mercredi 6 avril 2011

De “vastes édifices voûtés, offrant dans leurs intérieurs de vastes salles” (Joseph-Gaspard Dubois-Fontanelle -XVIIIe-XIXe s. -, à propos des pyramides d’Égypte)

Le Français Joseph-Gaspard Dubois-Fontanelle (1727-1812), l’auteur du texte qui suit, extrait de l’ouvrage Anecdotes africaines : depuis l'origine ou la découverte des différents royaumes qui composent l'Afrique jusqu'à nos jours (1775), était journaliste, homme de lettres, auteur dramatique et traducteur.
J’ai choisi ce texte plus pour la note qui l’accompagne que pour son contenu, où il apparaît que seul le caractère odieux des pharaons bâtisseurs semblait attirer l’attention de l’auteur.
Comme dans de très nombreux autres récits relatifs aux pyramides, il est difficile ici de percevoir si les notations sont le fruit d’une observation directe, ou bien si  - ce qui semble plus vraisemblable - elles ne sont que des redites de récits plus anciens (ici : ceux d’historiens grecs).
Une remarque intéressante clôt la note de l’auteur. Elle concerne la fonction astronomique que d’aucuns se sont ingéniés à accoler aux pyramides. Mais pourquoi donc les prêtres-astronomes (astrologues ?) égyptiens seraient-ils montés au sommet des monuments pour effectuer leurs savants calculs, alors que les mêmes observations pouvaient tout aussi bien être faites à partir du sol ? On appelle cela le bon sens.

Auteur inconnu - s.d.
“Chéops, que les historiens grecs font le huitième roi après Rhampsinite, mais sans fixer la date de son règne, se rendit célèbre par sa tyrannie et son impiété. Sa première action fut de fermer les temples des dieux ; il finit par occuper ses peuples de la construction d’une pyramide (1). C’est la plus haute de ces masses prodigieuses qui subsistent encore, et qui sont les monuments éternels de l’orgueil et de la tyrannie de leurs auteurs, qui ne purent les élever sans surcharger leurs sujets de travaux. Chéops employa, dit-on, les siens à tirer des pierres des carrières de l’Arabie, et à les transporter en Égypte. La pyramide qu’on lui attribue était destinée à lui servir de tombeau ; elle lui coûta des sommes immenses qui épuisèrent ses trésors.
On raconte qu’il employa un moyen bien étrange pour remplir de nouveau ses coffres : il ordonna à sa fille de se prostituer, et de retirer le plus qu’elle pourrait de la brutalité égyptienne. Ce fait horrible, et sans vraisemblance, n’a peut-être été imaginé que pour accumuler l’opprobre et l’horreur sur un tyran. Quoi qu’il en soit, on ajoute que sa fille, voulant éterniser la mémoire de ses débordements, fit bâtir une petite pyramide des pierres qu’elle avait rassemblées en en exigeant une de chacun de ses amants. Ce trait ressemble un peu à celui de Rhodope ; et l’un est sûrement copié de l’autre.
Céphrénès, frère et successeur de Chéops, marcha sur ses traces, et se rendit odieux. Il passe pour être l’auteur de la seconde pyramide, qui devait être aussi son tombeau, et où il ne fut point inhumé, comme son prédécesseur ne l’avait pas été dans la sienne. Le petit nombre de personnes attachées à ces princes eut soin de dérober leurs corps à la multitude, qui aurait assouvi sur eux sa haine en les déchirant, si elle avait su où ils étaient déposés.”

(1) Les pyramides méritent quelques détails. On varie beaucoup sur l’opinion qu’on a de ces édifices prodigieux. Les voyageurs les plus sensés n’y trouvent rien de plus étrange que leur hauteur et leur masse. Le côté de la base de la première, que M. de Chazelles a mesuré, est de 110 toises, la hauteur de 77 ¾. Une chose à observer dans cette pyramide, c’est que les côtés en sont tournés vers les quatre parties du monde, de sorte qu’elle marque le véritable méridien de l’endroit. Selon Diodore, on employa trois cent soixante mille ouvriers à sa construction ; elle demanda vingt ans de travail. Hérodote raconte que de son temps, on lisait une inscription qui n’existe plus, et qui marquait qu’il en avait coûté en raves, en ail et en oignons, pour la nourriture des ouvriers, seize cents talents d’argent, qui font plus  de quatre millions et demi.
Ces vastes édifices sont voûtés, et offrent dans leurs intérieurs de vastes salles, dont les murs, les pavés et les plafonds sont de différentes espèces de marbres : les pièces en sont si grandes et si bien liées entre elles qu’on croirait que le tout est d’une seule pièce. C’est la vétusté qui en divers endroits a dégradé les jointures, qui rectifie le jugement du premier coup d’œil étonné.
Le tombeau de Chéops est d’une pièce de marbre creuse en dedans, ouverte par le haut et qui, lorsqu’on en frappe les côtés, rend un son semblable à celui d’une cloche. Sa forme est celle d’un autel, ou de deux cubes appliqués l’un sur l’autre. On remarque de côté et d’autre dans cette vaste pièce, ainsi que dans celles où l’on peut pénétrer, différentes dégradations que plusieurs voyageurs ont prises pour des passages à divers appartements que le temps a fermés ; mais il se pourrait qu’elles fussent simplement l’ouvrage de l’avarice, que l’espoir de trouver des trésors a portée à fouiller dans l’intérieur de ces masses.
On monte au sommet par des degrés qui règnent à l’extérieur sur tous les cotés jusqu’au haut. Ce sommet forme une esplanade d’environ seize à dix-sept pieds carrés. Les degrés sont ruinés en bien des endroits. Prochus (1) prétend que c’est sur cette plate-forme que les prêtres égyptiens faisaient leurs observations astronomiques. Ils n’avaient pas besoin de se donner la peine d’y grimper, puisqu’ils pouvaient les faire plus à leur aise au pied de ces mêmes pyramides, d’où ils découvraient le ciel aussi librement que sur leur sommet.
Source: Gallica

(1) Sans doute s’agit-il plutôt de Proclus.