Charles-Frédéric-Alexandre André de Carcy (1814-1889) était un aristocrate lorrain, ancien élève de Saint-Cyr et ancien chef d'escadron d'État-major.
Suite à un séjour effectué en Égypte en 1873, il publia l’année suivante De Paris en Égypte : souvenirs de voyage, un ouvrage qu’il écrivit pour “montrer combien est devenu facile un voyage en Égypte, autrefois si compliqué, souvent dangereux, et inabordable comme prix”, tout en luttant “contre le peu d’entraînement à visiter les pays étrangers, reproché, avec raison, aux Français”.
Lorsqu’il relate sa visite du site de Guizeh, l’auteur se satisfait de remarques très générales sur la configuration, l’environnement et la destination des pyramides. Mais comme nous l’avons déjà constaté au cours de notre long inventaire des récits relatifs à ces monuments, ce qu’il faut bien appeler des “banalités” ressassées de génération en génération s’accompagne souvent de considérations plus personnelles inspirées par la majestueuse beauté des pyramides, voire, comme ici, par les “pensées philosophiques” qu’elles peuvent susciter.
“Les Pyramides d’Égypte ont été classées, depuis un temps immémorial, parmi les sept merveilles du monde. Ce sont les monuments les plus élevés et les plus durables qui aient jamais été construits par les hommes.
Celles de Gizeh sont placées à l’extrémité nord d’une chaîne de collines qui s’étend jusqu’à Saqqarah, à douze kilomètres vers le sud.
L’élévation de ces collines les mettant à l’abri de l’inondation périodique du Nil, leur emplacement avait été choisi pour la nécropole de Memphis.
L’immense cimetière ancien a l’aspect d’un désert aride et sablonneux : avec le temps, les sables ont nivelé les tertres des tombeaux, et la privation d’eau a chassé toute végétation de cette terre, où la moindre fouille fait découvrir un des corps qu’elle recèle par millions.
Les Pyramides, grandes et petites, dominent la nécropole : elles se succèdent ou se groupent sur les sommets. On en compte dix-huit vers Saqqarah, et nous en voyons six à Gizeh.
Toutes les Pyramides sont des tombeaux de rois ou de princes. Leur antiquité remonte à six ou sept mille ans, et si on n’aide pas à leur destruction, on ne voit pas dans l’avenir de limite à leur durée. (Mariette)
Devant nous se dressent les trois plus célèbres et aussi les trois plus grandes ; elles sont les tombes de Chéops, de Chéphren et de Mycérinus. Les plus petites sont les sépultures des membres de la famille de ces rois.
La plus élevée, celle de Chéops, avait primitivement cent quarante-six mètres de hauteur ; le sommet ayant été dégradé, elle n’en a plus maintenant que cent trente-huit ; cette élévation est à peu près le double de celle des tours de Notre-Dame à Paris. Chéops est composée de deux cents assises ou couches d’énormes blocs de beau calcaire tiré des carrières de Mokatan. Elle cube environ deux millions cinq cent soixante-deux mille mètres (2.562.576 mètres, d’après Mariette).
Nous sommes surpris par les chiffres donnés dans l’ouvrage de M.F. Lenormand (Manuel de l’histoire ancienne d’Orient), en lisant que le volume de la pyramide est de vingt-cinq millions de mètres cubes ; M. Mariette donnant un chiffre dix fois moindre (2.562.576), nous gardons son affirmation, qui est basée sur les travaux qu’il a personnellement dirigés.
Les pyramides étaient des tombeaux hermétiquement clos après qu’on avait ménagé intérieurement la chambre de sépulture du roi. On ne pouvait parvenir à cette chambre que par une série de couloirs fermés, de puits bouchés en différents endroits, et disposés de manière à ce que les tombes fussent inabordables.
On semble avoir cherché à rendre aussi difficile que possible la recherche des chemins étroits qui seuls conduisaient à la salle sépulcrale. Chacune des Pyramides avait un temple extérieur qui s’élevait à quelques mètres en avant de la face orientale. Le roi défunt recevait un culte régulièrement organisé dans ce temple.
Les Pyramides, originairement terminées en pointe aiguë, étaient recouvertes d’un revêtement lisse qui cachait entièrement, sur un des faces, à une certaine hauteur, l’unique entrée du chemin secret des constructions intérieures.
Ce qui, pour certains rois, était ainsi pratiqué en grand dans les Pyramides, était imité, autant que possible, pour la disposition des autres sépultures importantes.
La grande préoccupation des Égyptiens était d’ensevelir les morts à l’abri de l’inondation du Nil. Dans la vaste plaine du Delta, couverte chaque année par les eaux, on plaçait les corps dans l’épaisseur des murs des villes et des temples.
Dans la moyenne et la haute Égypte, on utilisait, pour le même usage, les ramifications des chaînes libyque et arabique voisines des parties habitées, en creusant dans les roches calcaires de ces montagnes les excavations destinées à recevoir les morts. (...)
Plus nous regardons les Pyramides, plus nous les explorons, plus elles grandissent. Elles élèvent notre pensée, comme les choses vraiment belles qui, soit dans la nature, soit dans les oeuvres architecturales et artistiques, ont le pouvoir d’exciter une admiration progressive au fur et à mesure qu’on les étudie.
C’est un effet magnétique que produit la compréhension du beau sur notre organisme, effet d’autant plus développé que le sentiment artistique est plus impressionnable.
Qui n’a pas reconnu cette vérité devant l'immensité de la mer, devant la masse imposante des hautes montagnes neigeuses, à l’aspect des chefs-d’oeuvre des peintres célèbres, et en éprouvant des impressions plus poétiques à chaque nouvelle audition des suaves compositions de Mozart et de Beethoven ? Toutes ces sensations bienfaisantes et d’un ordre élevé sont le privilège du grand et du beau. (...)
Les Pyramides sont restées, depuis six mille ans, les témoins constants,- immuables,- de l'apparition et de l’anéantissement successifs de tant de générations éteintes, - de tant de dynasties, - de tant de misères et de grandeurs - tombées dans l'oubli, sans laisser un souvenir des agitations de leur éphémère importance. Aussi ne fait-on pas le trajet jusqu'aux Pyramides sans être absorbé par des pensées philosophiques sur les milliers d'années d'existence de ces masses colossales, qui n'auront eu qu’un atome de durée entre l'infini du passé et l'infini de l'avenir.
À travers ces espaces sans limites, combien est courte notre vie passée en fiévreuses agitations ? Que sommes-nous ? Quelle valeur infinie pourrions-nous donner à notre partie matérielle si nous n'avions pas l'âme, l'âme immortelle, ce rayon divin qui nous ouvre l'avenir après la courte épreuve que la Providence impose sur cette terre à l’humanité ? Nous devons plaindre ceux qui peuvent supposer que les milliards d’êtres humains que ces monuments antiques ont vus disparaître, sont rentrés tout entiers dans le néant ; que leurs facultés immatérielles ne leur ont pas survécu, pour aller rejoindre la puissance qui les avait mystérieusement envoyées ici-bas.”
Source : Gallica
Suite à un séjour effectué en Égypte en 1873, il publia l’année suivante De Paris en Égypte : souvenirs de voyage, un ouvrage qu’il écrivit pour “montrer combien est devenu facile un voyage en Égypte, autrefois si compliqué, souvent dangereux, et inabordable comme prix”, tout en luttant “contre le peu d’entraînement à visiter les pays étrangers, reproché, avec raison, aux Français”.
Lorsqu’il relate sa visite du site de Guizeh, l’auteur se satisfait de remarques très générales sur la configuration, l’environnement et la destination des pyramides. Mais comme nous l’avons déjà constaté au cours de notre long inventaire des récits relatifs à ces monuments, ce qu’il faut bien appeler des “banalités” ressassées de génération en génération s’accompagne souvent de considérations plus personnelles inspirées par la majestueuse beauté des pyramides, voire, comme ici, par les “pensées philosophiques” qu’elles peuvent susciter.
1893 (auteur inconnu) |
Celles de Gizeh sont placées à l’extrémité nord d’une chaîne de collines qui s’étend jusqu’à Saqqarah, à douze kilomètres vers le sud.
L’élévation de ces collines les mettant à l’abri de l’inondation périodique du Nil, leur emplacement avait été choisi pour la nécropole de Memphis.
L’immense cimetière ancien a l’aspect d’un désert aride et sablonneux : avec le temps, les sables ont nivelé les tertres des tombeaux, et la privation d’eau a chassé toute végétation de cette terre, où la moindre fouille fait découvrir un des corps qu’elle recèle par millions.
Les Pyramides, grandes et petites, dominent la nécropole : elles se succèdent ou se groupent sur les sommets. On en compte dix-huit vers Saqqarah, et nous en voyons six à Gizeh.
Toutes les Pyramides sont des tombeaux de rois ou de princes. Leur antiquité remonte à six ou sept mille ans, et si on n’aide pas à leur destruction, on ne voit pas dans l’avenir de limite à leur durée. (Mariette)
Devant nous se dressent les trois plus célèbres et aussi les trois plus grandes ; elles sont les tombes de Chéops, de Chéphren et de Mycérinus. Les plus petites sont les sépultures des membres de la famille de ces rois.
La plus élevée, celle de Chéops, avait primitivement cent quarante-six mètres de hauteur ; le sommet ayant été dégradé, elle n’en a plus maintenant que cent trente-huit ; cette élévation est à peu près le double de celle des tours de Notre-Dame à Paris. Chéops est composée de deux cents assises ou couches d’énormes blocs de beau calcaire tiré des carrières de Mokatan. Elle cube environ deux millions cinq cent soixante-deux mille mètres (2.562.576 mètres, d’après Mariette).
Nous sommes surpris par les chiffres donnés dans l’ouvrage de M.F. Lenormand (Manuel de l’histoire ancienne d’Orient), en lisant que le volume de la pyramide est de vingt-cinq millions de mètres cubes ; M. Mariette donnant un chiffre dix fois moindre (2.562.576), nous gardons son affirmation, qui est basée sur les travaux qu’il a personnellement dirigés.
Les pyramides étaient des tombeaux hermétiquement clos après qu’on avait ménagé intérieurement la chambre de sépulture du roi. On ne pouvait parvenir à cette chambre que par une série de couloirs fermés, de puits bouchés en différents endroits, et disposés de manière à ce que les tombes fussent inabordables.
On semble avoir cherché à rendre aussi difficile que possible la recherche des chemins étroits qui seuls conduisaient à la salle sépulcrale. Chacune des Pyramides avait un temple extérieur qui s’élevait à quelques mètres en avant de la face orientale. Le roi défunt recevait un culte régulièrement organisé dans ce temple.
Les Pyramides, originairement terminées en pointe aiguë, étaient recouvertes d’un revêtement lisse qui cachait entièrement, sur un des faces, à une certaine hauteur, l’unique entrée du chemin secret des constructions intérieures.
Ce qui, pour certains rois, était ainsi pratiqué en grand dans les Pyramides, était imité, autant que possible, pour la disposition des autres sépultures importantes.
La grande préoccupation des Égyptiens était d’ensevelir les morts à l’abri de l’inondation du Nil. Dans la vaste plaine du Delta, couverte chaque année par les eaux, on plaçait les corps dans l’épaisseur des murs des villes et des temples.
Dans la moyenne et la haute Égypte, on utilisait, pour le même usage, les ramifications des chaînes libyque et arabique voisines des parties habitées, en creusant dans les roches calcaires de ces montagnes les excavations destinées à recevoir les morts. (...)
Plus nous regardons les Pyramides, plus nous les explorons, plus elles grandissent. Elles élèvent notre pensée, comme les choses vraiment belles qui, soit dans la nature, soit dans les oeuvres architecturales et artistiques, ont le pouvoir d’exciter une admiration progressive au fur et à mesure qu’on les étudie.
C’est un effet magnétique que produit la compréhension du beau sur notre organisme, effet d’autant plus développé que le sentiment artistique est plus impressionnable.
Qui n’a pas reconnu cette vérité devant l'immensité de la mer, devant la masse imposante des hautes montagnes neigeuses, à l’aspect des chefs-d’oeuvre des peintres célèbres, et en éprouvant des impressions plus poétiques à chaque nouvelle audition des suaves compositions de Mozart et de Beethoven ? Toutes ces sensations bienfaisantes et d’un ordre élevé sont le privilège du grand et du beau. (...)
Les Pyramides sont restées, depuis six mille ans, les témoins constants,- immuables,- de l'apparition et de l’anéantissement successifs de tant de générations éteintes, - de tant de dynasties, - de tant de misères et de grandeurs - tombées dans l'oubli, sans laisser un souvenir des agitations de leur éphémère importance. Aussi ne fait-on pas le trajet jusqu'aux Pyramides sans être absorbé par des pensées philosophiques sur les milliers d'années d'existence de ces masses colossales, qui n'auront eu qu’un atome de durée entre l'infini du passé et l'infini de l'avenir.
À travers ces espaces sans limites, combien est courte notre vie passée en fiévreuses agitations ? Que sommes-nous ? Quelle valeur infinie pourrions-nous donner à notre partie matérielle si nous n'avions pas l'âme, l'âme immortelle, ce rayon divin qui nous ouvre l'avenir après la courte épreuve que la Providence impose sur cette terre à l’humanité ? Nous devons plaindre ceux qui peuvent supposer que les milliards d’êtres humains que ces monuments antiques ont vus disparaître, sont rentrés tout entiers dans le néant ; que leurs facultés immatérielles ne leur ont pas survécu, pour aller rejoindre la puissance qui les avait mystérieusement envoyées ici-bas.”
Source : Gallica