mercredi 2 décembre 2009

"On reconnaît (sur l'arête nord-est de la pyramide de Khéops) une chambre carrée qui paraît avoir toujours existé" (Le Magasin pittoresque - XIXe s.)


Édouard Charton (Wikimedia commons)

Magazine français, créé par Édouard Charton (1807-1890) et paru de janvier 1833 à 1938, Le Magasin pittoresque était une "encyclopédie populaire" qui rencontra un vif succès. Le titre a été repris par une "revue virtuelle du XXIe siècle".
Du tome 1 (1833) du magazine, j'ai choisi les extraits suivants (non signés) :


Illustration extraite de la revue "Magasin pittoresque"

Les Anciens avaient assigné aux pyramides d'Égypte le premier rang parmi les merveilles du monde à cause de l'énormité de leur masse, de la singularité de leur disposition intérieure, et de leur grande antiquité.
On compte environ quarante pyramides de diverses grandeurs sur une étendue de 16 lieues au plus, comprise entre le village de Ghizé, à la hauteur du Caire, et la pyramide de Meydoûn, la plus méridionale de toutes. Cette région, située à l'occident du Nil et de l'Égypte, comprend une partie de l'ancienne province dite le Fayoum.
Les pyramides les plus remarquables sont situées à 5.000 toises sud-ouest du village nommé Ghizé, et à 3 lieues environ du Nil, sur une colline de pierre calcaire, qui s'élève à 100 pieds au-dessus du niveau du fleuve. Elles sont au nombre de trois, disposées sur une même ligne, et distantes l'une de l'autre de 4 à 500 pas, dans la direction de l'ouest. Les quatre faces de chacune répondent à peu près aux quatre points cardinaux, le nord, le sud, l'est et l'ouest. On les a désignées par les noms de leurs fondateurs ; ce sont : Chéops, Cephrennes et Mycerinus.
Les deux pyramides les plus septentrionales sont les plus grandes. Celle de Chéops, mesurée avec une grande exactitude par le général Grobert, porte 728 pieds de, longueur à sa base et 448 pieds de hauteur perpendiculaire. On y compte 208 assises, ayant chacune 20 pouces 6 lignes de hauteur moyenne. Le Cephrennes a 655 pieds de base et 398 de hauteur. Le Mycerinus a 280 pieds de base apparente et 162 d'élévation.
On ignore la date de la construction de ces monuments ; mais ce qu'on peut avancer sans aucun scrupule, c'est qu'ils sont de l'antiquité la plus reculée, et qu'à l'époque où les philosophes et les plus anciens historiens de la Grèce voyageaient en Égypte, leur origine, mêlée de traditions fabuleuses, se perdait déjà dans un temps immémorial. Parmi les historiens qui parlent de ces monuments, Hérodote, le plus ancien et qui paraît avoir été le mieux informé, rapporte, entre autres circonstances, qu'on mit d'abord dix ans à construire une chaussée ou digue destinée à charrier les matériaux de ces monuments du point de leur extraction à la colline où ils devaient être élevés. De chaque côté de cette chaussée régnait un mur construit en pierres lisses et ornées d'hiéroglyphes ou signes symboliques ; sa longueur était de 5 stades sur 40 coudées de largeur (10 oryges) (*) et 30 d'élévation (8 oryges) (*). Lorsqu'elle fut achevée, on aplanit au ciseau la colline sur laquelle devait s'élever la pyramide ; on creusa les canaux et les souterrains, travail qui dura encore dix années, et ce ne fut qu'ensuite que l'on bâtit la pyramide à laquelle, selon Diodore de Sicile, cent mille hommes furent occupés pendant vingt ans.
Les pierres destinées à ces constructions étaient tirées des carrières de la montagne orientale, située sur la rive opposée du fleuve, du côté de l'Arabie. La plupart de ces blocs avaient jusqu'à 30 pieds de longueur.
Après avoir élevé les pyramides par assises de pierres placées les unes au-dessus des autres, et formant jusqu'au sommet autant de degrés successifs, comme les marches d'un escalier, on revêtit, en commençant par le haut, les faces extérieures de ces monuments avec des pierres taillées en forme de prisme triangulaire, et rapprochées de manière à former dans leur ensemble une surface unie. La seconde pyramide, dite le Cephrennes, est la seule qui ait conservé vers la pointe une partie de son revêtement.
On s'est livré, à l'occasion de ces édifices, à une foule de conjectures plus ou moins étranges. Les uns en ont fait des observatoires, sans songer que leur revêtement extérieur n'eût pas permis de les gravir, et que la réunion de plusieurs édifices semblables sur un espace de peu d'étendue détruisait cette assertion, lorsque d'ailleurs des montagnes plus élevées, situées non loin de là, devaient mieux convenir à cet usage. D'autres en ont fait les greniers d'abondance de Joseph ; d'autres enfin, le symbole de certaines croyances mystiques, et le centre des initiations et de diverses cérémonies mystérieuses. L'opinion des savants, d'accord avec le témoignage des historiens et l'examen des monuments, reconnaît aujourd'hui qu'ils étaient destinés à servir de tombeaux ; l'idée d'élever des tas de pierres sur la tombe des morts semble en effet naturelle à tous les peuples dans leur état d'enfance ; on retrouve des tumuli du même genre dans l'Inde, dans la France, en Angleterre et en Irlande ; il en est, même dans cette dernière contrée, qui ont jusqu'à 150 pieds de hauteur.
Chez les Égyptiens, le faste des tombeaux était pour ainsi dire consacré par la religion, comme la pratique d'embaumer les morts. Ce qui, du reste, devait lever tous les doutes à l'égard de la destination des pyramides, c'est l'existence d'un sarcophage ou cuve en granit qui se trouve dans la grande salle du Chéops, et qui avait été destinée à renfermer la momie du roi.
Quelques pyramides sont ouvertes, d'autres sont encore fermées, d'autres tombent en ruines.
L'intérieur de celles qui sont ouvertes renferme différentes chambres et galeries.
La pyramide de Chéops a été, entre toutes, le principal objet des recherches des savants et des voyageurs. On y pénètre par une ouverture étroite, placée à 48 pieds au-dessus du sol, et qui conduit successivement à cinq canaux différents, ayant tous, à l'exception du quatrième, 3 pieds 4 pouces en carré. Ces couloirs conduisent dans la même direction du nord au sud, et par un double embranchement, à deux chambres, dont la plus grande, dite chambre du roi, et qui contient le sarcophage, se trouve à peu près vers le milieu de la pyramide, perpendiculairement à son sommet, au-dessus de la seconde chambre, et à 160 pieds du sol. Plus récemment, une troisième pièce, située au-dessus des deux premières, a été découverte, avec de nouveaux couloirs, par un Italien, nommé Caviglia, et il n'est pas impossible que cette pyramide renferme d'autres chambres et d'autres galeries qu'on n'a pas encore trouvées.
On rencontre dans le couloir horizontal, aboutissant à la chambre de la reine et au niveau du sol, une excavation en forme de puits ou cheminée, dont la profondeur connue est de 180 pieds environ ; il fait quelques sinuosités, et pénètre obliquement dans le rocher qui sert de base au monument ; les pierres et les gravats qu'on y a jetés ne permettraient d'aller plus loin qu'au moyen de déblaiemens considérables.
On a lieu de soupçonner, d'après des recherches et des découvertes plus récentes, que ce puits aboutissait par diverses ramifications à d'autres chambres inconnues, et s'étendait même au dehors de l'édifice jusqu'au sphinx (...).
On a reconnu également que la plupart des canaux de cette pyramide avaient été bouchés et remplis avec des pierres qu'on y a fait glisser après que tout l'ouvrage eut été achevé, afin de rebuter ceux qui auraient entrepris de les ouvrir.
L'intérieur de ce monument est d'autant plus pénible à visiter qu'indépendamment de la chaleur étouffante qu'on y éprouve, et de l'odeur infecte causée par les chauves-souris qui y meurent et s'y décomposent depuis tant de siècles, le peu d'élévation donnée aux conduits oblige les curieux, tantôt à se tenir courbés, tantôt à escalader des parois verticales où de simples cavités taillées au marteau servent d'échelons ; tantôt à gravir des pentes rapides sur une pierre dont le poli, malgré les rainures transversales pratiquées de distance en distance, expose à des chutes qui ne sont pas sans danger ; on est obligé, en outre, de tenir à la main une bougie dont chacun doit être muni dans cet obscur dédale.
En suivant l'angle extérieur nord-est, où la dégradation causée par la vétusté et le marteau des explorateurs ont ménagé une montée facile, on parvient au sommet de la pyramide. Aux deux tiers de l'élévation totale du monument se trouve une excavation qui sert de reposoir à ceux qui font cette ascension ; on y reconnaît une chambre carrée qui paraît avoir toujours existé, et par laquelle on avait tenté de pénétrer dans l'édifice avant que son ouverture actuelle ne fût connue ; les arrachements et dégradations qu'elle a éprouvés attestent ces pénibles efforts.
Le sommet de la pyramide présente une plate-forme irrégulière de 18 pieds carrés, due à la destruction des trois ou quatre assises qui formaient sa pointe, et l'on jouit sur cette élévation du spectacle le plus imposant et le plus admirable.

(*) erreur de l'auteur : il faut évidemment lire : orgye ou orgyie

Dans un autre article de la même revue, on lit cette remarque attestant d'un véritable sacrilège en préparation :


À l'époque de l'expédition d'Égypte, les Français avaient entrepris de détruire, par la mine, l'une des pyramides de moindre grandeur qui se trouvent dans le voisinage des trois premières ; c'est la quatrième a l'ouest, qu'on avait jugée intacte. Le sacrifice d'un de ces monuments, peu regrettable au fond, aurait probablement amené des découvertes propres à nous fixer sur leur disposition intérieure, et sur le système d'inhumation des momies royales ; mais les événements ne permirent pas d'achever cette entreprise arrêtée dès son principe, et dans laquelle on avait déjà consommé une quantité considérable de poudre.

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