Il fut un temps où le pèlerinage en Terre Sainte comportait une halte en Égypte, avec un détour obligé du côté des pyramides.
Ce fut le cas pour le périple accompli en 1600 par Henry Castela (1570 ? -16..), un voyageur sur lequel je n'ai pu trouver aucun élément biographique.
Le texte ci-dessous est extrait de son récit Le sainct voyage de Hiérusalem et Mont Sinay, faict en l'an du grand Jubilé.
Pour garder toute sa saveur à la langue française des XVIe-XVIIe siècles, je n'ai rien changé à l'agencement des phrases. J'ai simplement, sauf quelques rares exceptions, rétabli l'orthographe actuelle.
J'ai également, pour dégager l'articulation du texte, souligné en gras certains ensembles de mots.
À noter : c'est la première fois, au cours de mon inventaire, que je vois mesurer la hauteur de la pyramide avec un "peloton de ficelle" et qualifier la chambre sépulcrale de "Palais Royal"... ou la pyramide de "grande machine" !
Enfin nous commençâmes de découvrir, à un mille ou deux de loin, cette admirable tour qu'on estime à bon droit être une des merveilles du monde. Laquelle j'aperçus de loin, et n'ayant encore vu ce qui est de rare et remarquable en elle, il m'était avis que ce n'était si grand cas qu'on disait, et que ce qui en avait été écrit par plusieurs auteurs, c'étaient des amplifications faites à plaisir, et sans beaucoup de sujet. Mais quand j'eus observé et remarqué de plus près ce qui était de rare et recommandable en elle, je fus contraint de changer d'opinion, jugeant avec le commun consentement de ceux qui en parlent, que c'est vraiment une des merveilles qui sont au monde.
L'admiration que cela causa en moi, jointe à la curiosité et désir que j'eus de voir particulièrement que c'était, fut cause que j'entrepris et me hasardai, avec deux janissaires et un Mouchari (1) bien armés, d'aller voir au-dedans aussi exactement et curieusement que nous l'avions vu par le dehors, portant chacun un flambeau en main, et ayant encore des mèches d'arquebuse allumées, des allumettes et un fusil, pour éviter le danger où nous étions de nous y perdre du tout, comme dans un labyrinthe, si notre lumière se fût éteinte (comme il advint aussi) et que nous n'eussions eu de quoi en avoir d'autre.
Or donc, étant entrés et ayant passé la première porte qui a huit pieds de hauteur et quatre de large, puis après il faut descendre, ou plutôt se laisser rouler en bas jusques à un autre courroir (2) plus étroit et si bas qu'il était nécessaire que nous allassions toujours courbés, en faisant ainsi le tour par le dedans de toute la pyramide, où nous trouvions une si grande multitude de chauves-souris ayant de longues queues, lesquelles se jetaient contre nos flambeaux, qui était cause que plusieurs se brûlaient à leurs flammes, les éteignant.
De là, après avoir rallumé nos flambeaux, nous entrâmes en une petite chambre si remplie de ruines, et principalement sur la porte, qu'il nous fallut presque nous coucher pour y entrer. De là, en hors, nous retournâmes monter du côté de midi, par un rocher non guère haut, jusques au commencement d'un petit détroit voûté qui était pavé tout du long d'une pierre de marbre si bien polie qu'on y eût glissé en passant par dessus, tout ni plus ni moins qu'on serait sur du verre, ou sur de la glace ; mais en défaut de ce qu'il n'y avait point de degrés, on mettait les pieds dedans certains trous qu'on y avait faits expressément aux deux côtés, pour descendre et monter, comme l'on ferait dans un puits.
Nous fîmes tant que nous arrivâmes à une seconde chambre, où il me semblait entrer dedans un Palais Royal, parce que tous les côtés n'y avait aucuns parements qui ne fussent de jaspe, très rare et reluisant marbre, ou bien de porphyre, sans y avoir autre chose dedans la susdite chambre qu'une sépulture ouverte et éloignée environ cinq pas, des murailles qui étaient aussi de pierre de porphyre, toute d'une pièce, ayant huit pieds de long, et trois de large, et quatre et de demi de profond ; et toute la chambre contenant quinze pas de long, et huit et demi de large ; pareillement haute de trente pieds ou environ, le tout si reluisant à la splendeur de nos flambeaux que nous nous y mirions ni plus ni moins qu'on ferait sur la glace d'un grand miroir, même contre la pierre de la sépulture ; et frappant sur elle, il semblait proprement qu'on sonnait une grande cloche, parce que le tout y retentissait d'une telle façon que les oreilles nous cornaient, comme si l'on eût tiré auprès de nous une pièce d'artillerie.
Reprenant le même chemin, par lequel nous étions venus, nous trouvâmes au milieu de la pyramide une profondeur semblable à un puits qui n'avait (à ce qu'on me dit) aucune source d'eau, mais quand on parlait aux environs, cela retentissait encore plus haut que ne faisait point la susdite chambre et sépulture, même jusques à nous en effrayer et épouvanter terriblement tous, aussi bien les janissaires que moi, quoiqu'ils y eussent été plusieurs autres fois.
D'avantage il me fut dit par eux que par là on soulait (3) aller anciennement jusques aux déserts aréneux (4), et que le puits susmentionné avait autant de profondeur comme la pyramide était élevée sur terre.
Étant parvenus sur le même rocher d'où nous étions partis, nous allâmes mal aisément par un autre chemin étroit, lequel nous mena à une double porte, grande comme celle des villes, où l'on pourrait aussi faire descendre entre les deux un râteau, où premièrement nous trouvâmes une cheminée étroite, fort bien bâtie de pierre de taille, qui pouvait avoir environ trente coudées de haut. On peut retourner par ce même chemin dans la chambre sus-mentionnée, où nous avions vu la sépulture.
Ayant contemplé attentivement tous les endroits tant intérieurs qu'extérieurs, je vis que plusieurs noms de personnages y étaient écrits en diverses langues, avec date de l'année, mois et jour, qu'on les y avait mis, au rang desquels je m'efforçai aussi d'y graver mon nom et ma qualité, avec la pointe d'un couteau que j'empruntai de mon janissaire, et ce fut au sommet de cette pyramide, où la dernière et plus haute pierre est carrée, ayant quinze pieds en carré, laquelle néanmoins, quand on la voyait par bas, semblait être toute pointue, comme pareillement nos hommes que nous avions laissés dehors, pour garder nos montures, ne nous semblaient être plus grands qu'une fourmi. (...)
Or, avant [de] monter, j'apportai expressément dans ma manche un grand peloton de ficelle longue de cinq cents brasses, pour en mesurer à plus près tant la hauteur que la grosseur de cette grande machine (lesquelles sont proportionnées l'une à l'autre) après l'avoir toute déployée et ajustée à la longueur de la susdite pyramide du haut en bas ; encore ne fut-elle pas assez longue pour toucher et atteindre jusqu'au pied, sinon du côté de la Tramontane, parce qu'il est plus bas et assolé (5) que les autres ; et non seulement ce qui en tombe fait paraître cette face de pyramide moins haute, ainsi s'élève et outrepasse de beaucoup ses fondements, au moyen de quoi je n'eus point la commodité de prendre plus commodément la hauteur et mesure de ce grand édifice.
(1) je suppose, me référant à l'étymologie arabe, que ce mot signifie "guide"
(2) corridor
(3) avait l'habitude
(4) sablonneux
(5) quelle est la signification de ce terme ? Rien à voir évidemment avec l' "assolement" au sens actuel lié à l'agriculture.
Ce fut le cas pour le périple accompli en 1600 par Henry Castela (1570 ? -16..), un voyageur sur lequel je n'ai pu trouver aucun élément biographique.
Le texte ci-dessous est extrait de son récit Le sainct voyage de Hiérusalem et Mont Sinay, faict en l'an du grand Jubilé.
Pour garder toute sa saveur à la langue française des XVIe-XVIIe siècles, je n'ai rien changé à l'agencement des phrases. J'ai simplement, sauf quelques rares exceptions, rétabli l'orthographe actuelle.
J'ai également, pour dégager l'articulation du texte, souligné en gras certains ensembles de mots.
À noter : c'est la première fois, au cours de mon inventaire, que je vois mesurer la hauteur de la pyramide avec un "peloton de ficelle" et qualifier la chambre sépulcrale de "Palais Royal"... ou la pyramide de "grande machine" !
Enfin nous commençâmes de découvrir, à un mille ou deux de loin, cette admirable tour qu'on estime à bon droit être une des merveilles du monde. Laquelle j'aperçus de loin, et n'ayant encore vu ce qui est de rare et remarquable en elle, il m'était avis que ce n'était si grand cas qu'on disait, et que ce qui en avait été écrit par plusieurs auteurs, c'étaient des amplifications faites à plaisir, et sans beaucoup de sujet. Mais quand j'eus observé et remarqué de plus près ce qui était de rare et recommandable en elle, je fus contraint de changer d'opinion, jugeant avec le commun consentement de ceux qui en parlent, que c'est vraiment une des merveilles qui sont au monde.
L'admiration que cela causa en moi, jointe à la curiosité et désir que j'eus de voir particulièrement que c'était, fut cause que j'entrepris et me hasardai, avec deux janissaires et un Mouchari (1) bien armés, d'aller voir au-dedans aussi exactement et curieusement que nous l'avions vu par le dehors, portant chacun un flambeau en main, et ayant encore des mèches d'arquebuse allumées, des allumettes et un fusil, pour éviter le danger où nous étions de nous y perdre du tout, comme dans un labyrinthe, si notre lumière se fût éteinte (comme il advint aussi) et que nous n'eussions eu de quoi en avoir d'autre.
Or donc, étant entrés et ayant passé la première porte qui a huit pieds de hauteur et quatre de large, puis après il faut descendre, ou plutôt se laisser rouler en bas jusques à un autre courroir (2) plus étroit et si bas qu'il était nécessaire que nous allassions toujours courbés, en faisant ainsi le tour par le dedans de toute la pyramide, où nous trouvions une si grande multitude de chauves-souris ayant de longues queues, lesquelles se jetaient contre nos flambeaux, qui était cause que plusieurs se brûlaient à leurs flammes, les éteignant.
De là, après avoir rallumé nos flambeaux, nous entrâmes en une petite chambre si remplie de ruines, et principalement sur la porte, qu'il nous fallut presque nous coucher pour y entrer. De là, en hors, nous retournâmes monter du côté de midi, par un rocher non guère haut, jusques au commencement d'un petit détroit voûté qui était pavé tout du long d'une pierre de marbre si bien polie qu'on y eût glissé en passant par dessus, tout ni plus ni moins qu'on serait sur du verre, ou sur de la glace ; mais en défaut de ce qu'il n'y avait point de degrés, on mettait les pieds dedans certains trous qu'on y avait faits expressément aux deux côtés, pour descendre et monter, comme l'on ferait dans un puits.
Nous fîmes tant que nous arrivâmes à une seconde chambre, où il me semblait entrer dedans un Palais Royal, parce que tous les côtés n'y avait aucuns parements qui ne fussent de jaspe, très rare et reluisant marbre, ou bien de porphyre, sans y avoir autre chose dedans la susdite chambre qu'une sépulture ouverte et éloignée environ cinq pas, des murailles qui étaient aussi de pierre de porphyre, toute d'une pièce, ayant huit pieds de long, et trois de large, et quatre et de demi de profond ; et toute la chambre contenant quinze pas de long, et huit et demi de large ; pareillement haute de trente pieds ou environ, le tout si reluisant à la splendeur de nos flambeaux que nous nous y mirions ni plus ni moins qu'on ferait sur la glace d'un grand miroir, même contre la pierre de la sépulture ; et frappant sur elle, il semblait proprement qu'on sonnait une grande cloche, parce que le tout y retentissait d'une telle façon que les oreilles nous cornaient, comme si l'on eût tiré auprès de nous une pièce d'artillerie.
Reprenant le même chemin, par lequel nous étions venus, nous trouvâmes au milieu de la pyramide une profondeur semblable à un puits qui n'avait (à ce qu'on me dit) aucune source d'eau, mais quand on parlait aux environs, cela retentissait encore plus haut que ne faisait point la susdite chambre et sépulture, même jusques à nous en effrayer et épouvanter terriblement tous, aussi bien les janissaires que moi, quoiqu'ils y eussent été plusieurs autres fois.
D'avantage il me fut dit par eux que par là on soulait (3) aller anciennement jusques aux déserts aréneux (4), et que le puits susmentionné avait autant de profondeur comme la pyramide était élevée sur terre.
Étant parvenus sur le même rocher d'où nous étions partis, nous allâmes mal aisément par un autre chemin étroit, lequel nous mena à une double porte, grande comme celle des villes, où l'on pourrait aussi faire descendre entre les deux un râteau, où premièrement nous trouvâmes une cheminée étroite, fort bien bâtie de pierre de taille, qui pouvait avoir environ trente coudées de haut. On peut retourner par ce même chemin dans la chambre sus-mentionnée, où nous avions vu la sépulture.
Ayant contemplé attentivement tous les endroits tant intérieurs qu'extérieurs, je vis que plusieurs noms de personnages y étaient écrits en diverses langues, avec date de l'année, mois et jour, qu'on les y avait mis, au rang desquels je m'efforçai aussi d'y graver mon nom et ma qualité, avec la pointe d'un couteau que j'empruntai de mon janissaire, et ce fut au sommet de cette pyramide, où la dernière et plus haute pierre est carrée, ayant quinze pieds en carré, laquelle néanmoins, quand on la voyait par bas, semblait être toute pointue, comme pareillement nos hommes que nous avions laissés dehors, pour garder nos montures, ne nous semblaient être plus grands qu'une fourmi. (...)
Or, avant [de] monter, j'apportai expressément dans ma manche un grand peloton de ficelle longue de cinq cents brasses, pour en mesurer à plus près tant la hauteur que la grosseur de cette grande machine (lesquelles sont proportionnées l'une à l'autre) après l'avoir toute déployée et ajustée à la longueur de la susdite pyramide du haut en bas ; encore ne fut-elle pas assez longue pour toucher et atteindre jusqu'au pied, sinon du côté de la Tramontane, parce qu'il est plus bas et assolé (5) que les autres ; et non seulement ce qui en tombe fait paraître cette face de pyramide moins haute, ainsi s'élève et outrepasse de beaucoup ses fondements, au moyen de quoi je n'eus point la commodité de prendre plus commodément la hauteur et mesure de ce grand édifice.
(1) je suppose, me référant à l'étymologie arabe, que ce mot signifie "guide"
(2) corridor
(3) avait l'habitude
(4) sablonneux
(5) quelle est la signification de ce terme ? Rien à voir évidemment avec l' "assolement" au sens actuel lié à l'agriculture.
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