L’égyptologue suisse Henri Édouard Naville (1844-1926) fut professeur d’égyptologie à l’université de Genève.
Au cours de plusieurs séjours qu’il effectua en Égypte de 1865 à 1906, il participa à diverses campagnes archéologiques, notamment pour le compte de l’Egypt Exploration Fund.
Dans son ouvrage La religion des anciens Égyptiens, publié en 1906, qui reprend des conférences données au Collège de France en 1905 (extraits ci-dessous), il souligne le savoir-faire innovant des bâtisseurs égyptiens qui ne durent leur art de bâtir, notamment en pierre de taille, qu’à eux-mêmes, et non à quelque autre civilisation.
“Si nous l'étudions de près, nous ne tarderons pas à reconnaître que la culture égyptienne est déterminée dans tous ses traits par la nature du pays où elle s'est développée, et par conséquent qu'elle ne peut guère être née en dehors de la vallée du Nil. Cette civilisation est essentiellement agricole par ses origines, elle procède comme du reste la plupart des civilisations, de la culture du sol. (...)
L'Égyptien n'a pas dû tarder à s'apercevoir que la boue du Nil séchée au soleil était une matière facile à travailler, et très durable, surtout dans un climat aussi sec. Il ne semble pas qu'il ait fallu un grand effort d'imagination pour arriver à faire une brique, dès l'instant qu'il ne s'agissait que de la découper, car il n'y avait pas à la cuire. Les briques égyptiennes ont toujours été des briques crues, elles le sont même encore aujourd'hui. La brique cuite a été importée en Égypte par les Romains. L'action du feu est nécessaire clans les pays où l'on n'a pas un limon compact.
La construction égyptienne a d'abord été une construction en briques et en bois; ce n'est que plus tard que la pierre a été employée, et encore pour des édifices de luxe, et surtout pour les temples. Il ne paraît pas qu'à aucune époque on ait fait grand usage de la pierre pour les habitations, même pour les palais. Les souverains de l'Orient aiment à se construire leurs propres demeures ; ils ne tiennent ni à habiter celles de leurs pères, ni à transmettre à leurs descendants celles qu'ils ont élevées, aussi faut-il que ces constructions soient faites rapidement.
Dans les tombes de l'époque thinite, on peut constater le passage de la brique à la pierre. À cet égard, l'Égypte était particulièrement favorisée, les matériaux de construction abondaient et ils étaient de qualité supérieure. C'était d'abord le grès facile à travailler, qui se trouve dans la Haute-Égypte, à Silsilis et dans les environs, et avec lequel ont été construits tous les grands édifices de Thèbes. Puis c'était un beau calcaire blanc, assez tendre et qui prenait fort bien la couleur, tout à fait approprié à la sculpture des hiéroglyphes. On a employé diverses espèces de granit, le noir, qui vient de carrières entre le Nil et la mer Rouge, et le fameux granit rose d'Assouan, cette pierre superbe dont on a fait grand usage à toutes les époques, qui est susceptible d'acquérir un très beau poli, et même d'être travaillée avec une grande finesse.
Rien de plus facile que de passer de la brique à ces matériaux excellents, que les habitants du pays avaient sous la main. On comprendra que des Égyptiens aient été des constructeurs, qu'ils n'aient pas tardé à le devenir, dès qu'ils se sont établis dans cette vallée placée entre deux haies de montagnes qui leur fournissaient toutes les pierres dont ils avaient besoin. La construction est certainement le côté de la civilisation que les Égyptiens ont poussé le plus loin. C'est là qu'à certains égards ils ont dépassé les autres nations de l'antiquité. C'est aussi ce à quoi ils donnaient eux-mêmes le plus de prix.
Un roi lorsqu'il veut se faire valoir, pourra parler en termes vagues de ses conquêtes, de sa puissance, et de ce qu'il a reculé les limites de son empire jusqu'au commencement du monde au sud, ou jusqu'aux marais du nord ; mais tout cela ce sont des expressions conventionnelles qui se répètent d'un souverain à l'autre. Il sera beaucoup plus précis lorsqu'il parlera de ses constructions, qui doivent durer autant que le ciel.
Dans tout ce qui tient à l'architecture égyptienne, il est impossible de discerner aucune trace d'influence étrangère. C'est bien un art qui est né dans le pays, et qui est déterminé par les conditions spéciales dans lesquelles il a pris naissance. (...)
Il est peu de sujets sur lesquels on ait autant écrit, et sur lesquels on ait émis autant d'opinions les plus étranges que les pyramides. Cela vient en partie de ce que la plupart des auteurs de ces livres croyaient qu'il n'y avait qu'une pyramide, tout au plus deux, les grandes pyramides de Ghizeh, et qu'ils ignoraient que ce mode de sépulture avait été fort répandu parmi les rois de l'Ancien Empire. Nous connaissons maintenant plus de soixante-dix pyramides, de hauteurs, il est vrai, fort différentes, mais dont la destination est la même. Une pyramide n'est qu'un tombeau, ce n'est qu'un tertre artificiel destiné à cacher une chambre sépulcrale. Ce qui l'a fait élever, c'est toujours cette même idée, le désir de préserver le corps des violations possibles, de le conserver absolument intact, afin que le double puisse survivre dans l'autre monde, et ne pas être anéanti.
Une pyramide renferme du reste les mêmes éléments que ceux que nous avons décrits à propos de mastaba. À l'extérieur le temple, c'est-à-dire les salles où l'on vient rendre un culte au défunt, lui apporter les offrandes ; puis le long escalier conduisant à la chambre funéraire et qui correspond au puits ; enfin la chambre placée au-dessous de la masse de la pyramide, et dans laquelle reposait le sarcophage en pierre qui, en plusieurs cas, est arrivé jusqu'à nous. La ressemblance est même poussée encore plus loin : sur la chambre funéraire ouvre une chambre plus petite reliée à l'autre par un étroit couloir et qui doit être le serdab, le réduit où l'on déposait les statues du roi défunt, qui étaient les supports de son double.
Les grandes pyramides de Ghizeh étant complètement dépourvues de toute inscription et de tout ornement dans les chambres qu'elles renferment, on a longtemps cru que toutes étaient muettes et qu'elles ne nous apprendraient rien sur le sort de ceux qui y étaient déposés. Mariette lui-même soutint longtemps cette opinion, mais quelques fragments trouvés à Sakkarah ayant éveillé sa curiosité, à peine arrivé en Égypte en 1880, il fit immédiatement commencer des travaux dans deux pyramides à moitié ruinées qu'on avait négligées jusque-là.
L'ouverture de ces deux pyramides fut son dernier triomphe. Cloué sur un lit de maladie dont il ne devait pas se relever, il envoya son ami, l'égyptologue allemand Brugsch (*) voir quel était le résultat des travaux ; au retour Brugsch apportait la nouvelle que les pyramides étaient ouvertes, qu'on avait trouvé les murs des chambres couverts d'inscriptions religieuses dont il avait copié quelques fragments ; ce fut la dernière nouvelle scientifique qui arriva aux oreilles du mourant. Cette nouvelle fit grande sensation parmi les égyptologues ; c'était une révélation, cela nous apprenait qu'à une époque aussi reculée que la cinquième dynastie, la religion, j'entends les croyances de l'Égypte étaient déjà fort semblables à ce qu'elles furent dans la suite.
Les principaux dieux du panthéon étaient déjà l'objet de la vénération des Égyptiens, les formules magiques existaient, et avaient la même efficacité qu'on leur attribuait plus tard ; les cérémonies, les offrandes s'y voyaient aussi. Tout cela nous est décrit dans une langue dont les caractères généraux sont tout semblables à ceux de l'époque classique. Les textes des pyramides sont un morceau de la littérature sacrée qui a dû exister déjà depuis longtemps. Et cela nous ramène à la question que nous posions il y a un instant : Que s'est-il passé entre l'époque thinite et l'époque memphite qui ait pu produire non pas un bouleversement, mais un développement si rapide et si prodigieux ?
Il y a maintenant cinq pyramides qui ont été ouvertes, et qui nous ont fourni des textes religieux ; ces textes se répètent de l'une à l'autre, mais ils ne sont pas tous exactement les mêmes. Il est évident que ce qui a été copié sur ces murs, ce sont des extraits d'un livre ou d'un recueil tout analogue au Livre des Morts, et qui décrivait la destinée du roi défunt après sa mort.”
(*) sur cet auteur, lire la note de Pyramidales : ICI
Au cours de plusieurs séjours qu’il effectua en Égypte de 1865 à 1906, il participa à diverses campagnes archéologiques, notamment pour le compte de l’Egypt Exploration Fund.
Dans son ouvrage La religion des anciens Égyptiens, publié en 1906, qui reprend des conférences données au Collège de France en 1905 (extraits ci-dessous), il souligne le savoir-faire innovant des bâtisseurs égyptiens qui ne durent leur art de bâtir, notamment en pierre de taille, qu’à eux-mêmes, et non à quelque autre civilisation.
“Si nous l'étudions de près, nous ne tarderons pas à reconnaître que la culture égyptienne est déterminée dans tous ses traits par la nature du pays où elle s'est développée, et par conséquent qu'elle ne peut guère être née en dehors de la vallée du Nil. Cette civilisation est essentiellement agricole par ses origines, elle procède comme du reste la plupart des civilisations, de la culture du sol. (...)
L'Égyptien n'a pas dû tarder à s'apercevoir que la boue du Nil séchée au soleil était une matière facile à travailler, et très durable, surtout dans un climat aussi sec. Il ne semble pas qu'il ait fallu un grand effort d'imagination pour arriver à faire une brique, dès l'instant qu'il ne s'agissait que de la découper, car il n'y avait pas à la cuire. Les briques égyptiennes ont toujours été des briques crues, elles le sont même encore aujourd'hui. La brique cuite a été importée en Égypte par les Romains. L'action du feu est nécessaire clans les pays où l'on n'a pas un limon compact.
La construction égyptienne a d'abord été une construction en briques et en bois; ce n'est que plus tard que la pierre a été employée, et encore pour des édifices de luxe, et surtout pour les temples. Il ne paraît pas qu'à aucune époque on ait fait grand usage de la pierre pour les habitations, même pour les palais. Les souverains de l'Orient aiment à se construire leurs propres demeures ; ils ne tiennent ni à habiter celles de leurs pères, ni à transmettre à leurs descendants celles qu'ils ont élevées, aussi faut-il que ces constructions soient faites rapidement.
Dans les tombes de l'époque thinite, on peut constater le passage de la brique à la pierre. À cet égard, l'Égypte était particulièrement favorisée, les matériaux de construction abondaient et ils étaient de qualité supérieure. C'était d'abord le grès facile à travailler, qui se trouve dans la Haute-Égypte, à Silsilis et dans les environs, et avec lequel ont été construits tous les grands édifices de Thèbes. Puis c'était un beau calcaire blanc, assez tendre et qui prenait fort bien la couleur, tout à fait approprié à la sculpture des hiéroglyphes. On a employé diverses espèces de granit, le noir, qui vient de carrières entre le Nil et la mer Rouge, et le fameux granit rose d'Assouan, cette pierre superbe dont on a fait grand usage à toutes les époques, qui est susceptible d'acquérir un très beau poli, et même d'être travaillée avec une grande finesse.
Rien de plus facile que de passer de la brique à ces matériaux excellents, que les habitants du pays avaient sous la main. On comprendra que des Égyptiens aient été des constructeurs, qu'ils n'aient pas tardé à le devenir, dès qu'ils se sont établis dans cette vallée placée entre deux haies de montagnes qui leur fournissaient toutes les pierres dont ils avaient besoin. La construction est certainement le côté de la civilisation que les Égyptiens ont poussé le plus loin. C'est là qu'à certains égards ils ont dépassé les autres nations de l'antiquité. C'est aussi ce à quoi ils donnaient eux-mêmes le plus de prix.
Un roi lorsqu'il veut se faire valoir, pourra parler en termes vagues de ses conquêtes, de sa puissance, et de ce qu'il a reculé les limites de son empire jusqu'au commencement du monde au sud, ou jusqu'aux marais du nord ; mais tout cela ce sont des expressions conventionnelles qui se répètent d'un souverain à l'autre. Il sera beaucoup plus précis lorsqu'il parlera de ses constructions, qui doivent durer autant que le ciel.
Dans tout ce qui tient à l'architecture égyptienne, il est impossible de discerner aucune trace d'influence étrangère. C'est bien un art qui est né dans le pays, et qui est déterminé par les conditions spéciales dans lesquelles il a pris naissance. (...)
Coin nord-ouest du mastaba Faraoun à Saqqarah
Cliché de Jon Bodsworth
Il est peu de sujets sur lesquels on ait autant écrit, et sur lesquels on ait émis autant d'opinions les plus étranges que les pyramides. Cela vient en partie de ce que la plupart des auteurs de ces livres croyaient qu'il n'y avait qu'une pyramide, tout au plus deux, les grandes pyramides de Ghizeh, et qu'ils ignoraient que ce mode de sépulture avait été fort répandu parmi les rois de l'Ancien Empire. Nous connaissons maintenant plus de soixante-dix pyramides, de hauteurs, il est vrai, fort différentes, mais dont la destination est la même. Une pyramide n'est qu'un tombeau, ce n'est qu'un tertre artificiel destiné à cacher une chambre sépulcrale. Ce qui l'a fait élever, c'est toujours cette même idée, le désir de préserver le corps des violations possibles, de le conserver absolument intact, afin que le double puisse survivre dans l'autre monde, et ne pas être anéanti.
Une pyramide renferme du reste les mêmes éléments que ceux que nous avons décrits à propos de mastaba. À l'extérieur le temple, c'est-à-dire les salles où l'on vient rendre un culte au défunt, lui apporter les offrandes ; puis le long escalier conduisant à la chambre funéraire et qui correspond au puits ; enfin la chambre placée au-dessous de la masse de la pyramide, et dans laquelle reposait le sarcophage en pierre qui, en plusieurs cas, est arrivé jusqu'à nous. La ressemblance est même poussée encore plus loin : sur la chambre funéraire ouvre une chambre plus petite reliée à l'autre par un étroit couloir et qui doit être le serdab, le réduit où l'on déposait les statues du roi défunt, qui étaient les supports de son double.
Les grandes pyramides de Ghizeh étant complètement dépourvues de toute inscription et de tout ornement dans les chambres qu'elles renferment, on a longtemps cru que toutes étaient muettes et qu'elles ne nous apprendraient rien sur le sort de ceux qui y étaient déposés. Mariette lui-même soutint longtemps cette opinion, mais quelques fragments trouvés à Sakkarah ayant éveillé sa curiosité, à peine arrivé en Égypte en 1880, il fit immédiatement commencer des travaux dans deux pyramides à moitié ruinées qu'on avait négligées jusque-là.
L'ouverture de ces deux pyramides fut son dernier triomphe. Cloué sur un lit de maladie dont il ne devait pas se relever, il envoya son ami, l'égyptologue allemand Brugsch (*) voir quel était le résultat des travaux ; au retour Brugsch apportait la nouvelle que les pyramides étaient ouvertes, qu'on avait trouvé les murs des chambres couverts d'inscriptions religieuses dont il avait copié quelques fragments ; ce fut la dernière nouvelle scientifique qui arriva aux oreilles du mourant. Cette nouvelle fit grande sensation parmi les égyptologues ; c'était une révélation, cela nous apprenait qu'à une époque aussi reculée que la cinquième dynastie, la religion, j'entends les croyances de l'Égypte étaient déjà fort semblables à ce qu'elles furent dans la suite.
Les principaux dieux du panthéon étaient déjà l'objet de la vénération des Égyptiens, les formules magiques existaient, et avaient la même efficacité qu'on leur attribuait plus tard ; les cérémonies, les offrandes s'y voyaient aussi. Tout cela nous est décrit dans une langue dont les caractères généraux sont tout semblables à ceux de l'époque classique. Les textes des pyramides sont un morceau de la littérature sacrée qui a dû exister déjà depuis longtemps. Et cela nous ramène à la question que nous posions il y a un instant : Que s'est-il passé entre l'époque thinite et l'époque memphite qui ait pu produire non pas un bouleversement, mais un développement si rapide et si prodigieux ?
Il y a maintenant cinq pyramides qui ont été ouvertes, et qui nous ont fourni des textes religieux ; ces textes se répètent de l'une à l'autre, mais ils ne sont pas tous exactement les mêmes. Il est évident que ce qui a été copié sur ces murs, ce sont des extraits d'un livre ou d'un recueil tout analogue au Livre des Morts, et qui décrivait la destinée du roi défunt après sa mort.”
(*) sur cet auteur, lire la note de Pyramidales : ICI