jeudi 8 avril 2010

"Il y a plusieurs logements hauts et bas [dans la Grande Pyramide], avec puits et cheminées : [ce] qui fait croire que ce lieu a été autrefois habité" (Vergoncey - XVIIe s.)

Qui était Vergoncey ? Je n'ai pour l'instant trouvé aucune information sur cet auteur, sinon qu'il a vécu entre les années 1500 et 1600.
On sait par contre qu'il accomplit un pèlerinage en Terre Sainte, en faisant un détour, comme souvent à son époque, par l'Égypte. Donc, inévitablement, par le site des pyramides de Guizeh, comme l'atteste le récit qui suit, extrait de l'ouvrage Le pèlerin véritable de la Terre Saincte, auquel, sous le discours figuré de la Jérusalem antique et moderne de la Palestine, est enseigné le chemin de la Céleste, 1615.
Pour la commodité de la lecture, j'ai rétabli, sauf quelques exceptions, l'orthographe actuelle, ce qui n'enlève rien, me semble-t-il, à la saveur toute particulière du français de l'époque.

"Lure of Mother" - Rarle Harrison (Wikimedia commons)
"Ayant donc pris notre chemin vers le Midi par le vieux Caire tout ruiné, à un quart de lieue seulement du nouveau, et traversé le Nil un peu au-dessus de ce vieux Caire presque inhabité, nous trouvâmes plusieurs poteries où l'on faisait des vaisseaux de terre de toutes sortes, et passâmes quelques autres villages, de fort peu d'estime, quoique le terroir soit fort bon, à raison du Nil qui lui est proche.
Comme nous fûmes à mi-chemin, nous découvrîmes les merveilleux bâtiments de ces pyramides assez proches du Nil, qui cause souventes fois de la difficulté à les voir de près durant ses inondations.
Tant plus nous approchions de ces rochers d'artifice, plus les admirions pour leur hauteur étrange, et grande circonférence qui est d'une demi-lieue française, ayant plus de trois cent cinquante de mes pas à chaque face, et du moins deux cents fortes brasses de hauteur, spécialement la plus grande des trois qui sont assez proches les unes des autres. Notre dragoman (1) nous dit qu'elle avait autant de hauteur comme une de ses quatre faces en emportait, par le bas, qui serait trois cent cinquante pas.
Elles sont édifiées de fort grandes pierres d'Arabie, communément de douze ou quinze pieds de long, et sept ou huit de large.
On arrive au sommet de la première en montant au dehors par certains pas et degrés fort hauts et difficiles à enjamber, qui sont en nombre de 215, peu plus ou moins, qui rendent cet ouvrage deux fois plus haut, selon mon faible jugement, que le clocher de Sainte Geneviève de Paris.
Cette pièce va toujours en diminuant comme une pyramide, tant que vous soyez arrivé sur le haut d'icelle. Vous la jugez toute pointue d'en-bas, mais perché sur le haut, elle a près de cinq pas en carré, et peut facilement recevoir sur sa pointe quarante personnes du moins. Cette pointe est faite de six ou sept pierres, et non d'une seule, comme un de nos auteurs modernes a écrit.
Nous avions fait provision de pierres dès le bas, pour éprouver nos forces à qui jetterait plus loin, mais le plus robuste bras ne passait point la quatrième partie de la pyramide, et tel estimait faire un grand coup qu'il semblait que la pierre revint tomber à ses pieds.
Après avoir bien contemplé haut et bas cette machine par le dehors, nous la voulûmes voir au dedans, ce qui ne se peut faire sans battre le fusil, comme nous fîmes, si qu'entrant là-dedans avec cinq ou six flambeaux que nous avions portés, je me vins à ressouvenir du Labyrinthe de Candie (2) (…), tant pour raison des gyres (3) et méandres qui sont là-dedans que pour les chauves-souris qui voltigent si dru dans ces voûtes obscures qu'elles éteignent à toute heure les flambeaux, si vous ne les savez conserver.
Il y a plusieurs logements hauts et bas, avec puits et cheminées : [ce] qui fait croire que ce lieu a été autrefois habité, et s'y perdrait-on aisément qui n'aurait de bons guides. Entre autres logements, il y a une salle d'assez belle grandeur, toute édifiée de marbre de plusieurs couleurs, si reluisant et poli qu'on s'y mirerait dedans. Il y a une fort belle sépulture, de la même étoffe (4) de toise et demie de long, et peu près de quatre pieds de large.
Quelques-uns tiennent que cet édifice avait été rendu prêt en vingt ans à la diligence de trois cent mille ouvriers, pour servir de sépulcre (ainsi qu'on présume) à ce grand Pharaon, quoiqu'il ait été enseveli dans les eaux de la mer Rouge.
Un assez long temps se passa qu'on estimait que cette pièce fut toute massive, mais un certain Maure Nigromancien (5) du royaume de Fees (6), avec la permission du Sultan qui régnait pour lors en trouva les entrées et, dit-on, qu'il y avait de grands trésors cachés du temps des guerres anciennes, d'entre les Égyptiens et les Arabes mahométans.
Il y a deux autres pyramides non guère moins admirables que la première, et plusieurs autres petites qui sont éparses çà et là ; mais ayant bien contemplé la plus grande, vous en restez content, et ne vous travaillez à voir le reste.
Beaucoup de pèlerins et autres ont autrefois été en cette erreur que cette ville du grand Caire, vulgairement appelée le Caire de Babylone, était cette ancienne Babylone mentionnée aux saintes Écritures, et que la plus grande de ces pyramides dont nous venons de parler était cette tour de Babel édifiée par les enfants de Noé, mais ils ne ses trompaient pas pour un peu. (…)
Non loin de ces trois pyramides se voit aussi le reste d'une statue de pierre sur le sable, de laquelle il ne paraît que la tête et un peu des épaules, d'une grandeur si excessive que j'estime qu'il n'y a navire de huit cents tonneaux qui la peut charger.
Après avoir passé trois ou quatre heures de temps à contempler la merveille de ces sépultures antiques, nous reprîmes notre chemin, pour aller aux Momies, qui est un voyage fort incertain, à cause que ces paysans et Maures des lieux, ayant découvert l'estime et trafic qu'on en fait en la Chrétienté, ont si bien fouillé et fureté partout qu'à peine on y trouve plus rien : joint qu'ils assassineraient fort librement s'ils pouvaient quiconque s'en approche pour leur lever, et les priver de cette pratique, comme à la vérité nous vîmes aux environs d'un méchant village qu'on appelle Sacare (7), une troupe de Maures serrés ensemble, comme s'ils avaient dessein de nous attaquer, mais un de nos janissaires tirant de loin une arquebusade par plaisir, les fit écarter comme perdreaux.

(1) guide-interprète
(2) Candie : ancien nom de la Crète
(3) tournants, virages
(4) matière, matériau
(5) comment comprendre ce mot ? Signifie-t-il "nécromancien" (devin) ?
(6) lire : Fez
(7) Saqqarah

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