samedi 27 février 2010

"L'ouverture de la grande pyramide est plus ancienne que le voyage de Mamoun en Égypte" (Silvestre de Sacy - XVIIIe-XIXe s.)

La percée d'al-Ma'moun - cliché de Jon Bodsworth (Wikimedia commons)
La note publiée récemment sur ce blog, consacrée à Murtada Ibn al-Khafîf, comportait une remarque de cet auteur sur l'entrée dite d'al-Ma'moun (*), de la Grande Pyramide : "Le Commandeur des Fidèles le Mamune [al-Ma'moun], Dieu lui fasse miséricorde, étant entré dans le pays d'Égypte, et ayant vu les Pyramides, eut envie de les démolir , pour le moins quelqu'une d'elles, afin de savoir ce qui était dedans. Sur quoi on lui parla ainsi : Vous désirez une chose qui ne vous est pas possible. Si vous l'entreprenez et que vous n'en veniez pas à bout, ce sera une honte au Commandeur des Fidèles. À quoi il répondit : Je ne puis me passer d'en découvrir quelque chose. Il fit donc travailler à la brèche qui y était déjà commencée, et y fit de grandes dépenses."
(*) Abû al-`Abbâs al-Ma'mûn `Abd Allah ben Hârûn ar-Rachîd (786-833), calife abbasside qui régna de 813 à 833. Je retiens l'orthographe suivante : al-Ma'moun, le ' entre le a et le m étant une "hamza", sorte d'interruption de la voix dans la prononciation, qui ne doit en aucun cas être négligée.

"La brèche qui y était déjà commencée" : plusieurs fidèles lecteurs de Pyramidales ont relevé ce "détail" qui n'en est sans doute pas tout à fait un. M'étant piqué au jeu (qui, lui non plus, n'en est pas tout à fait un !), je me suis mis en chasse de données complémentaires. Voici le résultat, non exhaustif ni définitif, de mes recherches.
L'attribution, pratiquement généralisée jusqu'à nos jours, de la deuxième entrée (celle empruntée aujourd'hui par les visiteurs de la pyramide) à al-Ma'moun a été explicitement contestée par Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838), sur la base d'arguments bien charpentés, puisés dans des textes anciens qu'il lisait dans leur version originale. Cet orientaliste et philosophe était en effet un linguiste distingué. Il apprit l'hébreu, le syriaque, le samaritain, le chaldéen, l’arabe, le persan, le turc, l’anglais, l’allemand, l’italien et l’espagnol. L'un de ses élèves fut Jean-François Champollion.
À défaut de fournir une réponse définitive à la question en suspens, les textes ci-dessous, que j'ai extraits de plusieurs ouvrages, apportent, me semblent-t-il, de l'eau au moulin de la réflexion. 
Spécialistes... à vous de "jouer" maintenant !


Silvestre de Sacy (Wikimedia commons)

Bibliothèque des arabisants français, publiée sous la direction de M. Émile Chassinat. Première partie : Silvestre de Sacy, tome premier, 1905

"Je finirai toute cette discussion, en rapportant un passage inédit, d'un écrivain syrien, qui a quelque importance pour l'histoire des pyramides. Ce passage est tiré de la seconde partie de la chronique syriaque de Grégoire Barhebraeus ou Aboulfaradje, et se trouve dans la vie de Denys de Telmahare, patriarche jacobite d'Antioche.

Ce patriarche, auteur d'une chronique qui s'étend depuis le commencement du monde jusqu'au temps où l'auteur vivait, et dont le savant prélat J.S. Assémani a donné une notice détaillée, fit deux voyages en Égypte, sous le khalifat de Mamoun, et il avait écrit lui-même le récit de ses voyages, dont Grégoire Barhebraeus a rapporté quelques fragments dans son histoire des patriarches d'Antioche. Assémani en a donné pareillement un extrait ; mais comme il ne s'est attaché qu'à ce qui concerne l'histoire ecclésiastique, et qu'il s'est contenté d'indiquer les autres observations faites par Denys dans ses voyages, je crois qu'on me saura gré de suppléer, à cet égard, à son silence.
(…) Le second voyage de Denys en Égypte, celui qui nous intéresse plus particulièrement, est de l'an 1141 des Grecs, suivant Barhebraeus. Denys était venu faire sa cour à Damas, au khalife Mamoun. Ce prince se disposait alors à passer en Égypte, pour apaiser le tumulte occasionné par la révolte des Chrétiens, que les gouverneurs musulmans avaient poussés à bout par leurs exactions. II ordonna, dit Grégoire, au patriarche de l'accompagner, parce qu'il voulait l'envoyer en députation vers les Chrétiens Biami de la partie inférieure de l'Égypte, afin de les faire rentrer dans l'obéissance.
(…) Le patriarche [Denys] dit encore : - Nous avons vu en Égypte ces édifices, dont on prétend que le théologien a parlé dans ses discours. Ce ne sont point, comme on le croit, les greniers de Joseph, mais bien des mausolées étonnants élevés sur les tombeaux des anciens rois : ils sont obliques c'est-à-dire "en plan incliné" et solides, et non pas creux et vides. Nous avons regardé par une ouverture qui était faite dans l'un de ces édifices, et qui est profonde de 50 coudées, et nous avons reconnu que ce sont des pierres de taille disposées par lits ; ils ont par le bas 500 coudées de large sur une égale longueur, à la mesure de la coudée de [mot effacé] formant une ligure carrée, et leur élévation est de 250 coudées. Les pierres qu'on a employées pour les construire ont de 5 à 10 coudées, ce sont toutes des pierres taillées. De loin ces édifices paraissent comme de grandes montagnes.
(...) Quoique j'aie principalement en vue, en rapportant ce récit, ce qui concerne les pyramides, j'ai cru devoir donner en entier ce passage curieux, qui contient l'extrait d'un écrivain du commencement du IIIe siècle de l'hégire. On en doit conclure, ce me semble, que l'ouverture de la grande pyramide est plus ancienne que le voyage de Mamoun en Égypte. Si elle eut été faite par ordre de ce prince et pendant son séjour, Denys n'aurait pas manqué de le dire. Son récit ne donne aucun lieu de le soupçonner. D'ailleurs Mamoun ne resta en Égypte que 49 jours en tout, ce qui ne permet guère de croire qu'il ait pu ordonner et faire exécuter ce travail. D'un autre côté, il est vraisemblable que l'on n'avait ouvert jusqu'alors que la première galerie, dont la longueur totale est de 121 pieds, et que l'on n'avait point encore forcé l'ouverture par laquelle on entre aujourd'hui de cette galerie dans le canal supérieur, ni découvert la salle du sarcophage. Denys n'aurait pas négligé de faire mention d'une découverte si importante, et qui aurait réfuté complètement la fable des greniers de Joseph." (Silvestre de Sacy)

Voyage du Cheikh Ibn-Batoutah, à travers l'Afrique septentrionale et l'Égypte au commencement du XIVe siècle
, tiré de l'original arabe, traduit et accompagné de notes par M.Cherbonneau, professeur d'arabe à la Chaire de Constantine, 1852 (ouvrage présenté ici)

"Lorsque le khalife Al-Mâmoun monta sur le trône , il forma le projet d'abattre les pyramides (1), et se mit à l'œuvre malgré les conseils d'un cheikh de Misr. A l'aidé du feu et du vinaigre, à force de lancer des projectiles avec les pierriers, on parvint à faire l'entaille qui se voit encore aujourd'hui sur la face septentrionale de ces monuments."

(1) Commentaire de M. Cherbonneau : M. de Sacy a longuement discuté ce fait, et, s'autorisant d'un passage d'Inn-Haukal, il prend le parti de supposer que l'ouverture de la pyramide est antérieure au règne d'Al-Mamoun (Conf. Relat. de l'Égypte, par Abd-allatif, p. 219). Quoiqu'il en soit, l'assertion d'Ibn-Batoutah avait été produite avant lui par plusieurs écrivains dignes de foi, tels que El-Maçoudi, El-Bekri et El-Abdéri. Comme ce dernier, dont j'ai le précieux itinéraire sous les yeux, développe avec complaisance la légende relative aux pyramides, j'en extrairai quelques lignes afin de compléter le récit de notre voyageur : « Al-Mamoun étant parvenu au Khalifat, conçut l'idée de démolir les pyramides : mais un vieillard de Misr lui dit : - Les tyrans de ton espèce ne réussissent jamais dans leurs projets. - Néanmoins Al-Mamoun déclara qu'il fallait que sa volonté s'exécutât, et il ordonna qu'on pratiquât une ouverture du coté du nord, parce que le soleil y donnait moins longtemps. Alors des feux furent allumés auprès des pierres, et lorsqu'elles commençaient à rougir, on les arrosait avec du vinaigre, puis on les frappait avec les mendjenik. Le résultat de ces efforts combinés fut la brèche par laquelle on entre aujourd'hui dans la grande pyramide. Le mur n'avait pas moins de vingt coudées d'épaisseur. Un trésor en argent, ayant été découvert à l'endroit de l'entaille, il se trouva équivalent à la somme dépensée pour l'opération. » ( Rihlet el-Abderi min Bidjaia ila Mekka, p. 18 et 19.)


Antoine-Jean Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre De Mensura Orbis Terrae, composé en Irlande au commencement du neuvième siècle, par Dicuil, suivies du texte restitué,1814

"Quoi qu'il en soit, et de leur destination qu'on ignorera toujours, et de leur état primitif que les recherches précédentes me semblent propres à faire deviner, il me paraît démontré que la pyramide était revêtue d'un parement en marbre précieux qui ne disparut totalement qu'après le douzième siècle.
Cela n'empêche pas qu'on ne pût pénétrer dans l'intérieur dès le huitième siècle, comme le dit Denys de Telmahre (1), et il est même très probable, ainsi que le pensait M. de Sacy, que l'ouverture de la pyramide est antérieure au règne d'Al-Mamoun : car le canal qui conduit à la chambre carrée était bien connu de Strabon, puisqu'il dit (2) : "Parmi ces pyramides, il y en a trois plus remarquables que les autres, deux desquelles sont mises au nombre des sept merveilles du monde ; en effet, la hauteur de ces monuments de forme carrée est d'un stade, hauteur qui excède un peu la longueur de la base de chacun des côtés. Elles ne sont point tout à fait d'égale grandeur ; la plus grande a environ vers le milieu de la hauteur de ses côtés une pierre mobile : lorsqu'on l'enlève, on pénètre dans un canal tortueux qui conduit jusqu'au lieu où est le tombeau." D'après ce qui a été dit plus haut, on peut présumer que le lithos exairesimos de la pyramide était un quartier de marbre faisant partie du revêtement ; on l'enlevait et on le remettait à volonté, comme celui du trésor de Rhampsinit : il est donc extrêmement probable que dès l'arrivée des Arabes, et peut-être même avant cette époque, quelque gouverneur curieux ou avide désirant voir l'intérieur de la pyramide, ou espérant y découvrir des richesses, fit enlever la pierre, et négligea de la faire remettre lorsqu'il se fut aperçu qu'il n'y avait rien ni à prendre ni à garder. C'est à compter de ce moment que la pyramide dut rester ouverte." (A.-J. Letronne)

(1) Dionys. Telmahre ap. S. de Sacy, trad. d'Abd, p. 5o4, et Mag. encycl., VIe ann., t. IV, p. 497 et sq.
(2) Strab., XVII, p. 1161. C.


Relation de l'Égypte, par Abd-Allatif, traduction et présentation de Silvestre de Sacy
(ouvrage présenté ici)

"L'une de ces deux pyramides est ouverte, et offre une entrée par laquelle on pénètre dans l'intérieur. Cette ouverture mène à des passages étroits, à des conduits qui s'étendent jusqu'à une grande profondeur, à des puits et à des précipices, comme l'assurent les personnes qui ont le courage de s'y enfoncer ; car il y a un grand nombre de gens qu'une folle cupidité et des espérances chimériques conduisent dans l'intérieur de cet édifice.
Ils s'enfoncent dans ses cavités les plus profondes, et arrivent enfin à un endroit où il ne leur est plus possible de pousser plus avant. Quant au passage le plus fréquenté, et que l'on suit d'ordinaire, c'est un glacis qui conduit vers la partie supérieure de la pyramide, où l'on trouve une chambre carrée, et dans cette chambre un sarcophage de pierre .
Cette ouverture par laquelle on pénètre aujourd'hui dans l'intérieur de la pyramide, n'est point la porte qui avait été ménagée lors de sa construction : c'est un trou fait avec effort et pratiqué au hasard. On dit que c'est le khalife Mamoun (1) qui l'a fait ouvrir."

(1) Note de Silvestre de Sacy : II me paraît fort douteux que la première ouverture de la grande pyramide soit due au khalife Mamoun. Mon doute est fondé sur la manière dont Denys de Telmahre, patriarche Jacobite d'Antioche, qui accompagna Mamoun en Égypte,, parle de la pyramide, qui était déjà ouverte quand il la visita. On peut voir ce que j ai dit à ce sujet dans mes Observations sur le nom des pyramides. M. Wahl observe que quelques historiens orientaux attribuent la première ouverture de la pyramide au khalife Mahmoud, et d'autres à Haroun Raschid ; mais il ne cite pas l'ouvrage d'où il a tiré cela. II doit, au surplus, y avoir là quelque erreur ; car il n'y a point de khalife avant Mamoun qui ait porté le nom de Mahmoud. M. Wahl aurait-il voulu parler du khalife Mahdi, dont le nom était Mohammed ? Je ne dois pas dissimuler que la tradition commune, qui attribue à Mamoun l'ouverture de la pyramide, est appuyée du témoignage de Masoudi, qui écrivait un siècle environ après le voyage de ce khalife. Suivant Makrizi, Masoudi rapporte ce fait dans l'ouvrage intitulé Histoire des temps passés et des choses ; et il y dit "qu'Abd-allah Mamoun fils de Haroun Raschid, étant venu en Égypte et ayant visité les pyramides, voulut en démolir une pour savoir ce qu'elles renfermaient ; que, sur les représentations qu'on lui fit que c'était une entreprise dont il ne viendrait pas à bout, il répondit : Il faut absolument y faire une ouverture, et qu'alors on fit, pour lui obéir, l'entaille que l'on voit ouverte aujourd'hui ; qu'on employa pour cela le feu, le vinaigre, etc." Comme nous possédons l'ouvrage de Masoudi cité ici par Makrizi, j'y ai cherché ce passage, et je l'y ai trouvé. II est vrai que, dans notre manuscrit, on lit : Raschid, étant venu en Égypte, et ayant vu les pyramides, etc. Mais je n'hésite pas à penser que c'est ici une faute de notre manuscrit ; car je ne me rappelle pas qu'aucun écrivain arabe fasse mention d'un voyage de Haroun Raschid en Égypte.
Ebn-Haukal, contemporain de Masoudi, se contente de dire que l'un des khalifes Abbasis, qu'il croit être Mamoun ou Motasem, avait eu l'idée d'entreprendre la destruction des pyramides ; mais qu'il renonça à ce projet, parce qu'il reconnut que tous les revenus qu'il tirait de l'Égypte ne suffiraient pas à la dépense de cette entreprise. J'ai rapporté ce passage d'Ebn-Haukal, d'après Makrizi, dans ma Notice de la Géographie Orientale d'Ebn-Haukal, où on peut le voir ; et je l'ai depuis retrouvé dans le manuscrit d'Ebn-Haukal de la bibliothèque de l'université de Leyde. Ne pourrait-on pas supposer que la pyramide avait été ouverte avant Mamoun, et que ce prince ayant donné des ordres pour qu'on poussât plus loin les recherches dans l'intérieur de ce monument, cela aura donné lieu de lui en attribuer la première ouverture ?


Photo Marc Chartier

Silvestre de Sacy, dans Magasin Encyclopédique, ou Journal des Sciences, des Lettres te des Arts, rédigé par A.L. Millin, 1803

"Abd-allatif parle ensuite des conduits par lesquels on pénètre dans celle des deux pyramides qui est ouverte : il avoue qu'ayant voulu y entrer, il avait à peine franchi les deux tiers du premier glacis par lequel on y entre, qu'il perdit connaissance, et fut contraint de renoncer à son entreprise. Cet aveu ne peut qu'augmenter la confiance qu'inspire en général son récit.
Abd-allatif observe que l'ouverture par laquelle on pénètre dans la pyramide n'est point une ouverture ménagée à dessein par ceux qui l'ont construite, que la pyramide a été forcée en cet endroit, et que c'est par un pur effet du hasard qu'on a rencontré ce canal. Il dit qu'on attribue cette ouverture de la grande pyramide au khalife Mamoun.
J'ai dit ailleurs les raisons que j'avais de douter de cette tradition, sur laquelle notre auteur n'entre dans aucun détail : les dégradations qui entourent l'ouverture de ce canal prouvent, comme le dit Abd-allatif, qu'on a tâtonné pour trouver celte entrée ; mais on ne peut douter, ce me semble, qu'à l'époque où l'on a tenté cette ouverture, quelque signe extérieur, ou quelque tradition conservée parmi les habitants, n'ait indiqué à peu près l'endroit vers lequel on devait chercher l'ouverture du canal."

Pour une connaissance parfaite des pyramides, "il ne reste presque plus rien à déterrer" (Claude Sicard - début XVIIIe s.)

Claude Sicard (1670 ou 1677-1726) était membre de la Compagnie de Jésus (Jésuites). Il fut envoyé au Caire en 1712 (date approximative). De son séjour en terre égyptienne, au cours duquel il s'intéressa tant aux monuments chrétiens qu'à l'archéologie, il avait l'intention de publier une relation, mais celle-ci ne fut malheureusement pas éditée comme telle et le manuscrit n'en fut jamais retrouvé. Les seuls éléments qui nous soient parvenus se présentent sous forme soit de comptes rendus, soit de lettres.
Les textes ci-dessous sont extraits des Lettres édifiantes et curieuses, écrites par des missionnaires de la Compagnie de Jésus, volume 5, 1780.
On relèvera ce qu'écrit Claude Sicard au terme de son "Discours sur l'Égypte", des propos que l'on pourrait considérer comme le vade-mecum de tout bon pyramidologue : "En général, qui veut avoir une connaissance parfaite des Pyramides, il faut qu'il examine de quels matériaux elles sont bâties, quelle est leur figure, leur dimension, leur destination, leur nombre, le temps auquel elles ont été élevées, quand elles ont été ouvertes, et qui sont ceux qui les ont dépouillées, surtout les trois de Memphis, de leurs ornements et des richesses qui y étaient renfermées."

Détail d'une carte dressée par Claude Sicard (source : Gallica)
Du Père Sicard, missionnaire en Égypte, à Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Comte de Toulouse (lettre écrite le 1er mai 1716)

Hérodote nous apprend que le Roi Cleopos employa cent mille hommes, l'espace de dix ans, à ouvrir des carrières dans la montagne du levant du Nil, et à en transporter les pierres au-delà du fleuve ; que pendant dix autres années suivantes , les mêmes cent mille hommes furent occupés à élever une pyramide construite de ces pierres tendres, et blanches en sortant de la carrière , mais qui peu à peu se durcissent à l'air et brunissent.
(…) Plus nous nous approchions du Caire, plus nous découvrions de nouvelles pyramides. Celles qui sont dans la plaine de Moknan sont en grand nombre ; mais les plus fameuses de toutes, pour leur hauteur, leur circonférence et leur construction, sont les trois grandes pyramides de Gizé, que l'on mettait autrefois au nombre des sept merveilles du monde.
Notre lente navigation me donna tout le temps de les contempler ; mais il ne me fut pas possible de vérifier les mesures des hauteurs et des largeurs que les voyageurs leur donnent. Les uns disent que la plus haute et la plus large est composée de deux cent vingt-sept degrés inégaux entre eux ; d'autres prétendent qu'elle a deux cent quatre-vingt-six toises quatre pieds de hauteur, que chaque côté de sa base a cent treize toises quatre pieds, et chaque face du piédestal deux cent soixante et dix toises cinq pieds de long. Je ne sais si l'on croira ce que Pline dit des dépenses qui furent faites en raves et en oignons pour la seule nourriture des ouvriers. Il prétend qu'elles allèrent à huit cents talents.

Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il a fallu et bien du temps et bien du monde pour construire ces masses énormes, qui n'ont aujourd'hui de beauté, que cette prodigieuse hauteur et épaisseur ; mais elles pouvaient autrefois être regardées comme une des merveilles du monde, lorsqu'elles étaient revêtues en dehors des plus beaux marbres de l'Égypte, et qu'en dedans elles contenaient de grandes salles qui en étaient incrustées. On les appelait les salles du Roi et de la Reine. Ces marbres ont été enlevés par les derniers Rois d'Égypte qui en ont orné leurs palais : il n'en reste plus que quelques morceaux d'un côté et d'un autre, qui sont des marques visibles de leur ancienne magnificence.
À deux ou trois cents pas de la grande pyramide, et presque vis-à-vis du vieux Caire, à l'occident, proche le rivage du Nil, nous vîmes la tête du sphinx, dont les voyageurs ont tant parlé. Le reste du corps est enterré sous le sable. À juger de sa grosseur par ce qu'on voit de sa tête, il faut qu'elle soit énorme. Je ne ferai pas cependant caution de tout ce que Pline en rapporte. Il dit que la tête de ce monstre a douze pieds de circuit, quarante-trois pieds de longueur, et en profondeur depuis le sommet de la tête jusqu'au ventre, cent soixante et douze pieds. On croit, ajoute le même auteur, que le Roi Amasis y a été enterré.
La fable a fait rendre des oracles à cette figure monstrueuse, qui était la Divinité champêtre des habitants ; mais ces oracles étaient une frauduleuse invention de leurs Prêtres qui, ayant creusé sous terre un canal aboutissant au ventre et à la tête de cette prétendue Divinité de pierre, avaient trouvé moyen d'entrer dans son corps, d'où ils faisaient entendre d'une voix sépulcrale des paroles mystérieuses , pour répondre aux voyageurs qui venaient consulter l'oracle.

Du même auteur, dans "Discours sur l'Égypte"


La plus grande des trois [pyramides] qui sont auprès de l'ancienne Memphis à trois lieues du Caire, a 500 pieds de hauteur perpendiculaire, et 670 de talus. On y monte en dehors par 220 degrés, chacun d'environ trois pieds de haut. Il manque 24 ou 25 pieds à la cime, où l'on trouve une esplanade de dix à douze pieds en carré.
Outre cela cette pyramide est ouverte, et a une porte du côté du nord, élevée de quarante-cinq pieds au-dessus du terrain. On entre par un canal qui va en pente de quatre-vingt-cinq pieds de long, trois pieds six pouces de large en carré. Après ce canal on en trouve un autre, qui va toujours en montant ; il a quatre-vingt-seize pieds de long, trois pieds quatre pouces de haut et de large. Au sortir de ce second canal à droite est un puits qui est à sec ; il va en biaisant, et l'extrémité est bouchée de sable. De plain pied au puits est une allée de 113 pieds de longueur, et de trois pieds de largeur en carré, qui est terminée par une chambre longue de 18 pieds, large de 16, haute de 21, jusques à l'angle de la voûte en dos d'âne. À l'heure qu'il est, il n'y a dans cette chambre ni tombeau, ni corps ; tout a été enlevé il y a plusieurs siècles.
On revient sur ses pas jusques au haut du second canal ; là on monte par un glacis de 136 pieds de long ; de chaque côté il y a une banquette avec des mortaises, au nombre de 28 par banquette ; la largeur du glacis est de six pieds, et sa hauteur de 14 jusqu'au fond de la voûte qui est en dos d'âne.
Au haut du glacis on trouve une plate-forme, et de niveau un canal incrusté de granit, qui a vingt-un pieds de long, trois pieds huit pouces de large, et trois pieds quatre pouces de haut.
Du canal on entre dans la salle destinée à servir de sépulture ; elle a 32 pieds de longueur, 16 de largeur, et 16 de hauteur. Pavé, plancher, murailles, tout est incrusté de granit.
Au fond, à quatre pieds et quatre pouces du mur, est le tombeau ; il est de granit, et d'une seule pierre, sans couvercle. Il a sept pieds de longueur, trois de largeur, demi-pied d'épaisseur, et trois de hauteur ; lorsque l'on frappe dessus, il résonne comme une cloche.

En général, qui veut avoir une connaissance parfaite des Pyramides, il faut qu'il examine de quels matériaux elles sont bâties, quelle est leur figure, leur dimension, leur destination, leur nombre, le temps auquel elles ont été élevées, quand elles ont été ouvertes, et qui sont ceux qui les ont dépouillées, surtout les trois de Memphis, de leurs ornements et des richesses qui y étaient renfermées.
Ce détail demande bien des recherches ; mais ce n'est point une chose impossible ; il ne reste presque plus rien à déterrer sur cela
; les principaux articles sont éclaircis, et donnent un grand jour à l'histoire des Monarques qui ont régné à Memphis.

vendredi 26 février 2010

Les pyramides d'Égypte, vues par Murtada Ibn al-Khafîf (c. 1200) - II

Pyramide de Khéphren (Photo Marc Chartier)

Dans une première partie (voir ICI), j'ai présenté quelques extraits de la préface de Pierre Vattier, traducteur de l'ouvrage L'Égypte de Murtadi, fils du Gaphiphe, où il est traité des pyramides, du débordement du Nil, et des autres merveilles de cette Province, selon les opinions et traditions des Arabes, 1661.
Cette seconde partie propose des extraits du livre de Murtada Ibn al-Khafîf, auquel Pierre Vattier, annonçant en quelque sorte la couleur, donne ce titre :"Merveilles d'Égypte selon les Arabes". Il est en effet notoire que les écrivains arabes des XIIe-XIIe s ont eu tendance à "broder" généreusement les contours de l'histoire des pyramides, en la liant à l'annonce du Déluge et en y introduisant des fioritures reflétant assurément des traditions colportées de génération en génération, avec une redondance du merveilleux qui a contribué à brouiller les cartes d'une vision plus soucieuse de coller à la réalité des faits, même si la Protohistoire peut bien légitimement faire quelque place au doute.
Pour la commodité de la lecture, j'ai rétabli l'orthographe actuelle.
Je n'ai évidemment repris ici que quelques passages du récit très "romanesque" d'al-Khafîf, en attirant l'attention sur deux points dignes d'une mention particulière :
- la description de la technique de construction, pour le moins insolite : utilisation de plomb fondu et de chevilles de fer pour relier les blocs de pierre ;
- la brèche d'accès à la pyramide, dite d'al-Ma'moun, "était déjà commencée" lorsque le Khalife "y fit travailler". D'où la conclusion toute logique : "quelqu'un" avait déjà entrepris de creuser le flanc de la pyramide dans le but d'y pénétrer.
"Le Déluge", par Gustave Doré (1832-1883). 
Image retouchée (modifications effectuées par Adam Cuerden). 
Source : Wikimedia commons
Le Prêtre ayant ainsi parlé, le Roi [Saurid] leur commanda de prendre les hauteurs des Astres, et de considérer quel accident ils promettaient. Sur quoi ils lui déclarèrent qu'ils promettaient premièrement le déluge, et après lui le feu. Alors il commanda que l'on bâtît les Pyramides, afin qu'ils y pussent transporter et resserrer ce qu'ils avaient de plus cher dans leurs trésors, avec les corps de leurs rois et leurs richesses, et les racines aromatiques qui leur servaient, et qu'ils écrivissent leur sagesse dessus, afin que la violence de l'eau ne la fît pas périr ; à quoi ils travaillèrent aussitôt.

Les Égyptiens rapportent dans leurs Annales que Saurid est celui qui a fait bâtir lui-même les Pyramides, et cela, parce qu'après la mort de son père il suivit ses traces, faisant habiter et cultiver les Provinces, et les gouvernant bien, rendant bonne justice au peuple, même au préjudice de ses intérêts, et de ceux de ses domestiques, faisant bâtir des Temples et ériger des Statues et des Talismans, de sorte que le peuple l'aima beaucoup.

(…) il fit alors bâtir les Pyramides et les grands Édifices, afin qu'ils lui servissent de refuge et à ses domestiques, et de tombeau pour la conservation de leurs corps, comme aussi afin qu'ils gravassent et marquassent sur leurs toits, sur leurs murailles et sur leurs colonnes , toutes les Sciences obscures et difficiles, dont les Égyptiens faisaient possession, les apprenant et les recueillant comme d'illustres successions, de ceux qui s'y étaient rendus recommandables dans toutes les Nations, et qu'ils y représentassent aussi les figures des Astres dans leurs signes, avec leurs effets et leurs significations, et les Secrets de la Nature, et les Ouvrages des Arts, et les grandes Lois, et les drogues salutaires, et les Talismans, et la Médecine et la Géométrie et toutes les autres choses qui pouvaient être utiles aux hommes, tant en public qu'en particulier, clairement et intelligiblement pour ceux qui avaient connaissance de leurs livres et de leur langue et de leurs écritures.

(…) Le Roi (...) commanda que l'on coupât les grandes Colonnes, et que l'on fondît le grand pavé ; il fit tirer l'étain de la terre d'Occident, puis il fit prendre les pierre noires, qu'il fit poser pour fondements des Pyramides aux environs de Syène. On les apportait du Nil sur les machines, et ils avaient certaines étapes particulières, et des marques empreintes, et sur elles des billets peinturés, que les Sages y avaient mis, de sorte que quand ils en avaient frappé la pierre, elle passait elle seule l'espace du jet d'une flèche. Ces pierres furent mises dans les fondements des Pyramides, de la première, qui est 1'Orientale, et de l'Occidentale, et de la Colorée. Ils mettaient au milieu de chaque pièce une cheville de fer, comme un pivot dressé, puis ils posaient sur elle l'autre pièce, après l'avoir percée au milieu, afin que le pivot de fer y entrât, et l'attachât sur celle de dessous ; ensuite de quoi l'on fondait du plomb, et on le faisait couler autour de la pièce, après que l'on avait ajusté l'écriture qui était dessus. II y fit faire des portes sous terre, à quarante coudées de profondeur à leur mesure, lesquelles portes avaient leur sortie dans des casemates voûtées bâties de pierre, et affermies avec beaucoup d'artifice, et dont la situation était cachée, chaque voûte ayant cent cinquante coudées de long.

La porte de la Pyramide Orientale était du côté Méridional, à cent coudées loin du milieu de la muraille Occidentale du côté Occidental. L'on mesurait aussi depuis la muraille Occidentale, c'est-à-dire depuis son milieu, cent coudées, et l'on fouissait, tant que l'on fût descendu à la porte de la casemate voûtée, par où l'on entrait.

Quant à la Pyramide colorée, faite de pierres de deux couleurs, sa porte était du côté Maritime ou Septentrional, et l'on mesurait aussi du milieu du mur maritime cent coudées, qui en faisaient cinq cents à la mesure Musulmane. Il la fit bâtir à plomb dans la terre, jusques à quarante coudées de profondeur, puis il la fit élever autant, quoi que ce qui est élevé sur terre des Pyramides n'en soit que le tiers, si bien que celle-ci est la plus haute, bâtie en la manière des planchers élevés en chambres hautes de notre temps présent. Ils les bâtirent dans le temps de leur bonne fortune, pendant que toutes leurs affaires mondaines leur venaient à souhait.

Après que le Roi Saurid en eut achevé le bâtiment, il les fit couvrir de drap de soie de diverses couleurs, depuis le haut jusques au bas, et fit célébrer pour elles une grande fête, où tous les habitants du Royaume assistèrent, sans qu'il en manquât un, de tous les côtés de l'Égypte.


(…) [Puis le Roi fit déposer dans les pyramides] tout ce qu'il put de ses trésors et de ses richesses les plus précieuses, de joyaux, de vaisselle, de pierreries, de perles fondues et colorées, de vases d'émeraude, de vaisseaux d'or et d'argent, de statues bien travaillées , d'eaux artificielles, de Talismans, de fer précieux, qui se pliait comme du drap, de lois philosophiques engendrant la sagesse, de diverses espèces de drogues médicinales, de tables d'airain pareillement exquis, sur lesquelles diverses Sciences étaient écrites, comme aussi des poisons et breuvages mortels, que les Rois tiennent apprêtés, et des thériaques et contrepoisons salutaires, et plusieurs autres choses qu'il n'est pas possible de décrire. Mais tout cela ne les put garantir d'aucun des maux dont Dieu les affligea, à cause de leur infidélité. Cependant ils s'imaginaient que leurs forteresses les garderaient contre Dieu. Mais Dieu vint à eux du côté qu'ils ne se prenaient pas garde, et fit périr leurs grandes troupes par le déluge et par d'autres malheurs.

(…) Les Coptes disent,que le nom du Roi Saurid était écrit sur la première Pyramide, avec le temps qu'il employa à la bâtir. L'on tient qu'il la fit bâtir en six mois, et qu'il défia ceux qui viendraient après lui de la démolir en six cents ans ; quoiqu'il soit constant qu'il est plus aisé de démolir que de bâtir. Il disait aussi parlant à eux-mêmes : je les ai couvertes de drap de soie, couvrez-les si vous pouvez de toile de lin. Mais ceux qui ont régné depuis lui en divers temps ont vu qu'ils n'étaient rien au prix de lui , et qu'ils ne pouvaient pas les couvrir seulement de natte, à grand peine les auraient-ils couvertes d'autre chose.

(…) Le Commandeur des Fidèles le Mamune [al-Ma'moun], Dieu lui fasse miséricorde, étant entré dans le pays d'Égypte, et ayant vu les Pyramides, eut envie de les démolir , pour le moins quelqu'une d'elles, afin de savoir ce qui était dedans. Sur quoi on lui parla ainsi : Vous désirez une chose qui ne vous est pas possible. Si vous l'entreprenez et que vous n'en veniez pas à bout, ce sera une honte au Commandeur des Fidèles. À quoi il répondit : Je ne puis me passer d'en découvrir quelque chose. Il fit donc travailler à la brèche qui y était déjà commencée, et y fit de grandes dépenses. Car ils allumaient du feu sur la pierre , puis ils y jetaient du vinaigre, et battaient ensuite la place avec les machines. La largeur de la muraille se trouva de vingt coudées, à la mesure des Géomètres. Après qu'ils furent parvenus au haut étage de la Pyramide, ils trouvèrent derrière la brèche un bassin vert, dans lequel il y avait des deniers d'or, pesant chacun une once à nos poids ordinaires ; et le nombre de ces deniers se monta jusques à mille. Les démolisseurs admirèrent cela et apportèrent cet or au Mamune, ne sachant ce que cela voulait dire. Le Mamune s'en étonna aussi, admirant combien cet or était excellemment travaillé et de bon aloi. Puis il leur dit : Comptez-moi combien vous avez fait de dépense à cette brèche. Ils comptèrent, et trouvèrent que la dépense égalait la valeur de l'or qu'ils en avaient tiré, sans qu'il y eût un liard de plus ni de moins. Le Mamune fut encore plus étonné de cela, et dit aux gens de ses Comptes : Considérez la prévoyance de cette nation, et jusqu'où leur science est parvenue. Leurs Sages leur ont fait savoir qu'il ne manquerait point de se trouver quelqu'un qui ferait ouvrir en quelque endroit quelqu'une de ces Pyramides. Ils ont examiné cela et supputé combien celui qui entreprendrait cette ouverture y ferait de dépense, et ont mis la somme au même lieu, afin que celui qui viendrait jusque là trouvant son compte, et voyant qu'il n'y avait rien à gagner, ne recommençât point un semblable ouvrage. L'on dit que ce bassin était fait d'une émeraude verte, et que le Mamune le fit porter en Gueraque, où il fut une des plus belles pièces de ses trésors.



Une autre histoire porte qu'après que la pyramide fut ouverte, le monde la vint voir par curiosité pendant quelques années, plusieurs entrant dedans, et les uns en revenant sans incommodité, les autres y périssant. Un jour il se rencontra qu'une troupe de jeunes hommes au nombre de plus de vingt jurèrent d'y entrer, pourvu que rien ne les en empêchât, et de pousser tant qu'ils fussent arrivés jusques au bout. Ils prirent donc avec eux à boire et à manger pour deux mois. Ils prirent aussi des plaques de fer et des barres, des chandelles de cire et des lanternes, de la mèche et de l'huile, des haches, des serpes, et d'autres tranchants, et entrèrent dans la Pyramide. La plupart d'entre eux descendirent de la première glissade et de la seconde, et passèrent sur la terre de la Pyramide où ils virent des chauves-souris grandes comme des aigles noirs, qui commencèrent à leur frapper le visage avec beaucoup de violence. Mais ils souffrirent constamment cette incommodité, et ne cessèrent d'avancer jusques à ce qu'ils parvinrent à un lieu étroit, d'où il sortait un vent impétueux et froid extraordinairement, sans qu'ils pussent reconnaître d'où il venait, ni où il allait. Ils s'avancèrent pour entrer dans ce détroit, et alors leurs chandelles commencèrent à s'éteindre, ce qui les obligea de les enfermer dans leurs lanternes ; puis ils entrèrent, mais le détroit se trouva presque entièrement joint et clos devant eux. Sur quoi l'un d'eux dit aux autres : Liez-moi avec une corde par le milieu du corps, et je me hasarderai de passer outre, à la charge que s'il m'arrive quelque accident, vous me retirerez aussitôt à vous. II y avait à l'entrée du détroit de grands vaisseaux vides faits de pierre en forme de bières, avec leurs couvercles à côté, ce qui leur fit connaître que ceux qui les avaient mis là les avaient préparés pour leurs morts, et que pour parvenir jusques à leurs trésors et à leurs richesses, il fallait passer par ce détroit. Ils lièrent donc leur compagnon avec des cordes, afin qu'il se hasardât de franchir ce passage. Mais incontinent le détroit se ferma sur lui, et ils entendirent le bruit du fracassement de ses os. Ils tirèrent les cordes à eux, mais ils ne le purent retirer. Puis il leur vint une voix épouvantable du creux de cette caverne, qui les troubla et les aveugla si bien qu'il s tombèrent immobiles et insensibles. Ils revinrent à eux quelque temps après, et cherchèrent à sortir, étant bien empêchés de leurs affaires. Enfin ils revinrent après beaucoup de peine, hormis quelques-uns d'eux qui tombèrent sous la glissade. Étant sortis dans la plaine,ils s'assirent ensemble tout étonnés de ce qu'ils avoient vu, et faisant réflexion sur ce qui leur était arrivé, et alors voici que tout d'un coup la terre se fendit devant eux et leur jeta leur compagnon mort, qui demeura d'abord immobile, puis deux heures après commença à remuer et leur parler en une langue qu'ils n'entendaient point , car ce n'était pas de l'arabe ; mais quelque temps après, quelqu'un des habitants de la haute Égypte le leur interpréta et leur dit qu'il voulait dire ceci : C'est ici la récompense de ceux qui tâchent de s'emparer de ce qui ne leur appartient pas. Après ces mots, leur compagnon leur parut mort comme auparavant ; c'est pourquoi ils l'enterrèrent en la même place. Quelques-uns d'eux moururent aussi dans la Pyramide. Depuis cela celui qui commandait en ces lieux-là, ayant ouï parler de leur aventure, on les lui amena, et ils lui racontèrent tout ceci, qui lui sembla merveilleux.

(…) Quand les Prêtres, dit l'Auteur, eurent fait savoir au Roi Saurid le grand embrasement qui devait arriver par le feu, et que ce feu sortirait du signe du Lion, il fit faire dans les Pyramides des détours, qui avaient issue dans des voûtes étroites qui attiraient les vents dans les Pyramides avec un bruit effroyable. Il y fit aussi faire des canaux par où l'eau du Nil entrait dedans en même lieu, puis elle se retirait d'elle-même et retournait dans le Nil par un autre endroit, à la manière des citernes qui se font pour y assembler l'eau de pluie. Il y fit aussi faire des canaux qui se continuaient jusques en certains lieux de la terre d' Occident, et à certains lieux de la terre de la haute Égypte.

jeudi 25 février 2010

Les pyramides d'Égypte, vues par Murtada Ibn al-Khafîf (c. 1200) - I


L'ouvrage L'Égypte de Murtadi, fils du Gaphiphe, où il est traité des pyramides, du débordement du Nil, et des autres merveilles de cette Province, selon les opinions et traditions des Arabes, édité en 1661, sera présenté, dans ce blog, en deux parties.

La seconde partie comportera des extraits du livre de Murtada Ibn al-Khafîf, écrivain arabe du XIIIe siècle (étrangement traduit par "Murtadi, fils du Gaphiphe"). Il y sera exclusivement question, conformément au contenu de ce blog, des pyramides égyptiennes.

La traduction du livre de Murtada Ibn al-Khafîf est ici celle de Pierre Vattier (1623-1667), docteur en médecine, lecteur et professeur du Roi en langue arabique, sur un manuscrit arabe tiré de la bibliothèque de feu Monseigneur le Cardinal Mazarin.

Pierre Vattier introduit l'ouvrage par une Épître au Roi, dans laquelle il écrit notamment :

"Les Pyramides d'Égypte ont été admirées depuis tant de siècles que l'on n'en peut déterminer le nombre ; et ceux qui les voient aujourd'hui n'en sont pas encore moins surpris que si elles avaient été bâties de notre temps.
(…) Votre Majesté fera (…) cesser alors l'admiration des Pyramides par un ouvrage tout autrement grand et important qui sera, si nos vœux sont exaucés et nos espérances accomplies, le détournement du cours de ce fleuve [le Nil] par le moyen duquel elle ravira ses fécondes eaux à l'Égypte, jusques à ce que les infidèles, qui la possèdent aujourd'hui, l'aient abandonnée, pour les lui rendre ensuite, quand elle sera en état d'être cultivée par de plus dignes et légitimes possesseurs.
"

Puis, dans la longue préface à sa traduction, Pierre Vattier donne sa propre lecture des pyramides, en recourant à certaines interprétations, sans nul doute en vigueur à son époque, mais que l'on peut qualifier aujourd'hui de quelque peu hasardeuses :

"Les Pyramides, dont il y est plusieurs fois parlé [dans le livre de Murtada Ibn al-Khafîf], sont exprimées en arabe par deux noms, dont l'un est Birba, que j'ai retenu en plusieurs endroits ; et l'autre Haram. Le mot de Birba, et en pluriel Barabi, est peut-être corrompu de Pyramis. Quoi qu'il en soit, notre auteur appelle ainsi, ou les Pyramides en général, ou les moindres seulement, à l'exclusion des plus grandes, auxquelles il donne particulièrement l'autre nom, qui est Haram, et qui signifie en arabe un vieux bâtiment.

Monsieur Thévenot nous a donné dans la première partie de ses recueils une description très exacte de ces grandes Pyramides, faite par un Anglais qui les a vues de notre temps, et considérées à loisir, suivant laquelle ces édifices sont composés d'un certain nombre de plates-formes carrées mises l'une sur l'autre, toutes égales en épaisseur, mais dont la supérieure est perpétuellement moins longue et moins large que son inférieure, et posée justement au milieu d'elle ; les différences de longueur et largeur étant partout égales entre elles, aussi bien que les profondeurs ou épaisseurs, de sorte que toute la Pyramide n'est autre chose qu'une pointe carrée émoussée, dont les quatre côtés sont des degrés, et l'extrémité supérieure est la moins longue et moins large de toutes les plates-formes qui la composent ; ce qui témoigne à mon avis qu'il y a eu autrefois quelques colosses ou quelques obélisques posés dessus comme sur leurs piédestaux ; suivant ce qu'Hérodote dit expressément des deux bâties au milieu du lac de Mœris.

La hauteur de chaque Pyramide est égale au côté de sa base, suivant le même Hérodote, qui donne à celle de Chéops huit cents pieds de long, autant de large, et autant de haut, si bien qu'elle est comme inscrite dans un cube, et couvre de sa base près de sept acres de terre à notre mesure de Normandie, c'est-à-dire plus de treize arpents, étant toute bâtie de pierre de taille, dont la moindre pièce est de trente pieds.
"

Deuxième partie

mercredi 24 février 2010

Selon S.L. Poole (XIXe s.), l'"énorme masse" de granit sous le sarcophage de la Grande Pyramide dissimulerait l'entrée vers un caveau ou puits secret


Dans son ouvrage The Englishwoman in Egypt, 1844, dont on lira ci-dessous quelques extraits, Sophia Lane Poole (1804-1891) relate, sous forme de lettres à un ami, le séjour qu'elle effectua au Caire de 1842 à 1844, accompagnant son frère, l'orientaliste Edward William Lane. Afin de donner à leur approche de la société égyptienne et de ses mœurs une note d'authenticité, ils adoptèrent tous les deux les habitudes vestimentaires locales. Sophia Lane Poole s'obligea ainsi à porter le voile, pour avoir plus facilement accès aux lieux de vie strictement féminins du Caire. Dans les extraits qui suivent, j'ai retenu quelques passages plus significatifs du récit qu'elle fit de sa découverte, toujours en compagnie de son frère, du site des pyramides de Guizeh. Elle remarque, entre autres particularités de la Grande Pyramide, qu'au milieu de chaque face, les pierres ont été davantage détériorées du fait du roulement des blocs que l'on a fait tomber du haut du monument (sous-entendu : lorsque le revêtement de la pyramide a été enlevé). C'est l'une des causes retenues pour expliquer le phénomène de l' "apothème". Concernant les techniques de construction des pyramides, elle retient - reflétant l'opinion de son frère - la théorie de Lepsius, à savoir celle de l'accroissement progressif. Elle note par ailleurs que, dans la Chambre du Roi, le sarcophage a été posé sur "une énorme masse" de granit - une dalle beaucoup plus grande que les autres recouvrant le sol de la chambre - pour dissimuler l'entrée d'un caveau (chambre voûtée) ou puits afin de déjouer les intentions malveillantes des éventuels pilleurs. Mais que recélait cet espace secret ? On l'ignore, les explorations n'ayant abouti à aucun résultat. Un détail enfin à propos du volume de la Grande Pyramide : on a calculé qu'on aurait pu y construire trois mille sept cents chambres égales en taille à la "Chambre du Sarcophage".

A conspicuous object as we approached the pyramids was an old ruined causeway, most probably a part of that which was built by Kara Koosh for the convenience of transporting stones from the pyramids to Cairo, when he constructed the citadel, and third wall of that city ; and this portion may have been raised on the ruins of that which Herodotus describes, as the more ancient causeway was raised for the purpose of facilitating the conveyance of stones from the quarries on the eastern side of the Nile to the site of the Great Pyramid, to line the passages of that structure, and perhaps to case its exterior. (…) The height of the Great Pyramid is not much greater than that of the second : the former having lost several ranges at the top ; while the upper part of the latter is nearly entire : but the base of the former is considerably larger ; though the difference is not very remarkable to the eye, and in the solidity and regularity of its construction, it is vastly superior.
(…) About the middle of eachside of the pyramid, the exterior stones have been much broken by the masses which have been rolled down from above ; but at the angles they are more entire, and there, consequently, the ascent is not difficult. The upper and lower surfaces of the stones are smoothly cut ; but the sides have been left very rough, and in many cases, not square : the interstices being filled up with a coarse cement, of a pinkish colour. This cement is, in some parts, almost as hard as the stone itself ; and sometimes very difficult to detach. Among the dust and small fragments of stone which have crumbled away from the sides and yet rest upon the upper surfaces of the steps, or exterior stones, we find a great number of the small petrifactions in the form of lentils, which I have before mentioned.

Dr. Lipsius [Lepsius] lately gave, at a meeting of the Egyptian Society in this city, a very interesting account of the mode in which the Great Pyramid, and similar monuments, appear to have been constructed, as suggested by Mr. Wild, an English architect, accompanying the Doctor. The following engraving will explain the description of the system which appears to have been adopted. A structure of moderate size, a, with its sides slightly inclining inwards, containing, or covering the sepulchral chamber, and with a flat top, was first raised. Then a structure, bb, of the same height as the former, with its exterior sides similarly inclined, and its top flat, was raised around. Next, another structure, c, was raised on the first. Another circumstructure, dd, was raised around that marked bb ; then another, ee, around the structure c, then another structure, f, upon the latter. After this manner, the building probably continued to increase (like the royal tombs at Thebes) as long as the founder reigned. The structure was finished, as Herodotus says, from the top downwards. A small pyramid being constructed on the top, occupying the whole of the highest platform, and the angles formed by the other platforms, and the sides of the structures against which they were built being filled up, the simple pyramidal form was made out. The several platforms composed convenient ample stages on which to raise the massive stones employed in the construction. This mode of construction was certainly practised in some of the pyramids, and most probably in all, excepting those of very small dimensions. That the Great Pyramid and others originally presented plane sides has been proved by Colonel Vyse.
(…) Herodotus, and several other ancient writers, inform us that the quarries of the Arabian mountains supplied materials for the construction of the pyramid. Indeed, they assert that the pyramid was entirely built of stones from these quarries ; but this, evidently, was not the case : the stone of which the structure is mainly composed was quarried from the rock in its neighbourhood. (…) The dimensions of the Great Chamber are especially worthy of remark : the length is thirtyfour feet four inches and a half ; just twenty ancient Egyptian cubits ; the width exactly half that measure. The height is about two feet more than the width. It is entirely constructed of red granite. Near the western end is the sarcophagus ; which is also of red granite. It is seven feet and a half in length, three and a half in breadth, and the sides are half a foot thick. No hieroglyphics nor sculptures of any kind adorn it either within or without ; its sides are perfectly plain and polished, and its form is simply that of an oblong chest, in every way rectangular. Its lid has been carried away, as well as its original contents ; and we find in it nothing but dust and small fragments of stone. It has been much injured at one of its corners by a number of travellers, who have broken off pieces to carry away as memorials. When struck with anything hard, or even with the hand, it sounds like a bell. It rests upon a block of granite considerably larger than any of the other blocks of which the floor is composed. Why was such an enormous mass placed there ? The alabaster sarcophagus in the great tomb opened by Belzoni in the valley of Beeban-el-Mulook, at Thebes, closed the entrance of a deep descent of steps, which has never been explored to its termination : the soft and crumbling nature of the rock through which it is cut rendering any attempt to clear it out extremely dangerous. The enormous mass of granite under the sarcophagus in the Great Pyramid may have been placed there for a similar purpose, or to cover the mouth of a vault or pit ; so that, in case any violater of the sacred edifice should succeed (notwithstanding the portcullises of granite), in effecting an entrance into the Great Chamber, he might, on discovering the sarcophagus, believe the object of his search to be accomplished. An excavation has been made (I believe by Col. Howard Vyse), beneath this huge stone, but it seems hardly to have been carried sufficiently far. The sides of the chamber are formed of six regular courses of granite blocks, which are united with the greatest exactness, and their surfaces are perfectly even and polished, without hieroglyphics or any other inscriptions or ornaments. In the northern side near the corner of the entrance is a small aperture, and opposite to it in the southern side is another. Col. Vyse discovered the termination of each of these, in the exterior of the pyramid : they seem to have been designed for the purpose of ventilation.

(…) Returning from this chamber we stop at the platform at the upper end of the Grand Passage. Here we observe at the top of the eastern wall (that is on the left of a person facing the end of the passage), at the height of twenty-four feet, a square aperture which is the entrance of another passage. Small notches have been cut at the corner, all the way up, for the reception of the ends of short pieces of wood, which were thus placed one above another so as to form a kind of ladder. These have been taken away, and the ascent without them is difficult and dangerous.
(…) Such is the description of all that is now known of the interior of the Great Pyramid. It has been calculated that there might be within this stupendous fabric, three thousand seven hundred chambers, each equal in size to the Sarcophagus Chamber, allowing the contents of an equal number of such chambers to be solid, by way of separation. Yet this enormous pile seems to have been raised merely as a sepulchral monument, to contain, perhaps, one single mummy, not a particle of which now remains in the place in which it was deposited with so much precaution ; unless there be yet undiscovered any other receptacle for the royal corpse than the sarcophagus in the Granite Chamber.
(…) [The Second Pyramid] is but little inferior in magnitude to the first. From some points of view, it even appears more lofty, as it stands on ground about thirty feet higher than that on which the first rests, and its summit is almost entire. A large portion of its smooth casing remains on the upper part, forming a cap which extends from the top to about a quarter of the distance thence to the base. Notwithstanding this, Arabs often ascend to its summit ; and many European, travellers have done the same. In its general construction, this pyramid is inferior to the first, and its interior is less remarkable. By a sloping passage, similar to the first in the Great Pyramid, but cased with granite, and then by a long horizontal passage hewn through the rock, broken by two perpendicular descents, and sloping ascents, we reach the Great Chamber.This is similar in form to the "Queen's Chamber" in the Great Pyramid, and contains a plain sarcophagus of granite, among blocks of the same material lately torn up from the floor, in which, the sarcophagus was embedded.
(…) The third pyramid, commonly attributed to Mycerinus, or Mencheres, was opened by Colonel Vyse, who found in it the mummy-case of its founder, bearing the hieroglyphic name of Menkare. This pyramid, though small in comparison with the first and second, its base being about three hundred and thirty feet, and its perpendicular height about two hundred, is a very noble monument. Its construction is excellent ; and it was distinguished by being partly, or wholly, cased with granite. Several courses of the granite casingstones remain at the lower part. The chamber in which the sarcophagus was found, and the entrance passage are formed of granite ; and the roof of the former is composed of blocks leaning together, and cut so as to form an arched ceiling. The sarcophagus was lost at sea, on its way to England. The third pyramid was the first that I entered ; and highly was I gratified by the view of its interior, after I had summoned courage to crawl through its entrance, which was almost closed by huge masses of stone.

mardi 23 février 2010

Les pyramides démontrent, selon William Henry Bartlett (XIXe. s), "un haut degré de civilisation et de raffinement"

W.H. Bartlett : Autoportrait (Wikimedia commons - source du document)
Architecte de formation, grand voyageur (Europe, Amérique du Nord, Moyen-Orient), l'artiste-écrivain anglais William Henry Bartlett (1809-1854) fut l'un des plus grands illustrateurs paysagistes de sa génération.
Dans The Nile boat or glimpses of the land of Egypt, 1849, dont on trouvera des extraits ci-dessous, il reconnaît qu'il serait présomptueux de sa part d'ajouter un ouvrage de plus aux écrits de "l'armée des savants érudits" qui se sont engagés dans l'étude des vestiges archéologiques. Il estime par contre appartenir aux voltigeurs ou éclaireurs de pointe, dotés d'armes légères et pouvant se déplacer facilement sur le terrain des opérations, à la recherches des "aspects pittoresques", dans le but de donner des "lively impressions of actual sights" et d'inciter le lecteur à aller plus loin dans ses recherches.
Un reportage "en live", dirait-on aujourd'hui, des impressions sur le vif... L'auteur n'en prend pas moins le temps d'assimiler calmement les bases d'une véritable découverte du pays visité, à commencer ici par le passé prestigieux de l'Égypte pharaonique. D'où la description, somme toute très classique, qu'il donne des pyramides, à la lumière, précise-t-il, des écrits "indispensables" de Sir Gardner Wilkinson.
Dans un premier temps, W.H. Bartlett manifeste ses réticences et sa perplexité, au risque d'être irrévérencieux à l'égard des "learned authorities", face à la théorie selon laquelle la taille des pyramides dépendait de la durée de règne des souverains auxquels elles étaient rattachées. Une telle théorie, ajoute-t-il, est particulièrement "inconsistante" dès lors qu'il s'agit de la Grande Pyramide, avec ses couloirs intérieurs et ses chambres : il est impossible de la concevoir sans un "regular design", sans un projet en bonne et due forme pour la construction de l'ensemble du monument. Avis d'architecte, évidemment !
Quelques points méritent, me semble-t-il, d'être relevés à la lecture des extraits que j'ai choisis :
- les blocs brisés (par les Arabes à la recherche d'un trésor) de la niche dans la Chambre de la Reine : observation et avis sur l'emplacement de la dépouille du roi ;
- le puits menant vers la chambre souterraine ;
- le sarcophage de la Chambre du Roi, dont l'emplacement, selon Mrs Poole (*), marque l'existence d'une cavité (puits) ;
- autre observation : les entailles (notches) au-dessus de la Chambre du Roi, où des morceaux de bois ont été autrefois introduits ;
- la "maçonnerie" (ou technique de construction) plus ancienne et plus grossière de la seconde pyramide ;
- conjectures sur la période (ou les périodes) où les pyramides ont été violées ;
- W.H. Bartlett met sérieusement en doute ce qu'écrivait Hérodote, qui n'était que "partiellement informé", concernant la "tyrannie arbitraire" des pharaons bâtisseurs : leurs pyramides témoignent d'une civilisation autrement plus raffinée.


The size of each different pyramid is supposed to bear relation to the length of the reign of its builder, being commenced with the delving of a tomb in the rock for him at his accession, over which a fresh layer of stones was added every year until his decease, when the monument was finished and closed up. Taking the number of these Memphite sovereigns and the average length of their reigns, the gradual construction of the pyramids would therefore, it is presumed, extend over a period, in round numbers, of some sixteen hundred years ! Imagination is left to conceive the antecedent period required for the slow formation of the alluvial valley of the Nile until it became fit for human habitation, whether it was first peopled by an indigenous race, or by an Asiatic immigration, already bringing with them from their Asiatic birth-place the elements of civilization, or whether they grew up on the spot, and the long, long ages that might have elapsed, and the progress that must have been made, before monuments so wonderful could have been erected.
Such is the latest theory, we believe, of the construction and import of the pyramids. At the risk, however, of irreverence towards the learned authorities by whom it is propounded, we would remark that it appears inconsistent with the construction of the great pyramid of Cheops, since the existence of a series of interior passages and chambers, and even of air passages communicating with the exterior, seems to argue a regular design for the construction of the entire monument. We are utterly at a loss to conceive how their interior passages and chambers could have been formed gradually, as upon this theory they must have been, during the accumulation of a mass of masonry, the ultimate extent of which depended on the contingency of the monarch's life. And if this objection be fatal to the theory, what becomes of the very pretty system of chronology erected upon it ?
(…) Climbing by a few steps into the second passage, you ascend to the entrance of the great gallery. From this point a horizontal passage leads into what is called the Queen's Chamber, which is small and roofed by long blocks, resting against each other and forming an angle: its height to this point is about twenty feet. There is a niche in the east end, where the Arabs have broken the stones in search for treasure ; and Sir G. Wilkinson thinks, that "if the pit where the king's body was deposited does exist in any of these rooms, it should be looked for beneath this niche." He remarks, besides, that this chamber stands under the apex of the pyramid.
At the base of the great gallery, to which we now return, is the mouth of what is called the well, a narrow funnel-shaped passage, leading down to the chamber at the base of the edifice, hollowed in the rock, and if the theory of Dr. Lepsius is correct, originally containing the body of the founder. The long ascending slope of the great gallery, six feet wide, is formed by successive courses of masonry overlying each other, and thus narrowing the passage towards the top.
Advancing 158 feet up this impressive avenue, we come to a horizontal passage, where four granite portcullises, descending through grooves, once opposed additional obstacles to the rash curiosity or avarice which might tempt any to invade the eternal silence of the sepulchral chamber, which they besides concealed ; but the cunning of the spoiler has been there of old, the device was vain, and you are now enabled to enter this, the principal apartment in the pyramid, and called the King's Chamber, entirely constructed of red granite, as is also the sarcophagus, the lid and contents of which had been removed. This is entirely plain, and without hieroglyphics, the more singular, as it seems to be ascertained that they were then in use. The sarcophagus rests upon an enormous granite block, which may, as suggested by Mrs. Poole, in her minute account of the interior, have been placed to mark the entrance to a deep vault or pit beneath. There are some small holes in the walls of the chamber, the purpose of which was for ventilation, as at length discovered by Colonel Howard Vyse.
Above the King's Chamber, and only to be reached by a narrow passage, ascending at the south-east corner of the great gallery, having notches in which pieces of wood were formerly inserted, and from the top of that, along another passage, is the small chamber discovered by Mr. Davison; its height is only three feet six inches; above it are four other similar niches, discovered by Colonel Howard Vyse, the topmost of which is angular. Wilkinson supposes that the sole purpose of these chambers is to relieve the pressure on the King's Chamber, and here was discovered the cartouche, containing the name of the founder, Suphis, identical with that found upon the tablets in Wady Maghara in the desert of Mount Sinai.
The second pyramid, generally attributed, though without hieroglyphical confirmation, to Cephrenes, is more ancient and ruder in its masonry than that of Cheops. Standing on higher ground, it has from some points an appearance of greater height than that of the great pyramid, and its dimensions are hardly less stupendous. It is distinguished by having a portion of the smooth casing yet remaining, with which all the pyramids were once covered, and it is a great feat to climb up this dangerous slippery surface to the summit. (…) Its interior arrangements differ from those of the great pyramid, in that in accordance with Lepsius's theory, the sarcophagus of the builder is sunk in the floor, and not placed in the centre of the edifice. The glory of re-opening this pyramid is due to the enterprising Belzoni.
The third pyramid is of much smaller dimensions than the two others, but beautifully constructed. It was the work, as is proved by the discovery of his name, of Mycerinus or Mencheres, whose wooden coffin in the British Museum, very simple and unornamented, as well as the desiccated body supposed to be that of the monarch himself, has probably attracted the notice of our readers. This pyramid is double, i. e. cased over with a distinct covering. (…)
At what period these sepulchral monuments were first violated is uncertain. Some are inclined to attribute their original desecration to the Hyksos, or Shepherd Kings, and that, owing to this circumstance, the Egyptian monarchs afterwards preferred to hide their sepulchres in the solitary recesses of the Theban hills, though they could hardly have hoped to escape the penetrating scrutiny of a rapacious conqueror. Be this as it may, it is evident from the inscription of their names found on the pyramids, that the Arabian caliphs opened the whole of them in the vain quest of treasure, as Wilkinson supposes, in 820, A. D. They were then found to have been previously rifled, and, singularly enough, to have been closed up again with the greatest care.
That a people who could erect such monuments as the pyramids must have arrived at a high degree of civilization and refinement, is a natural inference, and one fully corroborated by the remarkable discoveries among the numerous surrounding tombs. (…) These mysterious pyramids, which have excited the conjectures and baffled the scrutiny of ages, even the empty tombs that were abandoned to the bats and jackals, seem now, by the Prometheus wand of hieroglyphical discovery, to reveal a world of curious information as to minutest details of a civilization existing some four thousand years ago.
The erection of the pyramids has been generally attributed to the arbitrary tyranny of the dynasty, as some have thought, of foreign origin, who then ruled over Egypt. Herodotus tells us that Cheops was detested by the Egyptians, whose temples he had closed, and that he employed them forcibly in the exhausting labour of building the great pyramid. Great doubts seem to rest over this and other statements of the partially informed Greek historian, and it has latterly been maintained that these stupendous monuments were, on the contrary, erected by gradual and easy degrees, by paid labour, and at government expense ; serving, in fact, the most useful and beneficent design of giving employment to the poorer classes of a vast agricultural population, confined by nature on a mere strip of alluvial soil, when thrown idle three months in the year by the inundation of the Nile.
(*) cet auteur fera ici l'objet d'une prochaine note.
Illustrations extraites de l'ouvrage de Bartlett