jeudi 21 septembre 2017

Le "Bottin" de la pyramide


Un article signé J.M., parue dans la revue Images, n°803- 28 janvier 1945


Un jour de 1935, Sa Majesté Farouk 1er, roi d'Egypte, encore Prince du Saïd, ayant fait l'ascension de la Grande Pyramide, fut frappé par l'intérêt documentaire qu'offrent les innombrables inscriptions qui tapissent le sommet du monument, et chargea M. Georges Goyon de les relever.

Avoir tiré de son silence la grande masse muette de la pyramide, tel est le résultat obtenu par un égyptologue français qui, encouragé par le souhait d'un jeune souverain éclairé, régnant sur le trône des Pharaons. dut escalader une centaine de fois le monument millénaire, y passer de longues heures, par le chaud comme par le froid, pour faire le relevé de toutes les inscriptions que les voyageurs y ont gravées, au cours des siècles, sur la plate-forme du sommet, sur les parois, à l'entrée et dans les salles intérieures. 
Pour faire le relevé des graffiti sur la pyramide, M. Georges Goyon
a dû escalader une centaine de fois ce monument.
Il a même passé plusieurs nuits au sommet où une tente avait été dressée pour Iui.
Déjà connu pour sa collaboration aux célèbres fouilles de Tanis, M. Georges Goyon vient donc de fournir en quelque sorte, et selon l'expression de M. Étienne Drioton, directeur général du ServIce des Antiquités, le “Bottin” de ceux qui ont laissé la trace de leur visite à la Grande Pyramide. Malheureusement. les belles pierres en calcaire fin qui recouvraient le gros œuvre ont disparu il y a longtemps, quand elles furent employées à la construction d'une partie du Caire naissant ! Avec elles, de précieux graffiti, depuis l'époque pharaonique jusqu'à la venue des Turcs au XVe siècle, ont fini sous le pic des maçons qui construisirent la Citadelle, El Ghuria et le Khan-Khalil.
Mais comme de juste, la plus ancienne inscription, celle de Chéops, le pharaon constructeur de la pyramide, est restée : elle a été découverte, sens dessus-dessous sur un bloc demeuré enfoui, par M. Georges Goyon, et elle aurait fait sensation aujourd'hui, si, il y a déjà cent ans, on n'avait découvert les seules inscriptions au nom de Chéops dans les chambres de décharge.

Parmi quelques noms grecs de l'antiquité, difficiles à identifier, il y a encore ceux d'un poète chypriote et d'une femme appelée Thémito qui nous sont restés. Et l'unique inscription arabe, antérieure à l'aspect actuel de la pyramide dépouillée de son revêtement, est celle de l'auteur arabe Abou-Masher Jafar dont le nom est demeuré avec un autre des rares blocs qui recouvraient jadis le monument.
C'est donc à partir du XVe siècle que commence le relevé des noms fait par M. Georges Goyon, bien que les noms des sultans mamelouks Aybek et Beibars (1250-1260) et la seule date de 1355 aient été aussi trouvés.
Sur l'arête N.-E., celle par où passent tous ceux qui font l'ascension de la pyramide, à mi-chemin, on peut lire le nom de Bartolomeo Sessa qui semble bien être celui du doyen des voyageurs connus qui ont écrit leur nom sur le plus grand des monuments du monde. Il écrivit en 1481 un ouvrage très rare aujourd'hui sur ses voyages en Orient.
Il y a une abondance de noms d'origine italienne parmi les graffiti de pèlerins et de marchands de cette époque, car les Vénitiens, auxquels le sultan Sélim accorda les premières capitulations en 1517, monopolisèrent le commerce et les voyages au Levant jusqu'à la fin du XVIe siècle. On voit par là combien ces simples graffiti sur la pyramide sont liés à des événements historiques.
Un autre nom connu, portant la date de 1563, est celui du Flamand Mercator, l'un des géographes les plus réputés de son époque. Il publia une Géographie comprenant naturellement la carte de l'Égypte, en 1578. Le Juif portugais Pedro Texeira a laissé aussi une belle inscription datée de 1584. avec son nom francisé : Pierre Texier, .sans doute parce que le Portugal jouissait d'une mauvaise réputation auprès des Ottomans après la découverte de la route du Cap qui avait ruiné le commerce de la mer Rouge. Enfin, en 1586, apparaissent au sommet de la pyramide les premières inscriptions françaises : Le Blanc, nom du voyageur marseillais qui voyagea depuis l'âge de douze ans, et celui de la marquise de Ribier, si évocateur.
En 1638, 1639 et 1641, voici les trois premiers noms anglais : Swanley, Burrough et Smith dont les inscriptions correspondent à l'apparition du commerce anglais en Égypte. Mais il faut attendre l'Expédition d'Égypte (1798- 1801) pour se trouver devant un nombre toujours croissant de graffiti dont le sentimental : O, CharLotte ! d'un maréchal des logis, et le nom de Jomard, le célèbre ingénieur-géographe. membre de l'Institut d'Égypte qui venait à peine d'être créé. Un vers de Delille : “Leur masse indestructible a fatigué le tems” (sic), fut gravé par un soldat de Bonaparte. Le comte de Marcellus, qui, en Grèce, avait découvert deux mois plus tôt la Vénus de Milo, a laissé en 1820 une belle inscription sur la pyramide, ainsi que l'officier polonais Bystrzonowski (prononcez comme ça s'écrit) qui collabora à la réorganisation de l'armée égyptienne de Mohamed-Ali.
Une écriture féminine : Bonhomme, et c'est le nom d'une jolie mercière du Mousky, très admirée par la colonie française du Caire de 1840 : Gérard de Nerval en parla avec enthousiasme dans son Voyage en Orient. Une longue inscription politique : “Que la Constitution demeure autant que les Pyramides”, datée 1844, est du poète grec et patriote émigré. Alexandre Soutzo. Enfin, Ferdinand de Lesseps qui perça le Canal de Suez, le prince di Napoli (l'actuel roi Victor-Emmanuel III), A. France, l'auteur de Thaïs, le prince of Wales (Edouard VIII) entourent de leurs inscriptions le nom de Farouk que Sa Majesté le Roi écrivit au crayon en écriture arabe. (Le tracé fut par la suite entaillé dans la pierre.) Il y a des graffiti non nominatifs sur la pyramide. qui évoquent des pays à l'origine : Ireland, Paris, Italia ; des sympathies politiques : une croix gammée datée de 1934, deux croix de Lorraine datées de 1941 et 1942 ; des professions de foi : “Gloire à Dieu”, “Vive Jésus”, “Vishnu” (divinité hindoue), des inscriptions hébraïques et musulmanes ; et, bien entendu, des cœurs percés ou non d'une flèche, avec des initiales.
Une inscription mutilée: (16) Nivose, N.B., située à mi-chemin de l'arête N.-E. de la pyramide, désigne Napoléon Bonaparte, et a été probablement gravée par Kléber. À noter une autre inscription apocryphe et récente au nom de Bonaparte qui ne fit jamais l'ascension de la pyramide, et des dessins, dont un obscène, et un autre représentant une montgolfière portant le millésime de 1798, ce qui indique qu'elle est l'œuvre de soldats aérostiers de l'Expédition. Le nom de Chateaubriand, gravé par un ami, a disparu : des voyageurs irrespectueux ou ignorants ont souvent effacé d'anciennes inscriptions à peine visibles mais illustres, pour y substituer leur nom obscur ! Quelqu'un n'a même pas hésité à supprimer des inscriptions pour écrire en l'honneur de son cabot “Remi, 1er chien qui est monté ici”.

Dans son important ouvrage qui honore la série des publications de la Société de Géographie, M. Georges Goyon étudie avec finesse la psychologie du visiteur de la pyramide, “cette montagne faite de main d'homme”. Il écrit : “Une obscure réminiscence d'ordre magique est peut-être à l'origine de ce besoin qu'ont les hommes d'apposer leur nom en des lieux qu'ils supposent éternels. On connaît le rôle considérable que joue la magie du verbe dans les croyances de tous les peuples. Appeler un être par son nom, c'est créer, c’est faire naître sa personnalité individuelle ; prononcer le nom, c'est façonner par la voix son image spirituelle ; écrire le nom, c'est dessiner son image matérielle. C'est donc pour obéir à cet antique et confus souvenir, dans le but de perpétuer une parcelle de soi-même et non seulement dans l'intention de laisser un simple souvenir, que les hommes apposent leurs noms sur les pierres…Il était de quelque intérêt d’en trouver la trace sur la pyramide. D'autres événements se succédant au cours des âges, d'autres inscriptions se superposeront ; seuls surnageront quelques noms rappelant les convulsions sanglantes des hommes. pour disparaître à leur tour, réduisant à néant l'importance que nous attribuons à des faits qui dominent notre existence actuelle… Tandis que la pyramide.... géant posé sur la dune, demeurera, dans son immutabilité, toujours présente aux yeux des générations à venir.” J. M.

"Le secret high-tech des Pyramides", une émission de Nicolas Martin (France Culture)

Quels mystères planent encore sur les Pyramides ? Quels outils scientifiques sont utilisés pour tenter d’y répondre ? Comment est née la mission ScanPyramids et que cherche-t-elle à faire découvrir ?

lundi 4 septembre 2017

La construction de la Grande Pyramide, "reconstituée" par le cinéaste hollywoodien Howard Hawks

La Terre des pharaons (Land of the Pharaohs) est un film américain réalisé par Howard Hawks et sorti en 1955.
"L'action se déroule 2 800 ans avant Jésus-Christ, sous la VIe dynastie ; Chéops, le grand Pharaon, entreprend de faire construire la pyramide qui sera son tombeau. Le film fait le récit de ce travail qui n'exigea pas moins de vingt années. Plusieurs générations d'ouvriers y consacrèrent leur existence et les 'accidents du travail' ne se comptèrent pas.
Si Land of the Pharaohs (La Terre des Pharaons) n'est pas le meilleur film de Howard Hawks, c'est en tout cas le premier qui aborde un tel sujet, un tel cadre, une telle époque, sans tomber dans le ridicule inhérent à l'égyptomanie hollywoodienne.
Au générique, un nom prestigieux : celui de William Faulkner, qui a participé à l'élaboration du scénario et à l'écriture des dialogues. Le point fort de ce scénario c'est que tous les thèmes, toutes les incidences se ramènent d'une manière ou d'une autre à la construction de la pyramide, évitant ainsi le double piège de la dispersion et du pittoresque facile. Ici, pas de coupes empoisonnées, pas d'orgies et pas de mièvrerie. L'architecte Valsthar
Valsthar invente de disposer les blocs de pierre de la pyramide de telle façon qu'une fois Chéops mort, enfermé, au centre, avec les siens (bien vivants, eux !), il suffira de briser deux poteries pour que s'écoule le sable qui libèrera l'ensemble. 
Cette idée, éventuellement faulknérienne, du travail de vingt années qui se parachève en quelques instants par une vague de sable, montre assez bien qu'il ne s'agit pas, avec Land of the Pharaohs d'une variante de The Egyptian ou de The Ten Commandments.
Le procédé Warnercolor n'est pas ici très satisfaisant, mais le Cinémascope une fois de plus nous comble ; ne serait-ce qu'en nous restituant, lors des scènes à grandes figurations, un peu des fresques célèbres qui nous montrent les 'ouvriers' taillant la pierre à petits coups, le corps de face, les membres et le visage de profil.
Dans un genre que l'on a souvent à juste titre décrié, Land of the Pharaohs apporte de la nouveauté et de l'intelligence."
François Truffaut, Les Films de ma vie, 1955

La totalité du film (en trois séquences), version française : ICI