lundi 30 janvier 2017

"L'ère des géants", par Franck Monnier : un inventaire des pyramides égyptiennes des IIIe et IVe dynasties


Il fallait sans doute quelque “audace” pour se lancer dans pareil projet éditorial ! Les publications relatives à la description des pyramides égyptiennes ainsi qu’à l’exposé des théories et autres conjectures sur les techniques de construction de ces chefs-d’oeuvre architecturaux sont légion ; elles occupent des rayonnages entiers et bien fournis de nos bibliothèques. Franck Monnier a fait appel à sa formation d’ingénieur et à ses acquis antérieurs sur l’architecture égyptienne pour relever le défi. Et le défi était de taille, vu la complexité du sujet, que des siècles de recherches n’ont - jusqu’à ce jour - pas réussi à élucider entièrement pour parvenir à des certitudes sans faille.




L’auteur tient à préciser qu’il ne "[versera] pas dans une théorie supplémentaire à ce dossier". Il estime en effet que "les informations manquent". Son propos est, dans un premier temps, une description détaillée des grandes pyramides égyptiennes. Il y consacre pas moins de 170 pages de son ouvrage. ll ne vise nullement à l’exhaustivité dans cet inventaire, mais il prête plutôt attention aux monuments représentatifs de l’art pyramidal et de son évolution au cours des générations pharaoniques. Pour cette raison, on comprendra aisément qu’il s’attarde sur la pyramide à degrés du complexe de Djéser et sur celles, majeures, de la IVe dynastie.

Sa grille de lecture comporte les éléments constitutifs des monuments ainsi que de leurs annexes cultuelles et funéraires, quelques rappels historiques de leur découverte, les caractéristiques de leur structure, les matériaux utilisés, le tout à grand renfort d’une somptueuse et abondante iconographie (photos et dessins). Franck Monnier garde en ligne de mire la constante évolution de l’architecture égyptienne, marquée par le constat que "les architectes cherchaient à concilier au mieux les préceptes religieux et le langage de la pierre", compte tenu des inconnues et incertitudes qui s’obstinent encore à ponctuer toute démarche aussi objective et scientifique que possible.

pyramide de la Reine - complexe d'Ouserkaf, Saqqara
collection Franck Monnier
La seconde partie de l’ouvrage est moins volumineuse (44 pages). Elle est consacrée à la conception et à la construction des pyramides précédemment identifiées et décrites : origine et extraction des matériaux, leur transport depuis la carrière jusqu’au site de construction, puis leur élévation progressive et leur mise en place…

D’emblée, l’auteur fait état de la profusion des théories visant à expliquer l’édification des pyramides et de "notre incapacité actuelle" à résoudre ce problème, même si notre ignorance n’est que partielle, dans la mesure où l’archéologie nous fournit des indices qui permettent de "lever partiellement le voile sur cette énigme".

Seules retiennent son attention les théories qui jouissent d’une réelle notoriété : celles ayant recours à des machines élévatrices (inspirées plus ou moins directement des “morceaux de bois courts” d’Hérodote) ; celles prônant l’utilisation d’une rampe (frontale, enveloppante…) dans la lignée des “terrasses” de Diodore de Sicile ; celles enfin utilisant des "voies de traction aménagées au sein de la pyramide". Pour cette dernière catégorie, il consacre quelques paragraphes à deux chercheurs actuels, Michel Michel et Jean-Pierre Houdin, mais les raccourcis du projet éditorial ne lui permettent pas de s’attarder sur les développements qui auraient été nécessaires pour appréhender, dans leur globalité et leur complexité, ces deux théories.

Franck Monnier, notions-nous précédemment, n’entend pas se hasarder dans une nouvelle théorie personnelle sur les techniques mises en oeuvre pour la construction des pyrami
des. L'important, dans sa démarche, est de garder en mémoire que la construction des pyramides ne peut être appréhendée sans une fine connaissance des monuments et de l'état de l'archéologie. Pour cette raison primordiale, en vertu de cette logique intellectuelle qu'il entend respecter, il s'interdit d'aller plus loin sans éléments complémentaires. 

On notera toutefois cette "piste" qui pourrait alimenter des réflexions ultérieures : "Selon nous, une maçonnerie complémentaire en pierre locale enveloppant l'édifice et son revêtement sur une épaisseur de quelques mètres aurait pu permettre d'accéder en haut de l'ouvrage pour y commencer les finitions. Faisant corps avec le monument, elle aurait assuré la maîtrise des alignements et orientations au fil de la construction. Son démontage progressif aurait permis aux ouvriers de retailler et polir les assises de haut en bas. Ce surplus de maçonnerie aurait exigé une quantité de matériaux dérisoire au regard de l'ensemble du projet, et serait à même d'expliquer en quoi la périphérie de la base des plus grandes pyramides était dégagée. Selon nous, le temple haut, sous Khéops et Khéphren, aurait été dressé au-delà pour ne pas avoir à attendre le démontage intégral de cet échafaudage en pierre qui n'aurait eu lieu que vers la fin du règne. (...) L’échafaudage en pierre aurait donc été entièrement démonté une fois le parement en calcaire fin achevé.
pyramides de Giza - photo Marc Chartier
Concluons par une perspective que Franck Monnier laisse ouverte. Dans l’introduction à son inventaire, il cite la mission internationale ScanPyramids qui, en ce début d’année 2017, est encore à pied d’oeuvre sur le site de Guizeh, au coeur de la Grande Pyramide, à la recherche d’éventuels espaces qui n’y auraient pas encore été identifiés. Et d’écrire : "Si le projet tient ses ambitieuses promesses, de nouvelles données viendront enrichir ce vaste dossier et, gageons-le, éclairer quelques-unes des nombreuses questions demeurées en suspens."

L’histoire, la très longue histoire de ce que les pyramides ont pu inspirer à tous ceux qui cherchent à appréhender le savoir-faire des étonnants bâtisseurs égyptiens n’a donc pas révélé son dernier mot. “L’ère des géants” est toujours d’actualité...
MC


Franck  Monnier, L'ère des géants - Une description détaillée des grandes pyramides d'Égypte, éditions de Boccard, 2017, 267 pages

Une interview de Franck Monnier dans "égyptophile" : ICI.