mercredi 9 février 2011

Pyramide de Khéops : les deux entrées et la fermeture de la Chambre du Roi, selon Jean-Pierre Houdin

La Chambre du Roi dans son état actuel
Dans la nouvelle “lecture” que l’architecte-chercheur Jean-Pierre Houdin propose de la pyramide de Khéops - Kheops Renaissance -, la Chambre du Roi a droit à tous les honneurs. Et pour cause ! Cette pièce est en effet au cœur de tout le dispositif architectural du monument, sa fonction, comme celle de l’ensemble de la pyramide, étant d’accueillir pour l’éternité la dépouille momifiée du roi qui la fit édifier.
Or, la chambre funéraire de la Grande Pyramide a été, et reste encore aujourd’hui, l’objet de maintes interprétations et de débats sans fin, plus ou moins houleux, quant à sa finalité, à sa structure, à sa superstructure (les chambres dites “de décharge”), à ses conduits (dits “d’aération”), aux dégradations qu’elle a subies (les fameuses fissures du plafond, qui ont fait tant jaser dans les chaumières), à son utilité finale (a-t-elle ou non abrité l’auguste momie pharaonique ?), à son hypothétique pendant perdu on ne sait trop où dans la masse du monument (vous avez dit “chambre secrète” ?), etc.
À la liste des questions-réponses, il faut désormais ajouter l’entrée de cette chambre, à savoir le seul passage encore aujourd’hui “en service”, sous lequel tout visiteur doit “courber l’échine” pour entrer dans la chambre, dans le coin nord-est. Depuis des siècles et des siècles de “pensée unique”, pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Houdin, on a vu dans cette entrée celle qui fut empruntée par la procession funéraire transportant la dépouille du pharaon.
Dans la logique de Kheops Renaissance, Jean-Pierre Houdin ne voit en réalité dans cette entrée qu’un élément de plus dans le circuit... de service, donc déjà neutralisé longtemps avant le jour des obsèques royales. Selon son analyse de la pyramide, la Chambre du Roi a dû être accessible par une autre entrée - la “vraie” -, terme du “Circuit Noble”, aujourd’hui dissimulée aux regards.
En fait, pas à tous les regards ! La preuve dans ce qui suit...

Au simple coup d'œil, la Chambre du Roi, au cœur de la Grande Pyramide de Guizeh, témoigne des changements ou chamboulements qu’on lui a fait subir au cours des siècles (couvercle du sarcophage absent, sape dans l’angle nord-ouest...), les curieux plus ou moins bien intentionnés n’ayant pas toujours eu l’art et la manière de parvenir à leurs fins.
Un œil plus expert saura non seulement interpréter ces changements, mais aussi percevoir le plan d’origine dans la construction et l’agencement de la chambre. Les pierres ont un langage pour qui sait les comprendre.
Où est donc passé le bloc, visible sur cette photo, à droite du sarcophage ? (photo Keith Payne)
Première observation : le bloc disparu
Première observation faite par Jean-Pierre Houdin : d’où venait le bloc de pierre que l’on voyait encore, il y a quelques années, à côté du sarcophage, sur le côté ouest du mur nord de la Chambre du Roi ? Et qu’en est-il advenu, puisqu’il a aujourd’hui disparu ?
La réponse à la deuxième partie de la question est simple : lors d’une rénovation de la Chambre du Roi, en 1998, le Dr Zahi Hawass, ès-qualité de superviseur du destin des antiquités égyptiennes, a ordonné la disparition du bloc. Cela faisait sans doute trop désordre à ses yeux. Il a par-là même, commente Jean-Pierre Houdin, fait disparaître “une pièce du dossier”. “Heureusement, poursuit l’architecte, de nombreux témoins ont gravé dans le dessin et la photo la preuve de l’existence de ce bloc.” Mais quant à savoir où il se trouve actuellement... mystère !
Plus important : quelle était l’emplacement originel de ce bloc, et quelle était sa fonction dans l’ensemble de la structure ?

Entrée nord-est de la Chambre du Roi
Les dimensions du bloc, constate Jean-Pierre Houdin, correspondaient (pour cause de disparition, il faut bien utiliser le passé) exactement à celles de l’entrée à l’est du mur nord de la chambre funéraire. Il y avait donc tout naturellement sa place, celle prévue par les plans d’origine.

 "Le bloc repose sur la face qui devait être visible dans la Chambre du Roi, face sur laquelle il a atterri quand il a été basculé pour pénétrer dans la pièce. Une fois redressé, il se rapprocherait de la hauteur du sarcophage, moins tout ce qui a été cassé pour qu'il y ait assez de jeu pour le basculer.
Tout à droite, ce devait être la partie haute, la plus cassée ; 
à gauche, sa base ; au centre, la face ouest du bloc." (commentaire JPH)
Il faut alors immédiatement remarquer qu'il y a un décalage de 2cm entre le niveau du sol de la chambre et celui du couloir, ce dernier étant plus bas. Il faut savoir par ailleurs que la section du couloir entre la Grande Galerie et la chambre des herses est plus petite que celle du couloir entre la chambre des herses et la Chambre du Roi. La conclusion s’impose donc pour Jean-Pierre Houdin : “Le bloc qui fermait l'entrée dans la chambre du Roi, côté est, n'est jamais passé par la chambre des herses... Et pourtant, il a fini par boucher l'accès exactement à l'alignement du mur nord de la chambre du Roi, en butée contre le dallage de cette pièce. Pour cette raison, les voleurs, qui avaient réussi à pénétrer jusque derrière ce bloc par l'entrée creusée en face nord de la pyramide, puis par le couloir ascendant, puis par la Grande Galerie et enfin par la chambre des herses, ont été obligés de le casser en partie haute et, quand il a eu assez de jeu, de le basculer dans la Chambre du Roi...où il a erré pendant 1.250 ans.”

Entrée nord-est : "courber l'échine"
En d’autres termes, le bloc en question, dont la fonction était d’obturer l’entrée nord-est de la Chambre du Roi n’a pas été mis en place “après” la cérémonie des obsèques royales. “C’est à partir de la 17ème année de la construction de la pyramide, date mentionnée par un graffiti dans la dernière ‘chambre de décharge’, précise Jean-Pierre Houdin, donc à la fin de la construction de la Chambre du Roi, le système de contrepoids de la Grande Galerie n’ayant plus alors d’utilité, qu’il a trouvé, poussé de l'intérieur de la chambre, avant la mise en place de la dalle en butée, la position qu’il a occupée jusqu'en l'an 850 de notre ère (arrivée d’al-M’amoun), pour bloquer l'accès à la chambre. Le blocage aura ainsi duré 3.350 ans, ni plus, ni moins, jusqu’au jour où les éclaireurs de pointe du calife al-Ma’moun l’ont cassé, puis fait basculer dans la chambre. Mais il n’était plus alors à son emplacement d’origine.”
“Il s’ensuit, poursuit notre guide architecte, que le bloc migrateur, même s’il a été longtemps observé à proximité de la grille recouvrant la sape dans l’angle nord-ouest de la Chambre du Roi, n’avait rien à voir avec cette sape ouverte par al-Ma’moun, puis revisitée bien plus tard par Perring. Il n’en était pas issu. Il était en effet en granit, alors que la sape ouvre sur des blocs en calcaire... Notez que j’emploie bien le passé dans ma description du bloc, dans la mesure où il n’est plus accessible désormais à notre observation depuis l’’étrange décision du ‘maître de céans’ de le faire disparaître à nos regards !”

La sape d'al-Ma'moun
Deuxième observation : une seconde entrée, “en filigrane” dans le mur nord de la Chambre du Roi
Il vient d’être question de la sape, côté ouest du mur nord de la Chambre du Roi. Elle a une histoire peu banale.
Pourquoi les soldats-sapeurs d’al-Ma’moun ont-ils creusé à cet endroit précis ? Ils devaient assurément avoir décelé des indices “quelque part” dans le mur, ayant attiré leur curiosité et justifiant leur entreprise.
Ces indices, s’ils étaient réellement révélateurs, doivent exister encore aujourd’hui. Al-Ma’moun, à la recherche sans nul doute de quelque trésor lié à la chambre funéraire, s’est simplement trompé dans leur interprétation. Il a fait creuser en profondeur, alors qu’il aurait dû le faire... horizontalement !
D'après les relevés de Gilles Dormion
Observons donc le mur nord, en suivant les indications de Jean-Pierre Houdin : “Qu'y voit-on ? À droite (côté est, en bas, en orange), l’entrée par laquelle on pénètre actuellement dans la pièce. À gauche, la disposition des blocs de granit est telle qu’elle forme un portique (en rose) qui reprend tout le poids des poutres des plafonds en granit (en sombre). Les blocs (en jaune) qui remplissent le vide du portique ne portent pas sur le bloc central, en bas (en bleu). Celui-ci bloque la seconde entrée. Il est libre, exactement comme le bloc qui bouchait autrefois la première entrée. Libre : autrement dit, il a pu être déplacé... par exemple, au terme de la cérémonie des funérailles du roi, lorsqu’il a fallu sceller la pyramide.
Les fissures du mur nord de la Chambre du Roi (d'après les dessins de  Gilles Dormion)
“Depuis ces observations, je suis allé de nombreuses fois dans la pyramide et particulièrement dans la Chambre du Roi pour analyser de près ce mur nord. J’ai alors prêté attention à plusieurs autres détails. Le premier bloc en jaune au-dessus du bloc bleu est fissuré en deux endroits, en son centre. Ceci prouve qu’il existait un espace entre les deux blocs, donc que celui du dessus ne reposait pas sur celui du dessous. Par ailleurs, on sait que les poutres des plafonds se sont fissurées pendant le chantier après un tassement du mur sud de la chambre. Plus tard, certainement au moment où les hommes d'al-Ma'moun ont creusé un trou au pied du bloc de la deuxième entrée, cette partie du mur nord a aussi bougé un peu, de 2 à 3 mm, c'est-à-dire presque rien, mais cela a suffi pour que le bloc jaune se fissure et repose après coup sur le bloc bleu.
“J’ai également procédé à une expérience avec une carte de crédit périmée en plastique : j’ai essayé de la glisser dans le joint de droite entre le bloc bleu et le bloc rose du portique. J’y ai réussi facilement, alors que c’est quasiment impossible ailleurs (on dit souvent au sujet des joints de la pyramide qu’ils sont si parfaits qu’on ne pourrait pas y passer une lame de rasoir). J’ai fait glisser cette carte à plat sur les pierres, de bloc en bloc, pour vérifier leur alignement. La seule fois où ma carte a buté, c’est précisément sur ce joint, ce qui prouve que le bloc bleu est légèrement en retrait du bloc rose. Si le bloc bleu avait été mis en place en même temps que tous les autres blocs de la chambre, il aurait été parfaitement aligné avec les autres.”

La véritable entrée de la Chambre du Roi

On ferme !
À ce stade de l’inventaire des structures de la Grande Pyramide, tel qu’établi par Jean-Pierre Houdin, nous retrouvons ce qui faisait l’objet de la précédente note de ce blog consacrée à cet auteur : les deux antichambres. Il est bon également de se remémorer certains développements de la seconde partie de l’interview exclusive accordée par l’auteur à Pyramidales (voir sous l’inter-titre “Un système de fermeture complexe et génial”).
Traversant (virtuellement), depuis l’intérieur de la Chambre du Roi, le mur nord de cette pièce, nous retrouvons en effet, de l’autre côté, la partie haute de la seconde antichambre, en transitant par un couloir assez court qui a joué un rôle essentiel dans la fermeture définitive de la chambre funéraire, au terme des obsèques royales.
Est-il besoin de le souligner enfin, pour tordre le cou à une idée reçue qui a circulé à certaines époques ? La Chambre du Roi n’a pas été fermée définitivement de l’intérieur. La momie royale n’avait que faire d’ouvriers, aussi dévoués fussent-ils, s’emmurant tels des kamikazes. Si la pierre obturant la première entrée - celle de service, côté est - a été mise en place de l’intérieur de la chambre, de la manière et pour les raisons mentionnées plus haut, celle bouchant la seconde entrée - celle du “Circuit Noble”, côté ouest - l’a été de l’extérieur avec la mise en œuvre du bloc-poussoir et du piston actionné depuis la seconde antichambre.
Cette technique introduite par Jean-Pierre Houdin dans sa reconstitution du chantier de construction de la Grande Pyramide a été décrite et illustrée dans l’interview mentionnée ci-dessus.
Étant donné sa complexité, en voici une autre formulation, spéciale Pyramidales, proposée par l’auteur :
Le bloc N° 1 est dans sa position initiale
En cours de fermeture : le piston (4) va pousser le bloc N° 1

La problématique :
1 - Pour le jour des obsèques royales, le couloir entre la 2ème antichambre et la Chambre du Roi doit être totalement dégagé pour permettre le passage du cortège funèbre.
2 - Il faut pourtant pouvoir fermer la Chambre du Roi avec un bloc de granit qui la scelle parfaitement, donc de dimensions inférieures de 2 ou 3 mm à celles de son emplacement définitif, et présent “dans le secteur”.
3 - La Chambre du Roi doit être fermée de l’extérieur, afin que les ouvriers ne soient pas emprisonnés dans la pièce au terme de l’opération, sans issue possible.
4 - Il est impossible, “pratiquement” et "matériellement", de stocker le bloc de fermeture dans la 2ème antichambre, puis de le monter à 7m de hauteur, de le présenter en face d'un couloir ayant, à 2 ou 3 mm près, ses dimensions et de l'y introduire... Cela nécessiterait un matériel et une précision de mouvements impossible à assurer par les ouvriers égyptiens chargés de l’opération.
5 - Le "secteur" de stockage du bloc de fermeture doit donc se situer entre la Chambre du Roi et la 2ème antichambre, à niveau.


La solution :

1 - Présence d’un petit couloir, d'environ 4 coudées de longueur sur 2 de largeur, perpendiculaire au couloir de liaison, du côté est de celui-ci
2 - Dans ce petit couloir, 2 blocs "jumeaux" (1 et 2 sur le schéma ci-dessus) sont mis en place, le 1er devenant partie du mur est du couloir de liaison, le 2ème étant "collé" derrière lui.
3 - La face avant du 2ème en contact avec la face arrière du 1er est très légèrement concave de façon à laisser un petit espace dans la majeure partie de la surface. Une "pastille" en laiton est insérée dans le 2ème bloc, aux ⅔ de la hauteur, débordant suffisamment pour venir à l'alignement vertical théorique de la face. Son rôle est de permettre de pousser la totalité du 1er bloc dans le couloir sans le "coincer" contre le mur d'en face. Au moment de la poussée par le piston (4 sur le schéma), le frottement ne se fera que sur cette pastille qui va très vite être rabotée par le granit du 1er bloc.
4 - Comme moteur du système, un bloc pousseur (3 sur le schéma), basé sur un modèle de herse intégré dans un couloir de la pyramide Rhomboïdale : ce savoir-faire a évolué en bloc-poussoir pour la Rouge et Khéops.
5 - Jusqu'à ce stade, tout se fait "automatiquement", le déclenchement du système (enlèvement d'une cale en travers du couloir) étant réalisé par des ouvriers en "aval", et les déplacements étant effectués sur un "coulis" de sable très fin.
6 - Une butée empêche le bloc-poussoir d'aller plus loin que nécessaire dans sa course. Lorsque le 2ème bloc a pris la place du 1er, il ne peut plus avancer, car le bloc-poussoir est en bout de course.
7 - Le piston est en attente dans la 2ème antichambre, sur les traverses. Il n’est pas en mouvement tant que le 1er bloc n'a pas été poussé dans le couloir de liaison
8 - Une fois le bloc dans ce couloir, le piston est rapproché de la face arrière nord de celui-ci (ex-face latérale nord du bloc quand il était encore dans le couloir perpendiculaire), puis plaqué contre elle.
9 - Pour obtenir la force de 750 kg, nécessaire au déplacement du bloc, huit ouvriers montent aux cordes de traction, et quatre autres tirent sur l'ensemble ; le 1er bloc avance dans le couloir de liaison jusqu'à venir buter contre le ressaut du dallage de la Chambre du Roi.
10 - Au terme de l’opération, tout ce qui est récupérable est démonté et emporté.



Lire également, sur Kheops Renaissance :
- Interview exclusive de Jean-Pierre Houdin - 1ère partie
- Interview - 2ème partie
- L'héritage de Khéops
- La pyramide de Khéops et ses “chambres de décharge”, ou les conséquences techniques de la construction d’un plafond plat pour la Chambre du Roi
-Transport des blocs de pierre et monolithes pour la construction de la Grande Pyramide : l’ingéniosité des bâtisseurs égyptiens
- L'entrée "à usage multiple" de la Grande Pyramide 
- La rampe intérieure à deux niveaux de la Grande Pyramide


- La thermographie infrarouge révélera-t-elle d'autres secrets de la Grande Pyramide ?
- Dassault Systèmes ou l'art de conjuguer la Grande Pyramide au futur antérieur