Il fut élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1839 et, l'année suivante, prit la direction du Cabinet des médailles, succédant à l'égyptologue Antoine Jean Letronne. Il succéda également à ce dernier à la chaire d'archéologie du Collège de France en 1849.
Le texte qui suit est extrait de son ouvrage Beaux-Arts et Voyages, tome second, 1861. L'auteur y exprime sa nette préférence pour les monuments et sites admirables de Haute-Égypte, quitte à "blasphémer" contre les pyramides.
Portrait de Charles Lenormant, par Pierre-Jean David d'Angers (1788-1856).
Cette illustration est reproduite ici avec l'aimable autorisation du Walters Art Museum (Baltimore, Maryland).
"C'est du pied de ces beaux arbres que, le terrain s'élevant avec rapidité, la roche calcaire dresse de toutes parts ses crêtes nues au nombre desquelles se trouve le fameux sphinx, qui a partagé sinon la durée, au moins la réputation des pyramides. Ce monument, sur lequel on a avancé tant de conjectures, n'est autre qu'une espèce de témoignage des excavations profondes pratiquées tout autour, et dont les pierres devaient servir comme de supplément à celles qui sortaient des immenses carrières de Mokatam. La tête du sphinx, malheureusement fort endommagée, est le portrait du roi Thoutmosis 1V, qui vivait environ 1700 ans avant Jésus-Christ ; cette tête, qui conserve des teintes profondes d'une couleur rouge que bien des voyageurs ont prise pour celle du granit, s'élève seule avec le cou et une partie de la croupe au-dessus du sable : mais il n'y a pas longtemps qu'un nommé Caviglia a fait faire des fouilles tout autour et a découvert entre les jambes un grand monolithe avec quatre lions et une inscription qui donne la date ci-dessus. Il est vrai qu'en véritable vandale ledit Caviglia a vendu un lion aux Anglais et recomblé le reste ; mais la chose n'en est pas moins constatée et fait cesser toute incertitude sur un colosse au pied duquel le Neptune de Jean de Bologne n'est qu'une figurine.
En se plaçant juste en face du sphinx, on découvre, d'un seul point de vue, la grande pyramide entièrement dépouillée de son revêtement et dentelée dans toute sa hauteur ; la seconde, qui ne lui cède guère, conservant à son sommet comme une espèce de croûte polie, irrégulièrement, interrompue aux trois quarts de la hauteur totale, la troisième vraiment lilliputienne auprès de ses aînées, et puis tout autour une foule de petites pyramides, de débris de chaussées, d'enceintes et d'autres constructions, des portes de tombeaux sculptées dans le roc ; enfin les restes encore magiques d'un des plus beaux aspects que l'imagination humaine puisse concevoir. C'est là le vrai coup de théâtre. Il perd un peu à l'analyse ; d'abord quand on s'occupe de la grande pyramide, on ne juge la grandeur des pierres qui la composent qu'en les touchant, qu'en se mesurant soi-même avec elles ; puis l'imagination est importunée de ce grand amas de matériaux dont elle ne comprend plus ni la forme ni le but. C'est donc avec une sorte d'ébahissement stupide que l'on parcourt tout cela, qu'on escalade ces gradins interminables dont les marches semblent faites pour des géants, qu'on pénètre dans ces longs corridors, dans ces détours sinueux qu'on a peine à croire construits dans le seul but de conduire à un tombeau.
J'ai l'air de prêcher contre mon saint, mais l'inutilité, la plus belle chose du monde, a ses bornes comme tout le reste ; et quand il faut reculer de deux lieues pour retrouver l'idée pittoresque, pour se faire un plaisir, une émotion, même la plus désintéressée, on est tenté (je blasphème) de ranger les pyramides parmi les grandes badauderies dévolues à l'amusement et à l'occupation éternels des sots qui composent la majorité du genre humain. Il y a peut-être un milieu entre ce que j'ai avancé pour et contre, un moyen terme qui est la vérité, mais pour le moment, je proteste contre les pyramides. (…)
[Poursuivant son périple en suivant le Nil, en direction de la Haute-Égypte, l'auteur écrit :]
C'est une chose à laquelle je crois à peine, que l'éloignement où je suis maintenant de notre Europe et de tout ce qui lui ressemble. La variété, le beau plumage et le nombre des oiseaux nous annoncent le voisinage du tropique : les crocodiles commencent à garnir les bords du fleuve ; la lumière, de plus en plus belle et puissante, embellit le moindre accident de la nature et fait des paysages admirables de sites qu'on ne remarquerait pas chez nous. Le contraste sans cesse renouvelé entre le désert et la vallée si verdoyante qu'il presse de toutes parts, tient toujours l'imagination en mouvement, sans qu'elle éprouve rien de cette monotonie qu'un fleuve, coulant perpétuellement entre deux montagnes, semblerait devoir produire.
Dans quelques jours, tout cela sera animé par des monuments magnifiques encore parés de l'éclat des plus riches couleurs. Nous verrons commencer cette chaîne qui continue sans s'interrompre jusqu'à l'extrémité de la Nubie, et cela au milieu de races nouvelles, de mœurs étranges, d'une nature chaque jour plus tranchée, plus frappante pour l'œil d'un Européen. N'y a-t-il pas dans cette idée de quoi faire supporter bien des privations et des ennuis ? Et comment ne pas être ému de l'attente d'un pareil spectacle ? Telle est la disposition où je me trouve, passant sans cesse de l'enivrement aux plus amers regrets, des impressions les plus douces aux réflexions les plus tristes : l'âme véritablement hors de mon existence, emporté dans une espèce de voyage à la lune qui ne sera bientôt plus qu'un éclair brillant dans ma vie. Déjà ce que j'ai passé se pare pour moi de couleurs plus éclatantes encore, déjà j'en suis aux regrets d'avoir blasphémé contre les pyramides, que mon esprit a fini par accueillir pour ne s'en séparer jamais. Que sera-ce quand, rentré dans nos climats brumeux, dans notre nature exiguë, sur notre terre d'un jour, je me représenterai cette grande revue des siècles que l'Égypte fait défiler devant moi ? quand cette fantasmagorie aérienne et ces miracles de la lumière se peindront bien éloignés dans mon souvenir ?"
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