samedi 15 octobre 2016

ScanPyramids : premiers résultats concluants dans la pyramide de Kheops

Reconstitution 3D : vue schématique du "vide" derrière la face Nord de la Grande Pyramide
Jeudi 13 octobre 2016, l’équipe de ScanPyramids a rencontré, au ministère des Antiquités égyptien , le Comité scientifique des égyptologues, afin de présenter les premiers résultats de la campagne de muographie conduite sur la pyramide de Kheops depuis juin 2016.
cliché ScanPyramids
Le comité scientifique du ministère a été missionné par le docteur Khaled El-Enany, ministre des Antiquités. Il est dirigé par l’ancien ministre des Antiquités, le docteur Zahi Hawass, et composé du docteur Mark Lehner, directeur d’Aera (Ancient Egypt Research Associates), du docteur Miroslav Barta, directeur de la mission archéologique tchèque de Saqqara et du docteur Rainer Stadelmann, ancien directeur de l’Institut archéologique allemand. 


En novembre 2015, plusieurs anomalies thermiques avaient déjà été détectées par le spécialiste des mesures infrarouges Jean–Claude Barré (France), dont l’une, très significative, sur la face nord de la Grande Pyramide, dans la zone où quatre chevrons visibles surplombent le couloir descendant.
Une campagne de 3 fois 24 heures a été conduite par l’université Laval (Canada) afin de confirmer l’intérêt de cette zone. Celle-ci comporte différents blocs de mêmes composition et orientation, censés présenter un comportement thermique similaire. Or, ce ne fut pas le cas.
Ces résultats ont convaincu l’équipe de ScanPyramids de poursuivre l’examen de la zone “suspecte” avec des techniques complémentaires.
L’analyse et la reconstruction 3D de cette zone ont été effectuées grâce à l’aide et à l’expertise de la Fondation Dassault Systèmes et de la société Emissive.
Les nombreuses questions soulevées ont conduit ScanPyramids à lancer une campagne complète de muographie dans le couloir descendant qui se trouve juste au-dessous.

À l’achèvement de la pyramide, il y a 4500 ans, les chevrons étaient invisibles, cachés derrière une couche de blocs qui ont été démantelés au cours des siècles. Aujourd’hui, on peut toujours voir, dans la zone, des portions de blocs et des assises obliques, sans doute les vestiges de chevrons manquants qui devaient couvrir une sorte de cavité avant que les pierres ne soient retirées.

Par ailleurs, dans la pyramide, il existe des chevrons dans deux autres endroits : au-dessus de la Chambre du Roi et au-dessus de la Chambre de la Reine. Dans l’architecture antique, les chevrons ne sont pas un décor, ils ont une fonction pratique. Ils protègent une cavité et préviennent l’effondrement de son toit.

D’où la question qui se pose ici : pourquoi tant de chevrons pour protéger une zone si réduite que le début du couloir descendant ?


L’équipe ScanPyramids a donc validé le recours à la muographie pour observer l’intérieur de la pyramide dans la zone des chevrons. Les muons, des particules cosmiques, ont déjà prouvé leur efficacité pour détecter des cavités à l’intérieur de structures massives (volcans, centrales nucléaires, pyramides...). L’équipe a donc décidé d’utiliser cette technique pour observer la zone derrière les chevrons.

En juin 2016, trois plaques d’aluminium contenant des films à émulsion sensible aux muons ont été installées en bas du couloir descendant dans le but de “voir” d’éventuelles cavités au-dessus. Les films ont collecté des données durant 67 jours avant d’être analysés à l’université de Nagoya (Japon).

Les techniciens de l'Université de Nagoya
spécialistes de la muographie
Chaque plaque a révélé un excès significatif de muons dans la même direction. Plusieurs études ont été menées afin d’apporter la preuve que cet excès, qui pouvait être interprété comme la preuve d’une cavité, ne résultait pas de fluctuations statistiques ou d’un biais quelconque. La comparaison avec des simulations détaillées montre que cet excès est largement au–dessus de 5 sigmas. Un excès de 5 sigmas valide un événement à 99,9999 %.
Cette valeur est communément utilisée en physique des hautes énergies comme le seuil permettant de valider une découverte. L’excès a une forme de ligne droite.
Après avoir mis en œuvre ces trois techniques complémentaires, ScanPyramids peut donc confirmer l’existence d’une “cavité”, cachée derrière la face Nord de la Grande Pyramide, qui laisse deviner un ou plusieurs couloirs superposés qui s’enfoncent dans le cœur de la pyramide. La forme précise, la taille et la position exacte de cette structure doivent encore être affinées. Pour ce faire, 12 nouvelles plaques sensibles aux muons ont été installées. Elles seront retirées à la fin du mois d’octobre 2016.

L’équipe de ScanPyramids va aussi recourir, pour cette nouvelle phase d’investigation, à la modélisation 3D de différentes hypothèses architecturales qui seront testées dans des simulateurs muoniques. 

photo Marc Chartier
Au début du mois de juin 2016, des détecteurs de muons à gaz (télescopes) ont été déployés à l’extérieur de la Grande Pyramide, autour de l’arête Nord-Est, deux côtés Est, un côté Nord. Ils étaient pointés vers une encoche située à 150 mètres de distance et à une hauteur de 83 mètres. But de cette campagne : valider la technique en détectant dans cette zone une cavité de 9 m² déjà documentée par les chercheurs.



Le télescope à muons du CEA
Ces instruments innovants, conçus par le CEA/Irfu, ont fonctionné sans interruption durant trois mois et accumulé, à eux trois, environ 50 millions de particules cosmiques. L’analyse de leurs données a révélé trois encoches connues : N1, N2, N3.
Autour de la zone de l’encoche N2, les télescopes ont mesuré un excès statistiquement significatif de muons (6,3 sigmas). Cet excès est parfaitement compatible avec les caractéristiques de la cavité connue (C2). Ce qui valide le fonctionnement des instruments. La cavité en question se trouve à 6 mètres de profondeur sous la surface actuelle de la pyramide.




Outre cette validation, un autre excès de muons statistiquement significatif (5,1 sigmas) a été détecté près de l’arête, à environ 105 mètres de haut, proche d’une petite niche (N1), invisible depuis la base de la pyramide. Cet excès correspond à une cavité inconnue (C1), d'un volume approximativement identique à celui de la cavité connue (C2). D’autres analyses sont en cours pour vérifier la présence de cavités supplémentaires du même genre. Dans les mois à venir, les télescopes seront pointés vers les autres arêtes de la pyramide pour acquérir de nouvelles données.


L’équipe de ScanPyramids continue d’acquérir des données muographiques à l’intérieur de la Chambre de la Reine, au coeur de la Grande Pyramide, avec des films sensibles aux muons et un scintillateur électronique installé par le KEK (Japon). Les résultats sont attendus pour le premier trimestre 2017.

L'équipe de ScanPyramids inspectant la face Nord de la Grande Pyramide
Tous ces résultats au terme d’une année de travail, présentés au Comité Scientifique du ministère des Antiquités, peuvent se résumer de la façon suivante :
1. Pour la première fois dans l’histoire, des techniques complémentaires fondées sur les muons, l’infrarouge et la modélisation 3D ont été utilisées pour “scanner” la Grande Pyramide de Gizeh.
2. L’équipe de ScanPyramids peut confirmer la présence d’une cavité inconnue sur l’arête Nord–Est de la pyramide, à une hauteur d’environ 105 mètres du sol.
3. L’équipe de ScanPyramids peut confirmer la présence d’une cavité inconnue derrière les chevrons au–dessus du couloir descendant de la Grande Pyramide. Sa forme précise, sa taille et sa position exacte sont encore à affiner.


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