jeudi 28 février 2013

“Quelques voyageurs prétendent qu'on pourrait bien compter jusqu'à mille pyramides” (relation du géographe Henri Descombes - XVIIIe s. - à propos de l’Égypte)

Dans le volume 3 de sa Géographie universelle (1790), explorant l’Asie et l’Afrique, Henri Descombes consacre plusieurs pages aux pyramides égyptiennes.
Première impression : la description proposée par l’auteur est pour le moins sommaire, inspirée par diverses sources qui ne sont citées que très vaguement, voire même, plus globalement, passées sous silence. D’où de regrettables généralités, qui se donnent pourtant un vernis scientifique, avec la seule mention de quelques chiffres.
À l’évidence, l’auteur n’a jamais approché, de près ou de loin, les pyramides. Sa compilation, à caractère encyclopédique, se contente de banalités lues maintes fois dans d’autres ouvrages. Pire, elle repose, au moins en partie, sur des erreurs, sans doute héritées d’auteurs qui, eux non plus, n’avaient jamais vu de leurs yeux les pyramides de Guizeh ou Saqqarah.
L’égyptologie, la vraie, la scientifique, aura décidément fort à faire pour enrayer la divulgation de pseudo-vérités utilisées, des siècles durant, pour conter l’histoire des plus prestigieuses constructions du génie égyptien.



Aquarelle de Spyridon Scarvelli (1868-1942)
“À 3 ou 4 lieues O., ou S.O., du Caire, de l'autre côté du Nil, sont 4 des fameuses pyramides, qu'on regarde comme les plus énormes restes d'antiquité qu'il y ait sur la terre, et qui étaient une des 7 merveilles du Monde, la seule qui subsiste encore.
On estime qu'elles ont été bâties environ 15 siècles avant notre ère. Elles sont toutes à quatre faces. Les quatre dont il s'agit ici sont dans une vaste plaine sablonneuse et tout-à-fait aride, à la distance d'environ 2 cents pas les unes des autres. Il y en a 2 qui sont peu de chose ; mais les 2 autres sont des masses prodigieuses, à peu près d'égale grandeur.
La plus grande a 704 pieds de base, à chacune de ses 4 faces. Sa hauteur perpendiculaire, hors des sables, est de 616, ou 624 pieds. On a lieu de croire que les sables, qui sont amoncelés à la base, en cachent une grande partie ; car ils forment, autour, une espèce de colline. Toutes les pierres qui en composent l'extérieur ont 3 pieds de hauteur, sur 5 ou 6 de largeur ; les côtés sont taillés à angles droits, non selon le talus de la pyramide, de sorte que chaque rang fait une retraite en dedans, et forme, ainsi, autant de degrés qu'il y a de ces rangs, savoir 208.


“On présume qu'il y avait autrefois un colosse”


Le dessus se termine en plate-forme, de 16 à 17 pieds, à chaque face ; cependant, depuis le bas, la pyramide semble finir en pointe. On a, de là, une vue fort étendue et fort agréable sur le Caire et la campagne des environs. On présume qu'il y avait autrefois un colosse sur la plate-forme ; on a même cru y en voir quelques vestiges : ce devait être une addition bien considérable, à la hauteur de la pyramide ; car on ne peut guère supposer moins de cent pieds, à ce colosse, pour qu'il fût proportionné.
On monte au dessus par les degrés que forment les pierres, comme on a dit, par leur retraite, ce qui est assez difficile, fatiguant et dangereux ; car on ne s'élance qu'avec peine d'un rang à l'autre. D'ailleurs, les pierres sont minées, par le temps, en plusieurs endroits. Il ne faut pas moins de 2 heures, à un homme vigoureux, pour arriver au sommet. Ceux à qui la tête tourne facilement ne doivent pas l'entreprendre.
Il y a, au pied de la pyramide, une ouverture qui conduit dans l'intérieur, et à laquelle on arrive à l'aide d'un monceau de sable qui se trouve droit dessous, et qui la bouche quelquefois. Elle a 3 ½ pieds de hauteur, et un peu moins de largeur ; elle continue de même l'espace de 77 pieds, de sorte qu'on n'y peut aller qu'en se courbant. Il faut avoir des flambeaux. Ce passage va en baissant insensiblement ; ensuite on en trouve un autre, d'environ 80 pas, mais qui va un peu en montant. Il est de même largeur que le premier, mais il a si peu de hauteur, surtout au coude, qu'il faut s'y traîner en avançant les bras.
Au bout de cette allée, on en trouve une 3ème, de 162 pieds de longueur, et qui va aussi en montant : elle a 6 ⅓ pieds de largeur, et, de chaque côté, un banc de pierre qui règne tout le long. Les pierres qui composent ce 3e passage sont d'une grosseur prodigieuse, si bien unies qu'on n'en aperçoit pas les jointures, et polies comme une glace ; de sorte qu'il est si glissant qu'on n'y pourrait monter s'il n'y avait, presqu'à chaque pas, des trous faits exprès, pour y mettre les pieds, mais sans ordre ni propreté.


D’autres salles et “une espèce de puits”


La voûte est fort élevée et très magnifique. Au bout de cette allée, on trouve une salle, appelée chambre des sépulcres, au fond de laquelle est un grand sépulcre, de 7 pieds de longueur, 3 de largeur, 3 ½ de hauteur, et 5 pouces d'épaisseur, d'une seule pierre, extraordinairement dure, très bien polie, et qui ressemble à du porphyre, mais rend un son semblable à celui d'une cloche. La salle a de 16 à 20 pieds de largeur, le double de longueur, et 19 pieds de hauteur ; les parois sont incrustées de la même pierre que le sépulcre. Au lieu de voûte, il y a un lambris tout plat, qui n'est composé que de 9 pierres,dont la longueur tient toute la largeur de la chambre.
On trouve, en d'autres endroits de la pyramide, d'autres salles, mais moins grandes, et où l'on arrive par des passages semblables aux précédents. Les unes sont incrustées d'albâtre ; d’autres, de marbre, ou de quelque autre belle pierre, bien polie.
On y trouve aussi une espèce de puits, de 67 toises de profondeur, qui pénètre, par plusieurs détours, dans le roc sur lequel la pyramide est élevée. On est étouffé, dans tous ces endroits, par la quantité de poussière qu'il y a, et par l’air trop renfermé qu'on y respire ; car il n'y a point d'autre ouverture que l'entrée étroite dont on a parlé.
Divers auteurs anciens assurent que 360 mille hommes furent employés, pendant 23 ans consécutifs, à élever cette grande masse.
Quoiqu'on ne voie point d'ouverture, aux autres, apparemment à cause des sables qui se sont amoncelés autour, et qui les auront bouchées, on ne doute point qu'elles n'en aient aussi une, avec une chambre, dans l'intérieur, pour placer les corps de ceux pour qui elles avaient été élevées.
Elles reposent, toutes, sur un roc dur, élevé, mais couvert de sables blancs. Les pierres, dont elles sont construites sont un grès très dur, et d'une grosseur si énorme qu'on ne conçoit pas comment on a pu les élever si haut, dans un temps où l'on n'avait pas encore la plupart des machines dont on se sert aujourd'hui.
La 2de pyramide a 631 pieds de base, à chaque face. Elle se termine en pointe si aiguë qu'autant qu'on en peut juger, à l'œil, un homme ne pourrait pas s'y tenir debout. Le côté du Nord est un peu gâté, aussi bien qu'à la grande. Elle paraît, de loin, plus haute que celle-ci parce qu'elle pose sur un sol plus élevé, mais quand on en est près, on trouve le contraire. On ne peut pas y monter, quoique les pierres y soient posées et taillées, comme à l'autre : il paraît qu'elles sont trop gâtées. Les voyageurs qui nous ont donné les mesures de ces masses varient beaucoup sur leur grandeur.
Assez près de ces pyramides, on trouve quelques grottes, qui ont aussi servi, autrefois, à enterrer des morts. Il y en a plusieurs qui sont creusées dans un rocher, en assez mauvais ordre en dehors, mais fort régulières en dedans. Elles ont, toutes, un puits carré, aussi taillé dans le roc, où l'on mettait les corps.


“Un buste colossal taillé dans le roc”


À quelque distance de la plus grande pyramide, à l'E., est un buste colossal, taillé dans le roc, qui représente la tête et la gorge d'une femme ; mais les sables amoncelés le cachent, à présent, jusqu'au col. On l'appelle le sphinx. On soupçonne que tout le reste du corps, qui devait être celui d'un lion, selon la manière dont on représentait les sphinx, animaux imaginaires, était, de même, taillé dans le roc ; mais qu'il est enseveli sous le sable, comme une partie du buste. Ce qu'on en voit encore est une masse énorme, où les proportions ont été bien observées. La tête, seule, a 26 pieds de haut. Au-dessus est un trou, par où un homme peut descendre, par dedans, jusqu'à la poitrine. (...)
On voit encore (...) tout auprès (de Memphis), 15 pyramides, éloignées de quelque mille pas, les unes des autres , et dont on remarque 3, qui font fort grandes et fort bien conservées. Elles ont, toutes, du côté du N., comme la grande dont on a parlé, une ouverture, par où l'on arrive dans une chambre. La plus éloignée de Sakara qui est une des plus grandes, s'appelle Rodope. Elle a 643 pieds de base, à chaque face ; elle se termine en une plate-forme qui n'est pas unie, les pierres y étant posées sans aucun ordre, ce qui fait croire qu'elle n'a pas été finie. Cependant, on la croit beaucoup plus ancienne que les autres, parce que les pierres en sont entièrement usées, et s'en vont comme en poudre. Quelques voyageurs prétendent qu'on pourrait bien compter jusqu'à mille pyramides, dans ces déserts, tant grandes que petites , mais le temps les a presque entièrement ruinées, de sorte que la plupart ne sont que des monceaux difformes. On a lieu de croire que toutes ces masses avaient été construites avec la pierre que l'on tirait des souterrains dont on vient de parler, et que l'on arrangeait ainsi, sans beaucoup de façon.”
Source : Google livres

jeudi 21 février 2013

“Nous devons surtout admirer et estimer ce bon goût des Égyptiens, qui les porta à viser en tout au grand et à s'attacher aux vraies beautés” (Jean Oudin - XIXe s.)


En parcourant avec un œil observateur les caractères de l'architecture des peuples anciens les plus connus, et chez lesquels les arts ont été les plus florissants, nous nous sommes arrêtés avec surprise devant les pyramides d'Égypte, ces masses énormes et étonnantes, destinées à publier à tout l'univers, et à perpétuer dans la suite des siècles le souvenir du néant des grandeurs humaines.
Un préambule aussi lyrique, extrait du Manuel d'archéologie religieuse, civile et militaire (1841) de l’abbé Jean Oudin (1807-1880), aurait pu laisser présager d’intéressants développements. Mais il n’en est rien. L’auteur, qui semble-t-il, a “soigneusement” pillé l'Abécédaire ou rudiment d'archéologie d’Arcisse de Caumont, s’en tient à de vagues généralités sur les pyramides égyptiennes, dont il vante néanmoins les “précieux restes”.
L’abbé Oudin est par ailleurs présenté comme un inventeur “malheureux” de produits alimentaires (tablettes de lait concentré pour les voyages en mer) et pharmaceutiques (élixir antispasmodique), ce qui ne l'empêcha pas d'être correspondant d’un Comité historique et de s’adonner à la sculpture sur bois pour meubler les églises dont il fut le curé.
Cliché de Francis Frith - 1862 ?


“Les monuments de l'Égypte consistent en temples, palais, pyramides, obélisques et colosses. Ils sont en général graves, massifs et construits avec des matériaux d'un poids et d'une dimension si énormes qu'on a de la peine à concevoir comment les forces humaines pouvaient suffire à les remuer, à les transporter et à les élever à de si grandes hauteurs. On ne faisait donc pas seulement usage de la brique, mais aussi de la pierre, et même de préférence, dans les endroits où elle était commune. Elle était généralement travaillée avec un art admirable. (...)
Les monuments les plus étonnants de l'Égypte sont les pyramides, destinées, à ce que l'on croit, à la sépulture des rois et des grands personnages du royaume. Il y en a un nombre considérable aux environs de l'ancienne Memphis, non loin de la ville du Caire. Plusieurs de ces pyramides étaient en briques, particulièrement aux environs du bourg de Sakara ; les autres étaient en pierres, et ordinairement construites de roches énormes. Les particuliers se faisaient faire de petites pyramides portatives, de un à deux pieds de haut, ornées d'inscriptions et de peintures. Elles accompagnaient la momie du défunt.
“Il y avait en Égypte, dit Rollin, trois pyramides plus célèbres que toutes les autres, qui, selon Diodore de Sicile, ont mérité d'être mises au nombre des sept merveilles du monde. La plus grande des trois était, comme les autres, bâtie sur le roc, qui lui servait de fondement, de figure carrée par sa base, construite au dehors en forme de degrés, et allant toujours en diminuant jusqu'au sommet. Elle était bâtie de pierres d'une grandeur extraordinaire, dont les moindres étaient de trente pieds, travaillées avec un art merveilleux, et couvertes de figures hiéroglyphiques.” Elle a 474 pieds de hauteur perpendiculaire, et 734 pieds de largeur vers la base. Le haut de la pyramide, qui d'en bas semble être une pointe, une aiguille, est une belle plate-forme d'environ seize pieds. Il est curieux de voir dans Rollin les autres détails concernant les dépenses faites pour la construction de ces pyramides.
Comment ne pas admirer avec étonnement les deux pyramides élevées au milieu du lac Mœris, ce vaste et étonnant ouvrage, le plus admirable de tous ceux des rois d'Égypte ? Ces deux pyramides s'élevaient de 300 pieds au-dessus du lac, et occupaient sous les eaux un pareil espace ; c'est-à-dire qu'elles avaient 600 pieds d'élévation, et de plus elles étaient surmontées, chacune, d'une statue colossale placée sur un trône. (...)
Ce que nous savons des pyramides, du labyrinthe, de ce nombre infini d'obélisques, de temples, de palais dont on admire encore les précieux restes dans toute l'Égypte, et dans lesquels brillaient à l'envi la magnificence des princes qui les avaient construits, l'habileté des ouvriers qui y avaient été employés, la richesse des ornements qui y étaient répandus, la justesse des symétries qui en faisaient la plus grande beauté; ouvrages dans plusieurs desquels s'est conservée jusqu'à nous la vivacité même des couleurs, malgré l'injure du temps, qui amortit tout et consume tout à la longue ; tout cela, dis-je, montre à quel point de perfection l'Égypte avait porté l'architecture, la peinture, la sculpture, et tous les autres arts. Nous devons surtout admirer et estimer ce bon goût des Égyptiens par rapport à l'architecture, qui les porta, dès le commencement, et sans qu'ils eussent encore de modèles qu'ils pussent imiter, à viser en tout au grand, et à s'attacher aux vraies beautés, sans s'écarter jamais d'une noble simplicité, en quoi consiste la souveraine perfection de l'art.”:
Source : Google livres

mardi 19 février 2013

“Peut-être serions-nous plus près de la vérité en admettant, pour les pyramides, la triple destination de symbole religieux, de tombeau royal, et de digue aux envahissements des sables” (Henri-Désiré-Louis Van Overstraeten - XIXe s.)

H.-D.-L. Van Overstraeten
Même s’il n’est pas cité nommément, c’est bien Fialin de Persigny qui est directement visé par les critiques formulées par Henri-Désiré-Louis Van Overstraeten (1818-1849) dans son ouvrage Architectonographie des temples chrétiens, précédée d’une introduction sur l’architecture religieuse de l’Antiquité, concernant la théorie selon laquelle les pyramides égyptiennes auraient eu pour destination principale de stopper l’avancée des sables du désert.

La démonstration est implacable... et pourtant, Van Overstraeten est moins solide sur ses bases qu’il n’y paraît, au point de ne pas être totalement hermétique à la théorie de Fialin de Persigny. En outre, il n’est pas insensible aux constatations conformément auxquelles les pyramides auraient pu être des tombeaux. Par ailleurs, avec un certain lyrisme, il s’attarde sur la fonction symbolique des monuments, étrange alchimie du triangle, expression de la puissance divine, et du carré, “expression du monde que nous habitons”.
En conclusion, il faut se satisfaire des hypothèses les plus vraisemblables, sans la moindre certitude absolue.
Une vérité, toutefois, s’impose avec l’évidence de la certitude : “Nulle part (ailleurs que sur cette terre d’ “illustres génies” qu’est l’Égypte), n'éclate avec plus d'attrait la magnificence de l'architecture”.

“La forme dominante de l'art éthiopien est la pyramide. La destination des pyramides reste problématique. Elles pouvaient servir de tombeaux aux rois et aux prêtres, mais en même temps et primitivement elles étaient, à ce qu'il semble, des symboles de l’univers et de son créateur. Les lumières originelles se perdant insensiblement par la dispersion des peuples, les prêtres, chargés du dépôt des vérités premières, et même des tribus entières, voisines encore de leur berceau et des traditions patriarcales, se sont rencontrés dans cette expression de la croyance. L'influence de l’astronomie et de la géométrie la développa plutôt en Égypte que dans l’lnde, qu’en Perse. Quand il ne restait ni livres sacrés ni enseignements religieux directs, et que l’empire des sens s’accroissait sans cesse ; quand surtout s‘opéra l’antique scission entre le culte secret et le culte public, il était inévitable que les idées se couvrissent d‘un voile que le sacerdoce seul fût à même de lever.

“Le dogme de l'immortalité de l’âme constituait l'essence morale, politique et religieuse, de la civilisation égyptienne”

Le triangle est devenu l’expression de la triple puissance divine de création, de coordination, d’inspiration. Le carré fut celle du monde que nous habitons et à qui l’antiquité donnait une forme horizontale et quadrangulaire ; par conséquent, il fut aussi la forme la plus harmonieuse, la plus régulière, la plus conforme à l’œuvre de la divinité. Le triangle, comme expression de la nature divine, fut appelé à couvrir les monuments des morts. On sait en effet que le dogme de l'immortalité de l’âme constituait, pour ainsi dire, l'essence morale, politique et religieuse, de la civilisation égyptienne ; à ce titre, il se liait à l'existence de la divinité, et rien de plus naturel que de voir le sacerdoce couvrir la demeure des âmes du symbole divin. Il témoignait en même temps ainsi de sa propre pensée, de sa liaison au corps politique et à la puissance surnaturelle. Mais à son tour l’élément terrestre et royal se manifestait dans la base du monument, et comme il passait à une vie nouvelle, dans le sein de la divinité, par les portes de la mort, il constituait un même corps monumental et symbolique. Ajoutons, à l'honneur des peuples primitifs, que la hauteur des pyramides dépassant quelquefois la diagonale du carré de leurs bases, elle semblait établir ainsi la nature supérieure de Dieu sur celle de l’homme et du monde. Dans les pyramides construites régulièrement, le sommet abaissé formait le centre du carré, ce qui se rapporte encore a la divinité, sommet et centre vivant de l'univers. (...)


Cliché d'Antonio Beato - 1895
Les plus étonnantes merveilles de l'ancien monde”

En abordant l'Égypte, nous nous sentons comme accablé du poids de ses souvenirs. Cette vieille mère de la sagesse, comme parlaient les Grecs, a quelque chose de si vénérable, qu'il n'est pas possible de la contempler sans saluer en elle cette multitude d'illustres génies, qui, depuis Moïse jusqu'à Platon, puisèrent en son sein la science et l'inspiration les plus profondes. Terre conquise sur la fureur des éléments par l'intelligence et par l'industrie de l'homme, elle a porté à des milliers de siècles le témoignage de sa féconde grandeur, et s'il est quelque chose de comparable à ce que nous savons d'elle, c'est ce probablement que nous n'en savons pas. Ce sol doublement sacré, et sous la loi de crainte, par la naissance, par l'éducation, par les miracles du législateur de l'ancien peuple, et sous la loi d'amour, par la présence du divin législateur du peuple nouveau, ce sol était destiné à réunir, dans ses étroites limites, les plus étonnantes merveilles de l'ancien monde. Parvenue à cette langue de terre, et éprise, dirait-on, de sa beauté, de sa richesse, de sa situation, la civilisation semble s'y être arrêtée et fixée pendant une longue suite de siècles,en répandant de ce point élu ses vastes lumières parmi tous les peuples connus dans l'antiquité. Et cependant, ô inconstance des choses humaines, et mystère de la Providence divine, cet empire intellectuel a croulé, et c'est à peine si le nom de cette glorieuse patrie de la science et de l'activité humaines subsiste encore sur la carte des peuples !

Le “culte du tombeau”

Une renommée, une grandeur, de tant de renommées, de tant de grandeurs, lui reste sous nos yeux : c'est celle de ses monuments. Nulle part, ce nous semble, n'éclate avec plus d'attrait la magnificence de l'architecture : nulle part elle n'a bravé plus admirablement ses faibles rivales qu'on appelle la peinture et la sculpture ; nulle part elle ne s'est montrée plus hautement leur mère, leur gardienne, leur nourricière. La voila cette reine des arts, cette héritière des richesses de la nature, la voilà entourée du cortège des sciences, ses protectrices et ses alliées : toutes semblent ici concourir à sa gloire, toutes se montrent presque fières et heureuses d'obtenir une place autour d'elle, toutes sont réfugiées dans son sein, comme dans un asile contre la mort, et se retracent en elle comme dans un miroir qui reflétera aux siècles à venir les splendeurs de leurs conquêtes et les profondeurs de leur essence. Admirons cette mâle expression de la religion des peuples, cette dépositaire de leurs livres sacrés, cette fille sublime de la philosophie des nations, cette création des sages, cette sœur aînée de l'histoire, cette muse inspiratrice de la poésie, aussi grave, aussi austère, aussi belle que le dieu de l'harmonie.
Sous l'influence d'un culte qui semble avant tout le culte du tombeau, en présence de ce grand dogme de la transmigration des âmes, devant les arrêts de ce tribunal des morts qu'à juste titre on nommerait le tribunal des vivants, elle prend, dans toutes ses créations, un caractère vaste et profond comme le sépulcre : elle est éloquente, dans sa silencieuse majesté, parce qu'elle est solennelle comme une pompe funèbre, et l’on se sent porté à la méditer comme l'on médite les mystères du trépas. Elle courbera bien encore le front sous la dure loi de la nécessité, mais elle sera victorieuse et maîtresse du sol dans toutes ses grandes conceptions. Elle perce le flanc des montagnes à des profondeurs étonnantes, et transporte à de vastes distances les énormes blocs de ses granits et de ses marbres, en sorte que les monuments qu'elle creuse sous le sol ne sont dépassés que par ceux qu'elle élève au-dessus.

Des “pyramides, à l'honneur de la divinité, céleste ou terrestre”

Favorisée par la chaleur et la sécheresse du climat, et par une position géographique qui l'isolait en même temps que les lois politiques développaient les forces nationales, elle semble faite essentiellement pour braver les siècles et les vicissitudes du reste de l'univers. Interprète des dogmes, elle crée ces pyramides, à l'honneur de la divinité, céleste ou terrestre, et se charge d'offrir aux âmes dégagées des liens du corps, des hypogées immenses et impérissables comme elles. Inspirée par ses organes, revêtus alors d'un sacerdoce visible, elle élève ces temples, ces palais, ces obélisques, qui demeurent la seule histoire authentique de l’Égypte, soit par leur valeur collective, soit par leurs hiéroglyphes et tous leurs précieux détails. Mais si elle a un prix particulier pour I'Égypte, pour la politique, pour l'histoire, pour l'art local, elle appartient de plus à l'histoire du monde ; elle atteste le degré de la civilisation à diverses époques de l'antiquité, et démontre quel est le pouvoir de l'esprit et de l'art humains, lorsqu'à la conscience d'eux-mêmes ils savent joindre les ressorts d'une puissante nationalité.
D'une grandeur et d'une gravité qui font l'étonnement du monde,l'art égyptien manque, selon quelques-uns, de souplesse, de variété, de cette gracieuse combinaison des différentes lignes qui caractérise l'art complet. Chacun assigne la cause sociale de ce caractère raide et monotone : il tient, pense-t-on , à l'organisation des castes, à l’immobilité de la pensée sacerdotale, à l'absence de contrôle, d'initiative, de la part de la société civile, au maintien de laquelle la religion égyptienne, à défaut de dogmes, semblait concourir essentiellement par sa morale. Les monuments de ces prêtres, de cette société, devaient être immobiles, comme leur destin. Non seulement les grandes lignes, les dispositions d'ensemble étaient religieusement prescrites et gardées, mais les moindres ornementations, telles que la feuille de lotus et de palmier, les têtes de lion, le scarabée, se répétaient nécessairement comme symboles traditionnels et sacrés. On a voulu y voir une suite de l'esclavage ; on a cru, en un mot, que la tyrannie pharaonique condamnait les populations aux hypogées, aux obélisques, aux temples, aux pyramides, comme à Rome Néron ou Vespasien condamnaient les chrétiens et les juifs aux mines ou aux travaux du Colisée.
Entrée de la pyramide de Khéops, par Antonio Beato - 1880

“La puissance de vaincre ce qui nous échappe à tous : le temps”

Mais, outre que l'histoire montre constamment le peuple égyptien uni à ses monarques, et qu'il faut distinguer l'époque de l'érection des monuments et le nom des fondateurs, avant d'affirmer une conclusion générale aussi hardie, il n'est pas besoin de recourir à une supposition violente afin de concevoir la création de ces colosses. Il suffit, pour en expliquer l’exécution matérielle, de se rappeler l'extrême agglomération des peuples, la fécondité du sol capable de les nourrir à peu de frais, le bas prix de la main-d'œuvre, suite de cette abondance, la présence sur le sol des matériaux, la facilité du transport sur les eaux du Nil. L’impulsion et la direction partaient sans doute de la caste sacerdotale, intimement unie au pouvoir civil : mais loin d'y voir de l'oppression, il faudrait y reconnaître une admirable unité nationale, une rare sagesse politique qui prévenait, par le travail, la révolte et le désordre, enfin une condition sociale qui se trouvait être simultanément une condition fondamentale de l'art. Car, si l'architecture, comme tout autre art, n'est viable que par l'adoption et l'exécution constante d'un ensemble de principes capables d'atteindre à la beauté et de réaliser la perfection relative, on conviendra sans doute que cette fixité traditionnelle, cette religieuse immobilité, n'est pas dépourvue d'un caractère imposant. Au milieu du bouleversement incessant du monde, ce grand art est debout, il vit après quarante siècles, et il a eu la puissance de vaincre ce qui nous échappe à tous : le temps !
Que si vous dites que la civilisation égyptienne, par son régime de caste, devait céder au premier effort parti de l'extérieur, vous aurez peut-être raison en politique, mais tort dans le domaine de l'art ; et comme celui-ci se liait à tous les autres, nous laissons à de plus savants le soin de déterminer jusqu'où s'étend la faiblesse d'une semblable organisation, nous contentant de demander si nos bâtisseurs d'ogives ne formaient pas, eux aussi, une sorte de caste. Jugez donc les hommes par leurs œuvres, comme l'arbre par ses fruits ; prenez l'œil de l'âme pour guide esthétique ; l'école n'est rien quand elle n'a pas le sentiment et l'intelligence pour fondement ; et si le classique grec l'emporte, en quelques points, sur le classique égyptien, n'en accusons ni le génie de I'Égypte ni son hostilité aux progrès, mais le temps et la conscience de la civilisation, qui n'avaient pas voulu qu'elle marchât plus vite et plus droit qu'eux-mêmes l (...)

“À défaut de renseignements incontestables, on en est réduit à discuter les hypothèses”

Les six pyramides de Memphis, situées aujourd'hui à Ghizé, sur la rive gauche du Nil, en face du Caire, attendent encore leur explication certaine et historiquement constatée. Leur antiquité, que quelques auteurs font remonter au-delà du déluge, atteste une industrie puissante ; mais en même temps, les prêtres étant, à cette époque si reculée, les seuls dépositaires de la science même civile, et dominant toute la société, il semble qu'il est dans le caractère de ces monuments vénérables de leur reconnaître une destination symbolique, que nous avons exposée au sujet des pyramides d'Ethiopie. Cependant un siècle aussi positif que le nôtre ne s'est pas contenté d'une pareille explication. ll a voulu voir quelquefois, dans ces énormes constructions, de simples obstacles élevés à dessein d'arrêter les sables du désert libyque. À défaut de renseignements incontestables, on en est réduit à discuter les hypothèses, et à choisir la plus vraisemblable. On peut donc se demander si celle-ci est de ce nombre. Or il nous semble que la destination constatée des pyramides offre bien quelques difficultés à cet égard. On pourrait peut-être admettre l'hypothèse, si ces monuments n'existaient qu'à Memphis : mais comment appliquer cette raison à ceux de l’Ethiopie, dont plusieurs sont d'ailleurs doubles, à ceux dont on rencontre les restes au milieu du lac Mœris, à la pyramide qui existait, suivant Hérodote, dans le labyrinthe, puis aux monuments de ce genre qu'on rencontre dans l’lnde, à ceux de l'ancienne Babylone ? Ce n'était pas non plus, ce semble, sur les hauteurs, mais dans la plaine qu'il fallait dresser ces obstacles : sur le plateau où les pyramides existent, les courants sablonneux avaient trop de dégagement pour ne pas les rendre inutiles, et cela paraît incontestable, puisqu'elles ont survécu aux autres monuments de Memphis. De telles barrières n'étaient donc que faibles, et très locales : elles n'eussent point, et le fait le prouve, rempli leur but. Si d'ailleurs on les plaçait de file, le dégagement sablonneux restait plus libre sur les côtés : les rangeait-on de front, il eût fallu leur donner la même hauteur, et ne point laisser de distance entre elles, et certes on eût eu plus tôt et mieux fait d'un mur. Car il est évident (et ceci se rapporte à la forme) que leur surface de plus en plus effilée et rétrécie offre moins de résistance à l'action des vents qui chassent les sables, que des surfaces carrées ou parallèles. Pourquoi, de plus, ces cotés si lisses, ces talus faits en quelque sorte au rabot ? Tant d'art et de peine était-il nécessaire pour un simple obstacle aux ravages de la nature ? Une construction rude et grossière, des entassements cyclopéens, n'eussent-ils pas sufli ? Etait-il besoin d'ailleurs d'une hauteur de près de 140 mètres, comme à celle de Chéops, et n'était-il pas plus rationnel de donner la même largeur de la base au sommet et la même élévation ? Pourquoi ces hauteurs inégales ? Dans le courant des siècles, et même de jour à autre, le flux sablonneux, mû par les vents, pouvait se transporter à des distances éloignées : il fallait y opposer une résistance égale de toutes parts.
Nous demanderons, en outre, si les assises et gradins des trois petites pyramides, en permettant aux sables de s'y amonceler plus aisément, ne devaient pas bientôt les enterrer, vu surtout leur moindre hauteur et dimension. La pyramide de Chéops pouvait peut-être braver ainsi le désert ; mais appliquées aux autres, ces assises en devenaient les auxiliaires.
The Land of the Pyramids, by J. Chesney - 1884
Incohérence d’une hypothèse “purement industrielle”

Enfin, en pénétrant à l'intérieur de ces monuments, nous ne comprenons pas la raison de leur évidement, dans l'hypothèse purement industrielle ; ces couloirs, ces salles, ces dispositions architecturales, en un mot, nous semblent sans motif comme sans but. Il eût été manifestement plus sûr et plus simple, même en supposant aux constructeurs le dessein d'élever des formes pyramidales, de les solidifier complètement et d'en faire, pour ainsi dire, autant de massifs rochers. On croirait peut-être que ces évidements, ces constructions d'intérieur, sont postérieurs à l'érection du monument : mais, outre que les anciens n'attestent rien de semblable, il paraît, au contraire, qu'ils furent dès l'origine tels qu'ils sont de nos jours : la grande vénération que professait l’Égypte pour eux l'explique suffisamment. La présence des momies, remontant à la plus haute antiquité, détruit une supposition semblable. Ainsi l'on a découvert la momie de Mycérinus, fondateur de Ia pyramide troisième en grandeur, et qui porte le nom de ce monarque. Cette présence, qui ne permet pas de douter d'une des destinations des pyramides, nous semble péremptoire contre l'hypothèse exclusivement matérielle imaginée de notre temps.
De deux choses l'une : ou les Égyptiens connaissaient et redoutaient l'action des sables, et alors ils n‘eussent point enterré leurs rois dans des monuments destinés à être enterrés les premiers, puisqu'ils se trouvaient le plus sujets à cette action ; le moindre danger, le moindre risque, la moindre incertitude, à cet égard, leur eût semblé, à eux adorateurs de la royauté et profonds partisans de l'âme immortelle, du culte des tombeaux, leur eût semblé, disons-nous, une profanation ; ou bien ils ignoraient ou ne redoutaient nullement l'action séculaire des courants sablonneux, et alors comment prétendre qu'ils aient élevé les pyramides pour les arrêter ?
Ces considérations, et d'autres peut-être encore, nous semblent combattre l'hypothèse émise de nos jours. Comme bien des hypothèses, elle est trop exclusive, et peut-être serions-nous plus près de la vérité en admettant, pour les pyramides, la triple destination de symbole religieux, de tombeau royal, et de digue aux envahissements des sables.”
Source : Google livres

samedi 16 février 2013

"L'archéologie égyptienne", par Gaston Maspero


L'égyptologue français Gaston Maspero (1846-1916) a déjà fait ici l'objet de plusieurs notes. Suivre ce lien.

Grâce aux possibilités offertes par la consultation (gratuite) d'ouvrages en version numérisée, vous trouverez ci-dessous l'intégralité de L'archéologie égyptienne.
Le chapitre de cet ouvrage consacré aux pyramides, page 125.
Cliquez ici pour lire Maspero archeologie égyptienne 

mardi 12 février 2013

Les Égyptiens “avaient en vue plutôt la durée que la beauté d'un monument” (J.-M. Vagnat - XIXe s.)

Dans la littérature traitant d’égyptologie, la comparaison entre l’architecture de l’Égypte antique et celle appliquée par la civilisation grecque est un thème récurrent, sous le rapport de l’influence de la première sur la seconde.
L’architecte J.-M. Vagnat fournit une illustration, succincte mais éloquente, de ce constat. Dans son Dictionnaire d’architecture, édité en 1827, il reprend à son compte une lecture fréquente des liens et différences entre les deux modes de bâtir appliqués aux édifices publics : d’un côté, des constructions massives privilégiant la grandeur, voire le gigantisme ; de l’autre, des “ordonnances bien combinées”, reflétant la recherche d’élégance et de beauté.
Chemin faisant, il prend à peine le temps de s’attarder sur les caractéristiques des pyramides. Sous sa plume, juste quelques notations approximatives, notamment sur la nature des matériaux, ceux-ci, d’abord qualifiés “de pierre très dure”, étant par la suite décrits comme composés de pierre “point aussi dure que certains auteurs l'ont dit”.


Aquarelle de Henry A. Bacon (1897)
“Les premières demeures des Égyptiens furent construites de cannes et de roseaux entrelacés ; celles des Grecs le furent avec de l'argile qui n'était pas même durcie par le feu. (...)
Les Égyptiens manquant de bois, eurent recours a la brique, puis à la pierre et au marbre ; et sans le secours du fer, ni l'usage des voûtes dont ils n'avaient encore aucune notion, ils parvinrent à les mettre en œuvre avec beaucoup de solidité.
Les habitants étant logés, il fallut, pour leur besoin, élever des édifices publics et des monuments, tels que temples, palais, basiliques, places publiques, tombeaux et autres, pour servir d'annales historiques : en faisant passer à la postérité les noms des personnages illustres qui coopérèrent à l'érection de semblables monuments. (...)
Plusieurs auteurs ont dit que les pyramides remontaient aux époques de la primitive Egypte. Homère, qui rapporte beaucoup de particularités de l'Egypte, n'en fait pas mention ; ce qui ferait présumer qu'elles ont été commencées postérieurement à cet auteur grec. Chacun sait qu'elles étaient élevées en l'honneur des souverains à qui elles servaient de sépulture.
On conçoit facilement que si les Égyptiens élevèrent des monuments d'une si grande importance, leur but était de faire passer leurs noms à la postérité, étant persuadés que les demeures ordinaires n'étaient que passagères. Ils mirent donc en oeuvre des matériaux dont la durée était certaine.
Les trois principales pyramides qui restent sont celles qu'ils avaient érigées à trois lieues du Caire, distantes l'une de l'autre de six cents mètres : la plus haute a la forme d'un triangle équilatéral, dont la perpendiculaire est de 100 mètres ; les faces extérieures sont pratiquées en gradins, au moyen desquels on peut communiquer à leur sommet qui se termine en plate-forme. Les matériaux que l'on a employés à sa construction sont de pierre très dure et de forte dimension : au milieu de son intérieur, est un sépulcre où, dit-on, il existe un cénotaphe destiné à recevoir les restes de Pharaon, que la mer Rouge engloutit à son passage.
La seconde pyramide est moins conservée que la précédente, et a moins de diamètre.
La troisième, qui a encore moins de diamètre que les précédentes, est construite avec plus de soin ; elle est d'ailleurs revêtue d'une pierre marbre basalte extraite d'Arabie.
La pierre qui les compose n'est point aussi dure que certains auteurs l'ont dit : on attribue leur durée à la nature du climat qui surabonde peu en pluie et en humidité. Le volume seul a dû conserver les monuments ; car les joints, dans lesquels on ne reconnaît aucune trace de ciment, de plomb ni de fer, auraient infailliblement causé une destruction certaine ; les eaux y auraient pénétré, et causé, dans tout autre pays, les plus grands dégâts. (...)
La grandeur et les immenses constructions des Égyptiens étonnèrent admirablement les nations, et (...) elles servirent de modèles aux Grecs. (...)
Les Égyptiens ignorèrent l'art de construire les voûtes ; ils ne surent pas faire une heureuse application des genres d'ordonnance qui conviennent à chaque édifice ; ils donnèrent aux diamètres de leurs colonnes des proportions naines qui ôtèrent toute l'élégance et la beauté de l'ordonnance, qui consistent dans le rapport de son diamètre à la hauteur de sa tige ; enfin, ils n'eurent aucune connaissance exacte des expressions moyennes et délicates qui ont admirablement caractérisé les ordres grecs. On ne peut contester qu'ils connurent exactement l'expression solide ; car les masses qui servaient d'appui à leurs constructions étaient basées sur des principes gigantesques : ils avaient en vue plutôt la durée que la beauté d'un monument.
Les monuments des Égyptiens contribuèrent considérablement aux progrès de l'architecture chez les Grecs : ceux-ci remplacèrent les ordres égyptiens, qui n'étaient que des masses surchargées d'ornements, et dont l'ensemble était gigantesque et parfois bizarre, par des ordonnances bien combinées, tant sous le rapport de la construction, que sous celui de la régularité dans ses parties, et de la justesse dans ses détails ; de manière que la concordance du tout satisfaisait l'âme et captivait les yeux du spectateur éclairé.”

Source : Google livres

vendredi 8 février 2013

L’ “utilité réelle” des pyramides d’Égypte, selon Edmond Lévy (XIXe s.)

Dans les quelques pages de son Étude philosophique sur l’architecture (1858) qu’il a consacrées aux pyramides, Edmond Lévy (aucune précision sur cet auteur, sinon qu’il était “de Rouen”) a mis en avant deux caractéristiques des célèbres monuments de l’Égypte ancienne.
Il les a situées tout d’abord dans l’histoire de l’architecture et des rites socio-religieux de ce pays.
Il a insisté par ailleurs sur le rôle primordial, dans la société égyptienne, des prêtres, ceux-ci étant même qualifiés de “véritables maîtres”, tenant sous leur coupe jusqu’aux souverains dont la puissance n’était qu’ “apparente”. De là à penser que les pyramides elles-mêmes avaient également une fonction “sacerdotale”, il n’y a qu’un pas que l’auteur semble bien franchir lorsqu’il écrit : “Partout l’oeil, en cherchant bien, pouvait découvrir au delà de la forme extérieure quelque chose de reculé, de soustrait aux regards profanes, quelque chose qui se cachait dans des profondeurs et s'entourait toujours de mystère.
On est loin de la conception classique selon laquelle les pyramides sont indissociables des pharaons qui les ont conçues et édifiées comme symboles de leur puissance et habitacles de leur immortalité.


Pyramides de Guizeh, par Thomas Seddon (1856)


“L'Egypte est sans contredit un des berceaux les plus importants de l'architecture, qui s'y développa avec des caractères bien différents de ceux que nous avons précédemment constatés.
Les premières habitations égyptiennes furent creusées dans le flanc des chaînes de montagnes qui bordent la partie supérieure de la vallée du Nil. C'est là que les habitants, tout à la fois troglodytes et ichthyophages, se réfugièrent pendant longtemps pour échapper aux inondations périodiques du fleuve. Les eaux de la mer, en se retirant de la vallée du Nil, qui n'était dans le principe qu'un vaste golfe de la mer intérieure, laissèrent peu à peu à découvert des plaines fertiles que vinrent cultiver les habitants des régions supérieures.
La nation égyptienne s'établit en même temps sur les deux rives du fleuve ; la civilisation fit de rapides progrès, et l'empire des Pharaons finit par s'étendre des Cataractes à la Méditerranée, alors renfermée dans son lit actuel. C'est pendant cette période pharaonique, dont la durée, incertaine pour nous, a dû être de plusieurs milliers d'années, c'est-à-dire depuis la fondation de l'empire jusqu'à la conquête du pays par les Grecs, que nous allons étudier la marche de l'architecture.

Monuments égyptiens

Les monuments les plus importants sont les temples, les palais, les digues, les canaux et les constructions funéraires. (...)
Nous arrivons aux constructions funéraires, qui sont de plusieurs genres. Les hypogées ou syringes et les nécropoles viennent en première ligne par rang d'antiquité ; les pyramides et les monuments isolés se présentent ensuite avec un certain mystère sur lequel le dernier mot n'a pas encore été dit.
Les soins donnés à ceux dont la vie vient de s'éteindre, les demeures consacrées aux morts prennent, en Egypte, une importance plus considérable que dans aucun autre pays. Là point de ces forêts inépuisables qui permettent de brûler les corps, et, de plus, un sol ingrat auquel il est impossible de confier ce qui a vécu, car les rayons d'un soleil ardent, succédant périodiquement aux inondations du Nil, amènent une prompte décomposition des corps, et pourraient ajouter de terribles épidémies aux maladies déjà trop nombreuses causées par des eaux longtemps croupissantes.
L'embaumement des corps, seul remède pour conjurer le mal, fut, dès les temps les plus reculés, prescrit par de sévères ordonnances, et la religion y donna sa sanction en basant la théorie de l'autre vie sur l'accomplissement de ces dernières cérémonies. La mort ne devait être, comme la vie, qu'une époque de transition, après laquelle les âmes devaient reprendre le corps dont elles n'avaient été séparées que pour un temps d'épreuves plus ou moins long.
Aussi, quelles précautions ne fallait-il pas apporter à l'embaumement des corps pour en obtenir une conservation certaine, et avec quel soin ne présidait-on pas à la construction des tombeaux qu'on appelait les demeures éternelles.

Hypogées

Dès leur avènement au trône, les rois s'occupaient de leur sépulture; les grands personnages se faisaient creuser des hypogées dans les montagnes de l'Occident. Les gorges de la Nubie et de la haute Egypte contiennent une immense quantité d'hypogées dont les innombrables sculptures sont du plus haut intérêt pour l'histoire de ces pays. Les plus remarquables se rencontrent dans la vallée anciennement appelée Biban-Ourou, aujourd'hui Bibàn-el-Molouk, hypogées des rois. Ces grottes funèbres appartiennent aux XVIIIe, XIXe et XXe dynasties pharaoniques. On voit se développer sur leurs parois des fresques qui ont conservé leurs vives couleurs et qui rappellent les symboles mystiques et les cérémonies de la religion égyptienne.

Nécropoles

Les lois protectrices de l'Egypte avaient prévu l'impuissance de la pauvreté dans l'accomplissement des derniers devoirs à rendre aux morts. De vastes puits étaient creusés par les soins du gouvernement pour recevoir les corps des pauvres grossièrement, mais suffisamment embaumés dans du bitume et du natrum. A côté des nécropoles, où vinrent s'entasser générations sur générations, la superstition fit creuser d'autres galeries souterraines où furent déposés avec respect, et soigneusement embaumés, les corps des animaux, tels que crocodiles, ibis, chiens, chats, éperviers, bœufs, etc. La prudence sacerdotale voulait à tout prix éloigner les épidémies, et nous devons considérer comme une des causes de la déification des animaux le désir de stimuler le zèle des Égyptiens pour les embaumements de toute nature.

Pyramides

Les pyramides complètent la série des constructions funéraires. Si nous admettions, avec M. de Persigny, que ces édifices aient eu une double destination, funèbre et utile, quel respect et quelle admiration ne devrions-nous pas avoir pour ces constructions gigantesques qui viennent, encore aujourd'hui, nous montrer combien le peuple d'Egypte fut positif et jusqu'à quel point tout chez lui se développait dans un but d'utilité réelle !

Conservation étonnante des monuments de l'Egypte. Caractère imprimé aux monuments par une civilisation stationnaire

Tous ces monuments, à peine ébréchés par le temps, semblent dater d'hier. Leur étonnante conservation est due au genre de la construction, au climat et à la position géographique d'un pays placé en dehors des grandes invasions de barbares. Ce qui frappe surtout en eux, c'est ce cachet que leur a imprimé une civilisation stationnaire pleine de mystères et d'entraves. Pour s'en convaincre, il suffit d’interroger les constructions monumentales de l'Egypte, les temples, les palais et ces pyramides qui depuis quarante siècles contemplent les générations qui se succèdent.
Ces grandes masses rappellent bien les constructions colossales de l'Asie ; elles ne révèlent que trop bien aussi un gouvernement absolu, despotique, qui pesait sur les masses de la nation comme ces assemblages énormes du pierres pèsent sur le sol attristé. Mais n'y voyons-nous rien de plus ?

L’ “esclave couronné”

Le gouvernement de l'Egypte, de l'Egypte avant d'être asservie, présentait au premier aspect la forme d'un gouvernement monarchique. Là le roi était obéi, respecté, vénéré. Une parole, un signe provoquait toujours l'obéissance la plus complète.
Et cependant, on aurait eu tort de s'en tenir à l'apparence, d'en juger sur ce qu'on voyait ; car ce roi n'était qu'un esclave comme les sujets qui lui obéissaient. Les véritables maîtres étaient les prêtres qui paraissaient peu, mais qui commandaient toujours ; le roi ne pouvait ordonner que ce que voulaient les prêtres ; le roi passait sa vie à observer mille petites pratiques qui occupaient l'esclave couronné ; le roi remplissait tout de sa puissance apparente ; mais les prêtres étaient partout dans son palais : ils étaient cachés derrière son trône, ils soufflaient les mots que prononçait la bouche royale.
Or ce double aspect se trouvait aussi dans les monuments. Partout l'œil, en cherchant bien, pouvait découvrir au delà de la forme extérieure quelque chose de reculé, de soustrait aux regards profanes, quelque chose qui se cachait dans des profondeurs et s'entourait toujours de mystère.
En effet, qu'était le temple égyptien, si ce n'est une suite d'enceintes de plus en plus reculées, d'enceintes de plus en plus secrètes, d'enceintes accessibles aux castes d'après leur importance, et se terminant par un sanctuaire où le roi lui-même ne pouvait pénétrer et où les prêtres inventaient, combinaient les mesures politiques les plus propres à consolider leur pouvoir.
Et ces pyramides ! N'allez pas croire qu'il n'y a qu'une accumulation de pierres dans le but d'offrir une masse imposante à l'œil et de résister à l'action du temps destructeur. Dans cette masse, il y a une entrée, mais elle est cachée par les artifices les plus ingénieux. Il y a à cette entrée une suite de galeries, mais elles sont masquées par des parois transversales, en même temps que des assises de pierre semblent donner à la galerie une direction qu'elle n'a pas.
Quand l'avidité humaine, pour des trésors supposés, aura fait démêler tous ces subterfuges à ceux qui pénétreront dans ces masses avec le pic et le marteau ; quand ils auront été menés dans des salles sans autre destination que de faire croire que c'est l'unique salle intérieure, alors ils arriveront dans la salle royale où les prêtres ont déposé le roi, leur victime et leur esclave, qui là encore est entouré de ses maîtres : les prêtres s'en sont emparés à sa naissance, ils ne le lâchent pas après sa mort.
Restent maintenant ces palais si pompeux, si majestueux, si propres à donner une grande idée de la puissance royale. Sous ces palais mêmes sont, non pas des demeures, nous dirons des palais souterrains. C'est là que les prêtres tiennent leurs conciliabules ; c'est là que sont les archives de toutes ces sciences dont ils gardent la connaissance pour eux seuls, parce que les sciences sont aussi une source de puissance ; c'est là que ces hommes délibèrent sur les moyens de retenir le peuple dans la crainte et les rois dans l'esclavage.
Voilà la mystérieuse Egypte, mystérieuse dans son gouvernement, mystérieuse dans ses monuments. De chacun de ses édifices, comme de la statue de Memnon, on croit entendre sortir des voix, des sons qu'il faut deviner, car le sphinx est là pour vous en avertir.”
Source : Google livres

mercredi 6 février 2013

“L'architecture égyptienne nous paraît réunir au degré le plus éminent les conditions de durée et de stabilité que les institutions religieuses et politiques de ce peuple avaient en vue” (Sarrazin de Montferrier - XIXe s.)

Pour la commodité du référencement, la citation introduisant cette note a été attribuée au mathématicien Alexandre André Victor Sarrazin de Montferrier (1792-1863). Elle est extraite en réalité du Dictionnaire des sciences mathématiques pures et appliquées (1835), cet ouvrage collectif ayant été réalisé par une société d’anciens élèves de l'École Polytechnique, 1835, sous la direction de Sarrazin de Montferrier.
Deux pages de ce dictionnaire, reproduites ci-dessous, sont consacrées à certaines caractéristiques de l’architecture égyptienne ancienne, cet art de bâtir ayant été appliqué singulièrement dans l’édification des pyramides.
Il ne s’agit, certes, que de généralités. Ces considérations étaient toutefois inspirées par un déficit d’intérêt de la part des “jeunes architectes” et, plus globalement, par la disparité entre un “antique système de construction” et des “mœurs mobiles et frivoles habitudes”.
Noble propos, en effet, qui ne serait sans doute pas déplacé dans un contexte plus moderne...


Illustration extraite de la "Description de l'Egypte"
“L'ordre chronologique donne à l'architecture des Égyptiens la première place dans l'histoire de l'art de bâtir. Il est vrai que la cabane ne peut l'avoir précédée chez cette nation, dont la civilisation est comme la grande aïeule de la nôtre, et dont cependant l'antique sociabilité est demeurée pour nous un impénétrable mystère. Au lieu de forêts, le sol de l'Egypte ne renferme que des carrières qui produisent des pierres faciles à mettre en œuvre. Force a donc été à l'homme de se construire dans ce pays des abris plus solides que la cabane, et de chercher ailleurs que dans la nature les modèles des vastes édifices qu'il y a construits.
Le caractère grave et tout national de l'architecture égyptienne n'a point permis aux peuples modernes d'adopter aucune de ses formes. A l'aspect de ces masses imposantes, mais qui semblent porter l'empreinte d'un système impitoyable de servitude, destiné à enchaîner le passé et l'avenir dans une effrayante immobilité, l'art a dû s'arrêter, comme l'intelligence se perd dans un problème insoluble.

“Des connaissances mécaniques puissantes”

C'est à tort cependant qu'on a dénié à ce système d'architecture des règles théoriques, comme celles dont les ordres grecs offrent l'application. C'est également à tort qu'on l'a considéré comme constatant une absence totale de science, d'invention et de goût. Nous n'en jugeons point ainsi. On tombe dans de semblables erreurs toutes les fois qu'on essaie de séparer les œuvres de l'homme de leur principe intellectuel. Mais si les meilleures lois sont, pour un peuple, celles qu'il peut le mieux supporter, et qui conviennent d'ailleurs à son génie, les plus beaux édifices sont aussi ceux qui, dans leur destination d'utilité, s'harmonisent le mieux avec le climat, les mœurs et les idées générales des peuples où ils sont élevés.
L'architecture égyptienne nous paraît réunir au degré le plus éminent les conditions de durée et de stabilité que les institutions religieuses et politiques de ce peuple avaient en vue. Ses monuments les plus anciens n'offrent aucune différence remarquable avec ceux qu'il a construits dans les derniers temps de sa nationalité; ils ont le même caractère, les mêmes proportions, les mêmes dispositions, et semblent également, dans leur sombre majesté, élevés pour le même but.
Il est donc impossible de ne pas reconnaître dans l'architecture égyptienne une suite de règles plus sévères encore et plus exigeantes que celles dont les Grecs établirent l'usage. Ces règles, dit-on, rendaient du moins tout progrès impossible ; le progrès, tel que nous le concevons, n'entrait point comme élément social dans la législation égyptienne. Elle n'avait pas voulu que les caprices du goût pussent jamais affecter l'ordre religieux et politique qu’elle avait établi ; l’architecture nationale devait donc subir ses prescriptions absolues. Mais sous le rapport de la science, cette architecture suppose des connaissances mécaniques puissantes, et sous ceux de l'invention et du goût, nous ne pouvons l'apprécier sans faire la part du climat, de la religion et des mœurs publiques, dont il lui était ordonné de reproduire partout les symboles respectés.
La connaissance de l'architecture égyptienne ne fait point partie des études auxquelles se livrent les jeunes architectes de nos jours. Sans doute la pratique en grand de cet antique système de construction formerait avec nos mœurs mobiles et nos frivoles habitudes une choquante disparate ; mais quelquefois cependant on en rencontre dans nos cimetières quelques souvenirs incomplets. On dirait que la douleur, commune à l'humanité, et dont le langage est universel, vient rappeler à l'artiste, en présence d'un tombeau, les traditions de l'architecture égyptienne, si puissante sur l'âme, car son caractère grave et mélancolique est aussi empreint de l'idée de l'éternité. (...)


Cimetière du Père-Lachaise (Paris)
“Des connaissances astronomiques déjà avancées”

Les commencements de l'astronomie égyptienne sont demeures cachés dans le mystère qui enveloppait les institutions religieuses, muettes dépositaires de sa civilisation et de son savoir.
On a voulu tirer une conséquence favorable aux connaissances astronomiques des Égyptiens de la direction exacte des faces de leurs pyramides vers les quatre points cardinaux. Certainement le hasard ne peut avoir constamment produit cette disposition remarquable de leurs plus anciens monuments ; mais cependant aucunes des observations égyptiennes ne nous ont été conservées. Il est au contraire historiquement prouvé que les astronomes de l'école d'Alexandrie recoururent aux observations chaldéennes. D'un autre côté, longtemps avant cette époque, Thalès, Pythagore, Eudoxe et Platon étaient venus de la Grèce visiter les prêtres égyptiens, et ils puisèrent dans leurs entretiens les connaissances qu'ils rapportèrent dans leur patrie. D'où vient donc que les monuments et les prêtres de l'Egypte sont demeurés muets pour les savants d'Alexandrie ? C'est là, si l'on peut s'exprimer ainsi, une de ces singularités de l'histoire qui doivent rester à jamais inexplicables, et qu'il faut se borner à faire remarquer.
Manéthon, prêtre égyptien, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, composa, vers l'an 260 avant J.-C, une longue une histoire de son pays pour l'instruction de Ptolémée Philadelphe, fils et successeur de Lagus. Il n'est pas possible de savoir si cet écrivain, en compilant les contes les plus absurdes, et en faisant remonter l'origine de la civilisation égyptienne à une antiquité fabuleuse, répétait des opinions reçues par la caste privilégiée dont il faisait partie, ou s'il voulait tromper sciemment un prince de race étrangère, en lui inspirant du respect pour une nation dont les dieux eux-mêmes avaient gouverné les ancêtres durant une période immense. Quoiqu'on ne puisse tirer aucune induction certaine de tout ce chaos, il est demeuré prouvé, par des monuments et des témoignages non suspects, que l'Egypte, dès une antiquité relative fort reculée, possédait des connaissances astronomiques déjà avancées.”
Source : Google livres

samedi 2 février 2013

“Le travail le plus considérable, et en même temps le plus inutile que les hommes aient entrepris” (Augustin-Charles d'Aviler - XVIIe s., à propos des pyramides égyptiennes)

Pensionnaire du roi à la toute récente Académie de France à Rome, puis intégré à l'Agence des Bâtiments du roi que dirigeait Jules Hardouin-Mansart, l’architecte Augustin-Charles d'Aviler (1653-1701) a largement participé à la diffusion des manières architecture du Grand Siècle. Son Cours d’architecture a longtemps été considéré comme un ouvrage de référence.
Le texte qui suit est extrait de son Dictionnaire d'architecture civile et hydraulique et des arts qui en dépendent : comme la maçonnerie, la charpenterie, la menuiserie, la serrurerie, le jardinage, etc. ; la construction des ponts et chaussées, des écluses et de tous les ouvrages hydrauliques, édité en 1755.
Concernant les pyramides égyptiennes, on constatera facilement que l’auteur n’est jamais allé sur place. Il tient ses informations de différentes sources : Pline, Pierre Belon (écrit “Bellon”), Pietro della Valle, Jean de Thévenot, ainsi qu’un certain Pierre Gilles que je n’ai pu identifier. La juxtaposition de ces témoignages de première main n’empêche pas notre architecte de faire place, dans sa description de la Grande Pyramide, à une grossière erreur sur la disposition des espaces intérieurs. J’ignore qui lui permet d’écrire qu’ “à côté de cette chambre (la Chambre du Roi), il y a une autre chambre plus petite, mais sans sépulcre ; et c'est ici l'endroit le plus élevé où l'on puisse aller au dedans de la pyramide”. Oui, vous avez bien lu “à côté”...


Illustration de Marcus Tuscher (1780)
“Piramide ou Pyramide. C'est un monument qui a la forme d'une pyramide, et qu'on élève pour quelque événement singulier. On doit aux Égyptiens l'origine de ce monument et ce qu'ils ont laissé est peut-être le travail le plus considérable, et en même temps le plus inutile que les hommes aient entrepris. Nous voulons parler des trois fameuses pyramides d’Egypte. Si l’on en croit Pline, trois cent soixante mille hommes ont travaillé pendant vingt ans à la plus grande de ces pyramides, savoir dix ans pour apporter les pierres et dix ans pour la bâtir. Il dit aussi qu'on dépensa dix-huit cents talents en raves et en oignons, mets favoris des Égyptiens.
Cette pyramide a été bâtie il y a plus de trois mille ans par un Roi d'Egypte, appelé Chemmis. Elle est d'une hauteur si considérable que sa pointe paraît seulement un peu émoussée, quoiqu’il y ait une place fort grande au sommet, qui peut contenir quarante personnes. Sa forme est carrée et sa base prise sur la surface de la terre, a onze cent soixante pas, ou cinq cent quatre-vingt toises de circuit. Toutes les pierres qui la composent ont trois pieds de haut et cinq ou six de long et les côtés qui paraissent en dehors sont tous droits et par conséquent sans talut.

“Dans ces temps reculés, l'art de bâtir n'était point entièrement inconnu”

Pour former la pyramide, chaque rang de pierre diminue en largeur d'environ neuf à dix pouces ; cela fait des avances qui servent à grimper au sommet. Cependant les pierres sont si bien jointes ensemble qu'à peine on peut en apercevoir les joints, ce qui prouve que dans ces temps reculés, l'art de bâtir n'était point entièrement inconnu.
On doit encore inférer de tout cela une autre connaissance que les Égyptiens possédaient : c’est celle des machines pour porter à une hauteur si excessive que celles qu'on y voit encore.
Abandonnons les réflexions philosophiques qui naîtraient de là, et qui nous écarteraient de notre objet ; et disons que cette pyramide et les deux autres de moindre grandeur qui sont en Egypte étaient des espèces de mausolées. La première était destinée pour le malheureux Roi Pharaon qui fut englouti dans la mer Rouge ; et on a enseveli dans les autres la Reine sa femme et la Princesse sa fille.
Comme l'objet qu'on s'était proposé par la construction de cette grande pyramide n'a point été rempli, on a laissé l'ouverture qui devait servir à passer le corps de l'infortuné monarque. Or cette ouverture a heureusement servi à faire connaître l’intérieur de ce monument.
Voici ce que les plus fameux voyageurs, les Bellon (dans ses observations), les Pierre Gilles, les Pietro della Valle et les Thévenot nous en ont appris dans leurs voyages.


L'entrée de la Grande Pyramide, selon George Sandys (1621)


L'ouverture de la grande pyramide est un trou élevé de terre presque carré, d'un peu plus de trois pieds de haut, et l'on y monte par le moyen des sables que le vent y jette et qui le bouchent quelquefois. II y avait autrefois une pierre taillée exprès pour boucher cette ouverture qui s'y ajustait parfaitement, mais un Bacha la fit enlever crainte qu'on ne la plaçât et qu'on ne pût dans la suite reconnaître l'ouverture. Muni de lumière, on passe donc par ce trou carré, ou cette ouverture en se courbant et on trouve une espèce d'allée qui va en descendant, environ 80 pas. Cette allée est voûtée en dos-d'âne, et a assez d'élévation et de largeur pour y pouvoir marcher ; mais son pavé a une pente si considérable que sans de grosses piqûres sur lesquelles on se cramponne, on tomberait ; encore est-on obligé malgré ce secours de se tenir avec les mains des deux côtés du mur.
Au bout de cette allée est un passage qui n'a que la largeur nécessaire pour laisser passer un homme et qui est ordinairement rempli de sable. On ôte ce sable et l'on passe en se traînant huit ou dix pas sur le ventre. Une voûte paraît alors à la main droite : elle semble descendre à côté de la pyramide.
On voit aussi un grand vide avec un puits très profond. Quand on descend dans ce puits, on trouve une fenêtre carrée qui entre dans une petite grotte creusée dans la montagne où il n'y a que du gravier attaché fortement l'un contre l'autre. Cette grotte s'étend en Iongueur d'occident en orient. Lorsqu'en continuant de descendre dans ce puits, on est parvenu à environ quinze pieds de cet endroit, on rencontre une coulisse entaillée dans le roc, large d'environ deux pieds et un tiers et haute de deux pieds et demi. Cette coulisse a vingt-trois pieds, après quoi on ne trouve plus que des ordures dans ce puits.
Revenant donc sur ses pas, et voulant connaître la hauteur comme on a tâché de connaître la profondeur de l'intérieur de la pyramide, on grimpe sur un rocher qui a vingt-cinq ou trente pieds. Arrivé là, est un espace long de dix ou douze pas. On traverse cet espace, et on monte par une ouverture où à peine un homme peut se glisser. Pour pouvoir monter, on trouve des trous, au lieu de degrés, dans lesquels on met les pieds en s'écartant un peu et l’on s'appuie contre les murs qui sont de pierres de taille fort polies et jointes très proprement. Ici on voit des niches vides de trois en trois pieds qui en ont un de large, et deux de haut. Après ce passage qui est de quatre-vingt pas, est un espace de niveau, et ensuite une chambre qui a trente-deux pieds de long, et seize de large ; sa hauteur est de dix-neuf pieds. Elle a, au lieu de voûte, un lambris tout plat, composé de neuf pierres dont les sept du milieu sont larges chacune de quatre pieds, et longues de seize et les deux autres ne paraissent larges que de deux pieds seulement, parce que leur moitié est appuyée sur la muraille.
Cette chambre n'est point du tout éclairée. Dans le bout, vis-à-vis la porte, il y a un tombeau vide fait tout d'une pièce, long de sept pieds, et large de trois, de trois pieds quatre pouces de hauteur, et de cinq pouces d'épaisseur. La pierre dont ce tombeau est formé est sonore, d'un gris tirant sur le rouge pâle, et à peu près semblable au porphyre. Elle est fort belle lorsqu'elle est polie, et si dure qu'on a de la peine à la casser à coups de marteau.
A côté de cette chambre, il y a une autre chambre plus petite, mais sans sépulcre ; et c'est ici l'endroit le plus élevé où l'on puisse aller au dedans de la pyramide.
Cette pyramide, et les deux autres dont nous venons de parler sont comptées pour une des sept merveilles du monde. Fischer en a donné la figure dans son Essai d'Architecture historique (...). Elles sont à neuf milles du Caire, et on les aperçoit dès que l'on est sorti de la petite ville de Dezize, qui est à six milles. De leur sommet, on découvre une partie de l'Egypte, le désert sablonneux qui s'étend dans le pays de Berca et ceux de la Thébaïde dé l'autre côté.
A seize on dix-sept milles du Caire, il y a une autre pyramide qu'on appelle la Pyramide des momies, parce qu'elle est proche du lieu où les momies se trouvent, qui est aussi grande que la moindre des trois précédentes. Elle a cent quarante-huit degrés de grosses pierres pareilles à celles des autres. Son ouverture, qui est du côté du nord, a trois pieds et demi de large, et quatre de haut. On descend en dedans encore plus bas que dans la grande Pyramide, mais on n’y voit qu’une salle au fond , dont le plancher est d'une hauteur extraordinaire.”

Source : Gallica