jeudi 13 septembre 2018

La science moderne n'en sait pas plus qu'Hérodote sur la construction des pyramides (Marius Bernard - XIXe-XXe s.)

Extraits de Autour de la Méditerranée... Terre Sainte et Égypte. De Jérusalem à Tripoli, par Marius Bernard (1847-1914), voyageur et médecin, membre correspondant de la Société des gens de lettres, officier de l'instruction publique, chevalier de la Légion d'honneur.

Tout homme de lettres qu'il était, cet auteur a dû avoir à sa disposition une documentation quelque peu restreinte sur les pyramides de Guizeh pour s'en tenir à des propos aussi rudimentaires et peu avisés, autant sur ces pyramides elles-mêmes, qualifiées de "monuments exorbitants de la bêtise et de la cruauté humaines", que sur les conditions et les auteurs de leur construction.
 
Illustration extraite de l'ouvrage de Marius Bernard
"Nous sommes arrivés à la lisière du désert et devant nous, vers le couchant, ondulent les sables jaunes de l'ardente Libye ; à droite s'ouvrent, hélas! les portes d'un hôtel, mais, à gauche, les trois pyramides s'élèvent, monstrueuses, sur un plateau rocheux, et tout s'écrase sous leur masse colossale, tout s'efface devant le mystère de leur antiquité. Elles étaient déjà vieilles de deux mille ans et, vestiges déconcertants de civilisations plus anciennes encore, des ruines de cités les entouraient déjà alors que vivait Abraham, lorsque Jacob vint en Égypte, du temps de ces patriarches qui, dans les ombres du passé, nous apparaissent vaguement comme les chefs à demi préhistoriques des premières sociétés humaines, comme voisins du premier homme. Le bonheur avait régné sur la terre de Misraïm jusqu'au jour où le pharaon Chéops entreprit le premier, le plus grand de ces ouvrages. 
Il usa, pour trouver de l'argent, des moyens les plus infâmes ; les temples se fermèrent ; il interdit les sacrifices ; chacun fut employé dans les carrières de la chaîne Arabique d'où les matériaux, transportés sur le Nil et traînés dans les sables, arrivaient jusqu'ici ; cent mille ouvriers qui ne pouvaient, il est vrai, travailler qu'entre les crues du Nil, y peinèrent, enfin, pendant vingt ans consécutifs et, sans compter le reste, les oignons et les aulx qui, avec des radis, étaient leur unique salaire coûtèrent, à eux seuls, huit millions de francs. Comment purent ces malheureux remuer, sans machines, élever, entasser ainsi ces blocs démesurés ? Hérodote, qui voyageait, pourtant, cinq siècles avant Jésus-Christ, en est déjà, sur ce point, réduit à des conjectures et la science moderne n'en sait pas plus que lui, se demande même à quoi ont servi les pyramides et a voulu en faire de simples
observatoires ou des obstacles opposés à la marche des sables. 

Venu du Grec 'pouramis', 'pouramidos', qui n'est que le mot égyptien de 'bouramis' emprunté lui-même à un ancien dialecte phénicien dans lequel 'bour-a-mis' signifiait le caveau du mort, leur nom seul dit cependant quelle fut leur destination. 
Monuments exorbitants de la bêtise et de la cruauté humaines, produits d'une civilisation qui, pour les peuples avilis, était pire cent fois que la barbarie primitive dans laquelle était encore plongée l'Europe tout entière, c'étaient des sépultures, des tombeaux gigantesques qu'élevaient pour eux-mêmes des tyrans affolés par un orgueil aveugle, insensé, par une vanité, risquons le mot, pyramidale.
Grossièrement pavé, mais tout couvert de sable, un petit chemin en pente nous conduit, en quelques pas, au pied de la plus grande et de la plus ancienne de ces constructions étonnantes dont, adopté par la géométrie, le nom vaut une description, la pyramide de Chéops dont l'axe a 138 mètres et dont, triangles à peu près équilatéraux, les quatre faces inclinées ont, en moyenne, 23o mètres de côté et, dépouillés de leur revêtement, sont formés aujourd'hui par des sortes de gradins plus ou moins réguliers, plus ou moins tourmentés et hauts de 1 à 2 mètres. (...)
Légèrement tronquée par des écroulements, la pyramide se termine par un plateau de 10 mètres carrés et, blottis entre des blocs, deux Anglais, gravement, y mangent des sandwichs et y sablent du vin de Champagne. Asseyons-nous sur la plus haute pierre, buvons à l'alcarazas qu'un Arabe a monté, allumons une cigarette et regardons autour de nous. (...)

Descendons maintenant, mais arrêtons-nous en chemin.
À 15 mètres du sol, sur la face septentrionale de la pyramide, s'ouvre un étroit soupirail que cachaient autrefois les pierres du parement et d'où, pour s'enfoncer dans sa masse compacte, part, dallé de pierres polies et glissantes, un petit corridor incliné, parallèle à l'axe du monde et d'où l'étoile polaire apparaît, pendant la nuit, comme au bout d'un télescope. À mi-distance entre son ouverture extérieure et l'axe de la pyramide, il bifurque en deux branches : l'une qui continue sa direction et qui conduit à un souterrain, l'autre qui monte obliquement jusqu'à un palier d'où partent trois nouveaux couloirs. L'un de ceux-ci est une sorte de puits par lequel, grâce à des encoches pratiquées dans les pierres, on peut descendre jusqu'à une trentaine de mètres sous le sol de la pyramide et qui était la fin d'une sorte de tunnel commençant au sphinx ; le deuxième, horizontal, gagne la chambre de la reine ; le troisième, enfin, que nous suivons assez facilement à la clarté du magnésium, traverse un second palier où nous nous engageons dans une petite ouverture dont l'arcade laisse pendre sur notre tête un énorme moellon que l'on dirait près de tomber. 

Et, fatigué de nous baisser, de ramper, de glisser, d'escalader ; fouetté par l'aile palpitante de chauves-souris effarées ; assourdi par les cris des Arabes, nous arrivons, enfin, à la chambre du roi dont la voûte de pierres imite des poutrelles qui soutiendraient un toit à deux versants et où, vide à présent, violé par les archéologues, gît, en granit, un sarcophage introduit jusqu'ici on ne sait trop comment."

mardi 11 septembre 2018

"Extérieurement, (la pyramide de Chéops) fut construite, telle qu'elle avait été conçue, d'un seul jet, sans aucune modification de plan" (Jacques Vandier)

Extraits de Manuel d'archéologie égyptienne, tome II, 1954, par Jacques Vandier (1904-1973), conservateur en chef du département des antiquités égyptiennes au Musée du Louvre :
cliché de Beniamino Facchinelli (1839-1895)
 "Comme toutes les pyramides, à l'exception de celle de Djéser, à Saqqara, la pyramide de Chéops est construite sur plan carré, avec 230 m. de côté. Les différences entre les longueurs de base des quatre faces sont tellement insignifiantes - elles sont de l'ordre de quelques centimètres - qu'on peut les négliger. Extérieurement, elle fut construite, telle qu'elle avait été conçue, d'un seul jet, sans aucune modification de plan. Son orientation, par rapport aux points cardinaux est si exacte qu'elle ne peut être due au hasard et qu'elle suppose, chez le maître d’œuvre, des connaissances astronomiques.
Le corps de la pyramide est fait de blocs de calcaire bien ajustés autour d'un noyau rocheux peu élevé (...). On a calculé, d'une façon très approximative, qu'il avait fallu 2.300.000 blocs pour construire la pyramide. Il ne semble pas utile d'insister sur le côté colossal - le mieux connu, sans doute - d'un monument qui, une fois achevé, s'élevait à 146 m. 59 de hauteur. Lorsque le massif eut atteint la hauteur voulue, on procéda au revêtement, fait, comme d'habitude, en blocs de calcaire fin de Toura. Ce revêtement a été presque entièrement arraché, les plus gros fragments demeurés en place se trouvant vers le haut, quelques assises au-dessous du sommet. La pente des quatre faces, par rapport à l'horizontale, est de 51° 52'.
Petrie a constaté que la pyramide ne s'élevait pas sur un socle, mais sur une première assise, construite directement sur le sol, et dont le lit supérieur avait été aplani au niveau des cours environnantes. "Cependant", ajoute Lauer, "à chacun des angles de celle-ci (la pyramide), et là seulement, le revêtement était constitué par un ou plusieurs blocs plus importants, qui descendaient au-dessous du niveau de base de l'assise, jusqu'au roc, tandis que le dallage de la cour venait s'appuyer contre eux." 
La construction d'un monument comme une pyramide pose de difficiles problèmes architecturaux que nous n'aborderons pas ici. (...) Pour Lauer, l'emploi "d'instruments de levage" reste, en tout cas, très hypothétique. Il est probable que les Égyptiens se servaient de rampes perpendiculaires, ou, peut-être, enveloppantes, et de traîneaux, sur lesquels étaient chargés les blocs. Des traces de ces rampes ont été trouvées à Meïdoum à Abou Gourob et ailleurs, et on sait que cette méthode a toujours été prisée des Égyptiens. S'il reste un doute sur la nature exacte du procédé de construction, on ne saurait, en revanche, mettre en doute la perfection de ce procédé, et les pyramides, surtout les plus anciennes, comptent parmi les plus grands chefs-d’œuvre architecturaux de tous les temps."

lundi 3 septembre 2018

Les rampes mises en oeuvre pour la construction des pyramides ont sans nul doute, selon Ian Shaw et Paul Nicholson, représenté des "exploits majeurs"

Extraits de The British Museum Dictionary of Ancient Egypt, 1995, de Ian Shaw et Paul Nicholson


Methods of construction
"There has been considerable speculation concerning the means used to construct the pyramids. No textual records outlining such methods have survived, presumably as a result of the accident of preservation (or perhaps even a proscription on the description of such a sacred task) ; the suggestion is occasionally made that no records were kept because pyramid construction was regarded as a comparatively prosaic activity not worthy of record, but this is surely unlikely given the vast resources and amounts of labour involved in such projects. 
The careful survey work begun by Petrie, and  extended in recent times by Mark Lehner, has shown that the Giza site was carefully levelled probably by cutting a series of trenches as a grid and flooding them with water, then reducing the surrounding stone 'islands' to the desired level.
The cardinal points would subsequently have been determined astronomically. Much of the required stone was obtained from sources immediately adjacent to the complexes themselves, with only the fine limestone for the outer casing being brought from Tura across the river. When granite was needed, for such purposes as the lining of burial chambers or, in the case of Menkaura, part of the casing, it was brought up the Nile from Aswan (and indeed reliefs in the causeway of Unas show granite columns being conveyed by boat from the quarries to the temple). The final stage of transporting the stone would probably not have been as difficult as it now appears, since the flood waters of the annual inundation would have allowed the boats to bring the stone close to the pyramid itself. Since the flood also produced a slack period in the agricultural year, the king was able to employ large bodies of seasonally available labour.
The methods by which the stone blocks were raised into position remains a contentious issue. A variety of techniques have been suggested, from the use of simple cranes (based on the shaduf style of irrigation) to elaborate systems of levers and rockers, which would certainly have been used in positioning the blocks. What seems certain, from the archaeological evidence, is that ramps were used. These would have grown longer and higher as the pyramid became larger, and would no doubt have been major feats of engineering in themselves. There are only surviving traces of long, straight ramps, but it has been suggested that the terraced nature of the pyramid core would have often made it more convenient to use a series of much smaller ramps built along the sides of the pyramid from step to step ; the remains of these would no doubt have been lost when the outer casing was applied. 
The casing would have been smoothed from top to bottom while the scaffolding or ramps were gradually cleared away. Once the debris had been cleared from the site, the mortuary temple and subsidiary pyramids would no doubt have been completed. It is also possible that the causeways from pyramid to valley temple originally served as construction ramps from quay to building site, and the valley temple would have been built beside a quay connected with the Nile by canal."

dimanche 2 septembre 2018

Réexamen des phases de construction de la pyramide rhomboïdale, par Franck Monnier et Alexander Puchkov

"The Construction Phases of the Bent Pyramid at Dahshur - A Reassessment", by Franck Monnier, Alexander Puchkov
ENiM 9, 2016, p. 15-36 - Équipe Égypte Nilotique et Méditerranéenne UMR 5140 "Archéologie des Sociétés Méditerranéennes" Cnrs - Université Paul Valéry (Montpellier III)  


"By comparing the internal arrangements of the Meidum pyramid and the Bent pyramid, it is clear that the ‘chimney’ of the lower layout of the Bent pyramid was undoubtedly planned as a route to reach a burial chamber. But for some reason (we think that the invention of a new system of closure was the main cause), this lower arrangement was abandoned and it was decided to build a new one at a higher level, with an entrance in the western face. The burial chamber was made first. Following our new observations, there is no doubt that this upper room was not damaged by overloading. It underwent significant changes, its floor was raised twice, just after its ceiling was installed. The vault was also re-cut twice in order to form new flat walls for the burial space. 
Technical reasons including some unpredictable settlement led the architects to reduce the slope of the pyramid’s faces from 60° to ~44°, and to abandon the new western access. In order to retain an access route to the burial chamber, the Egyptians cut a connecting passage between the lower chamber and the horizontal corridor. The modifications that had been undertaken since the beginning of the project continued to reveal unpredictable behavior in the masonry including settlement of the outer mantle and surface breakdown of the vault in the upper chamber. The architect was finally forced to leave this site with its bent shape, and to establish a new building project at North Dahshur. This third pyramid of Snefru would benefit from the knowledge developed during the first part of his reign."

Cliquer ICI

"Même aujourd'hui, la construction de la Grande Pyramide poserait des problèmes considérables de direction et d'exécution des travaux" (John Baines, Jaromír Málek)

Extraits de Atlas of Ancient Egypt, 1981, by John Baines, Jaromír Málek, adaptation française par Monique Vergnies et Jean-Louis Parmentier, sous le titre Atlas de l'Égypte ancienne, 1990.
John Baines est un égyptologue britannique qui fut, de 1976 à 2013, professeur d'égyptologie à l'Université d'Oxford et membre du Queen's College d'Oxford.
Jaromír Málek, est égyptologue, ancien conservateur des archives du Griffith Institute de l'Université d'Oxford


"(La) grande galerie, à haut plafond en encorbellement, est la partie la plus remarquable de l'intérieur (de la Grande Pyramide). Elle devait (...) servir à emmagasiner les blocs de granit destinés à être déversés dans le couloir ascendant pour le boucher définitivement. (...)
Même aujourd'hui, la construction de la Grande Pyramide poserait des problèmes considérables de direction et d'exécution des travaux. Le projet doit avoir été plus ou moins achevé à la fin de la vingt troisième année du règne de Chéops. Sa réalisation nécessita chaque année 100 000 gros blocs (c'est-à-dire environ 285 par jour) pesant en moyenne chacun deux tonnes et demie, qu'il fallait extraire, dégrossir, transporter jusqu'au chantier et mettre en place. Au fur et à mesure que la construction avançait, la hauteur laquelle il fallait monter les blocs augmentait, tandis que la plate-forme disponible pour travailler décroissait rapidement. Lorsque le monument eut atteint une certaine hauteur, le transport des matériaux fut certainement effectué uniquement à bras, car le manque de place devait empêcher l'utilisation des bêtes de somme. Or, des appareils aussi simples que la poulie et le chariot à roues n'avaient pas encore été inventés, et il fallait bien déplacer et hisser d'énormes blocs de pierre. On a donc vraisemblablement construit, à grand renfort de main-d’œuvre, des rampes permettant de traîner les blocs et d'amener sur le lieu de travail tout ce qui était nécessaire. Mais comme on n'a pas de certitudes sur les méthodes utilisées, on en est réduit aux conjectures pour le travail effectué par les ouvriers. 
L'ampleur de la tâche, le soin avec lequel l'édifice fut conçu et construit, et le fait qu'on n'ait jamais trouvé de sépulture dans la Grande Pyramide posent des problèmes qui n'ont pas encore été résolus ; il serait absurde, en effet, que tout ce travail ait été réalisé pour un seul homme, et de plus pour rien. Bien des hypothèses ont été émises au sujet de la finalité véritable de la Grande Pyramide."
 

samedi 1 septembre 2018

"L'extraction de ces pierres et la façon dont elles furent taillées et ajustées font preuve d'une civilisation raffinée" (Walter Tyndale, à propos des pyramides de Guizeh)


Extraits de L'Égypte d'hier et d'aujourd'hui, 1910, par Walter Frederick Roope Tyndale (1855-1943), aquarelliste de paysages, d'architecture et de scènes de rue, illustrateur de livres et écrivain de voyage. 

aquarelle de Walter Tyndale

"Le grand événement d'un séjour au Caire est la première excursion aux Pyramides. Personne n'ignore leur aspect, leurs dimensions et leur histoire, car aucune œuvre de l'activité humaine ne fut plus souvent décrite ; mais personne, avant de s'être trouvé sur le plateau où s'élève l'imposante tombe de Chéops, ne comprend l'espèce de terreur qu'elles inspirent. Ce sentiment augmente graduellement à mesure qu'on parcourt les 5 kilomètres de la route de Gîzeh, d'où on les découvre devant soi. D'abord, elles semblent petites, comparées aux objets du premier plan, puis, après 2 ou 3 kilomètres, on éprouve encore une sorte de désappointement en les regardant. Leurs dimensions augmentent à mesure qu'on approche, mais pas au point qu'on pourrait supposer. 
On ne commence à bien les juger qu'en arrivant à la limite des terrains cultivés, et alors c'est l'impression complète, dans toute sa force, surtout lorsque, parvenant au bord du désert, on se trouve aux pieds de la Grande Pyramide. Ayant gravi le plateau qui lui sert de piédestal, on est positivement écrasé par cette masse gigantesque, assise sur le roc et environnée d'une immense plaine de sable. Que ne donnerait-on pour pouvoir jouir en paix de ce merveilleux spectacle ? (...)
Pour jouir vraiment de la contemplation des Pyramides, il ne faut pas les visiter en pleine saison. Les caravanes de touristes se disputant avec leurs conducteurs, se préparant bruyamment à déjeuner ou à se faire photographier, sont fort réjouissantes vues d'une terrasse d'hôtel, mais ici, elles gâtent tout à fait le caractère du lieu. (...)
Une promenade autour de la tombe de Chéops vous donne l'idée de sa dimension. Une distance de 260 mètres sépare entre eux les angles et si vous faites le tour de la Pyramide, vous aurez fait plus des trois quarts d'un kilomètre. Cette base couvre 520 ares, c'est-à-dire une superficie plus grande que celle du square de Lincol's Inn Fields. Les grands blocs superposés en gradins qui, de la route, nous paraissaient de simples briques, mesurent quarante pieds cubes, et, selon le calcul du Professeur Flinders Petrie, deux millions trois cent mille de ces blocs furent employés à la construction de la Pyramide. 
L'imagination ne saurait vous reporter à soixante siècles en arrière. La pierre changeant fort peu dans le désert, sa couleur ne vous aide point. Il est vrai que ce que nous voyons n'a été exposé aux intempéries que durant cinq siècles, toute la couche de granit extérieure ayant été utilisée au Caire, lors de la construction de la mosquée d'Hasan. On s'étonne qu'on n'ait pas tiré parti plus tôt d'une carrière si commode, pourvue de pierres toutes taillées. 
La dépense d'activité humaine que nécessitèrent ces constructions est inouïe. Le Professeur Flinders Petrie nous explique que les ouvriers n'y travaillaient que durant la crue du Nil, alors que la terre ne réclamait point leurs soins ; mais, le moment de la crue étant justement le plus pénible pour l'agriculteur en Égypte, ceci me paraît inexact. De plus, il ne faut pas s'imaginer que l'indigène ne souffre pas de la chaleur. Le fellah a peu changé depuis soixante siècles, et quoique très brave travailleur, il mollit sensiblement pendant les périodes de chaleur. 
Hérodote raconte que la construction de cette Pyramide nécessita le travail de cent mille hommes pendant vingt années consécutives, et Flinders Petrie estime que cette évaluation est exacte. Nourrir et discipliner cette armée de travailleurs dut exiger un merveilleux talent d'organisation. L'extraction de ces pierres à 10 kilomètres plus loin, aux collines de Mokattam, et la façon dont elles furent taillées et ajustées, font preuve d'une civilisation raffinée. 
Je me suis laissé dire qu'un entrepreneur séjournant à Mena House, s'est amusé à faire un devis de ce que coûterait aujourd'hui la Grande Pyramide, élevée avec l'aide de nos machines, et il arriva au chiffre de six millions. Il serait curieux de savoir combien cette construction a coûté en son temps. 
Nous n'avons parlé jusqu'ici que d'une seule pyramide ; celle de Képhren est aussi importante, et il en existe encore une grande et six plus petites. Ce groupe de pyramides constitue la plus ancienne et la plus belle des sept merveilles du monde, la seule du reste qu'il nous soit encore permis d'admirer."