On ne commence à bien les juger qu'en arrivant à la limite des terrains cultivés, et alors c'est l'impression complète, dans toute sa force, surtout lorsque, parvenant au bord du désert, on se trouve aux pieds de la Grande Pyramide. Ayant gravi le plateau qui lui sert de piédestal, on est positivement écrasé par cette masse gigantesque, assise sur le roc et environnée d'une immense plaine de sable. Que ne donnerait-on pour pouvoir jouir en paix de ce merveilleux spectacle ? (...)
Pour jouir vraiment de la contemplation des Pyramides, il ne faut pas les visiter en pleine saison. Les caravanes de touristes se disputant avec leurs conducteurs, se préparant bruyamment à déjeuner ou à se faire photographier, sont fort réjouissantes vues d'une terrasse d'hôtel, mais ici, elles gâtent tout à fait le caractère du lieu. (...)
Une promenade autour de la tombe de Chéops vous donne l'idée de sa dimension. Une distance de 260 mètres sépare entre eux les angles et si vous faites le tour de la Pyramide, vous aurez fait plus des trois quarts d'un kilomètre. Cette base couvre 520 ares, c'est-à-dire une superficie plus grande que celle du square de Lincol's Inn Fields. Les grands blocs superposés en gradins qui, de la route, nous paraissaient de simples briques, mesurent quarante pieds cubes, et, selon le calcul du Professeur Flinders Petrie, deux millions trois cent mille de ces blocs furent employés à la construction de la Pyramide.
L'imagination ne saurait vous reporter à soixante siècles en arrière. La pierre changeant fort peu dans le désert, sa couleur ne vous aide point. Il est vrai que ce que nous voyons n'a été exposé aux intempéries que durant cinq siècles, toute la couche de granit extérieure ayant été utilisée au Caire, lors de la construction de la mosquée d'Hasan. On s'étonne qu'on n'ait pas tiré parti plus tôt d'une carrière si commode, pourvue de pierres toutes taillées.
La dépense d'activité humaine que nécessitèrent ces constructions est inouïe. Le Professeur Flinders Petrie nous explique que les ouvriers n'y travaillaient que durant la crue du Nil, alors que la terre ne réclamait point leurs soins ; mais, le moment de la crue étant justement le plus pénible pour l'agriculteur en Égypte, ceci me paraît inexact. De plus, il ne faut pas s'imaginer que l'indigène ne souffre pas de la chaleur. Le fellah a peu changé depuis soixante siècles, et quoique très brave travailleur, il mollit sensiblement pendant les périodes de chaleur.
Hérodote raconte que la construction de cette Pyramide nécessita le travail de cent mille hommes pendant vingt années consécutives, et Flinders Petrie estime que cette évaluation est exacte. Nourrir et discipliner cette armée de travailleurs dut exiger un merveilleux talent d'organisation. L'extraction de ces pierres à 10 kilomètres plus loin, aux collines de Mokattam, et la façon dont elles furent taillées et ajustées, font preuve d'une civilisation raffinée.
Je me suis laissé dire qu'un entrepreneur séjournant à Mena House, s'est amusé à faire un devis de ce que coûterait aujourd'hui la Grande Pyramide, élevée avec l'aide de nos machines, et il arriva au chiffre de six millions. Il serait curieux de savoir combien cette construction a coûté en son temps.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que d'une seule pyramide ; celle de Képhren est aussi importante, et il en existe encore une grande et six plus petites. Ce groupe de pyramides constitue la plus ancienne et la plus belle des sept merveilles du monde, la seule du reste qu'il nous soit encore permis d'admirer."
extrait de L'Égypte d'hier et d'aujourd'hui, 1910, par Walter Frederick Roope Tyndale (1855-1943), aquarelliste de paysages, d'architecture et de scènes de rue, illustrateur de livres et écrivain de voyage.