samedi 18 décembre 2010

Construction des pyramides d’Égypte : recueil de textes, traduits en français, de John Greaves (XVIIe s.) - 3e partie

Suite des extraits de textes, traduits en français, de John Greaves (1602-1652), publiés dans l’ouvrage collectif Relations de divers voyages curieux, qui n'ont point été publiées ou qui ont été traduites d'Hacluyt, de Purchas et d'autres voyageurs anglais, hollandais, portugais, allemands, espagnols et de quelques persans, arabes et autres auteurs orientaux..., tome 1,1663-1696, par Melchisédech Thévenot (1620-1692), Richard Hakluyt (1552?-1616) et Samuel Purchas (1575?-1626).
Ce troisième volet est consacré à la description du dedans de la “première pyramide”.
On le remarquera : il n’est question ni de “chambre souterraine”, ni de “grande galerie”, ni d’”encorbellement”, ni de “chambre de la Reine”, ni de “chambre du Roi”, ni de... ni de... Les mots, du moins les nôtres actuels, n’y sont pas, mais la réalité est bien là. Greaves la décrit à sa façon, avec ses termes à lui, dans une abondance de détails prouvant le sérieux d’un auteur qui ne veut rien oublier, même s’il a dû mener son étude de la pyramide sans avoir eu aucune lumière pour l’examiner, ni des anciens auteurs, ni des voyageurs de ce temps”. Quelle que soit, à l’aune de nos critères modernes, l’exactitude des observations de John Greaves, sa relation est sans nul doute un grand moment de l’histoire de l’égyptologie.
Au regard du texte anglais (que l’on pourra consulter ICI), la traduction présente certainement des faiblesses, voire des imprécisions. Je l’ai néanmoins respectée comme telle, en l’adaptant simplement à l’orthographe actuelle.

“Après avoir décrit le dehors de la grande Pyramide avec ses dimensions, j’entreprends ici la description du dedans, dont les Anciens n’ont point parlé, ce que j’attribue à la religion qu’ils avaient pour les sépulcres, puisqu’elle ne leur permettait pas d’entrer dans ces palais de la mort consacrés au silence et au repos des morts. Hérodote dit en deux mots qu’il y avait au-dedans des pyramides des voûtes secrètes taillées dans la roche. Diodore Sicilien n’en parle point du tout, quoiqu’il soit soit souvent trop prolixe dans les choses qui ne sont pas si curieuses.
Strabon en dit peu de chose : à 40 stades, ce dit-il, de la ville de Memphis, il y a une roche sur laquelle ont été bâties les pyramides, monuments des rois anciens ; trois de ces pyramides sont fort remarquables, mais surtout, deux qu’on met au rang des sept Merveilles du Monde. Elles ont quatre stades de hauteur, et chacun de leurs quatre côtés a presque autant d’étendue que toute la pyramide a de hauteur. L’une de ces deux pyramides est un peu plus grande que l’autre ; sur le sommet de la plus grande de ces pyramides, à l’endroit où aboutissent ses quatre côtés, il y a une pierre qui, pouvant être aisément détournée, découvre une entrée qui mène par une descente à vis jusqu’au tombeau.
Pline n’en décrit autre chose que le puits qu’on y voit encore aujourd’hui ; il dit qu’il a quatre-vingt six coudées de profondeur. il semble qu’il ait cru que par quelques conduits souterrains, on y eût dérivé l’eau du Nil.
Aristide, dans l’oraison intitulée l’Égyptien, dit que le fondement des pyramides descend aussi bas en terre qu’elles ont de hauteur, en quoi il avait été mal informé par les Égyptiens, car elles n’ont point d’autre fondement que la roche. (...)
Les auteurs arabes, principalement ceux qui ont entrepris de décrire les choses remarquables d’Égypte, nous en ont donné une relation plus particulière ; mais ils ont mêlé ce qu’ils en ont dit de tant de fictions que le peu de vérité qui se trouve en leur relation en est tout-à-fait obscurci. (...)

L’excellence des ouvriers
Voilà ce qu’en disent les Arabes ; mais comme cette tradition tient beaucoup de la fable, je ne m’y arrêterai pas davantage. J’en rapporterai ici la description que j’en ai faite, y étant entré avec dessein de l’observer exactement.
Du côté de la pyramide qui regarde le Nord, après avoir monté un petit tertre qui s’élève au-dessus de la campagne de la hauteur de 38 pieds, et qui semble avoir été fait à la main de terre rapportée, on trouve un passage étroit et carré justement au milieu de ce côté de la pyramide. Nous y entrâmes. Nous trouvâmes que que le chemin qui conduisait au-dedans était un plan incliné ou descente, qui faisait un angle de 26 degrés. L’ouverture est de trois pieds et de 463 parties du pied anglais, que je suppose dans toutes ses mesures divisé en mille parties. Pour la longueur, à la prendre de l’endroit où commence la descente, c’est-à-dire à quelques 10 palmes au dehors de l’ouverture, jusques à l’extrémité de la descente, elle est de 92 pieds et demi, également large partout, mais de la moitié plus basse vers le bout qu’elle n’est à l’entrée.
Cette entrée marque l’excellence des ouvriers qui y ont travaillé : la pierre en est extrêmement polie ; elles sont si bien jointes les unes avec les autres qu’il est difficile d’en connaître la séparation. Diodore avait déjà fait cette remarque dans tout le corps de la pyramide.


Cliché Edgar Brothers

Une “place toute en désordre”
Après avoir passé par cette ouverture étroite avec beaucoup de peine, car sur la fin il nous fallut coucher sur le ventre, et nous conduire à la lumière des torches que nous avions à la main, nous entrâmes en une place plus large et qui avait peu d’exhaussement, mais qui était toute en désordre, car on avait creusé en divers endroits par avarice, par curiosité, ou plutôt par le commandement d’Almamoun, fameux calife de Babylone. La chose ne mérite pas qu’on examine davantage à laquelle de ces trois causes on doit attribuer ce désordre.
J’ai parlé ici seulement de cette place pour faire voir que je ne veux rien omettre, car ce n’est maintenant qu’une retraite de chauves-souris, entre lesquelles j’en ai vu qui avaient plus d’un pied de longueur. Cette place obscure a quatre-vingt neuf pieds de longueur. Sa hauteur et sa largeur se sont pas égales partout, et ne méritent pas qu’on les décrive plus particulièrement. À la main gauche de cette place, et tout proche de cette entrée étroite par laquelle nous avions passé, nous trouvâmes un degré, ou plutôt un gros bloc de pierre qui avait 8 ou 9 pieds de hauteur, et nous servit de degré pour entrer dans la première allée.
Cette allée est un peu inclinée et penche vers l’entrée. Elle est bâtie d’un marbre de beau grain et bien poli, qui paraît aussi net et aussi blanc que de l'albâtre quand on en a nettoyé l’ordure qui le couvre. La voûte et les côtés sont bâtis d’une pierre qui n’est pas si polie ni si dure que celle qui est employée pour le pavé de cette allée, comme l’observa Titolivio Buratini, jeune homme vénitien, fort spirituel, qui était en ma compagnie. Elle a du moins cinq pieds de largeur, et est aussi haute que large, si je ne m’y suis point trompé aussi bien que mon compagnon, qui remarqua avec moi quelque irrégularité en la largeur de l’allée, la trouvant en des endroits plus large, et en d’autres plus étroite, quoiqu’à la vue, elle parût également large. J’ai trouvé, en mesurant avec une toise qu’elle avait 110 pieds de longueur.

Un puits “rempli d’ordure et de vidange”
À la fin de cette galerie, nous en trouvâmes une seconde qui ne cède point à la première en l’excellence de sa structure, ni en la matière des pierres qui y sont employées ; elles sont séparées l’une de l’autre par un fossé. Après l’avoir passé, nous trouvâmes un trou carré de la même grandeur de celui par lequel nous étions entrés dans la pyramide : il conduit dans une autre allée de niveau, et au bout de cette allée sur la main droite, est le puits dont Pline a fait mention. Il est rond, et non pas carré comme les Arabes l’ont décrit : ses murailles ou côtés sont de marbre blanc ; il a plus de trois pieds de diamètre. on y descend en mettant les mains et les pieds dans des trous qui sont faits dans ce marbre, et qui se répondent les uns aux autres. Ces trous étant tous à plomb les uns sous les autres (...), l’on y descend aisément en s’aidant en même temps des pieds et des mains. (...) [Le puits] a 86 coudées de profondeur, selon le calcul de Pline, et peut-être qu’il servait de passage à ces voûtes secrètes et cachées dont Hérodote fait mention sans les décrire, et qui avaient été taillées dans la roche vive qui sert de fondement à la pyramide. pour moi, je trouvai qu’il n’avait que 20 pieds de profondeur. La raison de la différence qui se trouve entre l’observation de Pline et la mienne vient peut-être de ce que, depuis son temps, le puits a été rempli d’ordure et de vidange. En effet, j’y jetai quelque matière combustible allumée, et je vis beaucoup d’ordure au fond.

Quelque autre appartement ?
Nous quittâmes le puits, et après avoir marché la distance de 15 pieds toujours de niveau, nous trouvâmes un passage ou ouverture carrée, qui répondait justement à la première, et était de la même grandeur. Les pierres en étaient fort massives, et exactement jointes. (...) Ce chemin de niveau, comme j’ai déjà dit, a 110 pieds de long, et porte dans une voûte ou petite chambre dans laquelle je ne m’arrêtai pas beaucoup à cause de sa puanteur et de l’ordure dont elle était à demi pleine. Elle n’a guère moins de 20 pieds de longueur et de 10 de large. Ses murailles regardent Est et Ouest ; elles sont fort entières et enduites de stuc. Le plancher d’en-haut est composé de grandes pierres qui, en s’avançant, forment un angle au milieu du côté de l’Est de ce champ ou espace.
Il semble qu’il y ait eu autrefois un passage pour entrer dans un autre : peut-être que c’était le chemin par lequel les sacrificateurs entraient dans le creux de ces Sphinx dont [parlent] Strabon et Pline, ou Andro-Sphinx comme Hérodote l’appelle. (...) Pour moi, je crois que le Sphinx est d’une seule pierre posée au Sud-Est de la pyramide dont elle n’est pas fort éloignée. Peut-être aussi que cette ouverture conduit dans quelque autre appartement. Je ne peux rien déterminer en cela, et s’il se peut faire même qu’elle servit de niche pour y mettre quelque idole, ou pour quelque autre ornement qui était alors en usage, et qui nous est maintenant inconnu aussi bien que la raison de ces proportions bizarres qui se rencontrent dans les passages et parties intérieures de la pyramide.


Cliché Edgar Brothers

La “grâce” d’un ouvrage (la seconde galerie)
De là, je retournai sur mes pas, et quand je fus sorti de ce passage étroit carré, qui est proche du puits, nous grimpâmes pour gagner la seconde galerie qui montait selon l’inclinaison d’un angle de 26 degrés. La longueur de cette galerie depuis le puits jusques à un retour est de 154 pieds, mais si nous en prenons la mesure par en-bas sur le pavé, elle en sera moindre à cause d’un espace vide de près de 15 pieds que nous avons décrit ci-devant entre le puits et le trou carré par lequel nous grimpâmes.
Et pour faire la récapitulation de ce que nous avons dit, si nous considérons l’entrée écartée de la pyramide par laquelle nous descendîmes, et la longueur de la première et dernière galerie par lesquelles nous montâmes, qui sont sur une même ligne et conduisent presque au milieu de la pyramide, nous pourrons par là aisément rendre raison de cet étrange écho qui répond 4 ou 5 fois, dont Plutarque a parlé (...). Mais j’ai trouvé que c’est plutôt la continuation d’une même voix qu’un écho, et j’en fis l’expérience en faisant tirer un coup de mousquet à l’entrée de la pyramide. (...) Tout ce corridor ou allée est bâti de grandes pierres de marbre blanc exactement taillées par carreaux, les murailles de la galerie et le bas étant de même matière et si bien cimentés ensemble qu’à peine on peut connaître les joints ; mais si cette justesse donne de la grâce à cet ouvrage, elle en rend le chemin plus glissant et plus difficile.
Cette galerie a 26 pieds de haut, 6 pieds et 870 parties d’un pied de large, avec deux banquettes des deux côtés, et un chemin au milieu qui peut avoir de large 435 [parties] d’un pied. Les banquettes ont un pied et 717 parties d’un pied de largeur et autant de hauteur au-dessus de ces banquettes à l’endroit de l’angle qu’elles font avec les murailles de la galerie. Il y a de petits trous des deux côtés vis-à-vis l’un de l’autre, de la forme d’une figure oblongue, qui semblent n’avoir pas été seulement faits pour servir d’ornement.
Il y a une chose qui mérite d’être observée en la structure de ces pierres qui composent les murailles de l’allée, à cause qu’elle en augmente beaucoup la grâce, c’est qu’il n’y en a que 7 assises, tant elles sont grandes et qu’elles posent les unes sur les autres avec une avance chacune de 3 pouces, le lit de dessous de la plus haute de ces pierres excédant le lit de dessus de celle sur laquelle il pose de cette quantité, et ainsi du reste à mesure qu’elles descendent.
Après avoir passé ces galeries, nous entrâmes dans une chambre carrée qui a les mêmes dimensions que cette autre chambre que nous avons déjà décrite : elle sert d’entrée à deux petites séparations ou antichambres (...) ; elles sont couvertes d’un marbre thébaïque fort luisant, toutes deux de la même grandeur. Le plancher est de niveau, fait une figure oblongue, dont un côté a 7 pieds de longueur sur trois pieds et demi de largeur. La hauteur est de 10 pieds : sur les côtés qui regardent l’Est et Ouest à 2 pieds et demi du haut du plancher qui est un peu plus large par le haut que par le bas ; il y a trois cavités (...).
Cette antichambre est séparée de la première par une pierre de marbre rouge jaspé, laquelle est posée dans deux encastrements faits dans les murailles comme les portes d’une écluse ; il s’en faut trois pieds qu’elle ne descende jusques sur le pavé de l’antichambre, et deux pieds qu’elle ne touche en haut.


Cliché Edgar Brothers

Une “salle magnifique et bien proportionnée”
Au sortir de cette antichambre, nous entrâmes dans une ouverture carrée, dans laquelle j’y vis cinq lignes parallèles d’aplomb (...). C’est la seule sculpture et la gravure que j’ai remarquée en toute la pyramide, m’étonnant beaucoup de ce que les Arabes ont écrit des hiéroglyphes qui contenaient les secrets de toutes les sciences (...).
Ce passage carré est de la même ouverture et dimension que le reste : il a 9 pieds de longueur, et est de marbre thébaïque exactement taillé ; il conduit à l’extrémité qui regarde le Nord, d’une salle magnifique et bien proportionnée. La distance du bout de la seconde galerie jusques à cette entrée est de 24 pieds ; le chemin qui y mène est de niveau.
Cette chambre est au milieu de la base de la pyramide et quasi également distante de son sommet et de la base. Le pavé, les murailles et le haut de cette salle sont de carreaux d’un marbre thébaïque extrêmement bien taillé, luisant et poli, mais la fumée des torches qu’on y a apportées en cache et en ternit l’éclat. Six assises de pierres égales des deux côtés font toute la hauteur de ses murailles ; elles sont toutes d’égale hauteur et règnent tout autour de cette salle. Les pierres qui la couvrent par en haut sont d’une grande portée ; elles traversent d’une muraille à l’autre, et cependant, quoiqu’elles aient cette grande portée comme autant de grandes poutres, elles semblent être chargées de tout le faix de la pyramide (...). Il y en deux qui sont moins larges que les autres : l’une au bout du côté de l’Est, et l’autre à celui de l’Ouest.

Le tombeau de Chéops
La longueur de cette chambre du côté qui regarde le Sud est de trente-quatre pieds anglais, et de la trois cent quatre-vingtième partie d’un pied divisé en mille partie (c’est-à-dire trente-quatre pieds, et de la trois cent vingt-quatrième partie d’un pied). Je l’ai prise du joint de la première assise au joint de l’autre muraille qui le regarde : sa longueur du côté du Couchant à l’endroit du joint de la première assise est de dix-sept pieds, et de cent nonante parties d’un pied divisé en mille (c’est-à-dire 17 pieds, et 190 des mille parties desquelles j’ai divisé le pied). (...) Un superbe monument est le tombeau de Cheops, ou Chemis : il est fait d’une seule pièce de marbre ouvert par en haut et sonne comme une cloche, ce que je ne rapporte pas, comme beaucoup d’autres ont fait, comme une rareté de l’art ou de la nature, car j’ai observé la même chose aux autres tombeaux de marbres. (...)
Quoique [les] rois eussent fait bâtir ces pyramides, pour en faire leur sépulture, il est vrai néanmoins que pas un d’eux n’y a été enterré, car le peuple s’étant révolté contre eux à cause de l’oppression qu’il avait soufferte en les bâtissant, les menacèrent de mettre un jour en pièces leurs cadavres, et de les tirer de leurs sépulcres, ce qui les obligea de recommander en mourant à leurs amis de les enterrer dans quelque lieu inconnu au peuple. (...)
On pourrait demander avec raison comment on a pu faire entrer ce tombeau en ce lieu : les chemins qui y conduisent étant si étroits, ce qui fait croire qu’on l’a élevé avec quelque machine, et qu’on l’a descendu par en haut auparavant que le plancher de la chambre fût fermé. (...)
Je vis au-dessous de ce tombeau un endroit où on avait creusé, et une des grandes pierres qui font le pavé, qui avait été tirée d’un des coins du tombeau. Sand se trompe qui dit qu’il y avait là un passage pour entrer dans l’autre chambre ; ce trou apparemment ayant été fait par quelqu’un qui a cru qu’il y avait là quelque trésor caché. (...)
Je finirai donc ici la description du dedans de cette pyramide, que j’ai achevée sans avoir eu aucune lumière pour l’examiner, ni des anciens auteurs, ni des voyageurs de ce temps.”

Source : Gallica

1 commentaire:

Antonio Crasto a dit…

Sono Antonio Crasto
aotore di due saggi sull'antico Egitto pubblicati dalla casa editrice UGIAT
HASSALEH L'OCCHIO DI HORUS. Manetone aveva ragione!
DENDERA La sacra terra della dea
Sul mio sito web www.ugiat-antoniocrasto.it è possibile leggere l'indice dei due libri, alcune note e vari articoli di approfondimento.
Vi chiedo se vi interessa inserire il mio nome e il link ai miei articoli.
Grazie e saluti Antonio Crasto