jeudi 7 avril 2011

Les trois grandes pyramides d’Égypte “ont été décrites par un grand nombre de voyageurs qui conviennent tous avec Hérodote” (Bernard de Montfaucon - XVIIe-XVIIIe s.)

Source : Wikimedia commons
Bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, Bernard de Montfaucon (1655-1741) consacra de nombreuses années de sa vie de religieux à des travaux d’érudition. C’est lui qui inventa le terme de paléographie (étude des écritures anciennes).
À partir de 1719, il publia un ouvrage encyclopédique en 15 volumes - L'Antiquité expliquée et représentée en figures -, qui contribua de manière déterminante à une meilleure compréhension de l’architecture antique.
Le texte ci-dessous, relatif aux trois grandes pyramides égyptiennes, est extrait du volume 10 de cet ouvrage.
L’auteur-compilateur s’y est abrité derrière deux références majeures : Corneille Le Brun pour la description des monuments, et surtout, pour la partie historique de la recherche, l’incontournable Hérodote, en dépit du constat que l’historien-explorateur grec n’a pas toujours “parlé avec la dernière précision”. En excellent connaisseur des langues anciennes qu’il était, dom Bernard de Montfaucon lui reprochait notamment de ne pas comprendre l’ “égyptien”, donc d’avoir recours à un interprète pour glaner ses informations.
Faute de trouver les bonnes informations chez les auteurs du passé, l’idée de “faire parler” les pierres elles-mêmes n’était pas alors dans l’air du temps. Il faudra encore attendre plus d’un siècle et demi pour voir apparaître l’archéologie scientifique qui sera à l’origine des développements que l’on sait en matière d’égyptologie, et plus particulièrement de pyramidologie.


“Ces Rois [d’Égypte] avaient des sépultures magnifiques qui s'élevaient sur terre. Les plus remarquables étaient les Pyramides de grandeur énorme, qui restent encore aujourd'hui. C'est la seule des sept merveilles du monde qui s'est conservée jusqu'à nos jours. Ce fut, dit Hérodote, Cheopis successeur de Rhampsinitus, qui entreprit cet ouvrage. Ce Prince adonné à toute sorte de vices fit fermer tous les temples, défendit aux Égyptiens de sacrifier aux dieux et les obligea de travailler à ses ouvrages. Les uns étaient destinés à tailler les pierres aux carrières du mont appelé d'Arabie et à traîner ces pierres jusqu'au Nil, où ils les chargeaient sur des bateaux, les passaient de l'autre côté de la rivière et les remettaient à d'autres qui les conduisaient de même jusqu'au mont appelé de Libye.
Dix myriades d'hommes, qui font le nombre de cent mille, y travaillaient continuellement : chaque myriade se relayait de trois en trois mois. Le peuple fut dix ans entiers à faire ce transport de pierres avec une peine incroyable et pour la commodité du transport, ils bâtirent un grand chemin dont le travail ne paraissait guère moins grand que celui de la pyramide. Ce chemin avait cinq stades de long, qui font six cent vingt-cinq pas géométriques, dix aunes de large et huit de haut aux endroits où le terrain était plus bas. Les côtés de ce grand chemin étaient de pierres de taille où étaient représentées des figures d'animaux comme aux hiéroglyphes.
On fut encore dix ans à faire tant ce chemin que les souterrains que le Roi fit pratiquer sur l'éminence où sont bâties les pyramides ; il mit des emplacements pour son tombeau dans une île qu'il fit en tirant un canal du Nil. Il fut vingt ans à faire la pyramide, qui a de largeur de chaque côté huit plethres : la mesure du plethre selon Suidas est de cent pieds, de sorte que l'ouvrage est un carré de huit cents pieds de chaque côté en le prenant du rez-de-chaussée. La hauteur, ou pour mieux dire la montée, était égale à la largeur. Les pierres dont la pyramide était composée n'avaient pas moins de trente pieds de long.
Cette pyramide était faite par degrés, dit ensuite Hérodote. La dépense qui y fut faite en raves, en oignons et en ail, montait à mille six cents talents, comme l'inscription qui paraissait de son temps le marquait. Hérodote qui a vu l'inscription, mais qui, n'entendant point l'égyptien, eut besoin d'interprète, paraît n'être pas fort persuadé de tout cela : si la chose est vraie, ajoute-t-il,
quelle aura donc été la dépense en ferrements, en pain et tout le reste de la nourriture et en habits ?
La seconde pyramide, moindre que la première, fut faite par Chephren, son successeur ; la troisième, qui est la plus petite des trois, par Mycerinus fils de Chephren.
Ces trois pyramides qui restent encore ont été décrites par un grand nombre de voyageurs qui conviennent tous avec Hérodote. Nous allons en faire la description et en donner la figure d'après Corneille le Brun (1) qui est un des derniers voyageurs, et qui écrit avec exactitude. Quoiqu'on ne parle que de trois pyramides, il y en a pourtant quatre, mais la dernière est si petite qu'on ne la met point en ligne de compte avec les autres. La plus grande des trois pyramides est la seule sur laquelle on puisse monter et dans laquelle on puisse entrer. On y entre par un grand trou où l'on ne peut pénétrer au dedans qu'en se courbant ou en rampant avec une fatigue extraordinaire ; à la fin de ce chemin, on en trouve deux autres dont l'un est droit et plain et l'autre va en montant. À l'entrée du premier chemin, on trouve un puits très profond, et de là, on vient à une chambre qui a dix-huit pieds de long et douze de large.
Le second chemin qui va en montant est bien plus remarquable : il a six pieds quatre pouces de largeur, et cent soixante-deux pieds de montée. Des deux côtés de la muraille, il y a un banc de pierre haut de deux pieds et demi et raisonnablement large, auquel on se tient ferme en montant ; à quoi ne servent pas peu les trous qu'on y a faits sur le pavé presqu'à chaque pas, mais grossièrement et sans y observer les distances. Sans ces trous où l'on met les pieds, il serait impossible d'aller jusqu'au haut, et ce n'est qu'à grand peine qu'on peut y arriver avec ce secours ; comme les trous sont fort éloignés les uns des autres, on n'y va que par de grandes enjambées. La structure de cette allée est de grandes pierres unies comme une glace ; la voûte en est fort élevée (...).
Par cette montée on arrive à une grande chambre qui a trente-deux pieds de long, seize de large et dix-neuf de haut. La voûte en est plate et est composée de neuf pierres, dont les sept du milieu ont chacune quatre pieds de large et seize de long ; les deux autres qui sont aux deux extrémités ne paraissent pas avoir chacune plus de deux pieds de large, mais l'autre moitié est posée fur la muraille. Toutes ces pierres font mises de travers sur la largeur de la chambre.
Au bout de cette chambre on voit un sépulcre d'une seule pierre qui, quand on la frappe, rend un son semblable à celui d'une cloche. Sa largeur est de trois pieds un pouce ; sa longueur, de sept pieds deux pouces et sa hauteur de trois pieds quatre pouces. La pierre qui a plus de cinq pouces d'épaisseur est extraordinairement dure et ressemble au porphyre ; elle est polie comme une glace. Les murailles de cette chambre font incrustées de la même pierre. Ce sépulcre est sans couvercle.
Il y a dans cette grande pyramide d'autres vides, des trous profonds et quelques allées difficiles. Je ne sais si l'on en a encore donné un plan bien exact ; quoi qu'il en soit, cela ne nous peut pas instruire beaucoup.
Comme cette pyramide était bâtie par degrés et que chaque assise de pierre laissait un grand bord à l'assise de dessous, on y peut monter quoiqu'avec beaucoup de peine, tant à cause de la hauteur des pierres et des assises que parce qu'elles sont cassées et gâtées en bien des endroits. Corneille le Brun dit que sur la grande pyramide, il a compté deux cent dix assises. Le même dit qu'il a mesuré les côtés au plus bas de la pyramide, et que chaque côté a sept cent quatre pieds. Il a aussi fait mesurer la hauteur de la montée par dehors, qui est, dit-il, de six cent seize pieds.
Hérodote dit que la largeur de la grande pyramide est de huit plethres ou de huit cents pieds de chaque côté : sa mesure du pied était plus petite. Il dit aussi que la hauteur est égale à la largeur, ce qui ne convient pas tout à fait avec les mesures de Corneille le Brun ; car selon lui, la hauteur est d'un septième moins grande que la largeur.
On pourrait peut-être dire que les sables ayant enterré plusieurs assises d'en-bas, cela aura ôté de la hauteur de l'édifice, mais comme ces assises croient par degrés comme nous venons de dire, celles qui sont enterrées augmenteraient la largeur aussi bien que la hauteur, et la différence resterait toujours à peu près la même, de sorte qu'on est obligé de dire qu'Hérodote n'aura pas parlé avec la dernière précision, et qu'il aura pris pour égal à peu près ce qui n'avait qu'un septième moins de hauteur. Au reste, il ne faut pas prendre cette hauteur perpendiculairement, car selon Corneille le Brun, la hauteur perpendiculaire n'est que de trois cent cinquante-deux pieds, en n'y comprenant sans doute que ce qui est élevé sur terre. Cette pyramide qui d'en bas paraît se terminer en pointe a pourtant sur le haut une plate-forme de seize pieds en carré, composée de dix ou douze grosses pierres.
La seconde pyramide parait de loin plus haute que la première, parce qu'elle est sur un terrain plus élevé ; elle est fermée de tous côtés, si bien qu'on n'y peut entrer. On croit pourtant qu'il y avait autrefois une ouverture comme à l'autre et qu'elle avait des allées. Comme elle était sans doute faite pour un sépulcre, il ne faut point douter qu'elle n'ait en dedans des allées et des chambres voûtées. Elle est carrée comme la première, et selon M. Thévenot, elle a six cent trente et un pieds de chaque côté.
La troisième est petite en comparaison des autres. On croit qu'elle a été autrefois revêtue de pierres semblables à celles du sépulcre de la grande pyramide : ce qui a donné lieu de le croire, est qu’on trouve tout autour une grande quantité de pierres semblables.”
Source : Gallica

(1) sur cet auteur, voir la note de Pyramidales ICI