vendredi 31 août 2018

"Ce sont des monuments d'un aspect un peu rude, car le temps, malgré tout, a fait son œuvre de destruction, mais ils laissent un souvenir inoubliable." ( un guide de voyage du début du XXe s.)


Comment visiter l'Égypte est un guide de voyage édité en 1911, par "un groupe de fonctionnaires des Chemins de fer de l'État égyptien", avec des illustrations de l'aquarelliste britannique Augustus Osborne Lamplough (1877-1930). 
On trouvera ci-dessous de larges extraits du chapitre consacré aux pyramides. Certes, les moyens de transport pour accéder au site de Guizeh ont changé, se sont améliorés, mais, aujourd'hui comme hier, "le voyageur est frappé de la grandeur de ces monuments restés immuables au milieu des siècles".
 
"Vue du Nil à Sakkara", par A. O. Lamplough
 "Aujourd'hui rien n'est plus facile que de se rendre à Mena House et aux Pyramides. (...) Après la saison des inondations, l'eau se retire, laissant à sa place un immense tapis de verdure. Cette route fut construite par Ismail Pacha en très peu de temps. Elle fut destinée à permettre à Sa Majesté l'Impératrice Eugénie de se rendre aux Pyramides lors du voyage qu'elle fit en Égypte pour l'inauguration du canal de Suez. Aujourd'hui, les arbres ont grandi, les automobiles circulent, croisant des théories de chameaux, des indigènes et des cyclistes de toutes nationalités. Lorsque le tram arrive à l'extrémité de la route, il est entouré par une foule d'arabes, d'âniers, de chameliers assez criards, maintenus toutefois par la police. L'arrêt du tram se trouve à côté de Ména. C'est à cet endroit que généralement les voyageurs s'arrêtent après leur visite aux Pyramides et au Sphinx, soit pour déjeuner, si c'est le matin, soit pour prendre le thé vers le soir avant de rentrer au Caire. 
À gauche de Ména on suit sur la colline un chemin tournant qui conduit aux Pyramides. Le voyageur est frappé de la grandeur de ces monuments restés immuables au milieu des siècles. Leur grande masse dépouillée de leurs anciens revêtements, excepté pour la deuxième où on en voit encore une partie, est fort imposante. Ce sont des monuments d'un aspect un peu rude, car le temps, malgré tout, a fait son œuvre de destruction, mais ils laissent un souvenir inoubliable. Le Sphinx est encore plus impressionnant avec son regard extatique sondant les profondeurs de la voûte céleste, et semblant chaque matin contempler le lever du soleil. (...)
Mais revenons aux Pyramides.

Elles sont au nombre de trois. La Grande, de Chéops, la seconde, de Kéfren, et la troisième, plus petite, de Micérinus ou Menkera. Elles datent toutes de la quatrième dynastie. (...) 

Les Pyramides semblent constituées par un noyau de rochers autour duquel ont été apportées et entassées de grandes pierres calcaires taillées et unies ; elles étaient recouvertes à leur tour par un revêtement qui a été renouvelé à différentes époques. Il ne reste de ce dernier qu'une partie encore visible sur la deuxième Pyramide. La surface unie du revêtement était couverte d'écritures et inscriptions. De grands couloirs intérieurs donnent accès aux chambres funéraires qui ont contenu les momies royales. Près de chaque Pyramide se trouvait une chapelle dédiée au monarque défunt.
L'ascension de la Grande Pyramide peut être exécutée avec une facilité relative. De son sommet la vue embrasse un admirable panorama. 
La Grande Pyramide fut ouverte par le Khalife El Mamoun, l'an 820 de notre ère, dans l'espoir d'y trouver des trésors. L'entrée pratiquée à ce moment est actuellement obstruée. La porte naturelle se trouve à environ 12 mètres de la base dans la partie nord. Un grand couloir vouté conduit à la chambre funéraire, qui se trouve placée à 27 mètres en dessous de la base et 40 mètres du point d'entrée. Mariette soutenait que c'était une fausse chambre destinée à tromper les voleurs. Un passage supérieur conduit au centre de la Pyramide et amène à la chambre de la reine. Mariette fait observer que l'entrée de la grande galerie était fermée, de sorte que les visiteurs pouvaient parfaitement ignorer cette partie de la Pyramide. La grande galerie a 46 mètres de longueur sur 2.13 de largeur et 8.50 de haut. C'est elle qui conduit à la véritable chambre où reposait la momie du roi. Dans cette chambre on a trouvé les restes d'un sarcophage en granit rouge. 
Une légende dit que la plus petite Pyramide, celle de Micérinus, a été construite par une princesse qui se procurait des ressources par des procédés douteux. Une autre version dit qu'elle est due à Rodophis, mais elle doit être attribuée à Micérinus. C'est ce dernier auquel les dieux avaient révélé qu'il n'avait que dix ans à vivre. Aussi pour doubler cette période il eut l'artifice de changer la moitié des jours en nuits.
Voici la traduction de l'inscription qui se trouve sur le couvercle du sarcophage de Micérinus découvert dans la troisième Pyramide : "Ô Osiris, Seigneur des deux terres, Menkera qui vis éternellement, fils du ciel, né du sein de Nut, engendré de Gabou ; ta mère Nut s'incline vers toi du haut du ciel. Elle t'a fait un dieu et a anéanti tes ennemis. Ô roi Menkera qui vis éternellement."  

Version anglaise du guide : cliquer ICI

"Lieu d'échanges entre le monde d'ici-bas et l'univers des puissances célestes" (Henri Stierlin, à propos de la signification de la forme pyramidale)

Historien d’art et d’architecture, journaliste professionnel, photographe, Henri Stierlin est né en 1928 à Alexandrie. 
Son ouvrage Les Pharaons bâtisseurs, éditions Terrail/Édigroup, 2007, est consacré à l'"immense chantier" conduit par les pharaons durant 3.000 ans, une architecture qui "a produit certains des plus grands chefs-d'oeuvre de l'humanité". Ce vaste périple nous conduit de Saqqarah à Philae, en passant par Karnak, Abou Simbel, etc., et bien sûr Guizeh, une douzaine de pages du livre étant consacrées à "l'âge des grandes pyramides".


L'auteur rappelle en préambule que pour parvenir à son zénith dans sa forme et les techniques mises en oeuvre, l'architecture des grandes pyramides a tiré profit des expériences précédentes de ce mode de construction.
Il développe ensuite brièvement la signification de la forme pyramidale dans l'ancienne Égypte, "d'abord escalier géant gravissant le ciel à la rencontre de Râ, le Soleil, puis symbolisant avec la pyramide véritable les rayons de ce même Soleil-dieu". "Lieu d'échanges entre le monde d'ici-bas et l'univers des puissances célestes, des astres immortels vers lesquels monte le pharaon ressuscitant pour s'asseoir à la droite de Râ, son père, comme l'écrivent les Textes des Pyramides, ce triangle pointé vers le ciel est en quelque sorte une 'échelle de Jacob' que gravissent et descendent les messagers des dieux." (p. 44)
Puis se présente l'inévitable question des méthodes d'édification.
Pour le transport des blocs de pierre, voici ce que retient Henri Stierlin : "C'est sur des traîneaux tirés par des équipes d'hommes attelés à des cordages que l'on déplaçait les blocs : grâce à une couche de limon du fleuve soigneusement arrosée - comme le montrent des reliefs anciens -, les patins de ces "charrois" glissaient sur le sol. Par des rampes, on faisait ainsi monter les matériaux vers le plateau désertique de Guizeh. Encore fallait-il, au fur et à mesure que la pyramide s'élevait par assises successives, hisser les pierres jusqu'au niveau atteint par le chantier.
Un complément d'explication étant évidemment nécessaire, l'auteur reconnaît d'emblée que "diverses hypothèses s'affrontent ou se complètent", les deux retenues étant celle de Lauer ("construction simultanée d'une large rampe de brique séchée, s'appuyant sur l'une de faces de la pyramide") et celle des "rampes hélicoïdales de brique enveloppant la pyramide et s'élevant en pente douce". Cette seconde "formule", selon Henri Stierlin, "a le mérite d'expliquer comment s'effectuait le travail de ravalement du parement recouvrant le massif construit" ; par ailleurs, elle "est la plus vraisemblable en ce sens qu'elle correspond effectivement aux exemples connus pour les chantiers des pylônes du Nouvel Empire".

L'auteur mentionne également un aspect du chantier de construction - et non des moindres ! -dont la compréhension reste encore en suspens : "On se gardera d'oublier, en outre, que les chambres internes des grandes pyramides étaient parées et couvertes de formidables dalles de granit d'Assouan pesant des dizaines de tonnes. De même, les chambres de décharge, ménagées au-dessus de la salle sépulcrale, nécessitaient des chevrons de pierre dont les "poutres" énormes devaient poser des problèmes ardus à des entrepreneurs privés de machines de levage."

"La perfection que l'on constate, conclut-il au terme de ce court développement qui met en avant plus de questions qu'il ne suggère de solutions, suppose un patient travail collectif, une volonté animée par une foi commune dans le rôle bénéfique ou même salvateur du pharaon dieu.
  

jeudi 30 août 2018

Un catalogue des pyramides d'Égypte, par Michel-François d'André-Bardon (XVIIIe s.)

Extraits de Costume des anciens peuples1772-1774, par Michel-François d'André-Bardon (1700-1783) artiste-peintre, graveur et historien d'art français. 
Considéré comme l'un des plus grands théoriciens du XVIIIe siècle, cet artiste historien n'a, semble-t-il, jamais visité l'Égypte. D'où ses approximations dans la description qu'il propose des pyramides.



Planche II
"Les pyramides d'Égypte étaient réservées pour les Rois, les Héros et les personnages les plus distingués. Les gens riches, les courtisans en faveur obtenaient qu'on leur érigeât de magnifiques tombeaux. Dans celui qu'on voit ici (a), et qu'on assure avoir été construit sous le règne des Ptolémées, l'urne (b) était, dit-on, de verre antique ; le piédestal (c) de porphyre, les marches (d) de marbre veiné, le bas-relief (e) de bronze bruni, et l'obélisque (f) de marbre blanc : sa forme se ressent du mélange que les Architectes faisaient alors du style grec avec le style égyptien ; c'est-à-dire, des contours très simples avec d'autres plus tourmentés, qui, par leurs cadancements, rendaient à bien des égards l'objet plus souple, et qui ne démentaient point le caractère général : en un mot, c'était l'association ingénieuse de deux goûts différents dans la construction d'un même corps ; association qui ne nuisait aucunement à la solidité, et qui présentait des nouveautés, intéressantes, comme on en juge par les pyramides les obélisques (g, h), qui sont autour du tombeau.


Planche III

On voit dans ces trois fameuses pyramides la seule des sept merveilles du monde, que le temps nous ait conservée. Des voyageurs qui ont mesuré les deux premières (a, b) attestent que l'une (a) avait à sa base huit cents pieds de chaque côté et autant de hauteur. On n'aura pas de peine à le croire, quand on saura que d'en bas elle paraît se terminer en pointe, quoiqu'elle ait sur le haut une plate-forme de seize pieds en carré ; l'autre (b) avait six cent trente-un pieds de tous côtés et de hauteur. Quoiqu'on n'ait pas les dimensions particulières de la troisième (c), les historiens assurent qu'elle n'avait que vingt pieds de face de tous côtés, et qu'elle fut bâtie pour la fameuse courtisane Rhodopé. 
Des deux premières, la plus grande fut érigée pour servir de tombeau au Roi Thémis ; la seconde pour la sépulture de Cheopez son frère : tel est le témoignage de Polydore-Virgile. Ce qu'on sait de plus assuré, c'est que ces pyramides furent
érigées dans des temps différents, près de Memphis, à quelques lieues du Caire, où on les voit encore aujourd'hui. Cent ouvriers travaillèrent vingt ans à la première ; et les historiens rapportent que la dépense seule de la nourriture en légumes des travailleurs montait à quatre millions cinq cent mille livres. 
Des sphinx qui sont auprès, l'un (e) a des ailes, l'autre (f) n'en a point. Les Égyptiens ont adopté plus volontiers le symbole du premier, les Grecs ont adopté plus souvent la simplicité du second. Les variétés que l'on rencontre dans le choix de ces peuples, à cet égard, rendent les ailes de sphinx presque arbitraires, relativement aux artistes. 


Planche IV
Ce monument sépulcral a, est sans contredit, des plus somptueux qui ait jamais été construit. On ignore le souverain pour qui il fut destiné. Les dimensions ne nous en sont pas connues ; mais le contraste des figures (b, c, d) qu'on y voit, fait sentir son immensité.
Nous nous bornerons à rappeler, à l'occasion de ces tombeaux, la judicieuse réflexion d'un historien de notre siècle. Peut-on les considérer, dit Rollin, sans être surpris, que les Rois d'Égypte employassent les travaux de milliers d'hommes, pendant un grand nombre d'années, et fissent de prodigieuses dépenses, qui se terminaient à procurer à leur cadavre, dans cette vaste étendue et cette masse énorme de bâtiments, un caveau de six pieds.


Planche V
Moeris, Roi d'Égypte, fit ériger ces pyramides (a, b) pour lui et pour la Reine son épouse, au milieu du grand lac (c) qui avait été creusé par ses ordres et qui porte son nom : on le regardait comme un des admirables ouvrages des souverains égyptiens. Il avait cent quatre-vingts lieues de tour et trois cents pieds de profondeur. On retrouve dans toutes les parties des monuments construits sur ce lac la grandeur, la noblesse et l'élégante simplicité qui caractérisent le bel
Égyptien, enrichi des sublimes principes de la Grèce. Les pyramides élevées aux deux côtés du mausolée (d), qu'on érigea en forme de temple pour déposer le corps du roi, tandis qu'on les construirait, étaient terminées par des espèces de chapelles (e, f) ou étaient deux figures colossales que la hauteur empêchait d'apercevoir ; elles s'élevaient de cinquante toises au-dessus de l'eau et se cachaient d'autant
dans le lac. On arrivait à l'entrée des caveaux par trois perrons ; et aux chapelles, par des marches extérieures (g,h), qui étaient aux faces des monuments. Les édifices (i, k) bâtis sur les bords du lac, le lac lui même et les vaisseaux (l) qui y sont, donnent une assez juste idée de l'immensité des pyramides, qui se trouve encore confirmée par la petitesse des figures qui montent aux caveaux."

mercredi 29 août 2018

"Le chef-d'oeuvre des ouvriers qui ont bâti la grande pyramide, c'est l'appareil de la grande galerie" (Georges Perrot, Charles Chipiez - XIXe s.)

Extraits de Histoire de l'art dans l'antiquité - Tome premier : L'Égypte, 1882, par Georges Perrot (1832-1914, professeur à la Faculté des Lettres de Paris, membre de l'Institut) et Charles Chipiez (1835-1914, architecte, inspecteur de l'enseignement du dessin).
Ces deux auteurs ont entrepris ensemble, à la fin du XIXe siècle, un long voyage d’études de l’architecture antique, qui les mène en Grèce, Turquie, Iran, Égypte et Italie. 
À propos de la construction des pyramides d'Égypte, ils s'attardent sur la théorie de Lepsius qu'ils résument en ces termes :

"Des observations qu'a faites Lepsius sur l'appareil et les détails de construction qu'il a observés dans différentes pyramides, on a tiré, en Allemagne, un système assez compliqué ; pour qu'on le saisisse plus aisément, nous représentons dans plusieurs états successifs une pyramide de grande dimension qui aurait été construite par les procédés qu'on nous indique. 

On aurait commencé par élever une première pyramide très étroite et très effilée, à pentes assez rapprochées de la verticale. Celle-ci terminée, on aurait appuyé contre ce massif des assises qui, en s'élargissant vers le bas, donnaient une seconde pyramide ; celle-ci enveloppait la première et ses arêtes dessinaient avec le sol des angles bien plus aigus. C'était par le prolongement et la rencontre de ces dernières arêtes qu'était formée la pointe du monument, un seul bloc à quatre faces, soigneusement taillé. Cette pierre terminale, on pouvait, si l'on voulait, la mettre en place ; alors l'ouvrage était achevé ou à peu près ; il ne restait plus à faire que le revêtement. On pouvait au contraire, si l'on croyait avoir du temps devant soi, chercher à pousser plus haut la tombe ; alors, au point où les arêtes de la pyramide provisoire rencontraient le sol, on élevait quatre murs verticaux ou en talus que l'on prolongeait jusqu'au niveau du sommet de cette pyramide ; on remplissait tout l'espace vide entre ces murs et les faces inclinées et l'on obtenait ainsi une sorte degré ou de terrasse, qui servait de base à un nouveau noyau pyramidal. Celui-ci disparaissait à son tour sous une pyramide à plus large section et à pente plus douce dont les arêtes, en allant chercher le sol, dépassaient l'extrémité du gradin. Cette opération, si le règne était long, pouvait se répéter plusieurs fois."

Les auteurs émettent ensuite quelques importantes réserves sur ce mode de construction (sans pour autant, semble-t-il, en privilégier un autre) :
"Cette théorie semble donc expliquer d'une manière satisfaisante certaines particularités curieuses, et cependant, quand on y regarde de près, que d'objections elle soulève ! Plus d'une fois, les explorateurs des pyramides, quand ils étaient à la poursuite des passages perdus et des chambres cachées, se sont frayé violemment une route à travers la maçonnerie ; ni dans ces puits et ces brèches, ni dans les couloirs antiques qu'ils ont fini par découvrir, ils n'ont trouvé trace des raccords qui auraient été nécessaires pour relier et pour incorporer l'un à l'autre des massifs construits successivement et limités par des surfaces diversement inclinées ; du moins n'ont-ils rien signalé de pareil. Le massif cubique qui vient envelopper la double pyramide par laquelle a débuté l'ouvrage ne laisserait-il pas reconnaître ses flancs presque verticaux, au milieu des assises qui seraient venues l'envelopper pour se rajuster à la pointe de la quatrième pyramide et en prolonger les faces jusqu'à la rencontre du sol ? Ces différentes parties de l'oeuvre ont été, nous dit-on, exécutées séparément ; pour que, de l'une à l'autre, les matériaux et l'appareil fussent tout semblables, pour que les pierres fussent juste d'égale hauteur et se correspondissent assise par assise, il aurait fallu des précautions minutieuses et un soin religieux du détail qui ne sont guère dans les habitudes des ouvriers égyptiens. Comment, sans pierres d'attente en parpaing, éviter les glissements qui ne pouvaient manquer de se produire sur les plans de rencontre, au contact de lits de maçonnerie qui seraient restés indépendants, quoique bâtis en différentes fois et par des mains différentes ? Ou bien si l'on a eu l'attention de les rattacher étroitement les uns aux autres, on doit voir la couture ; qu'on nous la montre ! Qu'on nous montre les retouches qui ont été indispensables pour continuer, à travers les nouvelles enveloppes qui se superposaient, les corridors des chambres. Ces retouches, certaines tailles de pierre les révéleraient tout d'abord à un oeil exercé. Nous ne disons pas que l'on ne peut rien rencontrer de pareil dans l'épaisseur de l'appareil intérieur, mais ce sont là les preuves qu'auraient dû commencer par fournir les défenseurs du système."  

Un autre extrait des longs développements des auteurs mérite d'être mentionné :


"Le chef-d'oeuvre des ouvriers qui ont bâti la grande pyramide, c'est l'appareil de la 'grande galerie', en avant du vestibule qui précède la chambre royale. Comme elle est haute de plus de 8 mètres et large de plus de 2, on y respire plus à l'aise que dans les couloirs étroits et bas par lesquels on a cheminé jusque-là ; on s'arrête donc volontiers en cet endroit. Tous les voyageurs qui ont visité la pyramide ont conservé le souvenir de ces beaux blocs de calcaire du Mokattam, dont est faite la paroi lisse et polie ; la face externe de ces blocs a été ravalée avec un soin qui n'a pas été dépassé dans les constructions helléniques les plus parfaites, telles que celles de l'Acropole d'Athènes. Les faces internes des blocs, celles qui sont en contact les unes avec les autres, n'ont pas été dressées ici avec moins de patience et d'habileté ; aucun ciment n'a été employé dans cet appareil, et l'adhérence est si parfaite, que, comme le dit Abd-ul-Latif, "on ne pourrait introduire dans les joints ni une aiguille ni même un cheveu". Ces joints sont à peine visibles ; on ne les distingue pas sans une grande attention. La couverture de cette salle n'a pas été moins bien étudiée."

Un autre morceau choisi de cet auteur dans l'Égypte entre guillemets :  

"Les premières impressions qui soient demeurées dans la mémoire de l'humanité, c'est l'Égypte qui les a conservées" (Georges Perrot, Charles Chipiez)

lundi 27 août 2018

"En groupe et de quelque côté qu'on les regarde, (les pyramides) sont l'image pérenne d'une vie, d'une mort et d'une éternité harmonieuses et intimement liées." (É. Drioton, P. du Bourguet)


Extraits de l'ouvrage Les pharaons à la conquête de l'art, 1965, d'Étienne Drioton et Pierre du Bourguet.
Le chanoine Étienne Marie Félix Drioton (1889-1961) fut nommé en 1936, par le gouvernement égyptien, directeur des Antiquités de l'Égypte en remplacement de Pierre Lacau, et professeur à l'institut d'égyptologie de l'université Fouad Ier au Caire. Il conserva ces fonctions jusqu'en 1952.
Le jésuite français Pierre du Bourguet (1910-1988), archéologue, égyptologue et historien de l'art paléochrétien, copte et byzantin, fut membre de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire entre 1953 et 1957. 



auteur de cette photo non identifié
"Il n'est pas indifférent, lorsqu'on se dirige vers le plateau de Gizeh, de se rappeler que la première des trois grandes pyramides était regardée par les Grecs comme l'une des sept merveilles du monde. Ils ne s'y étaient pas trompés : quand on a parcouru (...) le chemin qui mène jusqu'à elles, on ne peut que donner raison à ces grands connaisseurs de la Beauté. La forme générale du monument, les procédés de construction, le matériau, tout était à pied d'oeuvre. Restait une question capitale et à laquelle Snefrou, consciemment ou non, avait achoppé : celle du calcul des meilleures proportions. Il semble bien que Khéops, reprenant l'idée où son père l'avait laissée, ait bénéficié d'un esprit mathématique plus précis et d'un sens plus impérieux de l'art. Le fait est qu'il a brillamment résolu le problème. Plus que le colossal et dans le colossal même, c'est l'intelligence et le goût qu'il faut admirer. 
De cet esprit mathématique des preuves subsistent : c'est, par exemple, la rigoureuse égalité - il s'en faut de quelques centi- mètres - entre les longueurs de base des quatre faces, chacune allant pourtant jusqu'à 230 m ; c'est encore l'exactitude de l'orientation de la pyramide en regard des points cardinaux, l'écart étant seulement de 3' 6" ; c'est l'élévation d'un monument gigantesque aux rapports parfaits... 
Khéops, en effet, a profité des expériences immédiatement antérieures. Quelle que soit la théorie que l'on adopte sur la suite des constructions dans le groupe précédent, Khéops, en tout cas, conçoit nettement, dans une simplification plus poussée des éléments traditionnels, l'équilibre à réaliser. Au lieu d'une base large et d'une pente douce (Dahchour Nord), ou d'une base étroite et d'une pente raide (Ier état de la "rhomboïdale"), il prend le juste milieu, en gardant une base large (230 m de côté) et une pente (52 degrés) qui, pour une base étroite, eût semblé très raide. Il développe ainsi, en y restant fidèle, les proportions de la pyramide de Meidoum, mais pousse dans le sens de la simplification, sans doute déjà inauguré dans la "rhomboïdale". 
La réalisation justifie son attente. La pyramide peut s'élever d'un seul jet, atteignant plus de 146 m et gardant des proportions dont l'harmonie dans le gigantesque sonne comme un défi aux réalisations les plus audacieuses d'aujourd'hui.(...)  
Si l'on regarde la pyramide en s'éloignant un peu du plateau, elle apparaît comme une sorte de prolongement de celui-ci vers le ciel. Elle n'est pas couchée et comme appesantie sur le sol à la façon de celle de Dahchour Nord, ni pointant de façon aiguë comme un obélisque plus renflé, mais elle s'élève dans les proportions les plus parfaites. Le rapport, en effet, de la base au sommet n'est pas de la simple moitié comme dans celle de Dahchour Nord, mais excède la moitié d'un bon sixième, conférant ainsi à cette masse la hauteur nécessaire pour éliminer la lourdeur tout en conservant la puissance. 

Édifiées sur des bases analogues (143 m de haut sur 215 m de côté à la base, avec une pente de 52 degrés ; 62 m de haut sur 108 de côté à la base avec une pente de 51 degrés), les pyramides de Khéphren et de Mykérinos forment avec celle de Khéops une suite harmonieuse. Légèrement plus petite, mais posée sur une assise plus élevée, et de mesures peut-être plus audacieuses, la première dresse à son tour, face au monde, l'affirmation de la puissance des pharaons. 
De mêmes proportions que celle de Khéphren, mais réduite de moitié, la pyramide de Mykérinos est davantage à l'échelle humaine. Et par comparaison avec ses deux prédécesseurs qui, selon Hérodote, auraient laissé le souvenir de despotes cruels, le monument qu'il a élevé reflète le sentiment, qu'il a imprimé dans l'esprit de ses sujets, d'un roi plein de bonté et d'intelligence. 
Encore, à propos de Khéops et de Khéphren, les traditions rapportées après plus de deux mille ans par les prêtres égyptiens à l'historien grec, - même appuyées par des allusions, d'ailleurs trop vagues, contenues dans des satires populaires très postérieures à l'Ancien Empire -, sont-elles sujettes à caution. Elles ne font sans doute que durcir dans la mémoire des générations l'impression que devaient donner par contraste deux pharaons d'une puissance fulgurante et un troisième chez lequel elle s'affaiblit ; contraste accusé par les proportions de leurs pyramides respectives. 
À une époque surtout comme celle de la IVe dynastie, les grandes pyramides ne pouvaient être l'oeuvre de sujets traités comme des esclaves et contraints sous le fouet d'exécuter les fantaisies d'un maître dur, elles témoignent au contraire de l'enthousiasme religieux, comparable à celui des bâtisseurs de cathédrales, d'un peuple qui, en assurant les conditions de la survie pour son souverain, fils des dieux, est conscient de travailler pour sa propre éternité.  

Considérées dans ces perspectives humano-divines, les trois grandes pyramides profilent sur l'horizon un ensemble unique. Isolée, chacune retiendrait l'attention de l'artiste par ses proportions : celles-ci soulignent encore le but de l'architecte d'exprimer, par cette tour dont la pointe est entre ciel et terre, une sorte irradiation du soleil sur le monde et, réciproquement, de faire monter les aspirations du monde vers le soleil. En groupe et de quelque côté qu'on les regarde : en enfilade, de trois-quarts ou de face, avec leurs pierres ocre qui se marient si bien avec le rayonnement éclatant du plein jour ou qui revêtent les couleurs mordorées, puis violettes du crépuscule, contemplées dans leur gradation montante ou descendante, se détachant nues, sous le feu du soleil ou sur les voiles de la nuit, elles sont l'image pérenne d'une vie, d'une mort et d'une éternité harmonieuses et intimement liées."

dimanche 26 août 2018

"L'orientation (de la Grande Pyramide) stupéfie par sa précision. Aucun de nos appareils actuels ne permettrait un meilleur résultat." (François Daumas)

François Daumas (1915-1984) fut pendant dix ans (1959-1969) directeur de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire.
Le texte qui suit est extrait de son ouvrage La Civilisation de l'Égypte pharaonique, 1965.

photo Marc Chartier
"Khéops fit ménager, dans sa pyramide prodigieuse de Gizâ, trois chambres : une souterraine et deux autres dans la masse de la construction. On accédait aux deux chambres supérieures par une galerie fort haute qui est un chef-d'oeuvre. Sur les parois, chaque lit, composé de blocs énormes, est légèrement en saillie sur le précédent, de sorte qu'au sommet la portée est extrêmement faible et que l'étroit plafond ne risque pas d'être brisé par le poids des pierres qui les surmontent. Le sarcophage ébréché du roi est encore dans la chambre sépulcrale. C'est la plus grande des pyramides et la plus parfaite. Son orientation stupéfie par sa précision. Aucun de nos appareils actuels ne permettrait un meilleur résultat. Elle mesurait à la base 440 coudées égyptiennes qui représentent environ 230 mètres. Sa hauteur ancienne était de 280 coudées, c'est-à-dire 146,60 m. Elle était entièrement revêtue de calcaire poli de Toura.

Cette masse parfaitement équilibrée et harmonieuse a étonné plus tard tous les visiteurs et a induit les imaginations à prendre le large. Hérodote, d'habitude si exact, colporte ici tous les ragots incontrôlés qui lui ont été débités sur l'impiété du roi et la fermeture des temples. Les historiens arabes divaguent à son sujet. Ils ont pourtant été largement surpassés par quelques modernes, qui ont réussi à y lire une anticipation de l'histoire générale ou à y voir un compendium de la science universelle. Ils s'arrêtent malheureusement toujours au moment où les choses deviendraient intéressantes : ils n'ont par exemple jamais réussi à y déchiffrer le futur ou des lois scientifiques qui attendent encore d'être découvertes... 

Les dynasties suivantes diminuèrent les dimensions de leurs pyramides et, finalement, les chambres souterraines se complètent et paraissent contenir côte à côte les deux ou trois tombeaux nécessaires aux pharaons Le Moyen Empire reprit la tradition des pyramides. Mais lorsque la XVIIe dynastie thébaine chassa les Hyksos, elle conserva le procédé de ses ancêtres qui creusaient leurs hypogées funéraires dans la falaise occidentale.
Il ne faudrait pourtant pas croire que les pyramides étaient seulement des tombeaux. Elles concentraient autour du roi, outre-tombe, toute l'activité qui avait été celle du pays environnant. Déjà, il ne manque pas de sépultures privées autour des mastabas royaux des premières dynasties. Mais c'est sous Djéser que l'on peut saisir clairement le sens de ces monuments funéraires. Ils sont destinés à servir au ka du roi et de ceux qui l'entourent dans l'éternité. (...)

Les pyramides étaient toujours entourées d'une enceinte contenant en particulier de grandes barques. L'une d'entre elles a été retrouvée intacte au sud de la pyramide de Khéops, mais sans pour cela permettre d'établir plus clairement leur destination. Sur leur face est, à partir de Snéfrou apparemment, on édifia les temples de culte. Peut-être faut-il voir dans ce changement de place une première influence héliopolitaine. Ce temple comprenait essentiellement une fausse porte généralement en granit rose et deux stèles. Il était d'abord simple comme à la pyramide rhomboïdale de Dachour. Mais il se compliqua rapidement. Celui de Khéops comprenait une grande cour rectangulaire bordée par une galerie s'appuyant sur des piliers carrés. À la partie postérieure, on passait dans une chambre transversale qui contenait cinq niches. Un passage permettait d'atteindre l'enceinte de la pyramide à partir de la cour. Une rampe conduisait au temple de la Vallée. Elle était ornée de très fins reliefs dont on a retrouvé quelques fragments. 

Le plan du temple de Khéphren est déjà plus compliqué. Un avant-temple se composait, à droite, de quatre chapelles en albâtre qui auraient correspondu aux viscères et seraient liées aux funérailles de Bouto. Deux à gauche auraient été réservées aux deux couronnes et constitueraient un emprunt aux funérailles de Saïs. Par deux grandes salles à piliers on gagnait ensuite la cour bordée par une galerie supportée par des piliers massifs ornés de statues. Venaient ensuite les cinq niches à statues traditionnelles et, dans le fond, un étroit couloir permettait d'accéder à la stèle de granit. Le temple de la Vallée, encore bien conservé, était construit en gros blocs de calcaire local, revêtus de granit. Son entrée en chicane donnait sur une salle en forme de T renversé, soutenue par des piliers carrés, imposante et ornée de grandes statues du roi. Les dalles du sol sont d'albâtre. Ces constructions massives étaient enrobées elles-mêmes dans un énorme cube de blocs calcaires à l'intérieur duquel elles étaient ménagées.

L'architecture s'allège à la Ve dynastie, mais les plans se compliquent davantage, tout en conservant les mêmes éléments fondamentaux. La colonne, parfaitement dégagée et rationnellement employée, est courante. On dirait que les efforts des générations antérieures ont maintenant abouti à donner confiance. On n'a plus besoin de ces masses écrasantes et indestructibles La royauté pharaonique émanée du dieu Rê lui-même paraît immortelle. Il devient possible de libérer l'édifice et de le rapprocher en quelque sorte de ceux des vivants."  

Les techniques de construction des pyramides, selon Mark Lehner

Un article de Mark Lehner, concernant la construction des pyramides de l'Ancien Empire, publié dans l'Encyclopedia of the archaeology of ancient Egypt, éditée par Kathryn A. Bard, 1999

Extraits

Pyramid builders probably used ramps to raise most of the building material. Mudbrick ramps have been found near the Middle Kingdom pyramids of el-Lisht, including ramps that must have been used to raise stone up onto the pyramid of Senusret I. Construction ramps for the 4th Dynasty stone-block pyramids must have been large enough that we should expect to find sizable deposits of the material from which they were composed. At Giza, the quarries south of the pyramids are filled with millions of cubic meters of tafla, gypsum, and limestone chips. Remains of ancient ramps and construction embankments associated with structures other than pyramids at Giza are composed of such material.


Ideas about the form of pyramid construction ramps can be reduced to two major proposals: (1) a sloping straight ramp that ascends one face of the pyramid, and (2) one or more ramps that begin near the base and wrap around the pyramid as it rises during construction. Straight ramps have been found at the unfinished step pyramids at Sinki (South Abydos) and Saqqara (that of Sekhemkhet). Serious problems result in using a straight ramp for the higher reaches of the large 4th Dynasty pyramids. In order to maintain a low functional slope (e.g. about 1 unit of rise in 10 units of length), the straight-on ramp must be lengthened each time its height against the pyramid is increased. Either work stops during these enlargements, or the ramp is built in halves and one side serves for builder traffic while the ramp crew raises and lengthens the other half. In order to maintain a functional slope up to the highest part of the pyramid, the ramp would need to be extremely long. At Giza, this slope would take the ramp for the Khufu pyramid far to the south beyond the quarry where Khufu’s builders took most of the stone for the core of his pyramid.
The wrap-around ramp has been proposed in two major forms, either supported on the slope of the pyramid or supported on the ground and leaning against the faces of the pyramid like a giant envelope with a rising roadbed on top. Since it cloaks most of the pyramid, such a ramp makes it difficult to control the squareness and slope as the pyramid rises by checking back to the part already built. A ramp founded on the 52-53° sloping faces requires extra stock of stone on the casing blocks in wide enough steps to support it, a requirement that is not met by the unfinished granite casing on the lower part of the Menkaure pyramid. Near the top, the faces of the pyramid become too narrow to support any large ramp which would anyway become increasingly steep.
The form of the supply ramps probably changed as the pyramid rose. Near the base, the builders could have delivered stone over many short ramps. As the largest pyramids rose about 30m above ground, it is plausible that a principal ramp ran to one corner and along one side, leaning against the pyramid and gaining rise with the run. To complete the top of the pyramid, very small ramps, or levers, could have been used on steps left on the pyramid faces. Once the top was complete, the masons could have trimmed away the steps.
It has been speculated that many or most of the stones were raised by using levers to “seesaw” a block upward, raising one side at a time and placing supports underneath, then raising and supporting the opposite side, for which stepped supporting platforms would have been needed. Except for the uppermost blocks, which become smaller, it is inconceivable that such lever-lifting was used on the stepped courses of the core stone or the undressed casing stone to lift most of the blocks. Lever-lifting requires the use of well-planed wood cribbage, or stacked supports, as the blocks are raised, vastly increasing the wood requirement.
Evidence of ancient levering indicates it was mostly used for side movements and final adjustments. It is possible that levering was the only means to raise the last few blocks of the highest courses, near the apex, once the builders had brought them as far as they could on ramps.




samedi 25 août 2018

"La perspective que l'on a du sommet (de la Grande Pyramide) a quelque chose de si solennel, de si mélancolique, que l'on ne peut l'envisager sans indifférence" (Quétin - XIXe s.)

Le texte qui suit est extrait de Guide en Orient: itinéraire scientifique, artistique et pittoresque, 1846.
Quétin, son auteur, a édité, outre le présent ouvrage, plusieurs guides de voyage (Espagne Portugal, Allemagne...), ainsi que de Nouveaux dialogues... français-anglais, avec la collaboration de Richard, une nouvelle édition ayant été augmentée de dialogues sur les voyages en chemins de fer et par bateaux à vapeur.

Sur la 4e pyramide, dite de Philista, dont il est question dans le texte, voir une note "récapitulative" de Pyramidales : ICI

Illustration extraite de Voyage d'Égypte et de Nubie, de Frédéric Louis Norden (1708-1742)


Les pyramides de Djeesa

Les pyramides sont à 1 lieue 1/2 (6 kilom ) du village de Djeesa, dont elles portent le nom. La route qui y conduit passe dans un pays fertile jusqu'auprès du désert, sur l'extrême bord duquel elles sont situées. Elles sont au nombre de quatre, savoir : celle de Chéops, la plus grande ; de Céphrènes, de Mycerinus et de Philista. 
Indépendamment de ces grandes pyramides, il y a des tumuli sans nombre de la même forme, et les ruines de nombreux édifices et de mausolées, qui du sommet de la grande pyramide paraissent comme des pierres sépulcrales autour d'une église. L'on voit non loin du Sphinx les restes d'un édifice qui, d'après sa surprenante dimension, était probablement un temple. Les pierres qui ont servi à sa construction sont d'une dimension encore plus gigantesque que celles employées aux pyramides. Cette énorme nécropolis semble avoir été ceinte de hautes murailles dont on voit encore les traces. Je ne sache pas qu'aucun auteur ait encore fait mention de ce monument. Si l'on pouvait découvrir l'étendue exacte que ces murs renfermaient, on pourrait peut-être assigner le site de Memphis, sur lequel on a si longtemps discuté. 

Pyramide de Chéops 
C'est la plus grande des quatre ; elle forme un carré de 746 pieds (248 mèt. environ), et sa hauteur perpendiculaire est de 461 pieds (133 mètres), étant de 24 pieds (8 mètres) plus élevée que la coupole de St-Pierre à Rome, et de 117 pieds (39 mètres ) plus haute que celle de St-Paul à Londres. 

Montée de la grande pyramide.  
Cette montée n'est ni dangereuse ni difficile , et peut se faire dans un quart d'heure ou vingt minutes. Nolens volens, deux Arabes doivent accompagner le visiteur de chaque côté, en conséquence d'un ordre que donna le pacha à la suite d'un accident qui arriva à un Anglais en descendant cette montée, et qui lui coûta la vie. Il y a 206 rangées de marches en pierre, dont la hauteur moyenne est de 2 à 3 pieds. Vers le centre les degrés sont en grande partie rompus, mais se sont conservés parfaitement entiers aux angles ; ils sont disposés de façon à former des séries de degrés, que la personne la plus timide peut monter sans aucun danger. 
La quantité de pierres employées dans la construction de cette seule pyramide est estimée à six millions de tonneaux, et l'on prétend que cent mille hommes y ont travaillé. Les quatre angles correspondent aux quatre points cardinaux de la boussole. Le sommet comprend une aire d'environ 30 pieds carrés (10 mètres), tellement couverte d'inscriptions qu'il serait fort difficile pour le voyageur de trouver une seule place pour y inscrire son nom, sans détruire celui d'un précédent visiteur. La perspective que l'on a du sommet a quelque chose de si solennel, de si mélancolique, que l'on ne peut l'envisager sans indifférence. D'un côté l'on aperçoit le vaste et terrible désert, l'emblème du silence du tombeau, avec ses collines et ses rochers stériles de sable, interrompus seulement par les traces de quelques caravanes, dont plusieurs ont péri dans ces déserts sans bornes ; tandis que d'un autre côté, comme en compensation de cette affreuse stérilité, le Nil éternel répand dans son cours à travers la haute Égypte la fertilité parmi les champs de blé et les pâturages, parsemés de villes et de villages entourés de palmiers, de sycomores, d'orangers et de citronniers. Dans le lointain vous apercevez les dômes des mosquées du Caire, avec ses jardins, et la chaîne du Mokaltam s'élevant par derrière ; au sud, les pyramides de Sakkara, à l'est desquelles s'élèvent de petits monuments de même genre. Vers le sud est la statue gigantesque du Sphinx, au-dessous de laquelle est immédiatement une rangée innombrable de tumuli et de ruines d'où s'élèvent trois autres pyramides inférieures. 

Intérieur de la Grande Pyramide
L'entrée se trouve sur le côté du nord ; elle est remplie de pierres et de décombres jusqu'au seizième degré. Après avoir grimpé par dessus, on gagne un passage étroit d'environ 3 pieds et demi carrés, garni en entier de granit poli, et qui descend dans l'intérieur par un angle de 27 degrés. Au lieu de suivre le passage jusqu'où il a été creusé, le voyageur tourne à droite jusqu'à ce qu'il arrive à une montée rapide presque perpendiculaire, où l'on a pratiqué une fausse entrée, qu'il grimpe avec l'assistance de ses deux guides arabes, et il se trouve de nouveau dans le passage naturel qui a environ 5 pieds (1 mèt. 66 centimèt.) de hauteur et 100 de longueur (33 mèt. 30 centimèt.), formant une montée continuelle jusqu'à ce qu'il atteigne une sorte de palier, dans un coin duquel est l'entrée du puits mentionné par Pline. En allant droit en avant dans un passage étroit, on arrive à la chambre de la Reine. On trouve, immédiatement au-dessus, jointe par un plan incliné de 120 pieds de longueur (60 mètres), la chambre du Roi, qui a 37 pieds 3 pouces (12 mèt.) sur 17 pieds 2 pouces (5 mèt. 70 centim.), et environ 20 pieds de hauteur. Comme tous les passages, cette chambre est garnie entièrement de granit poli. Il y a à l'extrémité de cette chambre un grand sarcophage en marbre sans couvercle. Immédiatement au-dessus de la chambre du Roi, il y en a trois autres plus petites, où l'on monte au moyen d'échelles. Elles ont été découvertes en 1838 par le colonel Vyse ; elles portent les noms de Nelson, Wellington et Campbell, gravés sur les murs. On pourra encore en découvrir quelques autres centaines, dans un massif aussi considérable que cette pyramide. Le voyageur doit visiter toutes ces chambres, ainsi que celle de Davidson. 

Le puits
L'objet le plus intéressant qui vient ensuite est le puits dont Pline fait mention, et qui a 86 pieds cubiques de profondeur (28 mètres). La descente commence par un creux de 22 pieds de profondeur (7 mètres); à 8 pieds de celui ci il y a une autre descente perpendiculaire de 5 pieds, et à 4 pieds 10 pouces de celle-ci, il y en a une troisième.
Après avoir descendu un peu plus bas, on trouve une grotte de 14 pieds sur 4 à 5, assez élevée pour se tenir debout. De ce point, le puits va en pente ; la profondeur totale des trois creux est de 155 pieds (53 mètres environ), 30 de plus que la mesure de Pline. Au fond du puits il y a un chemin à gauche qui conduit dans le passage principal. Le voyageur a alors le choix de sortir de la pyramide par le même endroit par où il est entré, ou de pousser plus loin son exploration. 
Malgré toutes les recherches, la chambre de son royal fondateur n'a pas encore été découverte. Suivant Hérodote , elle est située dans un endroit isolé, qu'il appelle une île au centre de l'édifice, et l'eau qui la protège y vient par un canal qui communique au Nil. Si ce récit est exact, cette chambre et l'île doivent être à plus de 30 pieds au-dessous de la base de la pyramide, et doivent avoir été creusées à une profondeur
considérable dans le roc.

La pyramide de Céphrènes
Cette pyramide se trouve sur un sol plus élevé que celle de Chéops ; elle est construite de la même pierre et jointe avec le même ciment. Il est très difficile d'y monter ; cependant beaucoup de voyageurs sont parvenus à son sommet ; sa base a 684 pieds (227 mèt.), et sa hauteur est de 456 pieds (152 mètres).
Hérodote rapporte que cette pyramide n'avait point de chambres ; mais il paraît qu'elles ont été bien connues des Sarrasins, sinon des Grecs et des Romains, lorsqu'ils étaient en possession du pays.
Mais elles furent inconnues des voyageurs modernes jusqu'au 28 mars 1816, que Belzoni, après des travaux immenses, découvrit la véritable entrée. Ce passage a 4 pieds (1 mètre 30 centimètres) de large, 3 pieds 1/2 de hauteur (1 mètre 15 centimètres) et descend vers le centre sur la longueur de 104 p. 5 pouces sous un angle de 26 degrés. Ce passage, comme celui de la pyramide précédente, est doublé de larges blocs de granit poli ; vient ensuite un chemin semblable au premier, au bout duquel il y a une pente perpendiculaire de 15 pieds (5 mètres) qui conduit dans un autre passage qui descend sous un angle de 26 degrés vers le nord. Le visiteur monte ensuite un plan incliné vers un passage horizontal qui conduit à une chambre centrale d'environ 46 pieds 3 pouces (15 mèt. ) sur 16 pieds 3 pouces ( 5 mèt. 30 cent.), ayant 23 pieds 112 de hauteur (7 mèt. 75 cent.), taillée dans le roc solide du bas en haut. Un autre passage, avec une descente de 26 degrés ayant une direction à l'ouest, mène à une chambre semblable qui a 32 pieds sur 9 pieds 9 pouces (10 mètres sur 3 mètres) et une hauteur de 8 pieds 1/2 (3 mèt.). Jusqu'à présent on n'a pas découvert d'autre chambre dans cette pyramide. 

La pyramide de Mycérinus n'a que 162 pieds (54 mèt.)
de hauteur sur une base de 280 pieds (95 mètres). Elle était
autrefois revêtue de granit rouge, dont on voit de grandes
masses entassées tout autour.

La pyramide de Philista, ou la quatrième grande pyramide.
Elle est située à peu près sur la même ligne que les autres, mais un peu plus à l'ouest. Elle est de 100 pieds (33 mèt.) plus petite que la troisième pyramide ; mais elle est pareillement sans revêtement. Le sommet se termine par une seule pierre d'une grande dimension qui paraît avoir servi comme de piédestal. Ni cette pyramide ni celle de Mycérinus n'ont encore été explorées par des voyageurs modernes, quoiqu'il soit plus que probable qu'elles ont été l'une et l'autre ouvertes par les Sarrasins.

vendredi 24 août 2018

"les Pyramides sont restées là, debout, imposant témoignage qui, à la fin des temps, attestera encore la puissance de ceux qui les élevèrent." (J.D. de Bois-Robert - XIXe s.)

Extraits de Nil et Danube : souvenirs d'un touriste, 1855.
Sur l'auteur de cet ouvrage - J. D. de Bois-Robert - aucune information n'est à notre disposition. Un grand voyageur, assurément. Mais pour le reste ? On ne manquera pas de relever, sous sa plume, certaines interprétations pour le moins approximatives et fragiles, voire inexactes, concernant notamment l'origine des ouvriers bâtisseurs des pyramides ou la prétendue multiple mention du nom de Khéops dans la Grande Pyramide...

photo de Francis Frith, 1856
"... oublions l'Égypte des batailles modernes et remontons par la pensée ces quarante siècles qui nous contemplent, nous aussi chétif et obscur, du haut des Pyramides.
C'est vraiment quelque chose de mystérieusement étrange que ces monstrueux monuments, et l'esprit est confondu de penser que ces masses ont été élevées par la main de l'homme.
Pour élever des monuments gigantesques, les Égyptiens se trouvaient dans des conditions toutes spéciales. Des bancs immenses de grès et de granit leur offraient des matériaux à portée. Peu de mouvements de terrain, pour rendre difficile le transport de ces masses : et, pour exécuter ces immenses travaux, une organisation sociale qui fournissait, à défaut de machines perfectionnées comme celles de nos architectes modernes, des millions de bras esclaves.
Aussi, leurs statues sont des colosses, leurs colonnes des obélisques, leurs tombeaux des pyramides. Leurs villes, Thèbes, Memphis, étaient des montagnes de pierre et leurs temples des villes. Là est le secret de ces ouvrages inconnus aux autres nations, dont Delille a si bien dit : "Leur masse indestructible a fatigué le temps."

Les plus anciens monuments historiques nous montrent déjà ce peuple industrieux armé d'une civilisation régulière, plus de 2.000 ans avant J.-C. Longtemps avant l'ère historique, l'Égypte était le flambeau du monde. Ce flambeau, elle l'avait allumé sans doute au berceau de la civilisation primordiale dans l'Inde. Mais ici, la trace des emprunts se perd dans l'épaisse nuit des siècles.
La Grèce et l'Italie étaient encore couvertes de forêts vierges, habitées par ces sauvages autochthones dont le type peut être cherché dans les cyclopes d'Homère, dans les centaures, dans les géants vaincus par Hercule et par Thésée, quand déjà les nombreuses populations de la vallée du Nil cultivaient les arts et les sciences, vivaient sous des lois régulières empreintes d'une sagesse devenue proverbiale.
Longtemps avant Moïse lui-même, l'Égypte était déjà en possession de toute son importance politique, religieuse, scientifique. (...)
Toute cette civilisation a disparu ; mais les Pyramides sont restées là, debout, imposant témoignage qui, à la fin des temps, attestera encore la puissance de ceux qui les élevèrent.

Au reste, il y a un fait curieux qu'on a peu remarqué à propos de la construction des Pyramides : c'est que la race européenne est en droit d'en revendiquer en partie la fabrication. Ceux qui élevèrent ces gigantesques monuments furent, en effet, des Mizraïmites ou descendants de Mizraïm, enfants de Cham et de la race caucasienne, c'est-à-dire mélangés d'hommes blancs circassiens et d'Égyptiens autochthones.

La grande pyramide a été incontestablement construite par les ordres du roi Choufou ou Soufis, dont le nom altéré se retrouve dans Chéops. Le nom du monarque est tracé sur beaucoup de pierres de la grande chambre sépulcrale. La seconde appartient au temps du roi Chéfren ou Chafra. La troisième par rang de taille fut construite pour servir de cercueil au roi Mycerimus. La boîte de bois qui contenait le corps est au British Museum de Londres. C'est le plus fragile et le plus ancien des monuments humains.
Ainsi, la plus petite des Pyramides remonte à quarante siècles, la plus grande à soixante. On voit que Bonaparte ne surfaisait pas l'histoire.

À ces monuments mystérieux les Arabes ont trouvé des noms empreints de toute la poésie du désert. Car ce sont de grands poètes que les Arabes. Les Pyramides sont pour eux les Vieillesses, "el Heramat", et le Sphinx c'est le père de l'épouvante, "Abou-el-Houl"
. Si vous leur en demandez l'origine, ils vous répondront naturellement qu'elles ont été construites par les génies et par les péris avant la création d'Adam, à moins que leur mémoire n'ait conservé quelque autre légende moins reculée.


À quelque distance de ces géants des déserts, il y a encore une quinzaine de petites pyramides en briques crues, qu'on nomme les Pyramides de Sakkara. Elles sont placées au-dessus d'Aboukir, de Sakkara et de Dachour. En cherchant bien sous le sable, vous trouveriez pendant plusieurs kilomètres la poussière de cent autres monuments de ce genre qui se sont égrenés dans le désert et qui se confondent aujourd'hui avec la poussière des siècles accumulés. À vrai dire, toute cette vallée était, il y a soixante siècles, un rendez-vous de monuments de ce genre.

Toutes les hypothèses plus ou moins ingénieuses faites sur la destination des pyramides n'écarteront pas ce fait évident, à savoir que les pyramides ne sont que des tombeaux. Elles furent exclusivement destinées à la sépulture des Pharaons qui régnèrent à Memphis, avant d'être détrônés par les rois pasteurs. Cette longue suite de rois égyptiens s'étend depuis la première jusqu'à la treizième dynastie de Manéthon.

Le mode de construction des pyramides permettait de rendre leur élévation progressive. Chaque roi de la dynastie y ajoutait de nouveaux gradins, jusqu'à ce qu'enfin on arrivât à les couronner de leur pointe. Lepsius indique une autre loi de progression à laquelle nous ne saurions souscrire. Il prétend que la dimension de la pyramide était proportionnée à la longueur du règne sous lequel elle était bâtie : commencée, dit-il, au moment où le roi montait sur le trône, on finissait les travaux à sa mort. Les vastes pyramides indiquent de longs règnes, les petites, des règnes plus courts. Cela est d'autant moins admissible qu'il est certain que plusieurs pyramides ont eu des architectes différents, et que commencées sous un règne, elles ont été achevées sous un autre. Telle pyramide, d'ailleurs, renferma les corps de deux rois."


Source : ICI

jeudi 23 août 2018

"Une haute idée de l'intelligence des anciens Égyptiens dans l'art de bâtir" (Mémoires du XVIIIe s.)


Extraits de Mémoires pour l'histoire des sciences et des beaux arts, 1734, publié par Étienne Ganeau (1667?-1734? maître libraire à Paris, puis seul imprimeur de la principauté de Dombes à Trévoux), et François Plaignard (....-16..).

par Johanne Baptista Homann, 1724
"Ces premières remarques sont suivies de la description des plus fameuses Pyramides d'Égypte. Il paraît que les anciens Rois d'Égypte mettaient toute leur gloire à immortaliser leur nom et leur règne par de semblables édifices.
Toute l'Égypte en était remplie, surtout la haute, et la plupart étaient chargés d’inscriptions pleines de faste et de sotte vanité. 
En voici une : 'Moi Saurid le Roi ai bâti les Pyramides en tel et tel temps, les ai achevées en six ans. Que celui qui viendra après moi et qui voudra m’égaler les détruise en six cents ans ; cependant il est certain qu'il est plus aisé de jeter en bas un bâtiment que de l'élever. Après avoir achevée les Pyramides, je les ai couvertes de satin ; que celui dont je parle les couvre de nattes.' 
Les auteurs n’ont rien omis de tout ce qu’on peut désirer sur cette matière. De la description qu'ils font de ces Pyramides il résulte que la plus grande n’atteint pas la hauteur de l'église de S. Paul de Londres, qui a depuis le rez-de-chaussée jusqu’au sommet de la lanterne 470 pieds.
Mais la description qu'ils font des parties inférieures en donne une magnifique idée par le goût admirable d'architecture qui y règne et par la richesse des matériaux. Ce qu’ils en rapportent est d'après les anciens auteurs et les voyageurs modernes. Tout ce morceau est curieux et digne d'être lu. On en concevra une haute idée de l'intelligence des anciens Égyptiens dans l'art de bâtir et de la magnificence de leurs Rois."