Suite à une confrontation de points de vue publiés sur le forum égyptologique de ddchampo, Jean-Pierre Dupeyron souhaite porter à la connaissance des lecteurs de Pyramidales un complément relatif au mode d’extraction et à la mise en oeuvre des matériaux, soit “naturels”, soit ré-agglomérés, utilisés par les bâtisseurs égyptiens, sous la forme d’un ajout à sa version "B" de la théorie dite "des pyramides en pierres ré-agglomérées" du professeur Davidovits.
"Lorsque j’ai commencé à
m’intéresser à la théorie du professeur
Davidovits, pour des raisons de déontologie, il n’était
pas question pour moi de rédiger une version B qui expliquerait
tout dans les moindres détails.
Après avoir rendu publique dans ce
blog la première partie, je pensais que le professeur rattraperait
la balle au bond et essaierait, avec l’aide des égyptologues, de
rendre l’ensemble plus cohérent. Or, le professeur
Davidovits m’a fait savoir aimablement qu’il estimait
que ma petite modification n’était pas convaincante. J'en ai par
conséquent déduit qu’il n’avait aucune envie
d’approfondir cette voie.
En fait, les choses auraient dû en
rester là si ce n'est qu'un petit détail, insidieusement, depuis le tout
début de cette étude, s’était enregistré dans ma mémoire, et a
fini petit à petit à remonter à la surface. Ce petit détail est
la forme des blocs naturels. En fait, si les blocs ré-agglomérés
ne ressemblaient pas à des blocs moulés industriellement, c’était,
si j’ose dire, le problème du professeur. Par contre, si les blocs
naturels ont bien été extraits, comme le prétendent les
égyptologues, il n’y pas, a priori, de raison pour que leurs
formes soient si disparates. Sachant que la production des blocs
naturels était un travail long et pénible, il m’a semblé évident
qu’une petite modification sur le mode opératoire réduisait le
temps d’extraction et résolvait en partie cette contradiction.
Intervention de la "grosse masse"
La solution consiste simplement à
extraire les blocs, non pas unitairement, mais par groupes de trois,
quatre ou cinq. La séparation en blocs unitaires se serait faite alors
à l’aide d’une masse d’une centaine de kilogrammes tombant
d’une certaine hauteur. Au départ, cet outil, que l’on peut
nommer une "grosse masse", ne me posait aucun problème de
conception : un simple tronc fixe sur de hauts tréteaux, une
corde et un bloc de granit, et c’était tout ! Cependant,
l’instabilité d’un dispositif aussi rudimentaire m’incita à en
imaginer un plus solide. C’est en essayant de le dessiner que je me
suis rappelé de la pseudo "poulie" en pierre dure de Sélim
Hassan. Avec cet indice, je me suis un peu comporté comme un
paléontologue qui, ayant découvert un petit fragment d’os
fossile, arrive à dessiner l’animal entièrement. Compte tenu de
la forme de la "poulie", de la fonction à réaliser, et de
mon expérience de concepteur, je suis arrivé, après plusieurs
étapes, au résultat ci-dessous (à gauche le point de départ, et à
droite le résultat final).
Cliquer sur l'illustration pour l'agrandir
J’ai monté cet engin sur des patins
pour pouvoir le déplacer plus facilement. Les opérateurs sont
disposés en ligne, mais décalés d’environ trois centimètres,
afin de garder les cordes parallèles à la sortie de la "poulie".
L’encoche d’arrêt, en position haute, permet de positionner
l’engin au-dessus du bloc à casser, en évitant que les opérateurs
ne restent suspendus à leurs bâtons pendant toute la durée de la manœuvre.
Je rappelle que cette "poulie"
a été trouvée au pied de la pyramide de Khephren et il n’y qu’un seul exemplaire connu. Si les égyptologues pensent que cette
pièce pouvait être fixée, comme je le propose, en bout d’un mât
de bois, ils n’ont, à ma connaissance, aucune explication pour les
trois rayures. En fait, leur perplexité est assez compréhensible, car
je ne vois, de prime abord, que cette application qui nécessite
trois cordes pour monter une charge unique. De plus, cette activité
devait être suffisamment importante pour nécessiter l’utilisation
de pierres dures pour sa réalisation.
Une petite remarque : cet engin ne
doit pas être vu comme la machine d’Hérodote, car les trois hommes
ne peuvent, à la limite, soulever au total que leur propre poids.
Disposition en damiers des blocs naturels
Une conséquence importante de cette
nouvelle méthodologie d’extraction : outre le fait qu’elle
simplifie le travail, elle réduit également le volume des gravats de 125
% environ pour un bloc unitaire à environ 80 % pour un groupe de
trois blocs. Or, le fait de passer en dessous des 100 % de gravats
permet d’envisager une technique de moulage inédite : la
disposition en damiers des blocs naturels.
Compte tenu de toutes ces
constatations, je pense que le chantier titanesque
d’approvisionnement en blocs de libage des deux grandes pyramides
du plateau de Guizeh devait être organisé de la manière
succinctement décrite par la figure ci-dessous.
Cliquer sur l'illustration pour l'agrandir
Comme dans l’explication de
l’égyptologue Georges Goyon, des blocs de libage (seulement la moitié)
sont extraits directement des carrières du plateau de Guizeh (1),
non pas unitairement, mais par groupes de trois (2), sans modifier la
manière de creuser les tranchées (3). Après extraction, le groupe
est disposé sur deux tasseaux, puis séparé en blocs unitaires à
l’aide de la "grosse masse" que l’on laisse tomber
d’une certaine hauteur (4) sur chacune de ses deux extrémités.
L’étape suivante consiste à disposer ces blocs en damiers (5)
afin de créer des moules.
Théorie du professeur Davidovits, version B
Le second type de production est
conforme à la théorie du professeur Davidovits, version B ;
c’est-à-dire que la grande majorité du calcaire ne provient pas
des wadis (oueds), mais des gravats (6) résultant de l’extraction
des blocs naturels. La soupe du bassin de malaxage (7) est alors
constituée d’environ 80 % de gravats résultant de l’extraction
des groupes de trois blocs, le reste étant, comme le préconise le
professeur Davidovits, de l’eau, du calcaire des wadis (8), du
natron, et de la cendre ; le mortier humide étant ensuite transporté
(9), puis damé dans les moules (10) précédemment créés par les
blocs naturels.
Comme les blocs ré-agglomérés ont
besoin d’un certain temps de séchage, j’ai créé arbitrairement
une zone de stockage temporaire (11) afin de réaliser ce délai. Le
nombre de blocs de cette zone doit être ajusté, au tout début du
chantier, pour permettre aux blocs ré-agglomérés d’être
suffisamment secs pour être manipulés sans se désagréger. Et,
enfin, la dernière tâche, un peu plus simple à mon avis :
hisser tous ces blocs (12) à l’aide de rampe(s) ou de machines.
Le fait de faire sécher les blocs, non
pas à leur place définitive sur la pyramide, mais sur une zone
temporaire, résulte de la constatation, par différents fouilleurs,
de la présence de vides d’inter-joints. Si les blocs avaient étés
moulés directement sur la pyramide, ces vides auraient été quasi
inexistants.
Cette manière de procéder, qui va à
l’encontre de la logique de tous ceux qui n’ont jamais construit
de pyramides (moi compris), est certainement due à l’incompatibilité
de cohabitation entre les deux modes de transport. Il doit être en
effet préférable de ne développer qu’un seul moyen de hissage
plutôt que deux distincts (comme, par exemple, une rampe pour les
blocs naturels et des escaliers pour transporter les paniers de
mortier).
Si cette méthodologie a bien été
utilisée, elle est en théorie vérifiable, car la proportion
entre les blocs naturels et artificiels doit être exactement de
50/50.
Une telle nouvelle organisation
d’extraction permet d’expliquer simplement pourquoi tous les
blocs (naturels et artificiels) n’ont pas tous la même taille.
Elle explique en plus l’absence de marques de moulages."
Jean-Pierre Dupeyron