Il n’est pas toujours aisé de suivre l’auteur dans le récit qu’il nous propose de sa découverte de l’intérieur de la Grande Pyramide. Certains détails sont imprécis, voire erronés. Étrangement, il n’est question que de quatre dalles de plafond dans la Chambre du Roi. Le puits est d’une profondeur surprenante : l’écho des pierres qu’on y jette ne parvient à l’oreille qu’un quart d’heure après qu’on les a lancées ! Et que dire de l’ “infinité” de petites pyramides à proximité des grandes du plateau de Guizeh...
On relèvera par contre cette observation qui reste d’actualité, dans les descriptions de la Chambre de la Reine : celle-ci comporte un “autre conduit” sur lequel, certes, on ne nous donne aucun détail, mais dont l’existence est présentée comme certaine.
L’extrait que j’ai choisi de l’ouvrage de Jean Palerne a pour titre “Des pyramides d’Égypte, que les Juifs nomment faussement greniers de Pharaon, mises au nombre des sept merveilles du monde, et du Sphinge, qui est auprès.”
“Ayant donné ordre aux provisions nécessaires pour ce jour-là, nous partîmes le matin à bonne heure, six que nous étions de compagnie, avec deux janissaires pour notre garde, et prîmes notre chemin droit au vieux Caire, qui est un grand village à demi habité, et un peu au-dessus, passâmes le Nil, abordant à un autre village au-delà de la rivière appelée Memphis.
Nous voulions prendre notre chemin droit, mais nous trouvâmes que la rivière s’étendait jusques auprès des pyramides, tellement qu’il nous fallut prendre le long d’une chaussée, où l’on passe sept ponts de pierre, allongeant notre chemin de moitié, car il n’y a que cinq mille de la ville, et nous fûmes contraints en faire douze, et autant au retour.
Arrivés que nous fûmes, trouvâmes cette fabrique beaucoup plus admirable qu’on ne la nous avait réputée. Et, à la vérité, il n’y a homme voyant cette grosse et haute masse de pierres qui ne s’étonnât comme on la peut dresser en si bel ordre, attendu même la situation, qu’est un lieu désert et sablonneux, où n’y a aucun moyen de bâtir.
“La seconde merveille en nombre”
Aussi y a-t- il eu sept œuvres de main d’homme, excellentes et admirables sur toutes les autres, qui avaient été appelées les sept merveilles du monde, dont je ferai ici brève description, puisqu’il vient à propos que j’ai été aux lieux et endroits où étaient la plupart d’icelles. Entre lesquelles auraient été mises ces pyramides, pour la merveilleuse architecture d’icelles. (...)
La septième [des merveilles du monde] sera donc nos pyramides, qu’aucuns veulent que soit la seconde merveille en nombre, encore que je la mettre ici la dernière. Il n’y en que deux qui soient admirables. La plus grande desquelles fut édifiée par un des Pharaons, car ainsi se soulaient appeler tous les Rois d’Égypte, comme les Prolémées et les Césars, et, tient-on, que ce fut celui qui fut submergé en la mer Rouge. Mais c’est un cas merveilleux que ne soient demeurés aucuns vestiges de toutes les autres merveilles, et toutefois,ces pyramides sont encore en leur entier, bien qu’il y ait trois mil ans et plus qu’elles ont été construites. Elles sont de forme carrée, en pointe de diamant. (...)
Ce que l’on admire le plus en ces pyramides, c’est de ce qu’elles se sont ainsi conservées si longtemps : vrai est qu’elles sont bâties d’une pierre dure qu’on tient avoir été apportée d’Arabie, dont il y en a telle qui a quinze et vingt pieds de long, et la moitié de large, et ne peut-on penser comme on les pouvait monter, et si bien joindre qu’à peine y pourrait-on mettre le pointe d’un couteau, hormis en quelques endroits du côté de la tramontane, qui a miné quelque pierres, mais faut remettre le tout au grand travail des trois cent soixante mil personnes qui y furent continuellement employées vingt ans durant. Et ce, pour servir de sépulture à Pharaon qui les fit édifier, comme aucuns disent, par les enfants d’Israël étant en la captivité, ne sachant à quoi les employer, désirant aussi laisser quelque (mot indéchiffrable) pour servir de mémoire à la postérité, mais Dieu (...) ordonna son sépulcre en la mer Rouge, là où lui et tout son (mot indéchiffrable) fut submergé.
Chambre de la Reine (cliché Edgar Brothers) |
Voilà quant au dehors. Pour le regard du dedans, nous entrâmes par un petit conduit carré qui est du côté de la ville, et n’était la terre et ruine qui est au devant, il faudrait monter par là sept ou huit degrés, avant que d’arriver audit conduit. Car il n’est pas du tout au pied : il se faut fort baisser pour y entrer, ou bien s’asseoir, puis se laisser glisser, d’autant qu’il va de haut en bas. Au bout duquel conduit y a une muraille qui le traverse, laissant seulement un petit trou, par lequel il faut passer avec beaucoup de difficulté, pour être fort étroit. L’on y entre la tête première, le ventre contre bas. Puis faut ramper des mains pour remonter, non du tout (...) comme on est descendu. Ayant passé, il se trouve un lieu vide, et, à main droite, une longue galerie qui n’est accommodée, ni revêtue de pierres plates comme les autres. Nous allâmes jusques au bout avec des flambeaux, parce qu’il n’y a aucune clarté là-dedans. En cet endroit, nous nous trouvâmes assez empêchés, car il y avait si grande quantité de chauves-souris, qui volèrent contre nos torches, qu’à peine les pûmes-nous garder d’éteindre. Et su nous fûmes demeurés sans lumière, nous n’eussions jamais su trouver l’issue, en danger de tomber en quelques abîmes. Étant sortis de là, tournâmes vers la porte, au-devant de laquelle y a une autre galerie droite, et à plain pied, pour aller à (mot indéchiffrable) faut grimper contre la muraille environ la hauteur de deux hommes, mais celle-là est bien entaillée. Elle a environ quatre vingt pas de long et deux de large. Au milieu d’icelle nous trouvâmes un puits à main droite, auquel jetâmes plusieurs pierres qui retentissaient demi quart d’heure après, ce que nous fit juger qu’il était (mot indéchiffrable) profond.
En ce même endroit, nous y remarquâmes un écho qui répond à la voix dix ou douze fois. Au bout de ladite galerie, y a une chambre vide, voûtée en dos d’âne, de quelque cinq ou six pas de long, et de même largeur, à l’entrée de laquelle y a un pertuis à gauche, qui se va rendre à un autre long conduit auquel on ne va point pour être trop mal aisé.
La Chambre du Roi, “couverte seulement de quatre grandes pierres plates”
Retournés que nous fûmes par la même galerie, et au commencement d’icelle, en entrant, dressâmes notre vue en haut, où nous vîmes un autre conduit de galerie, par-dessus l’autre, qui va de bas en haut, en penchant, où un homme peut aller tout droit, et non à l’autre. La cavité en étant extrêmement haute, de la même largeur que la première, sans aucuns degrés pour y monter, étant seulement pavée de grandes et larges pierres, si polies et si glissantes qu’à peine se peut-on tenir, n’étaient les accoudoirs qui aident à monter. Cela dure environ vingt-cinq ou trente pas, continuant après de plain pied, encore autant, et au bout se trouve une autre belle chambre de dix-huit pas de long, et neuf de large, de quelque cinq ou six toises de haut, couverte seulement de quatre grandes pierres plates servant de plancher, dans laquelle y a un beau coffre de la même pierre que sont faits les obélisques, de onze palmes de long et six de large, n’ayant aucune couverture et forme comme une cloche quand on frappe contre. C’était, à ce qu’on tient pour certain, la sépulture qui avait été faite pour Pharaon, de la pierre de laquelle nous emportâmes un morceau, par curiosité.
Une “infinité” d’autres petites pyramides
C’est tout ce qu’on peut observer en ladite pyramide, laquelle surpasse en grandeur et orgueil toutes les autres. Et ne déplaira pas aux Romains, car leurs antiquités n’approchent en rien à ce superbe et incomparable édifice.
La seconde pyramide en grandeur est toute massive, sans aucune entrée ni cavité, qu’on sache, et ne se monte point par dehors non plus, (...) est unie sans degrés, avec sa pointe parfaite, laquelle paraît de loin aussi haute que la grande, mais, de près, il y a bien différence.
La troisième est beaucoup plus moindre, que l’on dit avoir été faite par une courtisane, laquelle, ayant été esclave, parvint enfin par sa beauté et bonne grâce, à amasser telles richesses qu’elle osa bien entreprendre cet ouvrage.
Il y en a une infinité d’autres petites, quasi du tout ruinées, et autres sépultures auprès, faites en forme de coffres, de plusieurs pièces. (...)
Un peu à côté droit de la grande pyramide, y a une grosse tête, regardant vers le Caire, non peu admirable, car outre qu’elle est toute d’une pièce de marbre posée sur sa base, de même elle a de circuit en grosseur environ cent pieds, et de hauteur à prendre du mentant tirant vers le sommet de la tête, quelque soixante. Il y en a qui le prennent pour un monstre, face d’homme, et corsage de lion. Quant au peu de corsage qu’elle avait, il est tout miné et rongé, y apparaissant néanmoins encore quelque peinture au visage, avec des oreilles d’une démesurée grandeur ; le reste assez bien proportionné.”
Source : Gallica
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire