mardi 12 avril 2011

Les “particularités” de la Grande Pyramide, observées par Balthasar de Monconys (XVIIe s.)

Le diplomate français Balthasar de Monconys (1611-1665) était physicien et magistrat. Dans le but de remonter aux sources des enseignements de Pythagore, de Zoroastre et des alchimistes grecs et arabes, il effectua de nombreux voyages en Europe et en Orient, accompagné du fils du duc de Luynes, dont il était le précepteur.
En plus de ses ouvrages où il relata ses voyages à travers l'Europe et en Égypte, il publia quelques chroniques sur le peintre Johannes Vermeer qu'il rencontra en 1663.
De son ouvrage Journal des voyages de Monsieur de Monconys, première partie, 1665, où il se présentait lui-même comme “Conseiller du Roy en ses conseils d’État et privé, et lieutenant criminel (sic) au Siège présidial de Lyon”, j’ai extrait quelques extraits de la “Lettre de Monsieur de Monconys, à un de ses amis, sur les Pyramides et les Momies d’Égypte”.
Pour une plus grande facilité de la lecture, et plus particulièrement à l’attention des lecteurs non francophones qui auraient recours au service de traduction en ligne, j’ai rétabli globalement l’orthographe actuelle, tout en respectant bien sûr l’agencement des phrases.
Cette relation est le fruit d’une observation directe, même si son auteur ne disposait que de moyens rudimentaires. Il prêta notamment attention à la qualité et à l’origine des matériaux utilisés pour la construction de la Grande Pyramide (qu’entendait-il par pierre “fondue” ? de la pierre de lave ?). Par ailleurs, il était porté à souscrire à la théorie d’une communication directe entre la Grande Pyramide et le Sphinx (qui n’est pas nommé comme tel, et se retrouve doté des traits d’une hyène).
Même succinct, et tributaire d’une science archéologique encore embryonnaire, ce texte révèle un enthousiasme qui mérite d’être souligné.

“Douze jours après mon arrivée au Caire, je fus voir les Pyramides : elles sont presque à l’opposite de cette ville (qui leur demeure au nord-est [...]) éloignées de deux grandes lieues à l’extrémité d'une campagne qui, depuis le Nil jusques au commencement du roc sur lequel elles font situées, a la largeur de deux lieues, et règne ainsi tout le long de ce fleuve, tant en descendant, que du côté de sa source. Ce roc qui borne la campagne presque parallèlement avec le Nil a environ cent pieds d'éminence, et continue bien avant dans les déserts comme une plate-forme toute couverte des sables que les vents y ont apportés.
Sur le bord sont situées ces grandes masses de pierre, qui ayant subsisté si longtemps semblent vouloir discuter leur durée avec la sienne, et mériter en cela utilement le nom de Merveilles qu’elles possèdent seules à présent.
Entre une quantité qu’il y en avait pendant cinq ou six lieues de long, et qui étaient grandes ou petites, suivant le pouvoir et la magnificence du Prince qui les faisait construire : en remontant le long du fleuve, on en voit deux grandes en cet endroit, qui ont toujours été les plus estimées. La petite qui ne cède guère à la grande, et n'en est éloignée que de cent pas, est beaucoup ruinée, et je parie qu’elle est faite en sorte qu'on n’y peut monter, et qu'il n'y a point d'ouverture pour entrer dedans ; on ne la contemple pas si curieusement, et on se contente de prendre exactement les particularités de la grande.

Voici ce que j’en ai remarqué avec les mauvais instruments que j’ai pu trouver, et les fils dont je me suis servi par deux fois que j’y ai été sans m’en ennuyer, étant prêt d’y retourner à la première commodité qui s'offrirait, tant on en trouve la vue admirable.
Elle a cinq cent vingt pieds de hauteur, et six cent quatre vingt et deux pieds de face. Elle est parfaitement carrée, et a ses faces opposées aux quatre parties du monde. Elle est faite en degrés de très gros quartiers de pierre, chacun ayant deux pieds et demi de haut, quelques-uns plus, quelques-uns moins, et font en tout deux cent huit degrés qui se terminent en une plate-forme de seize pieds en carré, que composent douze très grosses pierres, la plupart rompues aussi bien que bonne quantité de degrés. Le temps en fait une plaisante métamorphose en petites lentilles dont elles sont toutes pleines, mais si bien faites qu'il n'y a que la dent qui puisse juger quelles sont de pierre.
Sur le seizième degré presque au milieu de la face qui est tournée au Nord, est l’entrée qui a trois pieds six pouces de haut, et trois pieds trois pouces de large, et qui va continuant septante-six pieds et demi de long en pente d'un angle de soixante degrés. Au bout de cette allée est un lieu vaste et rempli de ruines, et de grosses pierres rompues qui bouchent des endroits par lesquels on allait en quelques chambres, et il ne reste qu’une ouverture vis-à-vis de celle par où l'on est descendu, qui vous conduit en remontant par une pareille allée de semblable pente à celle par où l’on est descendu, mais qui a cent onze pieds de long. Au lieu où cette seconde allée aboutit, il en commence une autre qui a six pieds quatre pouces de large, et qui va toujours montant par la même inclination de soixante degrés à la longueur de cent soixante-deux pieds et trois pouces.
La voûte de cette allée est extrêmement haute au prix de l'autre, et à la fin elle touche le haut de la porte de la chambre où l’on arrive. Au fond d'iceIle on trouve un tombeau de ces pierres qu'on dit fondues. Il a trois pieds et un pouce de large, trois pieds et quatre pouces de haut, et sept pieds deux pouces de long. Il n'y a point de couverture, et l'on croit que c’était là où Pharaon devait être enterré : c'est le vulgaire qui le dit. Cette chambre aussi bien que toutes les autres, avec les allées et les murailles, a le pavé, et le plancher ou voûte tout de grandes pierres. Elle a trente-un pieds de long, dix-neuf de haut, et seize de large, et neuf pierres en travers forment son plancher.
Je ne vous ennuierai point davantage dans la description d’une autre chambre qui est au-dessous de celle-là, où l’on va par une allée de plain-pied. Au commencement de cette dernière de cent soixante-deux pieds, l’on voit l’ouverture d’un puits carré qui est fort profond, et où on ne descend point à cause des chauves-souris et autres animaux venimeux qu’il y peut avoir, dont il y a une bonne quantité dans toutes les chambres, car il n’y a aucune autre ouverture que celle de l’entrée. 
L’on tient que ce puits va sous terre jusques à une Idole qui reste encore aujourd’hui environ à trois cents pas de la Pyramide, du côté du Sirok (*) : c’était une hyène couchée dont il ne reste que la tête sur son col, assez maltraitée, ayant le nez et le menton cassés ; mais ce qui reste est fort beau à voir, et l’on y remarque l’adresse d’un habile sculpteur qui ne cédait pas à ces Grecs qu’on admire par leurs ouvrages. Elle a vingt-six pieds de haut, et depuis les oreilles jusques au menton, quinze pieds. La tradition est que les prêtres venaient sous cette Idole par le puits de la Pyramide, et y rendaient les oracles. Il y a aussi un trou au-dessus de la tête, où un homme peut demeurer debout sans être vu, qui peut-être servait encore à la fourberie.
Quelques jours après, je fus aux Momies qui commencent depuis le lieu des Pyramides décrites ci-dessus. Quoique le village où l’on va en soit éloigné d’environ quatre lieues, néanmoins ce rocher est creusé jusques-là, et encore bien plus de deux lieues plus haut et garni de Pyramides ruinées, et d’autres qui restent encore assez entières, et une entre autres qui ne cède guère à celle que j’ai décrite, et dont je remets la description à notre première vue de peur de vous ennuyer.
Tout ce rocher, comme j’ai dit, est creusé comme les catacombes de Rome ; et des pierres qu’on en tirait, on en bâtissait à mon avis les Pyramides qui servaient de sépulture pour les Princes, au-dessous desquelles dans les lieux qu’on avait vidés l’on enterrait les particuliers.”

(*) je transcris ce mot tel quel... sans en comprendre la signification