mercredi 28 avril 2010

"Aucun mot, aucune phrase ne peut traduire l'émotion qui s'empare de vous en voyant ces pyramides" (Olympe Audouard - XIXe s.)

Dans son ouvrage Les mystères de l'Égypte dévoilés, 1865, la féministe Olympe Félicité Audouard (1832-1890) raconte son expédition aux pyramides de Guizeh. "Expédition", car c'en fut une en effet, d'autant plus que la visite de la pyramide de Khéops par l'intrépide voyageuse comportait également une découverte des chambres de décharge, ce qui ne représente pas à proprement parler une sinécure !
L'aménagement plutôt rudimentaire du circuit de visite à l'intérieur de la pyramide et les facéties des guides locaux qui s'ingéniaient habituellement à effrayer leur clients contribuaient alors à corser ce genre d'aventure. D'où la décision d'Olympe Audouard d'en finir au plus vite avec sa longue et fatigante "promenade" et cette réflexion pleine de bon sens :"Un savant seul, dévoré du désir de tout voir et de découvrir les mystères de l'antiquité, peut se résigner à rester longtemps dans ces salles."
Olympe Audouard (source : Wikimedia commons)



"Enfin nous sommes arrivés au bas des pyramides... Ces trois immenses colosses de l'antiquité vous impressionnent vivement : droits et superbes sur leur petite colline, dominant la plaine, ayant à leur pied ce sphinx dont la tête seule est si colossale qu'un Bédouin monté dessus a l'air d'un petit enfant, et paraît moins long que le front du géant...
Aucun mot, aucune phrase ne peut traduire l'émotion qui s'empare de vous en voyant ces pyramides s'élevant comme des montagnes au-dessus de cette esplanade de rochers tous taillés par la main des hommes ; car toute cette immense esplanade recèle des tombes taillées dans le roc dur.
M.Mariette, le savant courageux et intrépide, vient de découvrir, à l'est des pyramides et à leur pied, un temple tout en granit rose ; ses colonnes sont là à nu, sorties du sable ; ces pierres de granit, taillées admirablement, témoignent de la patience des anciens Égyptiens qui ne se laissaient arrêter par nul obstacle, qui taillaient dans le granit des chefs-d'œuvre. Tailler des salles dans le cœur du roc pour faire enfermer leurs restes !...
Rien ne peut mieux donner une idée exacte de la grosseur des trois pyramides de Gizèh que le calcul qu'a fait notre empereur Napoléon Ier.
Lorsque, arrivé à leur pied avec son armée, ses généraux se sont empressés de monter sur leur sommet, Napoléon, lui, est resté en bas, les examinant curieusement, tournant autour d'elles. Les officiers souriaient :"Bonaparte a peur de monter", disaient-ils... Il est de fait que Napoléon, sujet au vertige, n'avait pas voulu s'élever à 422 pieds au-dessus du sol. Du reste, pouvoir y monter plus ou moins facilement est une affaire de jambes plus ou moins longues, la hauteur des pierres qui forment les marches étant souvent d'un mètre. Or, on le sait, Napoléon était petit... En redescendant, les officiers lui dirent :"Croyez bien que c'est seulement en gravissant jusqu'à leur sommet que l'on peut de rendre une idée exacte de leur grosseur, de leurs immenses proportions."
"Vous croyez ? dit Napoléon en souriant. Voici pourtant qui va vous prouver que je m'en suis rendu compte aussi bien que vous autres !" Et il leur fit voir un calcul qu'il venait de faire au crayon, calcul qui établissait que, d'après la quantité de mètres cubes de pierres qui se trouvait réunie là, on pourrait, avec celles des trois pyramides de Gizèh, faire un mur de dix pieds sur un de large autour de la France !
Nos généraux restèrent interdits... Monge, le célèbre géomètre qui suivit notre armée en Égypte, refit le calcul, et il le trouva complètement exact.
Oui, il me semble que ce calcul est bien fait pour donner une idée de l'agglomération des pierres de taille qui se trouvent là superposées les unes sur les autres.
La pyramide de Chéops, la plus grande des trois, a 173 mètres de hauteur, mesurée du côté où elle incline. (1) (…) Les quatre faces des pyramides indiquent les quatre points cardinaux. La largeur de chacune de ces faces, à la base, est de 229 mètres.
Hérodote nous donne quelques renseignements fort intéressants sur la façon dont furent faites ces pyramides, principalement la première, celle de Chéops, renseignements qui lui ont été donnés par les prêtres, les seuls qui eussent mission d'écrire et de conserver l'histoire de l'Égypte. Chéops, nous dit donc Hérodote, succéda à Rhampsinite l'an 1182 avant Jésus-Christ. Le peuple, qui avait été heureux jusqu'à son règne, eut alors à souffrir toutes sortes de misères et de vexations ; il fit fermer les temples, et fit travailler les Égyptiens pour lui. Cent mille hommes, que l'on remplaçait tous les trois mois, étaient occupés, les uns à extraire les pierres des montagnes arabiques, les autres à les traîner jusqu'au Nil, tandis que d'autres encore les transportaient jusqu'à la montagne libyque. Il fit construire un chemin, celui par lequel on transportait ces pierres, et l'on ne mit pas moins de dix ans à le faire ; il avait deux stades de longueur, dix brasses de largeur ; il était fait de pierres de taille ornées de figures sculptées (c'est tout au plus si l'on retrouve la trace de ce chemin).
Ce chemin terminé, on fit les chambres souterraines qui sont dans la pyramide, chambres destinées à la sépulture du roi Chéops, ensuite la pyramide ; il fallut vingt années pour l'achever. Ce chemin et cette pyramide coûtèrent donc trente années de fatigues, de sueurs, à cent mille Égyptiens !
Lorsque Hérodote visita les pyramides, elles étaient revêtues d'un revêtement couvert d'hiéroglyphes ; il put lire dessus que les ouvriers, en la construisant, avaient dépensé pour seize cents talents d'argent d'aulx, d'oignons et de persil. Et il remarque avec raison que la somme dépensée en autre nourriture et outils a dû être fabuleuse.
À côté de la pyramide de Chéops, un peu en arrière, s'en trouve une qui, par comparaison, paraît petite, mais qui pourtant est encore d'une belle grosseur ; on l'appelle la pyramide de la fille de Chéops. (…)
Notre déjeuner fini, nous sommes allés visiter l'intérieur de la pyramide de Chéops. Voilà encore une promenade fatigante ; il faut marcher à quatre pattes, ramper ; malgré les bouts de bougie qu'allument les Arabes, c'est sombre comme dans un puits, là-dedans ; on craint toujours ou de se briser la tête à ces parois de granit, ou de tomber dans un trou.
Après une promenade fort longue et très fatigante dans un long couloir, on arrive dans une grande salle dont les murs sont en granit ; on voit un sarcophage en granit. Cette chambre est celle appelée chambre du roi.
De là on nous a conduits dans d'autres chambres dont le seul but est, dit-on, de soutenir la première. Vrai, un savant seul, dévoré du désir de tout voir et de découvrir les mystères de l'antiquité, peut se résigner à rester longtemps dans ces salles : on y étouffe littéralement ; des chauves-souris énormes viennent d'abattre sur vous, se coller dans vos cheveux ; vos Bédouins, aux figures noires, aux traits accentués, drapés dans leurs haillons, éclairés par ce demi-jour projeté par les bougies, prennent un aspect farouche effrayant. Si l'on allume des torches, c'est bien pire : on se croirait dans la demeure du sombre Pluton. Ces gens qui vous entourent prennent un faux air des habitants du ténébreux empire. On ferme les yeux, et l'on demande à s'en aller. C'est ce que j'ai fait... Par le même passage que nous avions pris pour arriver à la chambre du roi, on nous a conduits à celle dite salle de la reine, qui est à peu près la même répétition que la première. Vrai, même morte, ces logis-là me plairaient peu à habiter. En dessous de celle-là en existe une autre, à laquelle on arrive par un puits. J'ai demandé à ne pas y aller.
Ce qui rend dangereux ces promenades dans ces couloirs, c'est le glissant des pierres ou du granit. Les Bédouins, eux, sont sans souliers ; leurs pieds, durs comme une écaille de requin, ne glissent pas ; mais moi, mes hauts talons m'ont fait faire plus d'une glissade, et je suis ressortie de là avec deux bosses et quatre ou cinq écorchures. En sortant de ces souterrains, on respire avec volupté le grand air à pleins poumons ; on est heureux de revoir la lumière, de voir briller le soleil."

(1) Je ne sais où Olympe Audouard est allée chercher ce chiffre de 173 mètres, qui est bien sûr erroné. Par ailleurs, je ne comprends pas très bien ce côté où la pyramide "incline". Et qu'en est-il alors des autres côtés ?

Source : Gallica


sur cette auteure, un "morceau choisi" dans l'Égypte entre guillemets :

Quand Olympe Audouard "dévoile" les mystères de l'Égypte

 

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