mercredi 16 décembre 2009

"Je crois qu'il nous reste encore beaucoup de choses à deviner sur la destination des pyramides" (François-Benoît Hoffman - XIXe s.)

L'auteur dramatique et critique François-Benoît Hoffman(n) (1760-1828) dut à sa culture encyclopédique son intérêt pour l'Égypte.
Dans le texte ci-dessous, extrait de ses Œuvres complètes, tome 2, 1828, il se posait à son tour la sempiternelle question de la fonction exacte des pyramides : des monuments astronomiques ? de simples tombeaux ? une encyclopédie de pierre de toutes les sciences de l'époque ?
Mais pourquoi tout d'abord une telle complexité architectonique dans l'aménagement intérieur de ces monuments ?
L'auteur prit bien appui sur de sérieuses références : Caviglia et Belzoni. Ses questions n'en demeurèrent pas moins, à ses yeux, sans véritable réponse.
On notera également une déduction qui, au demeurant, semble logique. Lorsque Belzoni pénétra dans la pyramide de Khéphren, il s'aperçut qu'elle avait déjà été visitée, même si elle "n'offrait aucune marque de brèche". Faut-il alors en conclure qu'un accès secret à la pyramide était possible par de longues galeries ?


F.-B. Hoffman
 
Que n'a-t-on pas dit sur les pyramides ! Quel était l'objet, le but de ces entreprises gigantesques ? Ces masses énormes étaient-elles des monuments astronomiques ? Leurs faces, constamment tournées vers les points cardinaux, et inclinées de manière à ne point donner d'ombre à tel jour de l'année, semblent favoriser cette conjecture ; mais alors, pourquoi multiplier ainsi des constructions aussi dispendieuses, pourquoi les placer à d'aussi petites distances ? On ne devine pas d'ailleurs de quelle utilité pouvaient être ces longues galeries, ces corridors ascendants ou descendants, et ces puits profonds qui occupent l'intérieur de ces montagnes artificielles : dans ce dédale inextricable, rien n'est propre à l'observation des astres, et cependant ce n'est pas sans motif que les bras de tant de générations ont été employés à de semblables travaux. Ces pyramides n'étaient-elles que les tombeaux des rois ? Autre difficulté : d'abord, un grand nombre de rois ont été enterrés dans les cryptes, et depuis Hérodote, depuis Strabon et Diodore de Sicile, on a cent fois décrit leurs tombeaux.
M. Belzoni en offre une nouvelle preuve dans le monument qu'il a découvert sous la montagne de Beban-el-Malouk, et qui ne peut être que le mausolée d'un grand monarque. D'ailleurs, l'objection que j'ai faite relativement à la destination astronomique des pyramides conserve toute sa force, si l'on suppose qu'on a élevé de si énormes masses pour y placer un seul corps, et l'on se demande quel rapport ces puits profonds, ces galeries multipliées peuvent avoir avec une seule chambre sépulcrale, et pourquoi tant de travail intérieur, lorsqu'il devait être enseveli sous un amas de pierres impénétrable ?
Dans l'impossibilité de trouver quelque chose de raisonnable sur ce point d'antiquité, des savants ont pensé que ces travaux prodigieux n'avaient pour but que l'hygiène : l'éléphantiasis, disent-ils, était endémique en Égypte, et l'oisiveté favorisait le développement de cette affreuse maladie. Le gouvernement cherchait donc sans cesse à occuper le peuple, et il aurait transporté les montagnes de la Thébaïde plutôt que de laisser les Égyptiens dans l'inaction. Cette conjecture a été bientôt abandonnée, et je ne m'en étonne pas. D'autres savants, ayant observé que l'intérieur des cryptes était chargé d'hiéroglyphes, ont supposé que les prêtres y avaient fait graver les principes de toutes les sciences, afin de conserver ce dépôt des connaissances humaines, dans le cas où une inondation extraordinaire détruirait toute la population. Cette explication ne vaut pas mieux que l'autre : d'ailleurs, je ne crois pas que l'intérieur des pyramides soit orné de peintures et d'hiéroglyphes comme les cryptes de Thèbes ou de Saccara. Tous ces raisonnements ne se trouvent point dans le récit de M. Belzoni ; mais il m'a paru nécessaire de les rappeler pour mieux apprécier ce qui va suivre.
Dans le temps où notre voyageur était à Djizé, le capitaine Caviglia venait de réussir dans une entreprise audacieuse : il avait osé se faire descendre dans le puits de la grande pyramide, de celle dont tant de voyageurs ont donné les dimensions. Après avoir pénétré jusqu'à la profondeur de trente-huit pieds dans ce puits, sujet de tant de conjectures, le capitaine se vit arrêter par quatre grosses pierres ; il écarta cet obstacle, non sans peine, il parvint à vingt-deux pieds plus bas, et il trouva un caveau. Sous ce caveau, régnait une plate-forme, d'où le puits s'enfonçait jusqu'à l'énorme profondeur de deux cents pieds. Plongé dans cet abîme, M. Caviglia sentit que le sol résonnait encore sous ses pieds, et qu'il était conséquemment sur une cavité encore plus profonde. Il se serait précipité dans ce nouveau gouffre, et il faisait travailler à écarter le sable, lorsque la respiration devenant difficile, et les flambeaux s'éteignant, faute d'oxygène, il fut obligé de remonter. Ayant dirigé ses recherches sur un autre point, il parvint par une galerie descendante au lieu qu'il avait abandonné, et il le reconnut aux paniers et aux cordes qu'il y avait laissés, et qu'il retrouva. Qui m'expliquera maintenant l'utilité de ce puits et de ces galeries, soit pour un monument astronomique, soit pour un tombeau, quand le sarcophage du défunt n'occupe qu'un petit réduit dans cette énorme masse ? Je crois qu'il nous reste encore beaucoup de choses à deviner sur la destination des pyramides.
Quoi qu'il en soit, M. Belzoni, piqué d'émulation, et sachant que, de temps immémorial, personne n'avait pénétré dans la seconde pyramide, entreprit de la percer et d'en découvrir les mystères. C'est dans l'ouvrage même qu'il faut lire le récit de cette opération difficile, des dangers auxquels il s'exposa, du chagrin qu'il ressentit quand il vit qu'il avait entamé le colosse par le mauvais côté, des moyens qu'il employa pour rectifier son erreur, et du succès qui couronna ses efforts. Là, comme ailleurs, il vit un puits, des galeries, des corridors, et il ne découvrit qu'un sarcophage ; mais une inscription arabe lui apprit que le sultan Ali-Mohammed avait déjà fait ouvrir cette pyramide. M. Belzoni n'était donc pas le premier curieux depuis les Ptolémée, ni même depuis les Romains, qui se fût introduit dans ce sanctuaire de la mort. Par où donc avaient passé les Arabes, auteurs de l'inscription ? La pyramide n'offrait aucune marque de brèche ou de tentative à l'extérieur : on pouvait donc arriver par des galeries dont l'entrée était peut-être fort loin dans la campagne, et cela paraît expliquer la profondeur des puits et la longueur des corridors. Au reste, je donne cette conjecture pour ce qu'elle vaut, en convenant qu'elle n'apprend rien sur l'utilité de l'édifice, ni sur le choix que l'on a fait de cette forme pyramidale, où il y a tant de matière employée pour abriter un cercueil.

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