samedi 17 avril 2010

"On ne doit pas douter que les pyramides n'aient été construites de la manière même dont le rapporte Hérodote" (Gratien Lepère – XVIIIe-XIXe s.)

Gratien Lepère (1769-1826) était ingénieur en chef au Corps royal des Ponts et Chaussées. Il fut l'un des membres de la Commission des Sciences et des Arts de l'expédition française en Égypte, durant laquelle il était un des principaux collaborateurs de son frère Jacques-Marie, également membre de l'expédition, dans les opérations de nivellement de l'isthme de Suez.
Dans son Mémoire sur les pyramides d'Égypte et sur le système religieux de leur érection et de leur destination, 1826, il reprit à son compte, comme tant d'autres auteurs et historiens, la version d'Hérodote sur les techniques de construction des pyramides, "sans rejeter entièrement, ajoute-t-il, la tradition populaire qui attribue la construction des pyramides aux Titans de la fable". Puis, après s'être acquitté de son "tribut d'admiration", il donna à son récit une dimension hautement philosophique, sur la base des "dogmes et mystères de ce peuple [égyptien] superstitieux et idolâtre" : de bien grands mots, certes, pour traduire la théorie de la métempsycose, la quête d'immortalité et autres convictions religieuses des Égyptiens, à la base de la construction des demeures d'éternité que furent leurs pyramides.
On ne manquera pas de noter, intercalées dans la démonstration de l'auteur, quelques citations d'historiens arabes, relatives à l'histoire de la violation et de la spoliation des pyramides.

Léon Cogniet, L’Expédition d'Égypte sous les ordres de Bonaparte (1798)  
(Wikimedia commons)

"Ayant fait partie, de 1798 à 1801, de l'expédition française en Égypte, dont les grands résultats pour le retour de la civilisation se font déjà sentir en cette contrée, berceau de toutes les connaissances humaines dès l'enfance du monde, j'ai tenu, sur les lieux mêmes, un journal circonstancié de tout ce que j'y ai vu et remarqué dans le cours de cette expédition mémorable.
J'ai vu et visité toutes les pyramides de l'ancienne Memphis dans six voyages que j'y ai faits, par terre et par eau, aux diverses époques des 22 avril et 15 décembre 1799, des 1er et 12 septembre 1800, et des 3 janvier et 25 février 1801. Fortement frappé des divers sentiments que j'ai éprouvés à l'aspect de ces montagnes de pierres entassées avec art par la main des hommes, et que les anciens ont justement placées au nombre des sept merveilles du monde, j'ai voulu, à l'exemple de tant d'autres voyageurs, entasser aussi écrits sur écrits, dans un Mémoire général que j'ai minuté à Paris en 1805. On m'excusera peut-être d'avoir voulu inscrire mon nom à la suite de tous ceux qui, après les avoir visitées, en ont donné des descriptions dans le but de faire connaître leurs voyages. (...)
Parmi le nombre considérable de pyramides que Strabon dit avoir vues à Memphis et au-dessus de Thèbes, il n'en existe, ou du moins l'on n'en compte plus aujourd'hui que vingt-deux de diverses grandeurs, que l'on peut désigner sous cinq dénominations, qu'elles prennent de leurs positions respectives et plus ou moins rapprochées des villages situés dans la partie centrale de l'Égypte, dans l'ordre de marche, du nord au sud, ainsi qu'il suit :
1.° les trois grandes pyramides de Gyzéh, bourg situé à sept mille mètres à l'est, sur la rive gauche du Nil, non compris treize à quatorze autres petites qui leur sont adjacentes ;
2.° les cinq à six pyramides d'Abousyr ou des Momies d'oiseaux ;
3.° les cinq pyramides de Saqqarah ;
4.° les quatre pyramides de Dahchour,
5.° et les quatre dernières pyramides les plus méridionales, celles de Myssenda, de Meydoùn, d'el-Lahoùn et de Hâouarah : ces deux dernières sont situées dans l'ancien nome Ârsinoïte, aujourd'hui le Fayoûm, province centrale de l'Égypte.

Les grandes pyramides de Gyzéh et de Saqqarah, situées dans l'étendue de l'ancien nome de Memphis, ont été bâties de pierres calcaires extraites, partie de la chaîne de montagne même où elles sont assises, partie de la montagne orientale du Nil. Hérodote dit à ce sujet : "Chéops fit occuper les Égyptiens, les uns à fouiller les carrières des montagnes d'Arabie, les autres à traîner de là jusqu'au Nil les pierres qu'on en tirait, et à passer ces pierres sur des bateaux de l'autre côté du fleuve ; d'autres les recevaient et les traînaient jusqu'à la montagne de Lybie : on employait, tous les trois mois, cent mille hommes à ce travail."
On doit penser que le nombre considérable de grottes que l'on trouve pratiquées dans l'escarpement de la montagne d'Arabie, aujourd'hui désignée sous le nom de Gebel Moqattam, dans toute la partie comprise entre la ville du Caire et le village d'el-Halowan, c'est-à-dire entre l'ancienne Babylone d'Égypte et la partie correspondante à la position de l'ancienne Memphis, ont été creusées et taillées pour servir, tout en fournissant des matériaux, de casernes à la multitude des ouvriers qui ont dû être employés à l'extraction, à la taille ainsi qu'aux transports du prodigieux amas de pierres qu'exigeaient ces immenses constructions.
On ne doit pas douter que les pyramides n'aient été construites de la manière même dont le rapporte Hérodote, c'est-à-dire qu'elles ont été bâties en forme de degrés, par tranches horizontales et de hauteurs réglées par celles des assises de leur revêtement ; ces pierres étant successivement encastrées les unes dans les autres, et le tout à la manière des degrés ou marches d'un immense escalier. C'est sur ces degrés que l'on plaçait des pièces de charpente, et que soit au moyen de chèvres, de poulies et de leviers, soit au moyen de treuils et de leurs cordages, l'on montait alternativement de l'un à l'autre les pierres de taille et les matériaux qui étaient employés à leur construction.
On ne doit pas douter encore que les pierres de revêtement n'aient été placées en même temps que celles de la masse intérieure, par arasement planiforme ; car l'on avait besoin de l'énormité de leurs dimensions pour résister à la charge des machines de transport et aux manœuvres des ouvriers.
Après l'achèvement de la pyramide, on a dit en commencer le ravalement par les parties supérieures, en descendant successivement de la cime à la base, et ce, en faisant passer le plan général d'inclinaison de leurs faces triangulaires à quelques doigts en dedans des angles rentrants de chacun des degrés, de manière à ne présenter, en dernier résultat, que les plans parfaitement taillés et dressés des quatre faces pyramidales du monument.
Quoique les pyramides soient des constructions réellement gigantesques, on n'en conclura pas qu'elles sont, comme le ferait croire l'opinion populaire, l'ouvrage d'un ancien peuple de géants, tel qu'il en aurait existé, si l'on s'en rapporte aux anciennes traditions, dans la Palestine, dans la Sicile, et même dans quelques parties de l'Amérique. Les dimensions des sarcophages de l'Égypte, ainsi que celles des momies qu'on trouve en si grand nombre dans les catacombes de Memphis, sont autant de témoignages muets, mais irrécusables, que les peuples qui les élevèrent n'étaient pas d'une stature supérieure à celles des peuples de l'Europe moderne.
Quelque opinion que l'on puisse avoir sur le peu d'utilité que les Pharaons, qui firent construire les pyramides, retirèrent des travaux immenses de leur érection, on cessera de gémir en quelque sorte sur les tourments qu'eurent à endurer les peuples qui y furent employés, si l'on considère qu'ils ne furent faits que par des hommes de guerre, nationaux ou étrangers, ou par des prisonniers de guerre, pour les détourner de ces mouvements séditieux et toujours dangereux au sein d'une grande masse d'hommes réunis et abandonnés à l'oisiveté. (...)
Le premier sentiment que le voyageur éprouve à l'aspect des pyramides d'Égypte est celui de l'étonnement. L'émotion secrète qu'il ressent au pied de ces monuments est moins l'effet de l'admiration pour une grande chose, que celui d'une espèce de stupeur qui le force à s'arrêter, et bientôt à comparer la petitesse de la stature humaine à l'immensité de cette œuvre inconcevable de la main des hommes.
S'il n'y considère, à la première vue, que leur masse imposante, sous laquelle la montagne semble affaissée, son imagination effrayée n'y verra d'abord, avec Voltaire, qui n'en parle qu'avec dédain, qu'une monstrueuse construction, dans l'affligeant souvenir de l'asservissement des peuples qui ont été condamnés à entasser vainement un aussi prodigieux amas de pierres. (...)
J'ai dit avoir gravi la cime du plus élevé de ces monuments, en plein jour, au lever comme au coucher du soleil, et aux époques annuelles et périodiques où les plaines de la vallée offrent successivement le riant tableau de la plus riche culture, après celui non moins admirable d'un bras de mer parsemé de nombreuses îles, occupées par des villes et villages qui ressemblent, comme le dit Hérodote, aux îles de la mer Ionienne.
J'ai vu, comme Hérodote, l'un et l'autre de ces deux grands aspects de l'Égypte et de la Grèce ; je puis donc assurer, après cet historien et tous les voyageurs qui ont gravi la cime de ces monuments éternels de la mort, que, soit que l'astre du jour les embrase de ses feux, soit qu'à son aurore comme à son déclin il n'en éclaire qu'une des faces, en laissant dans l'ombre celle qui lui est opposée, soit encore que l'astre de la nuit les éclaire de son pâle flambeau, l'observateur y jouit de l'un des plus étonnants spectacles que l'homme ait laissés de son passage sur la terre. (...)
Après m'être acquitté envers l'une des sept merveilles de l'ancien monde du tribut d'admiration que, du haut de leur cime, on est forcé de rendre encore à leurs restes imposants, descendons dans la profondeur de leurs fondements, pour y méditer, du sombre séjour de la mort, sur l'esprit religieux de leur destination et sur le néant des grandeurs humaines.
Sans rejeter entièrement la tradition populaire qui attribue la construction des pyramides aux Titans de la fable, j'en comparerai les travaux gigantesques à ceux de la tour de Babel, que la postérité de Noé voulait élever jusqu'aux nues (402 années environ après le déluge) pour surmonter la hauteur des eaux d'un nouveau fléau de la même nature. (...)

D'une autre part, Hérodote nous apprend que le gouvernement des Égyptiens fut tout à la fois despotique et théocratique, puisque, suivant cet historien, les Pharaons ne faisaient jamais aucune grande entreprise sans avoir pris les conseils du hiérophante ou grand-prêtre, qui consultait lui-même le sacré collège de Memphis ou d'Héliopolis. C'est donc dans les dogmes et les mystères de ce peuple superstitieux et idolâtre que nous allons reconnaître la véritable cause de l'érection et de la destination des pyramides de l'Égypte. (...)
La métempsycose, dans le système religieux des Égyptiens, a été fondée sur l'admission du principe de l'éternité de la matière, bientôt après sur ses diverses métamorphoses ou transformations ; d'où s'en est suivi l'opinion ou système de la résurrection des corps, et enfin de celui de l'immortalité de l'âme. Hérodote dit à ce sujet : "Les Égyptiens sont les premiers peuples qui aient avancé que l'âme de l'homme est immortelle, et que, lorsque le corps vient à périr, elle entre dans celui de quelque animal, et qu'après avoir ainsi passé successivement dans tous les corps des animaux terrestres, aquatiques et volatiles, elle rentre dans un corps d'homme, et que ces différentes transmigrations se font dans l'espace de trois mille ans."
On ne doit pas être étonné, d'après le système de la métempsycose, que les Égyptiens aient cherché et trouvé, dans l'art des embaumements, les moyens d'éterniser, pour ainsi dire, les dépouilles mortelles de l'homme et même celles des animaux, et que les grands et les princes aient recherché, surtout dans la solidité et la durée de leurs tombeaux, qu'ils appelaient leurs demeures éternelles, les moyens de les préserver de la destruction. Mais en se reportant aux siècles dans lesquels les pyramides ont été élevées avec de prodigieux efforts de bras, de temps et de dépense, on retrouvera le véritable motif de leur immensité dans le souvenir, encore récent à cette époque, du désastre universel que le déluge avait dû laisser, et dans l'inquiétude et les craintes trop fondées de nouveaux désastres prédits par tous les mages et savants de l'Égypte.
D'après un (…) grand nombre de citations sur les divers systèmes de l'ancienne philosophie touchant la nature de la terre, nous dirons que ce fut autant par l'intime conviction que pour l'affermissement du dogme de l'éternité d'un Dieu créateur de toutes choses, et enfin de celui de l'immortalité de l'âme, que les princes et les Pharaons de l'Égypte se firent élever, de leur vivant, ces monuments de leur puissance, et que c'est à cette prédiction, généralement répandue par tous les savants de l'antiquité, en Égypte, en Abyssinie, en Perse , en Syrie, dans la Grèce et jusque dans les Gaules, que l'on doit attribuer l'immensité de leur masse, pour les rendre indestructibles au milieu de la submersion ou de l'embrasement par lesquels la terre, en rentrant dans le Chaos, dont elle est sortie diverses fois sans doute, doit ramener le bouleversement de tout ordre des choses.
Si cette opinion paraît suffisamment établie, nous ajouterons qu'il semble que les Pharaons aient en effet réussi à rendre impérissables ces monuments de la mort, qu'ils appelaient, comme nous l'avons déjà dit, leurs demeures éternelles. (...)

L'esprit de curiosité, plus encore que celui d'une vile cupidité, naturels à l'homme, le porta souvent à violer et à spolier ces monuments que la piété et l'espérance consacrèrent, dans tous les temps et chez tous les peuples civilisés, aux dépouilles mortelles de l'homme.
Il paraît que les pyramides ont été respectées durant une longue suite de siècles, et même sous la domination des Perses, qui ravagèrent tous les temples de l'Égypte, sous la conduite de Cambyse, puisque Hérodote, qui lut son histoire aux jeux olympiques de la Grèce, 456 années avant l'ère vulgaire, et plus de 60 ans après la conquête de Cambyse, dit positivement que les pierres du revêtement de leurs faces étaient, en grande partie, parfaitement taillées et polies.
On voit, par cet historien, que la plus grande pyramide aurait été construite par Chéops, qui régna cinquante ans ; la seconde par Chephren, son frère et son successeur, qui régna cinquante-six ans, et la troisième et la plus petite, par Mycerinus, qui leur succéda. Ce dernier prince, ajoute Hérodote, chercha à faire oublier les maux dont furent accablés les Égyptiens durant les cent six années des règnes de ses deux prédécesseurs.
Or Chéops, que Diodore nomme Chemmis, régnait l'an 3536 de la période julienne, ou 1178 années avant l'ère chrétienne. Ainsi les deux plus grandes pyramides du nome de Memphis avaient donc déjà six à sept cents ans d'antiquité à l'époque où Hérodote les visita, puisqu'elles furent construites sous les règnes successifs des deux mauvais princes Chéops et Chephren, dont la mémoire, ajoute cet historien, fut en horreur aux Égyptiens.
De tous les dominateurs de l'Égypte, les Mahométans, après y avoir substitué au signe religieux de la Croix celui du Croissant, paraissent avoir été les premiers spoliateurs des pyramides. Nous allons donner l'historique des diverses tentatives faites par les princes Sarrasins et Ottomans, d'après l'autorité de quelques écrivains arabes, dont la traduction appartient à M. Langlès, précédemment cité pour ce dont nous lui sommes redevable avec MM. les Membres de la Commission qui ont donné des Mémoires dans le grand ouvrage sur l'Égypte.
"L'an 217 de l'hégire, ou 832 de J.-C., le khalife Al-Mamôùn-ben-Haraoùn el-Raschyd, qui fut le protecteur des sciences, étant à Memphis, se détermina à faire démolir une pyramide : on y travailla pendant deux années. L'entrée en ayant été découverte, on pénétra dans les galeries intérieures, dans lesquelles on trouva des chauves-souris grosses comme des aigles. Ibn-Redhowan rapporte que les ouvriers qui y pénétrèrent parvinrent à une salle carrée où ils trouvèrent un tombeau de marbre. Cette chambre renfermait une statue d'homme en pierre verte comme une émeraude. Cette statue, qui parut creuse [on a voulu dire la caisse de momie], avait,la forme humaine, et contenait le corps d'un homme enveloppé d'une plaque d'or fin, enrichie d'un grand nombre de pierres précieuses. Il avait sur la poitrine la poignée d'une épée sans prix, et sur la tête un rubis gros comme un œuf de poule, qui brillait comme la flamme : Al-Mammùn prit ces objets. J'ai vu moi-même, dit l'historien arabe, la momie recouverte d'or que l'on avait retirée du sarcophage : elle était près du palais royal de Fostath, l'an 511 de l'hégire, ou 1117 de J.-C."
"Dans l'une des chambres sépulcrales de cette pyramide (ou de l'une des quatre, grandes ouvertes), dit un autre historien arabe, on trouva un tombeau surmonté du plus beau brillant. Sur chacune de ces tombes étaient deux statues représentant un homme et une femme tournés en face l'un de l'autre : l'homme tenait en main une table de pierre portant une inscription ; la femme tenait un miroir dont la monture était sculptée et dorée. Un vase de pierre, avec un couvercle d'or, contenait du sang frais qui se coagula et se dessécha, au contact de l'air. La pierre du tombeau ayant été levée, on y trouva les deux momies de l'homme et de la femme, très bien conservées. La salle contenait des idoles debout et renversées, avec des outils dont on ne connaît plus l'usage."
L'an 265 de l'hégire (878-70 de J.-C.), Ahmed-ben-Thouloùn fit aussi faire des fouilles aux pyramides. On ne désigne pas celle à laquelle ces fouilles furent faites. On y trouva un bassin de pierre rempli de dynars, monnaie d'or de ces temps. L'inscription trouvée sur la momie portait : "Le roi Souryd étant mort, fut porté dans la pyramide orientale ; Hardjyb fut renfermé dans la seconde, et Keroués dans la troisième, celle revêtue en pierre thébaïque par le bas, et par le haut en pierres nommées kerdân."
Suivant l'historien Ibrahim-ben-Ouchif-Çhab, les deux grandes pyramides furent construites par Souryd, fils de Sahloùq, treizième roi de la dynastie anté-diluvienne, qui régnait à Amsoùs, 300 années avant le déluge. "La prédiction d'un déluge d'eau et ensuite de feu, qui devait jaillir de la constellation du Lion, les lui fit entreprendre. On y renferma des trésors, le dépôt des arts et des connaissances humaines : on y grava le système planétaire des mondés, et on les entoura de figures de monstres et de talismans : le Sphinx en est encore un témoignage existant."
Le voyageur français Vansleb rapporte la traduction d'une inscription hiéroglyphique trouvée sur une momie renfermée dans les catacombes du couvent Abou-Hermès. À sa lecture, il semble en entendre, de la bouche prophétique même des savants de l'Égypte, les expressions de leur esprit mystique et sentencieux :"D'après nos observations astronomiques, nous avons prévu qu'un fléau descendrait du ciel et sortirait de la terre. Ensuite nous avons cherché à savoir quels seraient ses effets, et nous avons reconnu qu'il ravagerait la terre."
On voit qu'il importait de réunir les citations des écrivains arabes à celles (…) des auteurs anciens, puisqu'elles viennent parfaitement à l'appui de l'opinion que j'ai suffisamment développée sur l'objet et la destination de ces monuments.
L'an 565 de l'hégire (1170 de J.-C.), dit Schemsed-Dyn, l'émir Karaqoùsseh, surintendant des bâtiments d'Égypte, fit démolir, sous le règne de Saleh-ed-Dyn-ben-Youcef, quelques-unes des petites pyramides qui environnent les grandes de Gyzéh. Les pierres furent transportées au Caire, et employées à la construction de Masr-el-Atyqa, ainsi qu'aux enceintes de la ville et de la citadelle du Caire.
L'an 961 de l'hégire (1552-53 de J.-C.), Mohammed-Pacha, que les Arabes nomment le second vainqueur de l'Égypte après Sélim, et trente années après Ibrahim-Pacha, voulurent faire sauter une des pyramides par l'effet de la poudre à mine ; mais, sur l'avis de personnes éclairées, ces princes furent détournés de ce projet insensé par la crainte d'une trop forte explosion pour la ville du Caire.
Quelques années avant notre expédition, Moùrad-Bey fit aussi faire quelques tentatives pour découvrir l'entrée de la troisième pyramide de Gyzéh : ces fouilles, dont nous avons retrouvé les traces sur la face nord, restèrent sans succès et furent abandonnées.
Enfin deux de nos collègues, MM. Lepère et Coutelle, membres de la Commission des sciences et arts, furent chargés, dans les premiers mois de 1801, par le général en chef de l'armée, alors M. Menou, que j'accompagnai assez habituellement dans ses reconnaissances militaires et autres, durant presque tout le temps de notre occupation de l'Égypte, de faire démolir la dernière petite pyramide, celle située à l'angle sud-ouest de la troisième des grandes de Gyzéh. Cette tentative, dont le travail dura près de trois mois, fut également sans succès, et n'eut pour résultat que de faire connaître l'immensité des travaux et du nombre de bras qu'on dut employer à la construction de ces montagnes artificielles.

Résumé :

Nous avons fait connaître les causes physiques qui ont porté les Égyptiens à se faire construire dans les pyramides des tombeaux éternels ; nous avons parlé de celles d'une nature plus élevée dans le dogme de l'immortalité de l'âme, que les Pyromis, ou prêtres de l'Égypte, auraient professée aux peuples antérieurement aux mages de la Chaldée et aux brahmes de l'Inde.
Orphée, qui vivait 300 années après Moïse, et après lui Hésiode et Homère, ont parlé dans leurs poèmes de ce dogme sublime. Après eux Thales, Solon , Phoerecyde, Pythagore et Platon, qui tous avaient voyagé en Égypte, où ils avaient été initiés aux mystères des Pyromis, y ont puisé cette doctrine qu'ils ont répandue en Éthiopie, en Chaldée, en Phénicie, en Mésopotamie, dans la Grèce, chez les Gaulois, chez les Celtes et jusque dans l'Inde.
César nous apprend, dans ses Commentaires, que les Bardes et les Druides, prêtres des Celtes et des Gaulois, professaient et enseignaient aussi le dogme de l'immortalité de l'âme. Nous ne connaissons rien autre chose de la religion de nos ancêtres, parce que, dit ce dévastateur des provinces gauloises, les Druides n'écrivaient rien de leurs mystères, ni de leurs dogmes religieux ; ils se bornaient à en confier des vers ou maximes à la mémoire des adeptes.
Nous terminerons ce Mémoire par les dernières expressions de notre opinion personnelle, que, systématiquement parlant, nous adopterions encore, si elle n'était pas en nous celle d'un sentiment vrai sur la destination religieuse de ces monuments.
On doit considérer les pyramides sous le rapport le plus simple et le plus naturel de le concevoir, celui du respect profondément religieux que les Égyptiens avaient pour les morts, c'est-à-dire comme des tombeaux, et, sous cet unique point de vue, comme les témoignages éternels d'un principe physiquement vrai dans leur système de la métempsycose, celui de l'éternité de la matière sous diverses transformations, enfin à l'anti-révélation du dogme sacré de l'immortalité de l'âme.

Voir également ce qu'écrivait ce même auteur sur le Nil et le puits de la Grande Pyramide.

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