Le texte ci-dessous est extrait de l'ouvrage Histoire des différents peuples du monde, contenant les cérémonies religieuses et civiles, l'origine des religions, leurs sectes et superstitions et les mœurs et usages de chaque nation, édité en 1770-1771.
Sur son auteur, André-Guillaume Contant Dorville (ou d'Orville), je n'ai pas pu trouver le moindre renseignement, sinon qu'il serait né en 1730, et mort en 1800.
Comme souvent dans ce genre de récit, y compris pour notre période contemporaine, l'auteur définit ses hypothèses ou conjectures en les opposant ou les assimilant à celles d'auteurs antérieurs, voire des plus anciens d'entre eux. Sont notamment cités ici :
- Pline, dont Contant Dorville se différencie concernant la raison de la construction des pyramides ;
- Strabon, dont il partage l'analyse relative à l'accès à la chambre du Roi (par le sommet de la pyramide, et non par les couloirs intérieurs).
Quoi qu'il en soit, pour cet auteur comme dans de nombreux autres cas rencontrés au cours de l'inventaire proposé par ce blog, il est difficile d'apprécier si la relation est basée sur une observation directe du site des pyramides, ou bien si elle s'inspire d'autres récits de voyageurs ayant réellement vu de leurs yeux les pyramides.
"L'Égypte moyenne rassemble presque tout ce qu'on appelle les merveilles d'Égypte. À environ neuf milles du Caire, on trouve ces fameuses pyramides qui, bâties sans doute depuis plus de trois mille années, par la solidité de leur étonnante masse, ont triomphé des siècles et des barbares. Jamais entreprise extravagante n'a eu un succès plus durable.
On convient unanimement que ces lourds édifices ont été construits pour servir de tombeaux à ceux qui les ont élevés ; et ce qui met la chose hors de doute, c'est qu'on en voit un dans la plus grande des pyramides.
Pline cherche quelle fut la raison qui engagea les rois d'Égypte à entreprendre la construction de ces bâtiments, et il la rencontre dans leur ostentation et dans la nécessité où ils se trouvaient d'occuper continuellement leurs peuples, pour les empêcher de se révolter contre leur tyrannie. Quel triste moyen ! Lier les sujets au maître par de bonnes lois et par le bonheur public, qui résulte de l'observation de ces mêmes lois, est une route plus sûre pour parvenir à la tranquillité.
Une raison infiniment plus puissante a pu guider dans leur entreprise les souverains de l'Égypte. La religion leur enseignait que l'âme demeurait attachée au corps tant qu'il restait en son entier, et cette idée seule a bien été capable de donner naissance à l'usage des embaumements, et à la construction de ces fameux tombeaux ; en prenant ces inutiles précautions, ils se persuadaient que leur âme ne se séparerait pas sitôt de leur corps, pour passer dans un autre. Dans cette croyance, les rois firent donc bâtir des pyramides, et le commun du peuple se creusa des caves pour tombeaux. De temps à autre, on en découvre quelques-unes, dans lesquelles on trouve des momies.
On regarde l'endroit où se voient encore les pyramides qui subsistent comme l'ancien cimetière de Memphis : toutes ont une ouverture qui donne passage à une allée basse et fort longue, qui conduit à une espèce de chambre, où l'on déposait le corps de celui pour qui la pyramide avait été élevée. Les trois grandes sont placées à la tête d'autres plus petites, et sont construites sur un rocher uni, caché sous du sable blanc. On trouve en dedans des puits profonds, carrés, taillés dans le roc, et l'on en reconnaît de pareils dans les grottes qui sont distribuées autour des pyramides, et ils servaient à recevoir les corps de ceux à qui appartenait la sépulture.
La grande pyramide est située sur le haut d'une roche, dans le désert de sable d'Afrique, à peu près à un quart de lieue des plaines d'Égypte. Cette roche s'élève d'environ cent pieds au-dessus du niveau de ces plaines ; elle est d'une pente aisée et facile à monter, et sa forme contribue beaucoup à donner de la majesté au bâtiment solide qu'elle soutient. L'édifice est de figure carrée par sa base, construit au dehors avec des degrés, et va toujours en diminuant jusqu'au sommet. Les pierres employées pour l'élever sont d'une grandeur extraordinaire : les moindres portent trente pieds, et sont travaillées avec beaucoup d'art.
Monsieur de Chazelles, de l'académie des Sciences, qui, en 1593, a mesuré cette pyramide, a trouvé que le côté de sa base, qui est carrée, a cent dix toises, et qu'ainsi la superficie de la base est de douze mille cent toises carrées. La hauteur perpendiculaire de soixante-dix-sept toises trois quarts, et la solidité de trois cent treize mille cinq cent quatre-vingt-dix toises cubes. Les faces sont des triangles équilatéraux.
On entre dans cette pyramide par un trou qui se trouve à la hauteur de seize marches, du côté du nord ; mais ce n'était certainement pas là la véritable entrée, puisque le chemin qu'on est obligé de suivre pour parvenir à la chambre destinée à recevoir le corps qui devait y être déposé, n'est ni assez large, ni assez commode pour qu'il ait été construit à ce dessein. Il est bien plus naturel de penser, avec Strabon, qu'il y avait au sommet de la pyramide une pierre qui s'enlevait aisément, par le moyen de quelque machine, et dont l'ouverture conduisait directement par une descente à vis jusqu'à l'endroit de la sépulture.
En effet, on a trouvé la montée qui aboutit à la chambre principale, dans laquelle on a remarqué un tombeau vide, taillé d'une seule pierre, qui, lorsqu'on a frappé dessus, rend un son comme une cloche. Sa largeur est de trois pieds un pouce, sa hauteur de trois pieds quatre pouces, et sa longueur de sept pieds deux pouces. Il a cinq pouces d'épaisseur, et la pierre dont il est fait est dure, polie et ressemble à du porphyre. Il ne reste aucuns vestiges de la couverture, et peut-être n'en a-t-il jamais eu, et celui à qui il était destiné n'y a-t-il pas été enterré.
Les anciens rois d'Égypte, abhorrés de leurs sujets, se trouvaient à leur mort dans l'affreuse nécessité d'ordonner qu'on enterrât furtivement leurs cadavres, afin de les soustraire aux insultes d'une populace opprimée et tremblante pendant la vie des tyrans, qui, les mains chargées de nouvelles chaînes, aurait avec joie déchiré les froides reliques des auteurs de leurs maux.
Diodore croit que Chemmis est le fondateur de cette pyramide, mais il ne pense pas qu'il y ait été enterré.
Au devant des trois principales pyramides, on aperçoit les vestiges de quelques bâtiments carrés, qui, à ce qu'on a lieu de croire, étaient autant de temples d'idoles. À l'extrémité du prétendu temple de la seconde pyramide, on remarque un trou par lequel on descendait dans le corps de l'idole ; les Arabes la nommaient abul-houl, c'est-à-dire père colonne (1), et Pline l'appelle Sphinx, et prétend qu'elle servit de tombeau au roi Amasis. Il est vrai que ce sphinx a par derrière une cave sous terre, d'une largeur proportionnée à la hauteur de la tête, et qui a pu servir à recevoir un corps. Ce buste est taillé dans le roc vif, et n'en a jamais été séparé. Il représente une tête de femme avec son cou et son sein. Sa grandeur est prodigieuse, car il a vingt-six pieds de haut, et seize depuis son oreille jusqu'à son menton. Un autre trou placé au-dessus de la tête peut bien avoir aidé les prêtres à rendre leurs trompeurs oracles."
(1) Faux ! Les renseignements lexicographiques de l'auteur sont erronés. Abû-l-houl signifie "le père de la terreur", "celui qui fait peur".
Source : Gallica
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