer au singulier monument des environs de Tours, qui est connu sous le nom de Pile-Cinq-Mars.

Les pyramides du Mexique n'ont donc nul rapport avec les pyramides funéraires de l'Égypte. Les premières portaient à leur sommet un temple auquel on montait par des degrés ; elles n'en étaient, je pense, que l'immense soubassement, construit pour élever dans les airs le lieu où s'accomplissaient les sacrifices humains, et rendre visible à tout le peuple le terrible spectacle de cette immolation religieuse. Le même effort gigantesque bâtissait une montagne en Égypte pour envelopper un sépulcre, et au Mexique pour porter un autel.

Il en est donc pour les pyramides comme pour les hiéroglyphes. On trouve des pyramides et des hiéroglyphes à la fois en Égypte et au Mexique : voilà qui frappe l'imagination et porte à établir un rapport entre les deux civilisations, peut-être même à leur chercher une origine commune ; mais, en y regardant de plus près, il se trouve que ces traits de ressemblance ne sont qu'apparents, que là où l'on voulait rapprocher il faut distinguer, et qu'il y a diversité où l’on croyait qu'il y avait similitude. Très souvent, quand on compare deux époques, deux civilisations, on arrive au même résultat : la ressemblance est à la surface, la différence est au fond.”

Source : Gallica

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