lundi 21 juin 2010

"Les Pyramides, vraiment je ne comprends pas l'admiration que l'on a pour elles" (René Delaporte - XIXe s.)

Je ne sais rien de René Delaporte, si ce n'est qu'il était "ex-chargé de mission du ministère du Commerce", information figurant en première page de son ouvrage Dans la Haute-Égypte, édité en 1898, dont est extrait le texte qui suit.
Il y est question d'un surprenant ordre de préséance dans l'inventaire des merveilles d'Égypte : d'abord, le "fameux Sphinx", qui a droit à tous les honneurs ; puis le "prodige de masse" que sont les pyramides, face auxquelles l'auteur n'éprouve aucun sentiment d'admiration. Comme pour s'excuser de cette manifestation de lèse-majesté, il s'abrite ensuite derrière une citation de Mariette Pacha, justifiant l'appréciation en deux temps dont tout visiteur du site des pyramides peut faire l'expérience.


Photo Marc Chartier

"Qui vient en Égypte sans voir les Pyramides ? Nul touriste. II est peu de voyageurs qui soient allés au Caire sans aller admirer le Sphinx, ascensionner une pyramide ou pénétrer dans l'intérieur de ce gigantesque tombeau. Je suis sûrement un des rares qui grimpèrent sur la pyramide de Saqqarah et encore un des plus rares qui n'ont point grimpé sur les pyramides de Guiseh, ni pénétré dans leurs corridors étroits.
Quel que soit le côté où l'on se retourne, ce seront toujours les pyramides que l'on apercevra. Elles sont immobiles sur la lisière du désert et regardent impassibles l'émeraude ou l'argent de la plaine du Nil. Une large avenue construite pour la venue de l'Impératrice Eugénie conduit aux pieds même de ces colossales agglomérations de blocs.
Le Sphinx m'attirait. Les pyramides me laissaient froid. Cependant, après être monté et arrivé aux pieds de celle de Chéops, je fus frappé par la majestueuse masse de ces tombes. À peine là, vous voyez s'abattre sur vous un monde de guides, de chameliers et d'âniers. L'un vous tire pour vous amener à l'intérieur, l'autre veut vous faire monter au sommet de la grande pyramide. Quand vous n'obéissez à aucune des deux injonctions, que vous ne pénétrez pas, ni ne grimpez, vous n'êtes pour nos bons Bédouins qu'un manant.
Sans le Sphinx, certes les pyramides n'auraient pas eu ma visite ; cela aurait été vraiment dommage pour moi. C'est une promenade délicieuse que d'aller jusque-là. Une superbe route bordée d'acacias touffus vous y conduit. Seule l'excursion vaut la peine de se déranger. Mais les Pyramides, vraiment je ne comprends pas l'admiration que l'on a pour elles. Merveilles du monde, elles ne m'ont pas impressionné au point de les trouver admirables. Il y a un prodige de masse. Un point, c'est tout.
Mariette Pacha, un profond admirateur de tout ce qui touche à l'antique Égypte dit : "II est juste d'accorder aux pyramides l'admiration qui leur a valu d'être rangées au nombre des sept merveilles du monde. II faut dire, cependant, que cette admiration ne s'impose pas au visiteur dès qu'il arrive au pied de ces monuments célèbres. L'immensité du désert environnant et le manque d'un point de comparaison rapetissent, en effet, les Pyramides et empêchent de les bien juger. Mais, à la réflexion, les pyramides grandissent et reprennent leurs véritables proportions. On s'étonne alors de l'immensité de ces constructions. On y voit les monuments les plus durables et les plus élevés sous le ciel que jamais l'homme ait bâtis. Les Pyramides ont six ou sept mille ans de date ; mais il n'y a aucune raison pour que dans cent mille ans elles ne soient pas encore telles que nous les voyons aujourd'hui, si des mains ignorantes ou criminelles ne viennent pas aider à leur destruction."
Après ces lignes du célèbre égyptologue, je n'ai plus rien à dire.
Non loin de la grande pyramide, nous avons le fameux Sphinx. Plus abimé que les colosses de Memnon, il conserve une face camuse où ne se reflète aucune expression. Ces yeux que l'on voit encore très bien sont vagues ; sa figure respire une impassibilité qui fait rêver les voyageurs assis en face de lui. Cependant une grande affluence de touristes empêche chacun de ressentir l'émotionnante impression que vous produit cotte énorme tête grossièrement sculptée.
C'était un rocher naturel. On le tailla et on lui donna la forme de cet animal symbolique dont on ne sait ni l'origine, ni la vie, ni l'explication. Les pattes énormes ont été faites de grosses pierres maçonnées. Il représente un dieu appelé Armachis. Le dieu de l'énigme probablement, car aucun ne l'a encore tranchée."

Source : Gallica

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