lundi 19 juin 2017

“Ce chemin qui mène à la chambre des sépulcres persuade que ce n’était point là la véritable entrée de la Pyramide” (Peter Villaume - XVIIIe s. - à propos de la Grande Galerie)

De Peter Villaume (1746-1806), d'ascendance huguenote, pasteur allemand réformé, théologien, professeur de philosophie et éducateur, ce texte extrait de son Histoire De L'Homme, Considéré dans ses Moeurs, dans ses Usages, & dans sa Vie privée : Seconde Époque, Volume 2, 1779

extrait de la "Description de l'Égypte"
Près de Memphis étaient ces fameux monuments connus sous le nom de Pyramides, dont les trois principales subsistent encore aujourd’hui. On sait qu’une Pyramide est un corps solide ou creux, qui a une base large, ordinairement carrée, et dont le haut se termine en pointe. Les écrivains de l’antiquité ne s’accordent ni sur le temps où elles ont été construites, ni sur le nom de ceux qui ont fait élever ces ouvrages singuliers. On les met communément au nombre des plus anciens monuments de l’Égypte.
Les trois principales Pyramides connues des voyageurs sont à environ neuf milles du Caire. Je ne parlerai ici que de la plus grande des trois. Sa description suffira pour donner une idée des autres. D’ailleurs tant d’écrivains modernes en ont parlé que je ne pourrais que tomber dans des répétitions inutiles.

Cette Pyramide est située sur le haut d’une roche, dans le désert des sables de l’Afrique, à un quart de lieue de distance, vers l’ouest des plaines d’Égypte. Elle forme un carré dont chaque côté de la base a six cent soixante pieds ; le circuit total est par conséquent de deux mille six cent quarante pieds, et la superficie occupe soixante douze mille six cents pieds de terrain, c’est-à-dire douze mille cent toises carrées. (...)
Le massif de cette amas énorme de pierres, pris dans son total, est de trois cent treize mille cinq cent quatre-vingt dix toises cubes. Parmi ces pierres, il y en a d’une grandeur extraordinaire. Plusieurs portent trente pieds de long sur quatre d’épaisseur, et trois de largeur. Le tout était anciennement revêtu de marbre à l’extérieur, et couvert de différentes figures hiéroglyphiques. 

Une montée qu’on ne peut regarder sans admiration

Pénétrons maintenant dans l’intérieur de ce vaste tombeau. Au commencement du chemin qui va en montant, on rencontre à main droite un grand trou, où l’on peut aller quelque temps en se courbant. À la fin on éprouve de la résistance ; ce qui fait croire que ce n’a jamais été un passage, mais que cette ouverture s’est faite par la longueur du temps. Après qu’on s’est glissé par ce passage étroit on arrive un espace où l’on peut se reposer, et l’on trouve deux autres chemins, dont l’un descend, et l’autre monte : à l’entrée du premier, il y a un puits qui, à ce qu’on dit, conduit dans une grotte à la distance de soixante-sept pieds, après quoi on trouve un chemin creusé dans le roc, plein de sable et d’ordures. Lorsqu’on est revenu de ce premier chemin, qui est à main droite, on entre à gauche dans un second qui a vingt-sept toises de long. Il y a des trous à chaque pas pour y mettre les pieds. Les curieux qui vont visiter les Pyramides doivent être obligés à ceux qui ont fait ces trous : sans cela il serait impossible de monter en haut, et encore faut-il être alerte pour en venir à bout, à l’aide du banc de pierre qu'on tient ferme d’une main, pendant que l’autre est occupée à tenir un flambeau. Outre cela il faut faire de fort grands pas parce que les trous sont éloignés de six paumes l’un de l’autre.
Cette montée qu’on ne peut regarder sans admiration peut passer pour ce qu’il y a de plus curieux dans cette Pyramide. Les pierres qui en composent les murailles sont unies comme une glace, et si bien jointes les unes aux autres qu’on dirait que ce n’est qu’une seule pierre. Il en est de même du plancher sur lequel on marche, et le plafond est dans le même goût. Ce chemin qui mène à la chambre des sépulcres persuade que ce n’était point là la véritable entrée de la Pyramide : sans doute que celle qui conduisait à cette chambre était plus aisée et plus large. Si les Pyramides étaient les tombeaux des anciens Rois, il fallait qu’on eût ménagé une route plus commode pour y porter les corps, car comment les faire passer par un chemin où l’on ne peut marcher qu’en grimpant ? Si nous en croyons Strabon, on entrait dans la grande Pyramide en levant la pierre qui est sur le sommet.

Au bout de la montée on entre dans une chambre au milieu de laquelle est un sépulcre vide, taillé d’une seule pierre, qui, lorsqu’on frappe dessus, rend un son comme une cloche. La largeur de ce sépulcre est de trois pieds et un pouce, la hauteur de trois pieds quatre pouces, et a longueur de sept pieds et deux pouces. Il est tout nu, sans ornements, sans couverture, sans balustrade ; soit que tout cela ait été rompu, soit qu’il n’y en ait jamais eu. Le Roi qui a fait construire cette Pyramide n’y a point été enterré.

Une petite chambre carrée qui ne sert qu'à se reposer

Pour en visiter les dehors, on monte par les degrés dont j’ai parlé, en reprenant de temps en temps haleine. Environ à la moitié de la hauteur, à un des coins du côté du nord, qui est l’endroit où on peut monter avec moins de peine, on trouve une petite chambre carrée, où il n’y a rien de curieux à voir, et qui ne sert qu’à se reposer, ce qui n’est pas inutile. (...)
Toutes les Pyramides en général ont une ouverture qui donne passage dans une allée basse, fort longue, et qui conduit à une chambre où les anciens Égyptiens mettaient les corps de ceux pour lesquels les Pyramides étaient faites. Si l’on ne voit pas, c’est qu’elles sont bouchées par le sable que le vent y a apporté. Dans toutes, il y a des puits profonds, carrés et taillés dans le roc. Cependant celui de la grande Pyramide, dont Pline fait mention, et qu'on voit encore de nos jours, n’a tout au plus que quarante pieds de profondeur. Ces puits servaient probablement d’entrée aux souterrains. Il y en a de semblables dans les grottes qu’on voit dans le voisinage des Pyramides. (...)
D’anciens auteurs disent que cent mille ouvriers furent occupés en même temps à la construction de la grande Pyramide ; et qu’ils étaient relevés par un pareil nombre de trois mois en trois mois. Dix années entières furent employées à tailler et voiturer les pierres ; et il fallut vingt ans pour achever l’ouvrage. (...)

L'idée "très simple et très juste" d'Hérodote

Quelques modernes se sont épuisés en raisonnements et conjectures pour expliquer par quels moyens les Égyptiens ont pu élever de pareilles masses à la hauteur à laquelle ils les ont portées. Il est cependant bien facile, d’après Hérodote, de se faire une idée très simple et très juste de la manière dont les Pyramides ont été construites. Selon cet historien, elles étaient composées de différentes assises de pierres qui diminuaient successivement de largeur suivant que l’exigeaient les proportions de l’édifice. L’assise inférieure débordait donc toujours celle qu’on élevait immédiatement au-dessus, ce qui formait une espèce d’escalier. Ainsi on voit qu’il ne fallait que du temps et de la patience pour élever les plus grosses pierres à telle hauteur que ce fût. Une machine fort simple, faite en forme de bascule ou de levier, très facile à manier selon Hérodote, et posée sur la première assise, servait à y élever les pierres destinées à la construction de la seconde. Celle-ci construite, on y établissait une machine toute semblable, et ainsi de suite. Car il restait toujours sur chacune des assises déjà construites une ou plusieurs machines qui servaient à élever successivement les pierres de degrés en degrés. En réitérant cette manoeuvre, on parvenait à transporter facilement les matériaux au plus haut de l’édifice ; et cette opération est assez naturelle et même expéditive. Quant au revêtement extérieur qui originairement était en carreaux soit de marbre, soit de briques, il est sensible qu’on aura commencé par le haut en descendant toujours jusqu’au pied. Telles étaient les fameuses Pyramides d’Égypte qui, par leur solidité autant que par leur grandeur, ont triomphé du temps et des barbares, à l’exception du marbre que l’avidité des Arabes a fait disparaître.

samedi 17 juin 2017

L’ingénieur en chef Xavier Pascal Coste (XVIIIe-XIXe s.) visite les pyramides de Gizeh

Xavier Pascal Coste, architecte français (1787-1879), fut nommé par Méhémet Ali ingénieur en chef de la Basse-Égypte.
Une présentation de cet architecte dans égyptophile 
Les extraits ci-dessous sont empruntés à l’ouvrage Pascal Coste, toutes les Égypte, éditions Parenthèses, 1998 (version numérisée)


En août, je fis une excursion aux pyramides de Gizeh, à 21 kilomètres de Bedréchem. Je me mis en route à cheval, avec mon interprète, trois domestiques, un chameau pour porter la tente, les bagages et les provisions. À mon arrivée, je fis dresser la tente entre les deux grandes pyramides.
Les pyramides de Gizeh, celles d'Abou-Cyr, de Saqqarah et celles dites de Dachour sont établies sur le bord du désert de la Libye, à une hauteur de 15 à 20 mètres des terres inondées par le Nil.
Les trois pyramides de Gizeh reposent sur une surface de neuf à dix mille hectares environ. La première pyramide, dite de Chéops, a 227 mètres de large sur chaque face à sa base et 137 mètres de haut, jusqu’à la partie tronquée, cette partie ayant 81 mètres de surface.
L'entrée de la pyramide est sur la face au nord, à 20 mètres au-dessus de sa base ; l'on y pénètre par un couloir de 90 centimètres de haut et de large, dans la direction inclinée vers la base, sur une longueur de 102 mètres, dont 67 mètres sont taillés dans le rocher calcaire. À cette distance, le couloir est horizontal, de 8 m. 36 c. de long, et l'on entre dans une salle de 13 m 80 c de longueur sur 7 m. 90 c. de largeur et 3 m. 35 c. de hauteur, avec six tombes creusées dans le rocher. Le couloir se prolonge de 16 mètres dans la même direction.
À 26 mètres du premier couloir, l'on rencontre un autre couloir dans la direction montante, de même dimension que les précédents, de 36 mètres de long, où se trouve un palier de 4 m. 72 c. de long et un couloir horizontal de 34 mètres de longueur, donnant entrée une salle de 5 m. 74 c. de long sur 5 m. 20 c. de large et 6 m. 22 c. de haut, en forme dos d'âne ; il n'y a pas de sarcophage. Tous ces couloirs ainsi que cette salle sont construits en forte assise de pierre calcaire, à grains fins, dont les joints sont si serrés qu'on ne pourrait y passer un cheveu.
Du palier, l'on rencontre une galerie montante, de 46 mètres de long, 2 mètres de large sur 8 mètres de haut, se rétrécissant vers le sommet, à 1 mètre de large, par des assises de 83 centimètres de haut sur 7 centimètres de saillie, les uns sur les autres. Cette galerie a deux banquettes longeant les murs latéraux, en laissant au centre le passage de la largeur des couloirs. De cette galerie, l'on arrive par un palier horizontal, dans un couloir de 8 mètres de long, qui donne entrée à la grande salle de 10 m. 47 c. de longueur, 5 m. 16 c. de largeur et 5 m. 80 c. de hauteur, où se trouve le sarcophage sans inscription, en granit, de 3 m. 30 c. de long, 99 centimètres de large et de 1 m. 05 c. de haut, placé sur le pavé avec son couvercle déplacé. Tous les murs, plafonds et pavés de cette chambre, du couloir et de la galerie, sont construits en fortes assises de granit, dont les joints sont très fins et posés sans mortier.
La construction de la pyramide est en pierre calcaire, d'un gros grain jaunâtre. Les premières assises ont de 1 m. 10 c. à 1 mètre de haut ; elles diminuent insensiblement dans les dernières ; vers le sommet, elles ont de 55 à 50 centimètres de haut, posées sur une forte couche de mortier. Ensuite, chaque face avait un revêtement de pierre calcaire, d'un grain plus fin, bien appareillé et les assises posées sans mortier ; de plus, un couloir presque vertical, d'une longueur de 60 mètres, taillé irrégulièrement dans la masse, en partie dans le rocher et en partie dans la construction, sans parement d'assises, part de la partie inférieure pour arriver au premier palier de la grande galerie.
La seconde pyramide, dite ‘Chefrènes’, est à 175 mètres au sud-ouest de celle de Chéops ; elle a 210 mètres 49 c. sur chaque face ; sa hauteur, de la base au sommet, est de 140 mètres 18 cent. Elle a deux ouvertures sur sa face au nord. La première est à 3 mètres 50 cent. au-dessus de la base, et la seconde, à 20 mètres au-dessus de celle-ci. Son couloir incliné vers la base a 35 mètres de long sur 1 mètre 20 cent. de haut, et 1 mètre 09 cent. de large. Son encadrement est en assises de granit ; à son extrémité horizontale se trouve un fragment de porte enchâssé dans des rainures en granit qui donne entrée à un couloir horizontal de 1 mètre 8o cent. de haut, et s'arrête par un vide de 7 mètres 67 cent. où il reprend sur une longueur de 40 mètres 33 cent. et précède une chambre de 14 mètres 10 c. de long, sur 5 mètres de large et 7 mètres de haut, avec plafond à dos-d'âne taillé dans le rocher. L'on y voit un sarcophage en granit, sans inscription, de 2 mètres 62 cent. de long, 1 mètre 8 cent. de large et 0 mèt. 70 cent. de profondeur, enfoui dans le sol, de manière que son couvercle vient au niveau du sol du pavé en dalles. Le corps de cette pyramide est bâti avec de fortes assises, comme dans la première pyramide, mais elle a conservé vers son sommet, son revêtement primitif en pierre calcaire d'un grain fin.
La troisième pyramide, dite ‘Miserinus’, est à 240 mètres de distance de celle de Chefrènes, vers le sud-ouest. L'on ne connaît pas encore son intérieur. Elle a 100 mètres de long sur chaque face, sur 18 mètres environ de hauteur. Sa construction est en assises de pierre calcaire, mais son revêtement est par assise de forte dimension, en granit. En avant de la face est, sont des ruines qui feraient supposer un passage souterrain pour s'introduire dans cette pyramide. (...)
Entre les deux grandes pyramides, vers la partie nord et ouest, sont les ruines d'un grand nombre de tombeaux avec quelques petites pyramides à gradins, et plusieurs hypogées taillés dans le rocher, dont quelques-uns, dans les parements des murs, sont couverts d'inscriptions et des bas-reliefs représentant les divers travaux industriels et agricoles. L'ensemble de ces constructions formait une vaste nécropole qui était probablement la suite de celle de Memphis.


vendredi 16 juin 2017

“Tout le monde sera surpris, comme moi, de ce que l'effet de ce prodigieux monument diminue à mesure qu'on l'approche” (Jean-François Champollion - XIXe s. - devant la Grande Pyramide)

Extraits concordants de deux relations, par Jean-François Champollion (1790-1832), de sa (courte) visite au plateau de Guizeh. Il apparaît que le découvreur des hiéroglyphes relativise l’importance de cette étape de son périple en terre d’Égypte. Son intérêt est ailleurs. Il a hâte de “cingler à force de voile” vers une autre destination, car “Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard” !


Au pied des pyramides de Gizèh, le 8 octobre 1828

J'ai transporté mon camp et mes pénates à l'ombre des grandes pyramides, depuis hier que, quittant Sakkarah pour visiter l'une des merveilles du monde, sept chameaux et vingt ânes ont transporté nous et nos bagages à travers le désert qui sépare les pyramides méridionales de celles de Gizèh, les plus célèbres de toutes, et qu'il me fallait voir enfin ayant de partir pour la Haute-Égypte. Ces merveilles ont besoin d'être étudiées de près pour être bien appréciées ; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on a une idée juste de leur masse et de leur immensité.
Il y a peu à faire ici, et lorsqu'on aura copié des scènes de la vie domestique sculptées dans un tombeau voisin de la deuxième pyramide, je regagnerai nos embarcations qui viendront nous prendre à Gizèh, et nous cinglerons à force de voile pour la Haute-Égypte, mon véritable quartier général. Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard.


(Lettres de M. Champollion le jeune, écrites pendant son voyage en Égypte, en 1828 et 1829)

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Illustration de Nicolas-Jacques Conté, 1809

8 octobre 1828

Dès le matin, on leva les tentes, et sept ou huit chameaux, venus de Sakkara, furent chargés de nos bagages ; vingt ânes devaient porter le personnel, maîtres et valets. Je me mis en route à sept heures du matin, par le désert, pour aller faire visite aux grandes Pyramides de Gizéh, que nous voulions voir avant de partir pour le Said.
On gravit le plateau des Pyramides de Sakkara, et nous traversâmes toute la plaine des momies, en laissant le Medarrag et le tombeau de Ménofré à notre gauche. Nous redescendîmes le plateau dans le voisinage du village d'Abousir, l'ancien bourg de ‘Bousiris’, où habitaient les hommes habitués à gravir les pyramides.
Non loin de ce village, que nous laissons à droite, existent, sur les hauteurs du plateau Libyque, de grandes pyramides en ruines, mais dont les masses sont encore très imposantes. Vues d'un certain point, elles ressemblent à trois hautes montagnes rocheuses très rapprochées, et, autour de leurs sommets élevés, voltigent sans cesse des oiseaux de proie de différentes espèces. Celle des trois qui avoisine le plus la plaine cultivée conserve encore une chaussée, en grandes pierres calcaires, et dont on suit la ligne à une assez forte distance. Nous marchâmes peu dans trois heures, en faisant plusieurs contours, à cause de l'inondation qui avançait progressivement vers la montagne Libyque.
Le sol, couvert de quelques plantes grasses et d'un gazon clairsemé, fourmillait de petits crapauds qui gagnaient par légions les lieux inondés. Après avoir traversé un village abandonné que je présume être ‘El-Haranyéh’, marqué sur la carte de la Commission, nous arrivâmes, harassés de fatigue, nous et nos ânes, à l'ombre de quelques sycomores, placés à une petite distance du grand Sphinx.
Rafraîchi par une courte halte, je courus au monument qui, malgré les mutilations qu'il a souffertes, donne encore une idée du beau style de sa sculpture. Le col est entièrement déformé, mais l'observation de Denon sur la mollesse ou plutôt la ‘morbidezza’ de la lèvre inférieure est encore d'une grande justesse. J'eusse désiré faire enlever les sables qui couvrent l'inscription de Thouthmosis IV, gravée sur la poitrine ; mais les Arabes, qui étaient accourus autour de nous des hauteurs que couronnent les Pyramides, me déclarèrent qu'il faudrait quarante hommes et huit jours pour exécuter ce projet. Il devint donc nécessaire d'y renoncer, et je pris le chemin de la grande Pyramide.
Tout le monde sera surpris, comme moi, de ce que l'effet de ce prodigieux monument diminue à mesure qu'on l'approche. J'étais en quelque sorte humilié moi-même en voyant, sans le moindre étonnement, à cinquante pas de distance, cette construction dont le calcul seul peut faire apprécier l'immensité. Elle semble s'abaisser à mesure qu'on approche, et les pierres qui la forment ne paraissent que des moellons d'un très petit volume. Il faut absolument toucher ce monument avec ses mains pour s'apercevoir enfin de l'énormité des matériaux et de l'énormité de la masse que l'oeil mesure en ce moment. À dix pas de distance, l'hallucination reprend son pouvoir, et la grande Pyramide ne paraît plus qu'un bâtiment vulgaire. On regrette véritablement de s'en être rapproché. Le ton frais des pierres donne l'idée d'un édifice en construction, et nullement celle que l'on contemple : l'un des plus antiques monuments que la main des hommes ait élevés.


(Lettres et journaux de Champollion le Jeune, recueillis et annotés par H. Hartleben, tome deuxième, Paris, 1909)
 
Morceaux choisis de cet auteur dans l'Égypte entre guillemets

jeudi 15 juin 2017

Les pyramides sous le regard du photographe Émile Béchard (XIXe s.)


Textes et photographies extraits de L'Égypte et la Nubie : Grand album monumental, historique, architectural : Reproduction par les procédés inaltérables de la phototypie de cent cinquante vues photographiques par M. Béchard, artiste photographe, comprises depuis Le Caire (Égypte) jusqu'à la deuxième cataracte (Nubie) - Avec un texte explicatif des monuments d'après nos meilleurs écrivains, par M. A. Palmieri, 1887.

Sur Émile Béchard, Émile (1844-1892), voir la note qui lui a été consacrée dans égyptophile



La Grande Pyramide

Les Pyramides de Gizeh font partie des nécropoles de Memphis. La grande Pyramide a servi de sépulture à Chéops, roi de la IVe dynastie, dont le règne fut inauguré en l'an 4235 avant J.-C.
La Pyramide de Chéops, dit Pline, coûta vingt années de travail à 366.000 ouvriers. Elle est assise sur un rocher, élevé de près de trente mètres au-dessus des plus grandes crues du Nil, et dont on n'a pas trouvé la base à plus de soixante mètres de profondeur. Ce rocher est taillé en socle régulier ayant 5 pieds 8 1/2 pouces de hauteur. La première assise est encastrée sur ce socle dans une ligne parfaitement dressée et creusée verticalement de 7 à 8 pouces. Au-dessus de cette première assise, on en compte deux cent deux autres placées successivement en retrait, la supérieure sur l’inférieure, d'environ 9 1/2 pouces par pied d'élévation, mesure moyenne, et formant autant de gradins.
Ces deux cent trois assises au-dessus du socle qui les porte donnent pour hauteur verticale 428 pieds 3 pouces (...). En tenant compte des deux assises, au moins, détruites au sommet et du socle pris dans le rocher, la hauteur totale et primitive de la grande Pyramide devait être de 450 pieds moins quelques pouces ; c'est plus de deux fois la hauteur des tours de Notre-Dame de Paris. (...)
ll n'est pas un voyageur qui, arrivé au pied de la grande Pyramide, n'en désire atteindre la cime. L'ascension du monument paraît facile, mais dès que l'on en gravit les premiers gradins, on commence à éprouver le sentiment de quelque difficulté. (...) Si l'on a mis trop d'ardeur à gravir ces trois gradins, on se sent déjà un peu fatigué, et l'on a, pour se réconforter, au-dessus de soi, cent quatre-vingt-dix-neuf autres gradins qu'il faudra gravir pour arriver à la plate-forme. ll faut une heure et plus pour y arriver. Mais quel spectacle indescriptible l'œil n’embrasse-t-il pas de cette élévation ! On s'en détache avec l'âme attristée... et en regagnant la base par une descente aussi pénible que l'ascension elle-même, on arrive confondu. et, cette fois, pénétré pour toujours de sa propre nullité au milieu des Merveilles du Monde.


La Pyramide de Chéphren

La deuxième des grandes Pyramides de Gizeh. Chéphren, frère et successeur de Chéops, y a été enseveli.
Chéphren est éloignée de Chéops de 555 pieds (environ 180 mètres). Comme son aînée, celle-ci présente aussi des degrés à sa partie inférieure et moyenne ; mais à la partie supérieure elle est encore recouverte de son revêtement primitif. Cette dernière partie est évaluée au quart de la hauteur totale.
Chéphren est de deux mètres moins élevée que Chéops. Elle est beaucoup mieux conservée et son revêtement lui donne un grand éclat au soleil, et la fait distinguer au loin de toutes les autres Pyramides : mais, en tant qu’ascension, le voyageur n'y songe pas : d'abord parce qu'elle est plus dificile à gravir à cause du revêtement, et ensuite parce qu'elle termine presque en pointe et qu'il n'existe pas au sommet la plateforme qui permet de se reposer et d'admirer l'horizon immense.
Le nom de “Merveilles du Monde” donné aux Pyramides par l'antiquité s'applique en commun à Chéops et à Chéphren.


Pyramide de Saqqarah

Sur les dix Pyramides de la nécropole de Saqqarah, la Pyramide à degrés est la seule qui se trouve debout ; les neuf autres sont très minées, et quelques-unes d'entre elles ont à peine conservé une forme reconnaissable.
La Pyramide à degrés de Saqqarah (...) est le monument le plus ancien du monde. Sa construction est attribuée par Manéthon à Ouénephés, quatrième roi de la première dynastie qui régna en l'an 4.700 avant J.C.
Cette pyramide n'a que 65 mètres, représentant une élévation moindre que la moitié de celle de la grande Pyramide de Gizeh. Sa construction spéciale n'est pas un cas isolé ; de nombreuses pyramides ont été construites en Égypte sous la forme que reproduit notre planche, et qui est celle qu'elle dut avoir dès l'origine.
Mariette-Bey rapporte que la Pyramide à degrés de Saqqarah présente quelques particularités dignes d'être remarquées : “Son axe, dit-il, ne regarde pas le Nord vrai puisqu'il en dévie de plus de 4° à l'Est. Elle a deux entrées : une au Nord, une au Sud. Son plan intérieur est plus compliqué, plus enchevêtré que tous ceux qu'on peut connaître autre part. Une porte de l'un des caveaux souterrains, contemporaine à la construction, était ornée de légendes.

lundi 12 juin 2017

Les pyramides d’Égypte, construites “pour détourner les peuples de l'oisiveté”, selon Charles Fourré - XVIIIe s.

 Extrait de Abrégé des vies des poètes, historiens et orateurs grecs et latins, qu'on voit ordinairement dans les collèges, 1707, par Charles Fourré (aucune information fiable à notre disposition sur cet auteur) 

Illustration de Fischer von Erlach, 1721
Vous vous plaignez, Monsieur, de n'avoir pas une connaissance assez étendue des sept Merveilles du monde, et ce que vous en avez lu dans l'Histoire poétique du R. P. Gautruche (1) ne fait qu'exciter votre curiosité. Je veux bien vous satisfaire. (...)
On a donné le nom de Merveilles du monde à sept différentes sortes d'ouvrages ou édifices qui ont attiré l'admiration de tous les siècles, ou pour la manière dont on les avait faits, ou pour les sommes immenses qu'on avait dépensées à les construire.
Les Pyramides étaient des espèces d'obélisques ou plutôt des masses de pierre qui finissaient en pointe comme la flamme. Le mot grec ‘pur’, qui signifie feu, leur a donné le nom de Pyramides. On en voyait et on en voit encore plusieurs en Égypte, et entre autres une d'une hauteur prodigieuse. Six cent mille hommes, si on en croit Pline, furent occupés l'espace de vingt ans à la construction d'une de ces Pyramides. Il se dépensa dix-huit cents talents en oignons ou autres légumes pour la nourriture des ouvriers. Dix-huit cents talents petits ou communs font quatre millons trois cent vingt mille livres de notre monnaie, à suivre la supputation des RR. PP. Jouvanci et Tarteron, qui font valoir le talent dont je parle deux mille quatre cents livres. Les Rois d'Égypte qui firent ces grosses dépenses ne les faisaient que pour détourner les peuples de l'oisiveté, et empêcher par-là les soulèvements qui auraient pu arriver.



(1) Pierre Gautruche Pierre (1602-1681), jésuite, professeur de philosophie et de théologie, préfet des études à Caen, auteur d’une Histoire poétique pour l'intelligence des poètes, 1671

samedi 10 juin 2017

"Les greniers de Joseph, comme on les appelle encore aujourd'hui" (Pierre le Loyer - XVIe s.)

Texte extrait de Des Spectres Ou Apparitions Et Visions D'Esprits, Anges Et Demons se monstrans sensiblement aux hommes, 1586
Son auteur : Pierre le Loyer, sieur de la Brosse, démonologue conseiller au Siège présidial d'Angers. Il est né le 24 novembre 1550 à Huillé, village de l'Anjou, près de Durtal. Il décède à Angers le 27 janvier 1634, des suites de brûlures lors de l’incendie de son logement.


"On dit qu'on y gravait en lettres hiéroglyphiques les préceptes des plus belles sciences" (Pierre Richelet - XVIIe s. - à propos des pyramides égyptiennes)

Extrait du Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise... avec les termes les plus connus des arts & des sciences: le tout tiré de l'usage et des bons auteurs de la langue françoise, de Pierre Richelet, 1680


“Pyramide : mot à mot chambre du mort” (les approximations du Dr. Adolphe Armand - XIXe s.)

Extraits des Lettres de l'Expédition de Chine et de Cochinchine, 1864, du Dr. Adolphe Armand (1818-1891).
Aucune information fiable à notre disposition sur cet auteur. Nous remarquerons plus particulièrement ses conjectures au sujet de l’ “ouverture de 50 centimètres carrés” dans la chambre du Roi, “soupirail borgne” pouvant probablement servir à l'écoulement des exhalaisons causées par la dessiccation progressive d’une momie.

Photos Edgar Brothers
Du Kaire, adossé aux dernières ramifications des monts Attakah, on domine (...) du sud au nord, une grande étendue de la vallée du Nil. En face, à 4 lieues de là, à l'ouest, l'horizon est borné par le bourrelet des sables libyques. Ce bourrelet, à base calcaire, a plus de 2 kilomètres de long et 42 mètres au-dessus du niveau du Nil.
On y arrive par une côte escarpée et sablonneuse où l'on trouve en quantité des coquilles fossiles, principalement des nummulites et des bélemnites, des huîtres fossiles, des cailloux de quartz, de silex, de spath, des filons ferrugineux, etc. C'est sur ce plateau que surgissent les trois pyramides de Gyzeh, dont la plus grande porte le nom de Chéops. 

Les revêtements qu'on a démolis à diverses époques

Des fossés larges et profonds taillés dans le roc, autour des deux grandes pyramides, sont comblés par les sables des dunes et des entassements de fragments de granit, de basalte, et surtout d'éclats de marbre des revêtements qu'on a démolis à diverses époques pour construire des temples, des palais et des mosquées, notamment au Kaire et à Alexandrie ; car il ne faut pas s'imaginer que les ordonnateurs de ces prodigieux monuments destinés, croyaient-ils, à abriter éternellement ‘leur cendre’, eussent eu la naïveté de les construire à dessein en gradins étagés à cette fin de permettre aux curieux d'aller voir de plus haut le soleil lever. Ce qui reste aujourd'hui, ce ne sont plus que les squelettes de ces mastodontes de l'architecture, si l'on peut ainsi parler.
Le revêtement des quatre faces formant autrefois des pans lisses, polis et éclatants, manque entièrement à la grande pyramide.
La deuxième, dégradée aussi dans les quatre cinquièmes de ses parties basses, a son sommet revêtu de marbre blanc légèrement taché en plusieurs endroits de la détrempe ocreuse du temps. Ce revêtement sur la face de l'est a plus de 40 mètres d'étendue à partir du sommet.
Cette particularité n'a pas échappé à MM. les archéologues de l'Institut d'Égypte, leur grand ouvrage en fait foi ; mais elle n'est pas assez connue de ceux qui parlent des pyramides.
Quant à ceux qui les voient, elle leur saute aux yeux. Cependant nous avons entendu un de ces touristes qui, dans leur précipitation de parler, mettent tout à l'envers, s'écrier: “Tiens ! Ie sommet de la deuxième pyramide vient d'être restauré !” (textuel)
Comme si pareille restauration, en supposant qu'il y eût quelqu’un au monde d'assez puissant et riche pour l'entreprendre, serait possible, en commençant par le sommet!
Les démolisseurs ont progressivement enlevé les premières assises extérieures et les ont successivement précipitées en les faisant rouler sur le plan incliné des faces ; de là ces entassements de débris fragmentés, surtout à la face nord, qui permet de gravir à plus de 20 mètres de hauteur à l'unique ouverture de la grande pyramide. 

La base des pyramides est sur le roc, leurs assises sont composées d'énormes blocs équarris, tirés des carrières de Torrah et amenés de là par des chaussées en plan incliné dont on voit encore les vestiges en relief.

La superposition de ces assises en retrait formant pyramide équivaut, pour Chéops, à quelque chose ayant pour base une aréa plus large que la place de la Concorde et pour hauteur la flèche de Strasbourg.
La deuxième pyramide Chephron le cède de peu en hauteur à la grande.
La troisième pyramide, dite Nycérinus, bien plus petite, était entièrement revêtue de granit.

Ces monuments, datant de vingt siècles avant Jésus-Christ, étaient destinés à la sépulture des rois. Cette destination est encore d'une incontestable évidence pour quiconque pénètre au cœur de Chéops par des couloirs étroits et à pente raide, dont il est difficile de donner une idée exacte par la description.
Qu’on nous permette pour cela une comparaison infiniment petite. L'ouverture d'entrée de la pyramide est à une certaine hauteur de la face nord, à la treizième assise, et il y en a 203 formant une hauteur de 166 mètres sur une inclinaison de 51° 50. Cette petite ouverture apparaît à peine comme l'ouverture d'une boîte aux lettres. En y entrant, on glisse dans un couloir plongeant comme une lettre glisse dans le couloir qui la conduit à la boîte. Ce n'est là qu'un premier temps.
Un autre couloir ou canal remonte du même point avec la même inclinaison de 26° ; c'est le cas de dire que l'angle de réflexion est égal à l'angle d'incidence. Vous montez n'est pas le mot, vous rampez, sinon à plat ventre, du moins à quatre pattes, aidés, poussés ou traînés par les Arabes conducteurs, qui ont eu la bonne idée de substituer à la torche fumante et asphyxiante la classique chandelle, pour vous conduire ou vous hisser dans ces couloirs quadrangulaires de 1 m,11 de côté.
Les blocs formant murailles sont d'un gris tendre analogue à celui du midi de la France ; mais ils sont tellement reliés entre eux et sans ciment que vous ne passeriez pas dans les interstices une lame de couteau, pour nous servir de l'expression juste et vraie d'un de nos prédécesseurs en cette exploration et membre de la commission d'Égypte.

La chambre sépulcrale

Arrivé au centre de la pyramide et au milieu de sa hauteur environ, vous pénétrez dans une chambre sépulcrale rectangulaire, car, dit Volney, cette chambre, si obscure, si étroite, de 13 pas de long sur 11 de large, et d'à peu près autant de hauteur, n'a jamais pu convenir qu'à loger un mort. Pyramide : mot à mot chambre du mort. Cette idée est du reste pleinement confirmée par le sarcophage en granit qui est à l'extrémité opposée à l'entrée. Ce sarcophage est ébréché dans l'angle sur lequel on a fait levier pour déplacer le couvercle et fouiller le tombeau.
À peu de distance du sarcophage, sur le plan où il repose, est une ouverture de 50 centimètres carrés, puits perdu, allant au fond de la pyramide, et sur l'usage duquel nous nous perdons en conjectures, soupirail borgne, pouvant probablement servir à l'écoulement des gaz plus denses que l'air, comme l'acide carbonique ; car les Égyptiens pouvaient bien ne pas connaître la densité relative des gaz que la chimie moderne nous a révélés, mais ils savaient assurément par expérience que, malgré tout leur art d'embaumer les corps, quelque hermétiquement que fussent closes leurs momies de milliers de corps humains et de corps d'animaux qu'ils entassaient dans les galeries, caveaux ou hypogées, il s'en échappait, par la dessiccation progressive, des exhalaisons à produire le méphitisme dans des milieux où ils pénétraient souvent et par une seule ouverture. Réfléchissons, en effet, que les corps embaumés, pour arriver à la dessiccation complète ou momification, devaient perdre 75 p. 100 de leur poids par l'évaporation des fluides, ce qui devait donner lieu à une énorme accumulation d'émanations putrides dont leurs puits étaient évidemment les dérivatifs. Telle est du moins, à nos yeux, l'hypothèse la plus probable sur les puisards de leurs pyramides et autres lieux de sépulture. 

Un funèbre lieu qui n'est en réalité que le vide, le néant et la mort

Quoi qu'il en soit, l'idée de tomber tête ou pieds premiers dans cet abîme béant et noir vous saisit d'horripilation. Or notez qu'il faudrait, pour que cela arrivât, la simple distraction de votre guide qui ne vous avertirait pas quand, ignorant le danger, vous vous promenez le nez en l'air pour regarder le beau revêtement de porphyre sur les parois de cette obscure chambre dite du roi, et au-dessous de laquelle est celle de la reine.
N'importe la massiveté porphyrique de l'endroit, on a hâte, quand on l'a vu, de se sauver de ce funèbre lieu qui n'est en réalité que le vide, le néant et la mort. (...)
La respiration des vivants s'y fait mal. Il est tellement vrai qu'on est malgré soi sombrement impressionné, qu'à un coude ébréché qui fait le couloir vers le milieu de sa longueur, un de nos compagnons d'expédition, quoique aidé de plusieurs guides et de notre exemple, s'arrêta court, se campa là sur son séant sans plus vouloir descendre ; il se croyait au fond d'un noir abîme et sans fond, et il ne s'agissait de franchir qu'un escalier de 2 mètres de hauteur qu'il fallait passer en glissant sur quelques aspérités du roc ; c'est ce que nous appellerons le pas oblique de la grande galerie ; or il tremblait alors autant que les plus grands trembleurs fumeurs d'opium, dont il a parlé dans son extrait du ‘Chinese repertory’.
Ces couloirs, bien on le pense, n'ont pas été ménagés à cette fin de permettre aux profanateurs des excursions de fantaisie ; ils étaient tout naturellement destinés à hisser la bière des présomptueux personnages qui, longtemps d'avance, se faisaient construire ces palais funéraires dont la masse et la mystérieuse construction n'ont pas empêché leur cendre d'être jetée au vent.
‘Memento quia pulvis es…’

Leçon philosophique de tous les temps et de tous les pays ; ce sont les orgueilleux qui ont le plus voulu faire abriter leur cendre qui se sont le plus exposés aux profanations par la vanité qu'ils ont eue d'être entourés après leur mort des objets précieux qu'ils portaient de leur vivant : armes, joyaux, colliers ou couronnes, tels sont les leviers que la cupidité des vivants a employés de tout temps pour profaner la retraite des morts.


vendredi 9 juin 2017

La pyramide de Khéops : une visite qui “n'est pas à recommander aux vieillards, aux pléthoriques, ni aux dames à des points de vue très divers” (Albert Le Play - XIXe-XXe s.)

Albert Le Play (1875-1964) était médecin de formation. Issu d’une famille de photographes et grand voyageur, il a réalisé un tour du monde entre 1906 et 1907. Ses observations sur les pyramides de Guizeh sont extraites de son ouvrage Notes et croquis d'Orient et d'Extrême-Orient (1908)

Illustration extraite de l'ouvrage d'Albert Le Play
Les Pyramides de Gîzé forment un des cinq groupes de pyramides espacés à la limite du désert de Lybie. Elles appartenaient à des Pharaons de la 4e dynastie. Au nombre de neuf, trois d'entre elles se distinguent par leur importance : ce sont celles de Khéops, de Khéphren et de Menkéouré. L'aspect simple de ces monuments, leur architecture spéciale, unique au monde, cette masse colossale de matériaux, réduite à un petit volume qui déconcerte l'esprit mal préparé par l'imagination, étonnent au premier abord.

La construction de ces Pyramides représente un travail gigantesque dont il est difficile de se faire une idée à première vue. C'est ainsi que pour l'édification de la grande pyramide, “le lieu de la splendeur de Khoufou”, bâtie par Khéops, le “Khoufou” des Égyptiens, il aurait fallu environ 2.300.000 pierres de plus d'un mètre cube, provenant de la rive gauche du Nil. (...)

De loin, la surface des Pyramides paraît unie ; mais dès qu'on en approche, on remarque combien elle est irrégulière, rocailleuse, formant un escalier colossal, aux marches inégales et démesurées. (...)

La visite de l'intérieur des Pyramides est très intéressante, car on peut ainsi aisément se rendre compte du travail colossal qu'il a fallu pour leur édification. Khéops est en général choisie pour ce sport, car c'en est un véritablement ; on doit, en effet, à certains moments, ramper dans des couloirs sombres qui n'ont même pas un mètre de hauteur et de largeur ; en d'autres points, il faut gravir des blocs de granit qui n'ont pas loin d'un mètre de haut, et cela, dans une atmosphère chaude où règnent des odeurs diverses, mélange indéfinissable de produits volatils émanant surtout des chauves-souris et des Bédouins.
En somme, cette visite n'est pas à recommander aux vieillards, aux pléthoriques, ni aux dames à des points de vue très divers.

L'entrée dans la pyramide se fait par une ouverture ménagée au milieu de la face nord. On ne se doute pas de la quantité de détours ménagés pour arriver à la chambre murée où se trouve le sarcophage ; cette disposition spéciale avait été établie dans le but évident de soustraire le Pharaon aux recherches indiscrètes, ce qui n'a pas empêché les voleurs, à travers les siècles, de piller ces tombeaux, et les archéologues d'en fouiller les cachettes les plus intimes. La marche sur ces pierres glissantes, dans ces couloirs obscurs, est très lente ; on s'arrête à chaque instant, et, chaque fois, les guides vous demandent si vous êtes satisfait d'eux et cherchent à vous extorquer des bagchichs ; ils tirent de leurs poches des statuettes ou des scarabées qu'ils prétendent avoir trouvés dans une cachette du monument, connue d'eux seuls, ou bien, ils allument constamment des bouts de fil de magnésium qui, entre leurs mains, voient leur valeur au moins centuplée.
Enfin, après avoir parcouru des couloirs qui paraissent interminables, communiquant les uns avec les autres par des sortes de trappes ménagées dans les parois, puis une longue galerie, haute et large, dans laquelle on avance sur un plan incliné, extrêmement glissant, on parvient à la chambre funéraire dont les murs sont en granit et le plafond formé de neuf énormes dalles. Là, se trouve le sarcophage de granit vide, mutilé, sans couvercle, sans inscription.

Le retour s'accomplit dans les mêmes conditions que l'aller. C'est avec une réelle joie qu'on retrouve la lumière du jour et la liberté de ses mouvements ; c'est bien l'avis de la jeune femme anglaise dont je guettais le visage à la sortie de la Pyramide : sa figure était cramoisie, et comme je lui demandais ses impressions, son indignation était telle qu'elle ne put articuler un mot.

jeudi 8 juin 2017

“Ce qui rendra à jamais célèbres les Égyptiens, ce sont les prodigieux chefs-d'oeuvre de leur architecture, à savoir les Pyramides” (Paul Gagnol - XXe s.)

Au temps jadis, qu’enseignait-on aux jeunes des écoles sur l’Égypte, sa culture, ses célèbres monuments ?
Ce blog a relayé plusieurs fois le contenu de manuels scolaires des siècles passés, présentant, généralement de manière très succincte, les pyramides de Guizeh. En voici un autre exemple, avec des extraits du Cours d'histoire, rédigé conformément aux programmes de 1902, publié par l'abbé Paul Gagnol (1850-1928). Une fois encore, place à la concision ! On notera toutefois quelques allusions à la “perfection déconcertante” des travaux d’aménagement intérieur des monuments, ainsi qu’à leur résistance aux secousses sismiques.
Est-il besoin en effet de rappeler que l’Égypte a connu d’importants tremblements de terre - plus d’une dizaine depuis l’an 857, dont celui de 1754 (40.000 morts) - et que les pyramides ont admirablement résisté, “aucune fissure” ne s’étant produite...
Photo de Zangaki
Les Égyptiens connurent, et très bien, les arts industriels. Leur industrie portait non seulement sur les articles communs nécessaires à la vie, mais encore sur les articles de luxe, articles d'ébénisterie, d'orfèvrerie, de teinture riche, porcelaines, verres, émaux ; elle a laissé des oeuvres d'une perfection incroyable, comme on peut le voir au Musée de Gizeh, près du Caire, ou au Musée du Louvre ; mais ce qui rendra à jamais célèbres les Égyptiens, ce sont les prodigieux chefs-d'oeuvre de leur architecture, à savoir les Pyramides, dans la basse Égypte ; les temples ou palais et les tombeaux des rois, dans la haute Égypte.
Les pyramides les plus connues sont les trois grandes Pyramides construites à une faible distance de Memphis, sur le plateau aride de Gizeh, par les rois Khéops, Khéphren et Mykérinus. De tout temps, leurs dimensions colossales ont frappé d'étonnement l'étranger, les deux premières du moins, celles de Khéops et de Khéphren, s'élevant, l'une autrefois à cent quarante-cinq mètres, maintenant à cent trente-trois ; l'autre à cent trente-trois mètres, maintenant à cent trente et un.
Les grandes Pyramides ne sont pas seulement des constructions gigantesques : on doit encore voir en elles de véritables oeuvres d'art. L'effet est dans la grandeur et la simplicité des formes, dans le contraste et la disproportion entre la stature de l'homme et l'immensité de l'ouvrage qui est sorti de sa main : l'oeil ne peut le saisir, la pensée même a de la peine à l'embrasser...
Les travaux de l'intérieur révèlent une perfection déconcertante. Couloirs, galeries, chambres funéraires, qui devaient à jamais rester ensevelis dans les ténèbres après avoir reçu la momie du Pharaon, sont d'une exquise exécution. Le mortier ne paraît nulle part ; les blocs sont si bien ajustés que la suture échappe à l'oeil et qu'on ne pourrait, disent les indigènes, y loger un cheveu. Le tout a été équilibré avec une science si achevée que, malgré un tremblement de terre qui a secoué le plateau de Gizeh, aucune pierre ne s'est affaissée sous les millions de kilogrammes qu'elle supporte, aucune fissure ne s'est produite.

mercredi 7 juin 2017

“Des édifices monstrueux, construits en entier de pierres taillées, sans le secours de nos machines” (Gottfried Gabriel Bredow - XVIIIe-XIXe s. - à propos des pyramides égyptiennes)

L’écrivain allemand Gottfried Gabriel Bredow (1773-1814) a été professeur d'histoire au collège d'Eutin, puis dans les universités d'Helmstaedt, de Francfort-sur-l'Oder et de Breslau. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire ancienne, dont Les éléments de l'histoire générale simplifiés : à l'usage des écoles primaires et Histoire universelle à l'usage de la jeunesse.
Quoique destinés à de jeunes lecteurs, ces ouvrages contiennent quelques détails techniques qui, tout en restant flous, concernent les techniques de construction censées avoir été utilisées par les anciens Égyptiens pour le transport des pierres par voie d’eau et l’aménagement de l’intérieur de leurs monuments (des corridors, des chambres, mais pas de portes ni de fenêtres !)
Les textes qui suivent sont extraits de ces deux manuels, dans leur traduction proposée par Jean-Louis Moré.

Tableau de Charles-Louis Balzac - 1809
Nous ne connaissons que peu de chose de ce qui se passa dans les temps les plus reculés ; encore le peu que nous en connaissons est-il incertain. Les événements les .plus anciens dont nous ayons jusqu'à un certain point des notions à peu près sûres ne vont guère au-delà de mille années avant la naissance de Jésus-Christ : ce qui est antérieur à cette époque, ou est complètement fabuleux on tellement mélangé de fictions que l'on n'en peut distinguer la vérité.
L’Égypte seule, remarquable par sa constitution naturelle, a conservé des monuments de l'art humain qui sont les plus anciens. (...)
L'Égypte manquait de bois et de métaux ; mais on y trouvait une quantité considérable de pierres dans les montagnes, frontières de l'est. C'est de là que furent tirés les monstrueux blocs de pierre appelés ‘Obélisques’, et les masses nommées ‘Pyramides’, qui comptent plus de 5000 ans.
Les obélisques sont des colonnes carrées, se terminant en pointe, d'un seul bloc ; ils ont de cinquante à cent quatre-vingts pieds de longueur : quatre de ces anciens obélisques se trouvent maintenant à Rome. 

Une île autour de laquelle un canal conduit les eaux du Nil

Les pyramides sont des édifices carrés, d'une dimension gigantesque ; elles s'élèvent sur une large base ayant des faces inclinées, construites en pierre calcaire ; les pyramides ont une hauteur de deux cents à huit cents pieds, et reposent en outre sur des élévations ; au centre de ces élévations se trouve une île autour de laquelle un canal conduit les eaux du Nil. Il existe au-dessus et au-dessous du sol des pièces et des couloirs, mais point de fenêtres.
Ces immenses édifices étaient les lieux où on déposait les morts, après les avoir embaumés. On enlevait à ces corps toutes les parties d'une corruption facile, et on les remplaçait dans l'intérieur par des baumes extrêmement forts ; on recouvrait ensuite l'extérieur d'une matière du genre de la poix et transparente ; ainsi préparés, on les appelait momies ; il s'en est conservé jusqu'à nous, qui ont maintenant 3000 ans.

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Il n'existe, en Égypte, point d'autres maisons que celles construites avec des briques ou des pierres taillées ; on n'a aucune relation qui constate qu'il y en ait eu d'autres, même dans les temps les plus reculés. L'observation que l'argile et la terre glaise délayées dans l'eau sont un mastic liant et excellent, avait été faite depuis fort longtemps ; aussi s'en servit-on dès lors pour cimenter ensemble et les pierres et les briques. Malgré les travaux pénibles qu'exige la coupe des pierres, les Égyptiens ont laissé des monuments durables de ce que, sans beaucoup d'art, la patience des hommes parvient à exécuter.
Ils élevèrent dans des temps reculés, bien au-delà de mille années avant la naissance de Christ, par conséquent plus de 3.000 ans avant notre époque, des édifices monstrueux, construits en entier de pierres taillées, et tout cela sans le secours de nos machines. Plusieurs de ces édifices gigantesques se sont conservés ; ils excitent encore l'étonnement des voyageurs. Les plus remarquables sont les Pyramides, édifices carrés dont les murs de pierre fuient en s'élevant. Le plus grand d'entre eux a 2.640 pieds de circonférence et 500 pieds d'élévation ; il est donc plus haut qu'aucune des grandes tours d'Europe.
Si l'on pouvait déjà, il y a plus de 3.000 ans, élever de semblables édifices, on peut en conclure que l'art de construire des bâtiments en pierre date des temps les plus reculés. (...)

Les mains de l'homme et une persévérance patiente

Les bois et les métaux manquent presque entièrement en Égypte, mais on y trouve en revanche un grand nombre de pierres et de rochers, surtout vers l'orient sur les frontières de l'Arabie. Les maisons égyptiennes étant toutes en briques ou en pierres taillées, ainsi que nous l'avons vu, le peuple égyptien fut le plus ancien qui posséda l'art de construire des édifices solides. Malgré cela, les Égyptiens n'avaient point tous les instruments dont nous nous servons pour édifier nos maisons ; les mains de l'homme et une persévérance patiente les remplaçaient. Et avec des moyens si bornés ils élevèrent cependant à une époque inconnue leurs obélisques et leurs pyramides gigantesques. (...)
Les pyramides, comme je l'ai déjà dit, étaient gigantesques. On en voit encore quarante de différentes grandeurs. Elles sont construites en pierres calcaires posées les unes sur les autres, sans être liées avec de la chaux ou du mortier ; elles demeurent unies par leur propre poids. On a également dû tirer les pierres dont elles sont construites des carrières de l'Orient ; ces matériaux chargés sur des radeaux ont suivi la route des canaux et du Nil, pour arriver sur la place où ils ont été entassés à des hauteurs incroyables de 500 et même de 800 pieds.
Ces édifices ne furent point élevés dans des plaines, mais sur des collines que le fleuve n'atteignait pas dans ses inondations. Il fallut aplanir le sol dans une circonférence de près de 1500 pas, puis l'entourer d'une digue, pour pouvoir conduire les quartiers de rochers sur la colline. On éleva ensuite des terrassements en guise d'échafaudage, pour amener de nouvelles pierres sur la première couche ; les terrassements suivirent l'exhaussement de la pyramide, jusqu'à son sommet. Ce ne fut que quand elle fut terminée qu'on enleva les terrassements entassés sur les quatre côtés.
On trouve qu'au-dessous des plus grandes pyramides, les collines ont été profondément creusées, pour y construire des réduits, de manière à faciliter le transport jusqu'au pied de l'édifice par des canaux.

La plus grande infamie consistait à n'être pas enterré avec solennité

Le seul récit de ces travaux merveilleux frappe d'étonnement ; on admire la force et la constance des hommes qui parvinrent à les achever. Ce qu'on ne saurait comprendre, c'est la destination de semblables masses de pierres, percées à la vérité de corridors et renfermant des chambres, mais sans portes ni fenêtres. N'aurait-on si péniblement entassé ces masses énormes que pour en faire des tombeaux, ainsi qu'on le raconte ? L'esprit et le caractère de la nation égyptienne différaient tellement de notre manière de penser et de nos mœurs que nous ne pouvons asseoir aucun jugement à cet égard. Beaucoup de choses prouvent cependant le respect tout particulier que cette nation entretenait pour les morts ; aussi embaumait-on à grands frais les corps qu'on conservait ensuite comme momies. Dans les banquets, la momie d'un ami était placée auprès des convives, la table était garnie des portraits en bois des défunts. La plus grande infamie consistait à n'être pas enterré avec solennité. Il existait en Egypte un tribunal des morts, composé de quarante juges. Avant la sépulture, ce tribunal écoutait toutes les plaintes portées contre le défunt et décidait ensuite si le mort avait ou non mérité par sa bonne conduite dans ce monde les honneurs des funérailles. Les rois eux-mêmes n'étaient point exemptés d'êtres jugés par ce tribunal, et plus d'un souverain de l'Égypte, qui durant sa vie avait mal gouverné, fut ensuite condamné par son peuple à demeurer sans sépulture. Les Égyptiens avaient aussi la fausse croyance que tant que le corps, quoique privé de vie, se conservait entier, l'âme y demeurait attachée. Du reste, en songeant à ce que la folie de la mode peut parmi nous, et combien la vaine gloire nous porte à vouloir surpasser les autres dans tout ce que nous considérons comme grand, comme beau, nous comprendrons facilement comment les rois d'Égypte purent user, ou plutôt abuser de leurs sujets, en les occupant à élever ces édifices colossaux, qu'ils se préparaient pour mausolées.


mardi 6 juin 2017

“Ces monuments donnent une très grande idée de la puissance des Égyptiens” (Pierre-Jean-Baptiste Nougaret - XVIIIe s. - à propos des pyramides)


Pierre-Jean-Baptiste Nougaret (1742-1823) a-t-il visité les pyramides d’Égypte avant d’écrire sur ces célèbres monuments ? Les éléments biographiques à notre disposition ne font nulle mention d’un quelconque voyage sur les rives du Nil.
Ce “polygraphe” est l'auteur d’ouvrages sur les sujets les plus divers (poésies, drames, parodies, compilations historiques, écrits politiques, romans…), des écrits, est-il précisé, “qui ne se distinguent pas plus par le soin du style que par la décence ou la vérité historique” (Wikipédia).
Nous interpréterons donc ses développements sur les pyramides égyptiennes comme une compilation d’idées plus ou moins “reçues”, technique de publication amplement développée à une époque où le voyage en des contrées lointaines restait exceptionnel, contraignant le désir de savoir à chercher matière dans les relations d’autres auteurs. Une compilation qui, sans nul doute, illustre l’état - et les approximations ! - des connaissances égyptologiques à la fin du XVIIIe siècle…
Le texte ci-dessous est extrait de Anecdotes des beaux-arts. Tome 3, contenant tout ce que la peinture, la sculpture, la gravure, l'architecture, la littérature, la musique, &c. & la vie des artistes, offrent de plus curieux & de plus piquant, chez tous les peuples du monde, depuis l'origine de ces différens arts, jusqu'à nos jours (1776-1780)
Tableau de Carl Werner - 1870
Ce que les pyramides offrent de plus curieux

“L'époque de la construction de ces monuments qui surchargent la terre depuis un si grand nombre de siècles, était inconnue lors même que les premiers philosophes de la Grèce voyagèrent en Égypte. On n'était pas plus instruit que de nos jours, il y deux mille ans, du nom des Rois qui les élevèrent. Qu'on juge par-là de leur extrême antiquité. Il est probable que leur origine a précédé celle des hiéroglyphes ; car les Égyptiens, qui en plaçaient de tous côtés, n'auraient point laissé d'aussi superbes monuments sans y mettre de pareilles inscriptions.
Dans quel temps furent-ils donc bâtis, puisque ces caractères étaient devenus inintelligibles dès le temps que la Perse fit la conquête de l'Égypte ?
Les historiens arabes croient que les pyramides furent élevées trois cents ans avant le déluge, par un Roi qui vit en songe la terre renversée sens dessus dessous, les hommes couchés dans la poussière, les étoiles se détacher du ciel en forme d'oiseaux et guider les hommes effrayés entre deux montagnes énormes qui les écrasaient en se rapprochant et se choquant avec violence. Le Monarque, épouvanté de cette étrange vision, consulta le devins de toutes les provinces d'Égypte, qui lui dirent que le Royaume était menacé d'une submersion générale.
Ce Prince crédule fit bâtir les pyramides, dans lesquelles il déposa tout ce qu'il avait de précieux ; lorsqu'on les eut terminées, il les couvrit entièrement d'une belle étoffe de soie et donna aux environs une fête magnifique, où tous ses sujets se trouvèrent. On plaça cette inscription sous la grande pyramide : “Le Roi Saurid a bâti les pyramides et les a finies en six ans : quiconque viendra après lui, et se croira aussi puissant qu'il l'a été, qu'il entreprenne de les détruire en six cents ans, quoiqu'il soit plus facile de démolir un bâtiment que de le construire. Il les a couvertes de soie ; qu'un autre tâche seulement de les couvrir de mousse.”

Les eaux du déluge

On croit communément qu'on les éleva peu après le déluge. Mais quelle puissance ne fallait-il pas qu'un peuple eût acquise pour concevoir et exécuter une telle entreprise ! Selon quelques historiens, le Pharaon qui périt dans la mer Rouge bâtit la plus grande pyramide, et força les Hébreux d'y travailler. Mais l'observation suivante détruit ce sentiment : malgré l'extrême hauteur des pyramides, on trouve des huîtres et d'autres coquillages pétrifiés jusques sur leur sommet : n'est-il pas tout simple de conclure que ces coquillages n'ont été jetés là que par les eaux du déluge ?
Des savants présument que les pyramides doivent leur origine aux pierres qu'on entassait sur le tombeau des hommes dont on voulait conserver la mémoire. (...)
Des auteurs arabes donnent une plaisante origine aux pyramides. Ils assurent qu'un peuple de géants les bâtit longtemps avant le déluge. Chacun de ces géants transportait en venant des carrières à l'endroit où sont les pyramides, une pierre de vingt-cinq pieds de longueur, comme on porte un paquet sous son bras. Ils eurent ainsi bien moins de peine à bâtir une pyramide qu'un enfant en éprouverait à élever un château de cartes. (...)
Pour revenir aux pyramides, leur forme et la manière dont elles sont construites leur assurent une durée presque éternelle : on éprouverait, pour le moins, autant de difficulté à les détruire qu'on en eut à les élever ; et vraisemblablement elles subsisteront encore plusieurs milliers d'années.

L’enthousiasme des historiens grecs et latins

Ces monuments donnent une très grande idée de la puissance des Égyptiens ; mais ils prouvent surtout l'esclavage où ce peuple était réduit. Les Rois d'Égypte, avec des oignons, du lait et de mauvais pain, parvinrent à faire élever des édifices dont la construction épuiserait tous les trésors de la France : ils tyrannisèrent leurs sujets pour avoir l'honneur d'entasser des montagnes de pierre et de lutter contre la nature, en déplaçant des rochers, pour les transporter ailleurs. (...)
Les historiens grecs et latins qui ont décrit les trois pyramides que nous voyons encore dans leur entier, n'en ont parlé qu'avec enthousiasme. Les Grecs, qui voulaient exceller en tout, et n'admiraient ordinairement que les productions de leurs artistes, furent contraints de s'humilier à l'aspect de ces monuments immenses, qui paraissent au-dessus des forces humaines, et ils les placèrent au rang des sept merveilles du monde.
La plus grande de ces pyramides fut bâtie par un Roi nommé Chéops ou Chemnis ; cent mille hommes, qu'on remplaçait tous les trois mois par un pareil nombre, employèrent dix ans à tailler les pierres dans les montagnes de l'Arabie et de l'Éthiopie ; dix autres années suffirent à peine pour voiturer ces blocs énormes ; et il fallut ensuite vingt ans pour élever le monument de l'orgueil et de la tyrannie de Chéops, quoique cent mille ouvriers ne cessassent pas un seul instant d'être occupés. Afin de donner une idée des sommes prodigieuses que coûta la construction de cet édifice, on se contenta d'y graver ce qu'il en avait coûté pour les oignons et autres pareils légumes fournis aux ouvriers, et la somme montait à 4.160.000 livres de notre monnaie. L'historien Hérodote, qui vivait quatre-cent-quatre-vingt-quatre ans avant J. C. dit que cette inscription subsistait de son temps. On voit que le Roi Chéops dut employer la plus grande partie de ses sujets à l'ouvrage le plus inutile qu'il soit possible d'imaginer.

Les différents usages des pyramides, selon les écrivains qui en ont parlé

Afin d'augmenter l'horreur qu'on doit avoir de sa cruauté et de sa folie, les historiens racontent qu'il employa un moyen très étrange pour remplir de nouveau ses coffres, épuisés par les sommes immenses que lui coûta la pyramide : il ordonna à sa fille de se prostituer, et de retirer le plus qu'elle pourrait de ses faveurs. La Princesse, voulant éterniser la mémoire de sa complaisance, fit bâtir une petite pyramide des pierres qu'elle avait rassemblées, en en exigeant seulement une de chacun de ses amants, qui payaient, outre cela, un certain prix les bontés quelle daignait avoir pour eux. (...)
Un Roi d'Égypte, nommé Asychis, vers l'an du monde 2991, se mit dans l'idée de surpasser tous ses prédécesseurs par la construction d'une superbe pyramide. Il en fit bâtir une en brique, et voulut qu'on y gravât cette inscription fastueuse : “Ne me comparez point avec les autres pyramides, ce serait trop m'abaisser ; je leur suis autant supérieure que Jupiter est au-dessus des autres Dieux.”
Puisqu'on veut que la vanité ne fût pas le seul motif qui fit élever de pareils monuments, voyons les différents usages que leur indiquent quelques-uns des écrivains qui en ont parlé. L'un d'entre eux prétend qu'ils étaient destinés à servir de magasins à blé, et conclut qu'ils doivent leur origine au patriarche Joseph, lorsqu'il voulut prévenir la famine dont l'Égypte était menacée.
Les pyramides, selon un autre système, furent érigées, ainsi que les obélisques, en l'honneur du soleil : elles étaient aussi destinées à représenter le tombeau d'Osiris, autour duquel devaient toujours tomber les rayons de l'astre qui nous éclaire.
Ce que nous devons le plus admirer dans ces anciens monuments, dit un savant de nos jours, c'est la preuve certaine et subsistante qu'ils nous fournissent de l'habileté des Égyptiens dans l'astronomie. M. de Chazelles dant il s'agit ici, en mesurant la grande pyramide, trouva que les quatre côtés étaient exposés précisément aux quatre parties du monde, et qu'ainsi ils marquaient la véritable méridienne de ce lieu, c'est-à-dire qu'ils pouvaient servir de cadran solaire. (...)
Le sentiment de ceux qui regardent les pyramides comme des tombeaux fastueux élevés par les Rois, paraît le plus vraisemblable, puisque la passion favorite des anciens Égyptiens était de se faire de leur vivant des sépultures magnifiques et solides, où leurs corps fussent à l'abri de la corruption et des entreprises des hommes.
Les Monarques d'Égypte ne firent point tant de dépenses pour leurs palais, parce qu'ils ne les regardaient que comme des demeures passagères. (...)

La “merveille barbare”

Tâchons maintenant de décrire, d'une manière amusante, ces fameuses pyramides, qu'Horace appelle une merveille barbare. La plus grande qu'on ait jamais bâtie, et dont les ruines subsistent encore sur les bords du Nil, couvrait de sa base jusqu'à huit arpents de terre.
La plus haute pyramide est presque trois fois plus élevée que les tours de Notre-Dame de Paris. Elle est composée de pierres exactement liées, qui ont chacune trente pieds de long : on ne peut concevoir de quelles machines les Égyptiens se servaient pour parvenir à les mettre en place. Chaque face a autant de hauteur que de largeur, mesurée à sa base ; elle n'est pas moindre que de huit cents pieds.
Ce qui paraît tout-à-fait étonnant, c'est que, quoique ces rnonuments aient été bâtis sur des montagnes d'un roc vif, les matériaux employés à leur construction n'ont point été tirés de ces montagnes, ni même des environs.
Parmi le nombre prodigieux de pyramides qu'on rencontre en Égypte, on en remarque qui sont bâties perpendiculairement, et qui ont de grands degrés, sur lesquels il est impossible de monter, parce que chaque marche a trente ou quarante pieds de haut.
Des voyageurs présument que les pyramides furent revêtues d'une pierre polie ; et Pline prétend que, quoiqu'elles fussent très glissantes, il y avait des hommes assez adroits pour monter jusqu'au sommet. Il est pourtant bien difficile actuellement de parvenir à la pointe de la plus considérable des pyramides ; les degrés n'en sont point réguliers ; ils ont, pour le moins, trois pieds de hauteur chacun, et n'ont guère qu'un pied de large : il y en a deux cent quarante-trois. Le sommet, qui paraît fort pointu d'en-bas, est une plate-forme qui a plus de vingt pieds en carré, et sur laquelle cinquante hommes pourraient être fort à l'aise. Cette belle plate-forme est couverte avec six grandes pierres ou morceaux de marbre. Quelque vigoureux que l'on soit, si l’on veut tirer une flèche du haut de la pyramide, la flèche tombe à peine au milieu de la base. (...)

À l’intérieur de la grande pyramide

On ne pénètre que dans l'intérieur de la grande pyramide, et ce n'est pas sans beaucoup de peines et de dépenses qu'on est parvenu à y pratiquer une ouverture : ceux qui l'ont faite s'imaginaient sans doute se procurer des trésors. Il leur fallut employer non seulement le secours du levier et du ciseau, mais encore l'eau bouillante afin de dissoudre le ciment qui réunissait ces pierres énormes.
Avant de pénétrer dans la pyramide, on emploie deux Arabes à ôter le sable qui en bouche entièrement la première entrée, et que le vent y apporte chaque jour. On se dépouille ensuite jusqu'à la chemise, à cause de la chaleur excessive qu'il fait dans l'intérieur. En ce singulier équipage on commence un voyage très pénible, en tenant une bougie à la main : il serait dangereux de se servir de flambeaux dans cette avenue étroite, car on risquerait d'être suffoqué par la fumée ; aussi ne les allume-t-on que dans les endroits les plus spacieux.
Avant de s'engager dans l'intérieur, il faut avoir la précaution de tirer quelques coups de pistolet, pour obliger les chauves-souris à déguerpir ; elles y sont en si grand nombre qu'il semble que ces superbes monuments n'aient été construits que pour elles.
Au bout de l'avenue est un passage qu'on a pratiqué par force, et dont l'ouverture est à peine d'un pied et demi de hauteur, et deux de largeur. Les Arabes qui s'y sont glissés les premiers saisissent chacun une jambe des curieux, et tirent leur homme à travers ce passage étroit, où bientôt il est tout couvert d'ordures. Heureusement ce défilé n'a pas plus de six pieds de longueur, autrement personne ne voudrait se soumettre à une manière de voyager si désagréable. On enfile ensuite un second canal très glissant, mais dans lequel on a pratiqué des trous de distance en distance, qui facilitent le moyen de marcher en sûreté, quoiqu'il faille s’arrêter à chaque pas.
Pour descendre à la chambre basse, il n'y a d'autre issue qu'une espèce de puits, sans degrés, L'usage est d'y descendre et d'y monter, comme font les Savoyards dans nos cheminées. Et que voit-on pour prix de tant de peines ? Des pierres, des décombres, et une niche sans statue. Le seul objet un peu curieux qu'offre cette chambre, c'est qu'on y entend un écho qui répète jusqu'à douze fois plusieurs mots fort distinctement, et à qui l'on fait parler le français et l'arabe tout à la fois.
Le quatrième canal qui mène à la chambre supérieure est si glissant et si peu praticable que si l'on manquait de bien arrêter son pied dans l’une des entailles faites dans le marbre, il serait impossible de se retenir, et l'on tomberait vingt-deux pieds de profondeur : parvenu à cette chambre, on tire, pour s'amuser, des coups de pistolet, qui font un bruit égal à celui du tonnerre. (...)
Quand le calife Almamoun entra en Égypte, vers 820, il voulut découvrir ce qui pouvait être renfermé dans la principale des trois pyramides des environs du Caire, quoiqu'on lui représentât qu'il était impossible de satisfaire sa curiosité : il se fraya une entrée à force de vinaigre bouillant, de feu et d'instruments trempés d'une manière particulière. (L'ouverture qui existe encore est due à ce calife.) Il trouva, dit-on, dans l'épaisseur d'un gros mur, un trésor qui le dédommagea amplement de la dépense qu'il avait faite. Indépendamment de plusieurs corps qu'on découvrit sous des voûtes, enveloppés dans des bandes de toile, on aperçut, tout au haut de la pyramide, une pierre creuse dans laquelle était la statue d'un homme, et dans cette statue un corps qui avait une plaque d'or sur l'estomac, enrichie de pierres précieuses ; à ses côtés une épée d'un prix considérable, et sur sa tête une escarboucle grosse comme un œuf. Au-dessous de la pierre, il y avait des caractères que personne ne put expliquer. Quelque temps après qu'Almamoun eut visité tous ces lieux souterrains, plusieurs personnes y pénétrèrent et y périrent, sans qu'on ait su la cause de leur mort.”