vendredi 22 avril 2011

La construction en pierre, caractéristique de l’architecture égyptienne : la brève analyse de Karl Otfried Müller (XIXe s.)

Karl Otfried Müller (1797-1840) fut un illustre érudit allemand, professeur d’archéologie à l’Université de Göttingen. Il est l’auteur d’un Nouveau manuel complet d’archéologie, édité en 1841, par l’Encyclopédie Roret (traduction française de P. Nicard).
Dans le tome 1 de cet ouvrage, il consacre quelques développements à l’architecture égyptienne, incluant de trop brèves observations sur les pyramides memphites.
Le risque d’un “manuel”, aussi “complet” soit-il, est de survoler les sujets abordés, de se contenter de généralités, incluant éventuellement des imprécisions, même si une vision panoramique de l’histoire comporte des avantages certains. L’auteur a beau souligner les raisons du choix de la pierre par les bâtisseurs égyptiens (matériau directement disponible sur place, absence de bois, recherche de l’ombre et de l’air frais, non nécessité de toitures inclinées...), on reste néanmoins sur sa faim. Le sujet méritait mieux...

Karl Otfried Müller, par Carl Wildt (Wikimedia commons)

“Au moyen de la connaissance nouvellement acquise (...) des caractères hiéroglyphiques, et au moyen encore d'une lecture plus attentive du texte de Manethon (1), suscitée et encouragée par cette connaissance même, nous avons en même temps acquis une certitude complète sur l'âge d'un grand nombre de monuments qui, à cause de l'immobilité et de l'uniformité de l'art du dessin en Égypte pendant une durée de plusieurs siècles (l'une et l'autre déjà mentionnées par Platon), pouvait à peine être soupçonné immédiatement par l'étude du style de ces monuments (...).
[À la fin de] la période qui précède la conquête syro-arabe des Hyksos, ou rois pasteurs (la 16e dynastie de Manethon) dans laquelle This et Memphis surtout s'élevèrent au plus haut degré de puissance et de prospérité, (...)  rien n'échappa à la dévastation, à l'exception des pyramides de Memphis, ouvrage de la quatrième dynastie. (2) Quelques fragments des temples de l'époque primitive se trouvent, il est vrai, compris et englobés dans des monuments postérieurs en date ; ces fragments sont, du reste, parfaitement identiques sous le rapport du style architectonique, avec celui des monuments auxquels ils ont été incorporés. Les dévastations énormes des Hyksos, à la fin de la période actuelle, a rendu impossible de suivre pas à pas les développements de la culture nationale des arts en Égypte. (...)
L'architecture égyptienne n'a pas, comme l'architecture grecque, emprunté ses formes aux constructions en bois ; au contraire, c'est le manque de bois qui a obligé les Égyptiens à employer de bonne heure les riches matériaux en pierre que leur offrait la nature du sol, et dans ce pays des excavations troglodytiques furent pratiquées, dès les temps les plus reculés, tandis que des masses de pierre étaient entassées sur la terre.
Ces formes ne purent être non plus déterminées par le besoin de faire écouler la pluie (aussi ne trouve-t-on de toits nulle part) ; la nécessité de l'ombre et le besoin d'un air frais doivent avoir été les seules conditions climatériques de l'architecture égyptienne, conditions auxquelles se réunirent les principes sacerdotaux et le sentiment des arts particulier à la nation, pour produire le style caractéristique, simple et grandiose qui la distingue. (...)
Les autres monuments sépulcraux forment deux classes différentes : la première se compose de pyramides, tumuli tétragones et rectangles (forme de collines tumulaires qui a été retrouvée ailleurs en Orient). (3) Les plus remarquables se voient sur le plateau de la chaîne des monts de la Lybie, aux environs de Memphis, disposées en plusieurs groupes, presque symétriques, et entourées de routes, de chaussées, de tombeaux et d'hypogées.
La base, formant un carré, est orientée vers les régions célestes. (4) Elles étaient construites en pierre calcaire (les plus petites seulement en briques), d'abord en terrasse ; ensuite on remplissait les terrasses ; puis on commençait l'opération de l'enveloppe en pierres de taille ; les pierres de ce parement, aujourd'hui détruit en grande partie, recevaient un poli et étaient ornées de sculptures.
Il est difficile de trouver l'entrée qui conduit dans l'intérieur de l'édifice qui se trouvait fermé par une seule pierre qui pouvait être déplacée. (5) Cette entrée conduit d'abord dans des galeries qui vont tantôt en se rétrécissant, tantôt en s'élargissant, et aboutissent enfin à une ou plusieurs chambres, dont la plus magnifique contenait le sarcophage royal. Nulle part on ne trouve vestiges de voûte. Des puits verticaux (on en a découvert un semblable dans la pyramide de Cheops) communiquaient probablement avec le canal du Nil, creusé dans un sol solide et dont parle Hérodote.”


Photo Marc Chartier

(1) L'exactitude et la véracité de Manethon (260 av.J.-C), abstraction faite des corruptions du texte, surpassent autant celles des notions historiques proprement dites d'Hérodote, que des renseignements puisés à des sources authentiques par un naturel du pays, bien informé, surpassent les récits faits à un étranger par des intermédiaires, d'un caractère douteux et équivoque.
(2) Les monarques de la IVe dynastie qui ont élevé les pyramides, l'impie Suphis I (le Cheops d'Hérodote), Suphis II (Chephren), Mencheres (Mycerinus), ont été rejetés par les prêtres que consulta Hérodote, par des motifs théocratiques, au temps de la décadence.
(3) La pyramide de Cheops, la plus considérable de toutes, a, selon Grobert, 236 m 60 de largeur à sa base ; selon Jomard, 227 m 17 ;  selon Coutelle, 232.m86 ; sa hauteur verticale est de 448 ou 422 ou 428 pieds ¼ (145 m 60 ou 137 m 15 ou 139 m 20). Belzoni donne à la seconde, dite de Chœphren, qu'il a ouverte, 663 pieds anglais de largeur, 457 2/5 de hauteur. Au dire d'Hérodote, 100.000 hommes travaillèrent à la 1ère pendant 40 ans ; on y compte 203 assises de pierre : chacune d'elles a depuis 19 pouces (514 mill.) jusqu'à 4 p. 4 p. (1 m 40) de hauteur.
(4) Les noms hiéroglyphiques des monarques auteurs des deux premières pyramides étaient depuis longtemps connus ; aujourd'hui par la découverte faite dans la grande chambre de la troisième pyramide, grâce aux efforts de quelques explorateurs anglais, on apprend à connaître également l'auteur de la troisième, dont le nom se trouve retracé sur la caisse qui a servi d'enveloppe à sa dépouille mortelle.
Les constructions en briques étaient du reste très répandues en Égypte ; les habitations particulières étaient, en grande partie, bâties de la sorte. Hérodote parle de sculptures exécutées sur leur surface extérieure ; elles se sont perdues avec le revêtissement. À l'intérieur on n'en a observé jusqu'à présent qu'à une porte des pyramides nouvellement ouvertes à Sakarah.
On a trouvé également depuis très peu de temps, dans quelques-unes des chambres de la plus grande des pyramides de Ghizè, des inscriptions hiéroglyphiques contenant des noms royaux et notamment celui de Khoufou, correspondant au nom de Saphis ou Saophis, et de Cheops ; ces inscriptions ont dû être tracées sur les parois des blocs dont la pyramide est construite, probablement dans les carrières mêmes d'où on les a tirés.
(5) Tantôt de longs blocs de pierre placés transversalement dérobent l'entrée aux yeux, ou bien les murailles des galeries les plus larges se réunissent en haut ; tantôt les pierres appuyées l'une contre l'autre forment une espèce de pignon ; dans la principale chambre de la pyramide de Cheops, on trouve un double plafond. Cette chambre est haute de 18 pieds (5 m 85), longue de 32 pieds (10 m 40), large de 16 (5 m 20), entourée de quartiers en granit, sans aucune espèce d'ornement.
À l'intérieur de cette pyramide de Cheops, Caviglia est, dans ces derniers temps, celui qui a pénétré le plus avant.

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