samedi 8 janvier 2011

Al-Ma’moun s'est-il inspiré d'Hannibal ?

Photo Marc Chartier
Un dicton français rappelle qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Mais avec ce même liquide, qui sait si l’on ne pourrait pas détruire une pyramide ?
Rappelons-nous les récits relatant ce qu’il faut bien appeler les méfaits du calife-sapeur Al-Ma’moun (IXe siècle), artificier mal intentionné (*) à la recherche d’un hypothétique trésor dans les entrailles de la Grande Pyramide : “Le Commandeur des Fidèles al-Ma'moun, Dieu lui fasse miséricorde, étant entré dans le pays d'Égypte, et ayant vu les Pyramides, eut envie de les démolir, pour le moins quelqu'une d'elles, afin de savoir ce qui était dedans. Sur quoi on lui parla ainsi : Vous désirez une chose qui ne vous est pas possible. Si vous l'entreprenez et que vous n'en veniez pas à bout, ce sera une honte au Commandeur des Fidèles. À quoi il répondit : Je ne puis me passer d'en découvrir quelque chose. Il fit donc travailler à la brèche qui y était déjà commencée, et y fit de grandes dépenses. Car ils allumaient du feu sur la pierre, puis ils y jetaient du vinaigre, et battaient ensuite la place avec les machines. La largeur de la muraille se trouva de vingt coudées, à la mesure des géomètres.”
(récit de Murtada Ibn al-Khafîf, c. 1200)   

“À l'aide du feu et du vinaigre, à force de lancer des projectiles avec les pierriers, on parvint à faire l'entaille qui se voit encore aujourd'hui sur la face septentrionale de ces monuments.
(Récit d'Ibn Battûta, compilé par Ibn Juzayy)

“On pratiqua pour lui la brèche qui est encore béante aujourd'hui, on employa pour cela le feu, le vinaigre, les leviers... L'épaisseur du mur était d'environ vingt coudées.” (Maçoudi - Xe s.)

Cet épisode de la saga de la Grande Pyramide, quel qu’ait pu être son impact sur les connaissances en égyptologie, doit son caractère plausible à un constat pratique : les caractéristiques et effets du vinaigre.
En vertu de je ne sais quelle formulation chimique dont les spécialistes peuvent nous révéler le secret, chacun peut constater que pour redonner une nouvelle jeunesse à une cafetière entartrée (la faute au calcaire !) ou à un robinet faisant des caprices pour la même raison, il suffit de les soumettre à un bon bain à base de vinaigre. Allons-y donc tout de go, en tordant cette fois-ci le dicton : Qui peut le moins peut le plus ! Si le vinaigre dissout le calcaire pour nos objets du quotidien, rien ne l’empêche d’au moins fragiliser le calcaire des blocs d’une pyramide, surtout si ceux-ci ont été préalablement mis en condition par un bon coup de chauffe...

Hannibal et ses troupes franchissant les Alpes (Wikipédia commons)

Dans le même registre, peut-on penser qu’al-Ma’moun ait pu s’inspirer du grand stratège Hannibal (247-183 av.J.-C.) ? Rien ne m’autorise à créer cette passerelle historique. Le rapprochement est néanmoins éloquent. La preuve avec ce récit de Tite-Live, dans son Histoire romaine, où il est question de la traversée des Alpes par les troupes (et les éléphants) du général carthaginois :
“Tandem, nequiquam jumentis atque hominibus fatigatis, castra in jugo posita, aegerrime ad id ipsum loco purgato ; tantum nivis fodiendum atque egerendum fuit !
Inde ad rupem muniendam, per quam unam via esse poterat, milites ducti, cum caedendum esset saxum, arboribus circa immanibus dejectis detruncatisque struem ingentem lignorum faciunt, eamque, cum et vis venti apta faciendo igni coorta esset, succendunt ardentiaque saxa infuso aceto putrefaciunt. Ita torridam incendio rupem ferro pandunt (...).”

“Enfin, après avoir fatigué inutilement les animaux et les hommes, on établit le camp sur la crête, et l’on eut beaucoup de peine même pour en déblayer l’emplacement, tant il y eut de neige à piocher et à enlever. Puis on mit les soldats à l’aménagement du rocher qui, seul, permettait de faire passer une route. Comme il fallait entamer la pierre, ils abattent aux environs et ébranchent des arbres gigantesques, en font un énorme bûcher, puis, un vent violent, propre à faire du feu, s’étant levé, ils allument ce bûcher, et sur la pierre brûlante versent du vinaigre qui la désagrège. La roche ainsi calcinée, ils l’ouvrent avec le fer (...)”
Source

(*) à son corps défendant, il a peut-être quand même contribué à faire progresser la connaissance de la Grande Pyramide. Mais ce serait plus gratifiant pour les touristes que nous pouvons être de pénétrer dans le monument par la vraie entrée, et non par ce trou de voleurs !

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