samedi 24 avril 2010

"Nos soi-disant savants qui racontèrent n'importe quoi à propos des pyramides ne méritent même pas qu'on leur fasse l'honneur d'une réfutation" (Giovanni Miani – XIXe s.)

L'explorateur italien Giovanni Miani (1810 -1872) se rendit en Égypte en 1859, d'où il débuta son long voyage à la recherche des sources du Nil.
Dans la Rivista contemporanea, 1862, il consacra un long développement aux pyramides de Guizeh d'où j'ai extrait les deux textes suivants. Je n'ai pas réussi à élucider certains détails pour lesquels je me suis contenté d'avancer quelques suggestions. Mais sans garantie aucune d'exactitude. Tous compléments d'information ou interprétation seront donc les bienvenus...
Giovanni Miani (illustration extraite de Wikimedia commons)

Avant de donner une vraie explication, évoquons les idées suivantes émises par des hommes sérieux, mais qui n'en font pas moins rire.
Dans L'Illustration du 20 décembre 1855, page 423, j'ai lu un article de M.Silvestre, où il est écrit que les pyramides furent édifiées par les Égyptiens pour servir de phares pour les caravanes du désert et pour les capitaines qui naviguaient sur le Nil durant les inondations. Il semble impossible que l'Académie des Sciences, dans sa séance du 10 décembre, ait pu assister à une telle lecture sans faire les commentaires qui se devaient au sieur Jobard.
De Persigny, autre archéologue célèbre, voulut que les pyramides servissent de digues contre les sables du désert.
De nombreux savants estimèrent que les pyramides furent des greniers : mais où trouvèrent-ils les vides, si l'on fait exception des deux petites cellules ?
Champollion, qui voyait tout à sa façon, a induit que les pyramides furent des tombes, parce qu'il y vit une cuve qu'il prit pour un sarcophage. Mais dans les sarcophages égyptiens, les parois internes ont une forme humaine, comme la caisse en bois qui contient une momie, alors que la cuve en question a des parois droites.
Les tombes des rois se trouvaient à Thèbes, lorsque Memphis était la ville sacrée. Les Ptolémées résidaient à Alexandrie, mais on ne peut découvrir leurs tombes.
Ibn-Kordadieh (1), dans son traité sur les monuments merveilleux, dit avoir lu un vieux livre sabéen, qui expliquait comment les deux grandes pyramides servirent du sépulture à Agat-demon (2) et Ermet (3), préfets sabéens, comment y furent ensevelis l'Épouse et le Fils et comment ces monuments étaient destinés aux esprits purs. Hermès était alors Osiris ; le Soleil, l'Épouse : la Lune, le Fils (4) ; Horus (Oro), l'univers céleste (etere).
Étant donné que les mystères étaient célébrés dans les pyramides, quand les initiés y étaient introduits, ils étaient aspergés d'eau du Nil que l'on puisait à partir du puits intérieur et que l'on déposait dans la cuve [comme celle de la chambre du Roi]. Ce rite correspond à l'eau lustrale des Gentils et à l'eau bénite des Chrétiens.
Nos soi-disant savants qui racontèrent n'importe quoi à propos des pyramides ne méritent même pas qu'on leur fasse l'honneur d'une réfutation.
Les pyramides étaient des temples dédiés au Soleil, ainsi qu'à Amon, créateur de tout ce qui existe.
Dupuis (5), faisant preuve d'une plus grande sagesse que tous les autres, a écrit sur ce sujet. Au moment des solstices, affirme-t-il, le Soleil, en se levant au-dessus de la ligne équatoriale, illumine trois faces des monuments, jusqu'à ce qu'il atteigne l'oblique de la quatrième face qu'il illumine également. Il semble que les Égyptiens surent comment le Soleil, parvenu à son zénith, s'arrête au moins un petit moment. Pour cette raison, ils dédièrent ces monuments, tels des piédestaux, à la divinité qui daignait s'arrêter au-dessus.
En descendant, le Soleil ré-éclairait les quatre faces jusqu'au moment où, parvenu à l'oblique, il laissait dans l'ombre la face est pour illuminer les autres faces jusqu'au couchant.
J'ai constaté moi-même ce phénomène qui se renouvelle en l'espace de 17 jours jusqu'à ce ce qu'il cesse suite à un léger éloignement de la Terre. Ainsi la Divinité créatrice principale était en dehors du temple, comme si elle ne pouvait y être contenue.
Les pyramides étaient donc des gnomons astronomiques, comme les obélisques dont, après tant de siècles, on ignore toujours la fonction.
Il semble incroyable qu'un éminent esprit tel que Voltaire ait répété une idiotie due à l'abbé Bazin à propos des pyramides. "J'ai vu les pyramides,dit-il, et je n'en ai point été émerveillé. J'aime mieux les fours à poulets, dont l'invention est, dit-on, aussi ancienne que les pyramides. Une petite chose utile me plaît ; une monstruosité qui n'est qu'étonnante n'a nul mérite à mes yeux. Je regarde ces monuments comme des jeux de grands enfants qui ont voulu faire quelque chose d'extraordinaire, sans imaginer d'en tirer le moindre avantage."
On voit par là que Bazin n'aimait que la gastronomie !

La connaissance de l'époque à laquelle furent érigées les pyramides était déjà perdue quand les philosophes grecs voyagèrent en Égypte.
La forme triangulaire étant la plus solide, ces pyramides furent ainsi construites, et il est nécessaire de s'en approcher pour connaître la masse grandiose de ces édifices qui sont de véritables montagnes.
Étant relégués à Gessen, et non à Memphis, les Hébreux ne virent pas les pyramides. C'est la raison pour laquelle la Bible n'en fait pas mention. Josèphe, dans ses Antiquités judaïques, prétend de manière erronée que les Hébreux ont travaillé à la construction des pyramides.
Les pierres énormes sont posées sans utilisation de chaux. Elles sont néanmoins si bien jointes que la pointe d'un couteau n'y peut pénétrer. À l'intérieur, on trouve des blocs de granit assemblés lors de la construction. Les degrés ne servent pas à faciliter l'ascension ; il faut plutôt penser qu'ils ne furent pas finis, ou bien que le revêtement de granit qui couronne encore le sommet de la seconde pyramide fut démoli.
Bien que la pierre des pyramides soit calcaire, en Égypte, tout se conserve, et les édifices les plus anciens semblent avoir été construits seulement hier !
Hérodote affirme que 100.000 hommes furent employés à la construction de la première pyramide, dix années pour tailler et transporter les pierres, et vingt années pour réaliser cette masse mystérieuse qui renfermait à l'intérieur peu de pièces, de petits couloirs et un puits.
Les rois de la IVe dynastie memphite furent les fondateurs des pyramides de Guizeh, Khéops ayant vécu 21 siècles avant Jésus-Christ. Nous pensons que ces pyramides sont postérieures à celles de Saqqarah, car elles sont mieux conservées. (…) Bien qu'elles soient anciennes, nous avons raison de croire qu'elles sont également postérieures aux obélisques dont l'angle aigu est à l'origine de l'angle obtus colossal [que l'on voit au sommet des pyramides].
L'imagination des Arabes surpasse celle de tout autre peuple. Peut-être ont-ils copié l'idée de la tour de Babel lorsqu'ils soutinrent que les pyramides furent construites avant le Déluge, pour la simple raison qu'ils ont découvert une inscription, traduite en coufique, qui, selon Abu Zeid el-Balhi, aurait établi à quelle époque le signe de la Lyre se trouvait dans celui du Cancer. En comptant le temps écoulé jusqu'à l'Hégire, ils comptèrent 72.000 années avant Mahomet.
Mohamed-Abdullah-ben-Abdul-Hokm affirme que, si ces pyramides avaient été construites après le Déluge, les hommes auraient conservé quelque notion de cet événement. Avant l'explication astronomique de Dupuis, ces monuments restaient un mystère. (...)
Traduction de l'italien par Marc Chartier

(1) De quel auteur s'agit-il ? Peut-être du géographe arabe Ibn Khordadbeh...
(2) Ce nom fait-il référence à  Agathodémon, divinité de l'Égypte antique ?
(3) Ce nom, ainsi écrit par l'auteur, est évidemment proche de "Ermete", orthographe que l'on trouve immédiatement après dans le texte et qui signifie "Hermès".
(4) Je rappelle que le Soleil (al-shmems), dans la langue arabe, est un mot féminin, alors que la Lune (al-qamar) est un mot masculin.
(5) Sans doute Victor Dupuis (1777-1861)

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